Madrid. Jeudi 6 juin il a été rapporté que le consul d’Espagne à Édimbourg, Miguel Ángel Vecino Quintana, avait fait circuler une lettre à l’intention des hauts fonctionnaires écossais en faveur d’une hypothétique inclusion d’un Écosse indépendant dans l’UE. La lettre, qui soulignait trois points principaux, fondait également son autorité sur le ministre espagnol des Affaires étrangères, Josep Borrell, en soutenant une non-interférence de l’Espagne dans l’éventualité d’une indépendance de l’Écosse. Le contenu de la lettre a été rapporté pour la première fois par le journal écossais The National1 ; et en effet, il n’y avait aucune mention de cette position diplomatique importante dans la presse espagnole avant le 8 juin 2019.

Il est vrai qu’en novembre 2018 Josep Borrell a affirmé, dans un entretien publié avec Politico2, que l’Espagne n’avait aucun motif moral de s’ingérer dans une décision prise à Westminster, en tant qu’autorité souveraine du Royaume-Uni. En outre, la position de Borrell pourrait également être interprétée comme affirmant une position différente et inégale entre le système constitutionnel espagnol et les relations anglo-écossaises, qui remontent à un traité datant du XVIIIe siècle. Ces nuances sont importantes à la lumière de la crise constitutionnelle et territoriale de l’Espagne dans le cadre de la question catalane, qui influe très certainement dans la conception politique de Borrell. En effet, nous ne pouvons pas comprendre l’essence de la lettre sans prendre en compte le conflit catalan-madrilène d’octobre 2017.

Au cours des deux dernières années, les plus hauts dirigeants du mouvement indépendantiste de Catalogne (également connu sous le nom de « Pròces ») ont tenté d’intrumentaliser le cas écossais comme un reflet permettant de gagner une légitimité nationale et internationale pour leur propre cause. L’automne dernier, le président en exil, Carles Puigdemont, s’est rendu à Édimbourg pour s’entretenir avec de hauts fonctionnaires dans le cadre d’un événement international3. Il est également révélateur que lors d’un récent voyage aux États-Unis (avec un discours à l’Université Stanford), l’actuel président catalan Quim Torra a lancé un appel à « l’autodétermination », qui incluait les Écossais et les Espagnols comme une option pro-mondialisation, pro-Union européenne et pro-atlantisme ; un contrepoint aux mouvements nationalistes réactionnaires menés par des leaders politiques en France, en Italie ou en Hongrie.4.

Cependant, comme le spécialiste du droit constitutionnel espagnol Carlo Gil Gandia a confié au Grand Continent, « la question catalane ne peut être comparée au Royaume-Uni : d’abord parce que le Royaume-Uni n’a pas de constitution écrite ; et plus important encore, tandis que le Royaume-Uni a accepté d’organiser un référendum avec l’Écosse, il ne s’est rien passé de nouveau en Espagne, selon la dernière décision de la Cour suprême. La Constitution espagnole est la base de la souveraineté du peuple espagnol. Un référendum sans consentement viole donc les droits d’une grande partie de notre citoyenneté ». L’éminent historien britannique, Sir. John Elliot, a également présenté des arguments parallèles dans un vaste cadre historique élaboré pour son livre Scots & Catalans : Union and Disunion (Yale University Press, 2018), dans le but de lever les ambiguïtés des cas de sécessionnisme en Catalogne et en Écosse à la suite de la crise politique européenne.

Aujourd’hui, le principal journal catalan, La Vanguardia, a annoncé que le bureau du ministère des Affaires étrangères avait mis fin au poste du consul d’Espagne à Édimbourg, ce qui indique clairement que la lettre de M. Vecino était une prise d’initiative excessive et non un acte en cohérence avec la diplomatie espagnole. Cependant, alors que les indépendantistes catalans plaident leur cause au Parlement européen et s’orientent vers la scène internationale, nous ne devons pas complètement écarter la possibilité que la position de Borrell soit une manœuvre diplomatique raffinée, soulevant la question de l’indépendance écossaise afin de réduire l’influence des dirigeants catalans. Alors que le procès contre les organisateurs du référendum 1-O se poursuit en Espagne, les efforts visant à contenir la question catalane en tant que « problème européen » continueront de s’intensifier.