Doctrines de la Russie de Poutine

La guerre c’est la paix : extraits choisis de la conférence de presse de Vladimir Poutine

Le rejet du plan Trump pour l’Ukraine, la vision de l’avenir de la Russie, la vassalisation de l'Europe et la nouvelle stratégie impériale des États-Unis ont été au cœur du bilan télévisé de l'année écoulée prononcé par le président Vladimir Poutine sous une immense carte du territoire du pays.

Nous traduisons et commentons les passages clefs depuis le russe.

Comme chaque année, Vladimir Poutine s’est livré, ce vendredi 19 décembre, à un bilan télévisé de l’année écoulée, qui constitue avant tout une occasion de justifier les grandes orientations de sa politique. Cet exercice annuel est un moment fort de propagande et de construction narrative qui lui permet de manifester, du même coup, sa capacité de chef autoritaire à répondre directement aux interrogations et aux préoccupations de la population, formulées par Internet ou par téléphone, sans s’embarrasser d’aucun intermédiaire.

Les questions de cette nouvelle édition portaient, comme d’ordinaire, sur les sujets les plus divers, au gré des intérêts des téléspectateurs et des journalistes, soigneusement filtrés par le Kremlin. Ainsi, des remarques importantes sur la politique nationale et internationale de la Russie se retrouvaient parfois noyées au milieu de considérations sur le prix du poisson ou l’annonce du passage d’une comète à proximité de la Terre. 

De ces quatre heures et demie d’entretien, docilement mis en scène par les présentateurs Ekaterina Berezovskaïa et Pavel Zaroubine, nous retenons cinq points essentiels, dont deux réponses de Vladimir Poutine à des questions ouvertement critiques de journalistes étrangers, ainsi qu’un cadre narratif d’inversion totale : alors que la Russie poursuit son agression en Ukraine, Vladimir Poutine déclare : « J’aimerais énormément que, dès l’année prochaine, nous puissions tous vivre en paix, sans aucun conflit armé à l’horizon. C’est notre souhait commun et nous nous efforçons de résoudre tous les différends par la négociation. »

1 — La vassalisation européenne et la nouvelle stratégie impériale américaine

Je pense que le public sera d’accord avec moi pour dire que nous avons été témoins, au cours de ces dernières années, de beaucoup trop de décisions et de déclarations invraisemblables de la part des représentants européens. Selon vous, pourquoi ce soutien obstiné au régime de Kiev ? Manifestement, ce ne sont ni les droits de l’Homme, ni les valeurs européennes qui sont en jeu. On a bien plutôt l’impression d’un soutien aveugle, au point d’entrer en conflit avec le président des États-Unis. 

L’intervention du journaliste Pavel Zaroubine s’inscrit avec une grande fidélité dans l’architecture rhétorique désormais bien établie du narratif poutinien. Deux procédés y sont particulièrement visibles ; il s’agit d’abord de la disqualification systématique de la justice et d’une réalité partagée. 

Les droits de l’Homme et les « valeurs » sont évoqués uniquement pour être aussitôt tournés en dérision, présentés comme des alibis creux, voire comme des mensonges conscients. Ce geste n’est pas contingent : il relève d’une stratégie de relativisation morale que l’on retrouve, sous des formes diverses, dans la littérature analysant les régimes autoritaires. Déjà Hannah Arendt notait que le mensonge autoritaire ne vise pas tant à faire croire à une contre-vérité qu’à détruire la croyance même dans l’existence d’une vérité commune. 

Ensuite, le propos repose sur une inversion accusatoire classique : ce n’est plus la Russie qui agresse l’Ukraine de manière brutale et continue, causant des pertes humaines immenses, mais l’Europe qui se montrerait irrationnelle, « obstinée », voire suicidaire, allant jusqu’à entrer en conflit avec les États-Unis eux-mêmes. On retrouve ici ce que Timothy Snyder a décrit comme une « politique du schéma plutôt que du fait » : le réel est réorganisé pour servir un récit dans lequel l’Occident apparaît à la fois décadent, incohérent et manipulé, tandis que Moscou se pose en observateur lucide d’un monde devenu fou.

Pourquoi mènent-ils une politique aussi obstinée, aussi aveugle, comme vous l’avez dit ? 

C’est exactement ce que je viens d’expliquer à votre collègue de la BBC : pour couvrir leurs erreurs en matière de politique intérieure, d’économie, de finances, etc. Selon moi, c’est la première et la principale raison.

Par ailleurs, je pense qu’ils sont tombés dans une ornière, comme on dit à propos des routes. Une fois qu’on est pris dans l’ornière, difficile de bifurquer à gauche ou à droite pour en sortir. 

Quant aux conflits avec le président des États-Unis, il n’y a rien d’inattendu ni de surprenant ici. Qu’est-ce qui vous paraît surprenant ? À mes yeux, tout est clair. Et je pense que la chose est claire pour n’importe quel observateur, sans même être spécialiste de la politique américaine : il se trouve que les élites politiques européennes ont tout misé sur le Parti démocrate, sur Mme Harris, lors des élections présidentielles, et qu’elles l’ont même fait de manière explicite, pour ne pas dire insolente.

Ce passage semble fonctionner comme un message calibré pour s’adresser à Donald Trump. En accusant les élites européennes d’avoir « tout misé » sur le camp démocrate, Poutine fournit à Trump un récit immédiatement réutilisable : celui d’une Union européenne coupable d’ingérence dans la politique américaine. 

Ce discours s’inscrit dans une stratégie déjà observable, comme dans le cas des fuites où l’on voyait l’envoyé spécial Witkoff donner des conseils au conseiller diplomatique de Vladimir Poutine pour que ce dernier parvienne à flatter et séduire Donald Trump. Moscou fournit à Trump des arguments compatibles avec sa nouvelle ligne : dénoncer l’Union comme adversaire idéologique tout en évitant l’affrontement direct avec Washington, afin de montrer l’intérêt d’une convergence russo-américaine. 

On a dans le passé accusé Trump d’avoir bénéficié d’ingérences russes lors des élections. Rien n’a pu être confirmé, aucune enquête du Congrès n’a donné le moindre résultat. Il n’y avait eu ni collaboration, ni ingérence de la part de la Russie, et voilà que les élites européennes intervenaient directement, ouvertement, au vu et au su de tous. 

Ce passage repose sur un argument spécieux classique : assimiler l’absence de condamnation formelle à l’absence de faits, en transformant une complexité juridique et politique en preuve d’innocence totale.

La relation entre Donald Trump et Vladimir Poutine a bien fait l’objet de plusieurs enquêtes lourdes et documentées, au premier rang desquelles l’enquête du procureur spécial Robert Mueller (2017-2019). Celle-ci a établi de manière détaillée l’existence d’une ingérence russe massive et systématique dans l’élection de 2016, ainsi que de multiples contacts entre l’entourage de Trump et des acteurs russes. Si le rapport Mueller ne conclut pas juridiquement à une « collusion » au sens pénal strict, il précise explicitement que cette absence de conclusion ne constitue ni une exonération, ni une négation des faits observés. À cela s’ajoutent les enquêtes du Sénat américain — notamment celle de la commission du renseignement, à majorité républicaine — qui ont confirmé la réalité de l’ingérence russe et mis en lumière des comportements préoccupants au sein de l’équipe Trump. Le fait que le Congrès n’ait pas débouché sur des sanctions ou une mise en cause directe tient davantage à des équilibres politiques et institutionnels qu’à l’inexistence des faits. 

Aujourd’hui encore, elles continuent d’espérer que les élections de mi-mandat à l’automne prochain redessineront en profondeur le paysage politique américain, afin de retrouver leurs alliés traditionnels et de pouvoir exercer ainsi davantage de pression sur le président Trump. Voilà la raison profonde de leur attitude. Du moins dans l’attente d’un changement politique aux États-Unis. 

Quant à certains responsables politiques en particulier, si vous voulez mon avis, ils se comportent d’une manière relativement agressive, et même assez peu professionnelle.

Quant aux déclarations agressives à notre égard, je dois dire que je les observe et que je m’en étonne moi-même. Je connais personnellement, par exemple, le secrétaire général actuel de l’OTAN, M. Rutte, l’ancien Premier ministre des Pays-Bas. Je l’ai rencontré autrefois lors d’une visite, nous avons pu échanger. C’est un homme intelligent. En tant que Premier ministre, il s’est montré non seulement intelligent, mais aussi systématique, efficace. Si l’économie des Pays-Bas se porte si bien aujourd’hui, c’est en partie grâce à lui.

Ce passage illustre une personnalisation opportuniste du discours poutinien. En louant l’intelligence et l’efficacité de Mark Rutte, Poutine suggère que l’hostilité actuelle de l’OTAN serait artificielle, imposée par le cadre institutionnel plutôt que fondée sur des convictions réelles. Cette mise en scène occulte un dossier central : la destruction du vol MH17 en 2014, qui a coûté la vie à 196 citoyens néerlandais. En tant que Premier ministre, Rutte a joué un rôle clef dans la gestion politique et diplomatique de cette tragédie, notamment dans les négociations et le soutien aux enquêtes internationales mettant en cause des responsabilités russes. 

Et qu’est-ce qui le prend tout d’un coup ? « Il faut se préparer à la guerre contre la Russie. » 

« Nous sommes la prochaine cible de la Russie et nous sommes déjà en danger. » Depuis Berlin, le secrétaire général de l’OTAN a adressé le 11 décembre un discours d’une gravité particulière aux citoyens de l’Union.

L’indignation feinte de Poutine participe ainsi à un renversement narratif : ce n’est plus la Russie qui menace par ses actes et ses prises de parole (Selon le proche de Poutine Karaganov, la Russie est en guerre contre l’Europe et dans la revue de la diplomatie russe on trouve des appels au sang : « Tout brûler jusqu’à la Manche »), mais l’OTAN qui serait agressive par ses mots. C’est là une manière classique de transformer la dissuasion en provocation et l’anticipation en bellicisme.

J’ai envie de lui dire : « Mais qu’est-ce que tu racontes, quelle guerre avec la Russie ? ». Tu sais lire, bon sang ? Regarde donc la nouvelle Stratégie de sécurité nationale des États-Unis. Qu’est-ce qui est écrit ? Que les États-Unis sont le principal acteur de l’OTAN, que les États-Unis sont le fondateur de l’OTAN, son principal financeur, la source de la plupart des fonds, des technologies militaires, des armes, des munitions. Tout vient d’eux : c’est le principe. Or, dans la nouvelle stratégie, la Russie n’est pas présentée comme un pays ennemi, ni même comme une cible. Et pourtant le secrétaire général de l’OTAN se prépare à la guerre contre nous ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Est-ce que vous savez lire ? ! Comment est-ce que vous comptez pousser l’OTAN à la guerre contre la Russie si le principal contributeur de l’OTAN ne nous considère ni comme un adversaire, ni comme un ennemi ? 

Il semble évident que Vladimir Poutine considère la relation transatlantique comme une relation purement asymétrique de vassalisation. Selon lui, la métropole changeant d’orientation avec sa nouvelle stratégie, l’ensemble des pays doit se plier, quitte à perdre de vue leur intérêt stratégique national. 

Je ne sais pas, à ce niveau, c’est un problème de formation professionnelle. Quand on exerce des fonctions pareilles, il faut un peu de méthode et de perspicacité. Et je ne parle pas seulement du secrétaire général ; cela vaut aussi pour de nombreux autres dirigeants occidentaux. 

2 — Le rejet du plan Trump 

Monsieur le président, je souhaiterais vous interroger sur vos relations avec le président Trump et les États-Unis. Le président Trump a un plan de paix qui propose à l’Ukraine de faire de larges compromis, mais vous continuez à parler de guerre. Monsieur le président, si vous refusez le plan de paix du président Trump, vous estimerez-vous responsable de la mort d’Ukrainiens et de Russes en 2026 ? 

Question de Keir Simmons, NBC News.

Nous ne nous considérons pas comme responsables de la perte de vies humaines, puisque ce n’est pas nous qui avons commencé cette guerre. Cette guerre a commencé après le coup d’État qui a eu lieu en Ukraine, le coup d’État armé et anticonstitutionnel de 2014, suivi du déclenchement d’opérations militaires des dirigeants du régime de Kiev à l’encontre de leurs propres citoyens du sud-est de l’Ukraine. 

De notre côté, nous nous sommes abstenus pendant une longue période de reconnaître l’autonomie, l’indépendance des républiques alors non reconnues, la République populaire de Donetsk et la République populaire de Lougansk. Après avoir été une nouvelle fois trompés et après avoir constaté que les accords de Minsk n’étaient pas appliqués, nous avons été contraints d’engager nos forces armées pour mettre un terme à cette guerre déclenchée par le régime de Kiev avec le soutien des pays occidentaux.

Ce passage condense l’ensemble du narratif russe, mais il repose sur une succession de contre-vérités désormais largement établies. Le soulèvement de 2014 n’a pas été un « coup d’État armé », mais une mobilisation politique massive suivie d’une transition institutionnelle reconnue internationalement. La guerre dans le Donbass n’a pas été déclenchée par Kiev contre ses citoyens, mais par une intervention russe indirecte, combinant forces irrégulières, encadrement militaire et soutien logistique. Quant aux accords de Minsk, leur non-application est partagée, la Russie refusant systématiquement d’y être reconnue comme partie au conflit. Enfin, l’invasion de 2022 ne visait pas à « mettre fin à une guerre », mais à changer par la force le régime ukrainien, comme l’ont montré les objectifs initiaux et le déploiement militaire. La prétendue contrainte invoquée par Moscou relève ainsi d’une fiction rétrospective, destinée à effacer la responsabilité première de la Russie dans une guerre d’agression.

Le président Trump déploie en effet des efforts conséquents pour mettre fin à ce conflit. Comme je l’ai souligné à de nombreuses reprises, je pense qu’il agit de manière tout à fait sincère. De surcroît, lors de notre rencontre à Anchorage, nous sommes tombés d’accord sur ses propositions. Dans ces conditions, il est absolument erroné et dépourvu de fondement d’affirmer que la Russie rejetterait quoi que ce soit.

Ce passage relève d’une mise en scène rétrospective de la bonne foi russe. La référence à Anchorage vise à accréditer l’idée d’un accord de principe saboté de l’extérieur. Or, cette rencontre n’a produit aucun effet concret, en raison à la fois de la position maximaliste de Moscou et de l’approximation diplomatique des États-Unis, qui n’ont pas permis de formaliser un cadre de négociation crédible. Surtout, le fait que Donald Trump et Vladimir Poutine ne se soient pas entretenus depuis deux mois dément l’idée d’un processus actif. L’affirmation selon laquelle la Russie « ne rejetterait rien » relève donc moins du constat que d’une narration a posteriori destinée à déplacer la responsabilité de l’échec.

Au cours des réunions préparatoires qui se sont tenues à Moscou, des propositions nous ont été adressées, ainsi que des demandes de concessions. Une fois à Anchorage, j’ai précisé qu’il s’agirait pour nous d’une décision difficile, mais que nous acceptions les compromis proposés. 

Cette affirmation est toutefois démentie par les faits. Il n’y a eu aucune concession russe identifiable, ni à Moscou ni à Anchorage. Les « compromis » évoqués n’ont jamais été formalisés et les positions présentées par Moscou sont restées strictement maximalistes, sans le moindre changement sur les points essentiels : capitulation de la souveraineté ukrainienne, prise territoriale qui dépasse la ligne de front actuelle et absence de garanties de sécurité réelles. Trump et Poutine ne se sont pas appelés depuis deux mois – la période la plus longue depuis le 20 janvier.

Aussi la question repose-t-elle entièrement sur nos adversaires occidentaux : en premier lieu les dirigeants du régime de Kiev et, dans le cas présent, leurs principaux soutiens européens. La balle est dans leur camp et nous sommes, quant à nous, prêts à des négociations, prêts à mettre fin à ce conflit par des moyens pacifiques. 

3 — L’avenir de la Russie

Ma question concerne l’avenir de la Russie. Quel avenir pour votre pays et votre peuple êtes-vous en train de construire ? Dans cet avenir, toute forme de contestation publique de la ligne officielle sera-t-elle punie par la loi, comme c’est le cas aujourd’hui ? Doit-on s’attendre à une intensification de la poursuite des ennemis intérieurs et extérieurs ? Dans cet avenir, le réseau mobile du pays connaîtra-t-il des coupures de plus en plus fréquentes ? Connaîtrons-nous de nouvelles opérations militaires spéciales ou la Russie choisira-t-elle finalement une autre voie ? 

Je me souviens de l’une de vos interventions : vous y déclariez que notre avenir à tous était entre nos mains, entre les mains de tous. Or, dans les faits, en Russie, tout le pouvoir se trouve concentré entre les vôtres — ce qui signifie que l’avenir dépend en grande partie de votre bon vouloir. D’où ma question : quel avenir nous attend ? La poursuite de ce à quoi nous assistons aujourd’hui ? Je vous remercie. 

Question de Steve Rosenberg, BBC News.

Quel sera l’avenir de la Russie ? Les actions ou les personnes qui ne sont pas d’accord avec les décisions des autorités seront-elles châtiées, comme vous l’avez dit ? Vous voulez sans doute parler de la fameuse loi, souvent critiquée, sur les agents de l’étranger.

Cher collègue, je souhaiterais attirer votre attention sur le fait qu’il ne s’agit en rien d’une invention russe. Cette loi a été adoptée dans un certain nombre de pays occidentaux, à commencer par les États-Unis, et ce dès les années 1930. Tous les avatars de cette loi sont, de surcroît, beaucoup plus sévères que sa version russe, y compris dans le cas des États-Unis. Ils prévoient des sanctions pénales qui vont jusqu’à l’emprisonnement pour toute activité de nature politique impliquant un financement étranger. Nous n’avons rien de tel. Notre loi ne crée qu’une seule forme d’obligation : celle de déclarer ses sources de financement si l’on exerce une activité politique. Notre loi ne prévoit ni répression, ni poursuites pénales. 

D’ailleurs, si les personnes concernées cessent toute forme d’activité politique ou renoncent au financement étranger de leurs activités politiques, elles sont retirées de ces listes. De nombreux exemples sont là pour le démontrer. 

Cette loi crée en réalité une série d’obligations administratives et fiscales particulièrement contraignantes pour les personnes et organisations concernées ; elle facilite les contrôles de la part des autorités russes, interdit l’accès aux financements publics russes ainsi que la participation à un certain nombre d’événements et de médias, tout en créant, par sa tonalité péjorative et inquiétante, un climat de suspicion propre à détourner le public russe des contenus produits par des « agents de l’étranger ». Plus largement, il est évident que la question de Steve Rosenberg ne concernait pas seulement la loi sur les agents de l’étranger, mais bien la répression systématique de toute forme d’opposition en Russie. 

À ce propos : qu’en est-il, justement, de la BBC ? Il y a un procès à plusieurs milliards de dollars en cours, un procès du président des États-Unis contre la BBC.

Question de Pavel Zaroubine.

C’est leur tambouille interne, cela ne me regarde pas. Je n’ai pas l’intention de remuer le couteau dans la plaie ni même d’évoquer ce thème.

Ce dont il faut bien parler, c’est du problème du manque de fiabilité et des manipulations de l’information. C’est un problème évident et je pense que le président Trump a raison. Mais peu importe ici. 

Vous m’avez demandé s’il y aurait de nouvelles opérations militaires spéciales. Il n’y aura aucune opération si vous nous traitez avec respect, si vous respectez notre intérêt, comme nous avons constamment tenu à respecter le vôtre. Si vous ne nous bernez pas, comme on nous a berné à propos de l’expansion de l’OTAN vers l’Est. On nous a dit qu’il n’y aurait aucune avancée, « même pas d’un pouce », je cite. Et donc ? Comme le dit l’expression : on nous a roulés dans la farine. Au plus grand mépris de nos intérêts en matière de sécurité.

Vous avez créé — pas vous personnellement, bien sûr, mais les responsables politiques occidentaux — la configuration actuelle de vos propres mains, pour continuer encore aujourd’hui à l’aggraver. Des responsables politiques répètent à longueur de journée qu’ils se préparent à la guerre contre la Russie. Vous [le journaliste de la BBC] vivez en Russie, de ce que j’en sais, depuis plusieurs années : vous comprenez parfaitement le degré d’absurdité. Et je pense que ceux qui parlent de guerre avec la Russie le comprennent tout aussi bien. Est-ce que nous avons l’air de nous préparer à envahir l’Europe ? C’est une pure ineptie.

Tous ces discours sont inspirés uniquement par des motifs de politique intérieure. Leur seule fonction est de créer l’image d’un ennemi. Et si on se sert de la Russie pour créer cette image, c’est pour mieux masquer une longue série d’erreurs systématiques commises par les gouvernements occidentaux en matière politique et sociale. Où en est leur fameux « agenda vert », à l’heure où ils rouvrent les mines de charbon ? Ils ont fermé leurs centrales nucléaires, et maintenant, ils y reviennent. Ils ont commis erreur sur erreur et dissimulent leur responsabilité en mettant tout sur le dos de la malveillante Russie ; ils détournent l’attention de leur propre population vers l’extérieur, pour qu’on ne regarde pas de trop près leurs propres échecs.

Et vos questions, d’ailleurs, sont du même ordre. Vous avez déclaré que l’ensemble du pouvoir se trouvait entre mes mains. Oui, les fonctions de président de la Fédération de Russie s’accompagnent d’un certain nombre de pouvoirs. Or, les limites de ce pouvoir sont clairement énoncées et établies dans la Constitution de la Fédération de Russie, dans la Loi fondamentale de notre pays. Lorsque des décisions sont prises au niveau législatif, il se trouve que je signe les lois correspondantes, comme dans n’importe quel autre pays. J’ai peur de ne pas pouvoir vous citer le pourcentage exact, mais une bonne partie de ces lois revient à l’initiative des députés de la Douma d’État ou des membres du Conseil de la Fédération, la chambre haute du Parlement russe. Voilà les faits. Oui, à l’évidence, le président de la Fédération de Russie dispose de prérogatives étendues, mais j’estime que la forme présidentielle de gouvernement se justifie pleinement dans notre pays à l’heure actuelle. 

Je voudrais toutefois conclure sur une autre idée. Nous sommes prêts à travailler avec vous, avec la Grande-Bretagne, avec l’Europe tout entière, avec les États-Unis également, mais sur un pied d’égalité et dans le respect mutuel. Si nous y parvenons enfin, tout le monde en sortira gagnant. 

Je me souviens d’une conversation à laquelle j’ai assisté. C’était en 1993, l’ancien chancelier de la RFA, M. Kohl, a alors déclaré que l’avenir de l’Europe, si elle voulait continuer à exister en tant que centre de civilisation indépendant, devait nécessairement se faire avec la Russie. C’est la chose la plus naturelle : nous sommes complémentaires. Nous devons travailler ensemble et nous développer ensemble, sans quoi l’Europe finira par disparaître. 

Regardez : malgré une croissance économique réduite à 1 % par la lutte contre l’inflation, la Russie occupe encore la quatrième place mondiale en parité de pouvoir d’achat, juste derrière la Chine, les États-Unis et l’Inde. Après la Russie viennent le Japon et l’Allemagne. Le Royaume-Uni, que vous représentez ici, n’occupe malheureusement, de nos jours, que la septième, huitième ou neuvième place.

Si la Russie et l’Europe unissaient leurs efforts, nous aurions un PIB en parité de pouvoir d’achat supérieur à celui des États-Unis. Bien sûr, ce sont de pures suppositions, des conjectures sur le papier, mais il n’en reste pas moins qu’en rassemblant tout notre potentiel commun, nous serions plus prospères, au lieu de nous faire la guerre, comme vous la faites aujourd’hui à la Russie. Ce n’est pas nous qui vous faisons la guerre ; c’est vous qui nous faites la guerre par l’intermédiaire des nationalistes d’Ukraine.

Je répète que nous sommes prêts à mettre fin aux hostilités sous réserve de garanties réelles de sécurité pour la Russie, à moyen et à long terme, et que nous ne sommes pas moins prêts à collaborer à l’avenir avec vous.

4 — Comment Vladimir Poutine s’informe-t-il de l’état réel du pays ? 

Vous avez récemment raconté que vous circuliez parfois incognito dans Moscou au volant de votre voiture. Par ailleurs, lorsque vous vous exprimez lors des réunions officielles, ou en ce moment même, vous disposez toujours d’un volume considérable d’informations. Ma question est donc la suivante : d’où tirez-vous ces informations précieuses sur les besoins réels des gens ? 

Question de Maxime Zakharov (13 ans, correspondant de la Rédaction des enfants).

Ce n’est pas exactement ce que j’ai dit, je n’ai pas affirmé que je circulais incognito dans ma voiture à Moscou. Cela arrive, mais c’est très rare. J’ai simplement précisé que je me déplaçais occasionnellement sans escorte — de police ou autre. C’était l’idée essentielle. 

Ces déplacements ne sont pas inutiles : même depuis la fenêtre de sa voiture, il est intéressant d’observer non seulement la route entre Moscou et ma résidence de campagne, mais aussi les différents quartiers de la capitale. Je suis toujours curieux de voir ce qui se passe alentour. 

Pour ce qui concerne l’obtention d’informations fiables sur les dynamiques en cours, je dirais que le meilleur instantané sociologique est justement fourni par les événements comme celui d’aujourd’hui. Nous en sommes à combien ? 

Deux millions et demi. 

Relance de Ekaterina Berezovskaïa.

Tu te rends compte, Maxime ? Deux millions et demi de personnes ont participé à cette Ligne directe. Bien sûr, dans le cadre de cette émission, il est impossible de traiter et de répondre à toutes ces questions. Mais ces 2,5 millions de messages concernent tous les problèmes actuels de nos concitoyens. Ils sont traités et analysés en amont, en partie au moyen de l’intelligence artificielle […].

Ensuite, les services spéciaux et les organes de sécurité me transmettent évidemment diverses informations à mesure qu’ils les reçoivent. Je tâche toujours de m’appuyer sur les documents originaux, et non sur des synthèses. Et puis il y a les rencontres avec les gens, les rencontres avec nos gars qui reviennent du front, des échanges directs avec eux. Quand je me retrouve auprès de collectifs de travail lors de mes déplacements à travers le pays, le contact direct avec les gens est aussi une dimension fondamentale. Il crée tout de suite un échange vivant : on prend le pouls de la société, on comprend mieux l’atmosphère, les besoins et les demandes des gens.

Et, bien sûr, il ne faut pas oublier les enquêtes sociologiques. Je comprends que les gens aient des avis assez contrastés à leur propos, mais il faut bien saisir qu’il s’agit d’outils professionnels. Je comprends que les données puissent irriter, puisque les chiffres bruts ne correspondent pas toujours à l’expérience vécue, l’expérience quotidienne des gens. Ils n’en ont pas moins une portée, une importance de premier plan pour comprendre ce qui se passe à l’échelle du pays. 

Prises ensemble, ces diverses sources fournissent ainsi un tableau suffisamment objectif de la réalité des événements. 

5 — La Russie, la Serbie et l’OTAN

Excusez-moi de ne pas parler bien russe, mais je pense que vous me comprenez. Vous avez commencé une normalisation [des relations] de la Fédération de Russie avec les États-Unis. Mais si on regarde tout ce qui se passe, on voit des sanctions contre les sociétés russes présentes en Serbie, [dont] NIS. Quels commentaires pouvez-vous faire à ce propos et à quoi le peuple serbe doit-il s’attendre ? Une autre question. Peut-on espérer à l’avenir une coopération entre la Russie et l’OTAN qui permettrait de vivre normalement, de vivre sans guerre ? Je crois qu’à la prochaine rencontre, l’année prochaine, nous pourrons parler de paix et non pas de guerre. Merci.

Question de Željko Sajn, journal Politika.

Merci pour cette question. J’aimerais énormément que, dès l’année prochaine, nous puissions tous vivre en paix, sans aucun conflit armé à l’horizon. C’est, je le répète, notre souhait commun et nous nous efforçons de résoudre tous les différends par la négociation.

Évidemment, et je pense que vous ne me contredirez pas là-dessus, pour qu’aucune situation de ce genre ne se reproduise, pour obtenir une paix stable et durable, il faut attaquer le conflit à la racine. C’est ce à quoi nous aspirons. 

Pour ce qui concerne la coopération avec l’OTAN, elle a existé. Cependant, à l’époque, il ne s’agissait pas d’une « coopération », mais d’une véritable intégration de l’Union soviétique, puis de la Fédération de Russie, à l’OTAN. Toutefois, on nous a fait comprendre dans les deux cas que personne ne nous attendait et que les promesses en matière d’expansion de l’OTAN étaient mensongères. Nous avons été trompés plus d’une fois, comme l’ont montré les vagues successives d’élargissement de l’OTAN. Forcément, ce glissement de l’infrastructure militaire en direction de nos frontières a suscité de vives préoccupations.

Dans ces conditions, la mise en œuvre d’un nouveau système de sécurité en Europe reste une question éminemment actuelle. Avant l’effondrement définitif de l’Union soviétique, il restait encore en Europe des responsables tout à fait avisés, notamment des membres éminents du SPD allemand. Egon Bahr, une figure politique expérimentée, proposait même de créer un nouveau système de sécurité en Europe qui ne supposait pas d’élargissement de l’OTAN, mais plutôt une participation des États-Unis, des États d’Europe de l’Est et de la Russie, afin de n’exclure personne et de ne placer aucun acteur dans une position inconfortable. 

Nous ne demandons pas la lune. Nous ne refusons à aucun pays le droit de choisir ses moyens de défense, mais ces moyens doivent être pensés de manière à ne menacer personne — Russie comprise. 

Nous ne demandons rien de nouveau. Nous nous contentons de réclamer le respect des promesses et des engagements pris par nos partenaires occidentaux vis-à-vis de la Russie. Nous avons été bernés et ne voulons rien d’autre qu’édifier à l’échelle européenne un système de sécurité fiable.

À présent, en ce qui concerne NIS, la tâche est complexe, vous avez raison. 

Naftna industrija Srbije, compagnie pétrolière serbe, est détenue à 56 % par Gazprom Neft. À ce titre, elle se trouve depuis le mois d’octobre sous sanctions américaines. Cette décision a entraîné fin novembre l’arrêt de la raffinerie de Pancevo, provoquant une grave crise pétrolière dans le pays dont la direction politique est déjà fragilisée par d’importants mouvements de contestation. Dans ce contexte, la tentation est grande, du côté d’un gouvernement serbe qui cherche toujours à naviguer entre Russie et Europe, de « lâcher » Gazprom au profit d’alternatives garantissant une sortie de crise.

Malheureusement, malgré la volonté d’apaiser les tensions, la pression des sanctions, l’instrument privilégié de la politique du rapport de forces, se poursuit. Elle concerne au même titre notre entreprise Gazprom Neft, propriétaire de NIS, et qui y a investi des sommes considérables, déjà plus de trois milliards de dollars, pour en faire une entreprise moderne, performante, le principal contributeur fiscal au budget de la Serbie.

Nous sommes conscients des tractations actuellement à l’œuvre. Nous avons un accord intergouvernemental avec la Serbie en cas de restrictions touchant cette structure commerciale et partons du postulat que le gouvernement d’un pays-ami comme la Serbie saura s’y tenir et respecter ses engagements. Dans le cas contraire, une question se posera : comment continuer à investir dans un pays s’il n’y a aucune garantie de sécurité, si même les accords intergouvernementaux peuvent être piétinés ? 

— La Russie, la Bélarus et l’Europe

Le Bélarus et la Russie sont aujourd’hui tellement synchrones qu’un événement important se déroule en ce moment même dans notre pays : le Congrès populaire biélorusse. Et, comme notre président l’a déclaré : « Le Bélarus et la Russie doivent être ensemble ». Vous l’avez forcément entendu. De fait, nous nous appuyons sur la puissance russe. En ce moment, le missile Orechnik est mis en service opérationnel au Bélarus — nous vous en sommes reconnaissants — et les armes nucléaires tactiques nous ont été restituées. Et pourtant, notre alliance ne plaît pas à tout le monde. C’est étrange… Tantôt, c’est la Lituanie qui ferme ses frontières, tantôt c’est la Pologne, lorsqu’on ne planifie pas la construction de terrains d’opérations ou tout simplement le pillage de nos biens. Nous aussi, nous en souffrons. D’où ma question : comment percevez-vous la politique de ces « petits cochons européens » ? Et merci au passage pour ce nouveau terme diplomatique. Quelle sera la réaction de la Russie face aux menaces sur le front oriental de notre Union russo-biélorusse ? 

Question de Viktoryia Senkevich, BTRC.

Pour ce qui concerne ce « nouveau terme », il m’est venu au cours d’un échange avec des militaires et ne visait personne en particulier. Je ne m’en prends jamais à personne individuellement, je ne me permets jamais ce genre de choses. Je faisais référence à un « groupe indéterminé de personnes », comme disent les juristes. Mais peu importe, la question essentielle ici est celle de nos relations bilatérales.

Je n’ai pas manqué de regarder hier en direct l’intervention du président biélorusse au Congrès, et je tiens à le féliciter pour cette allocution sensible, vivante et substantielle. Je profite également de cette occasion pour saluer la manière dont il a apprécié l’état actuel des relations entre nos deux pays. 

En ce qui concerne la sécurité, la prise de décision s’effectue à la fois de manière bilatérale et dans le cadre de l’Organisation du traité de sécurité collective. Vous avez mentionné le missile Orechnik ; Alexandre Grigorievitch [Loukachenko] a parlé hier du déploiement d’armes tactiques russes, d’armes nucléaires tactiques sur le territoire de la Bélarus. Nous organisons régulièrement des exercices, nous avons constitué un corps de troupes. Nos ministères de la Défense coopèrent de la manière la plus étroite possible. La sécurité de l’Union russo-biélorusse se trouve entre de bonnes mains : celles de nos militaires. Elle sera assurée, je vous le garantis.

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