L’appel au peuple ukrainien de Volodymyr Zelensky : texte intégral de son adresse à la nation
Malgré les frappes russes et au milieu des scandales de corruption qui le fragilisent, Volodymyr Zelensky a prononcé aujourd’hui un discours historique en appelant les Ukrainiens à résister à la tentative de l’administration Trump d’imposer un accord avec la Russie.
Texte intégral de son adresse à la nation.
- Auteur
- Le Grand Continent
À l’occasion du Jour de la Dignité et de la Liberté, le président ukrainien a répondu à la proposition en 28 points préparée par les États-Unis sur le modèle du plan pour Gaza, proposition qui reprend l’essentiel des exigences de Moscou en demandant une quasi-capitulation ukrainienne.
Alors que les États-Unis avaient également partagé avec Kiev un mémorandum sur les « garanties de sécurité » et que plusieurs alliés européens de l’Ukraine avaient échangé avec Volodymyr Zelensky cet après-midi, le président ukrainien a présenté dans une adresse à la nation le moment traversé par son pays dans la guerre comme une alternative d’une difficulté historique : « Soit perdre sa dignité, soit risquer de perdre un partenaire clef. »
En refusant explicitement de céder à la pression qui s’exerce sur le front par l’armée de Poutine et de la part des États-Unis de Donald Trump — qui souhaite trouver un « deal » d’ici Thanksgiving le 27 novembre — il a appelé le peuple ukrainien à « l’unité ».
Après les scandales de corruption qui ont touché ces dernières semaines l’entourage du président ukrainien, celui-ci traverse l’un des moments politiquement les plus délicats depuis le début de l’invasion russe à grande échelle de février 2024. Après avoir rassuré ses soutiens européens en refusant de céder à la pression de Trump, il doit désormais retrouver la confiance perdue en interne et par une partie des soutiens de l’Ukraine après les scandales de corruption.
Ukrainiens, Ukrainiennes,
Dans la vie de chaque nation, il y a un moment où tout le monde doit se parler. Honnêtement. Calmement. Sans suppositions, sans rumeurs, sans ragots, sans tout ce qui est superflu. Tel quel. Tel que j’essaie toujours de vous parler.
Nous vivons actuellement l’un des moments les plus difficiles de notre histoire. La pression exercée sur l’Ukraine est aujourd’hui l’une des plus fortes.
L’Ukraine pourrait se retrouver face à un choix très difficile.
Soit perdre sa dignité, soit risquer de perdre un partenaire clef.
Soit accepter 28 points difficiles, soit affronter un hiver extrêmement difficile — le plus difficile — et les risques qui en découlent. Une vie sans liberté, sans dignité, sans justice. Et pour que nous croyions celui qui nous a déjà attaqués deux fois.
On attendra notre réponse.
Mais en réalité, je l’ai déjà donnée.
Le 20 mai 2019, lorsque j’ai prêté serment d’allégeance à l’Ukraine, j’ai notamment déclaré : « Moi, Volodymyr Zelensky, élu président de l’Ukraine par la volonté du peuple, je m’engage à défendre par toutes mes actions la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, à défendre les droits et libertés des citoyens, à respecter la Constitution et les lois de l’Ukraine, à remplir mes fonctions dans l’intérêt de tous mes compatriotes, à promouvoir l’autorité de l’Ukraine dans le monde. »
Pour moi, ce n’était pas une formalité protocolaire, c’était un serment. Et chaque jour, je reste fidèle à chacun de ses mots. Et je ne le trahirai jamais.
L’intérêt national ukrainien doit être pris en compte.
Nous ne faisons pas de déclarations fracassantes, nous travaillerons calmement avec les États-Unis et tous nos partenaires. Nous rechercherons des solutions constructives avec notre principal partenaire.
Je présenterai des arguments, je convaincrai, je proposerai des alternatives, mais nous ne donnerons certainement pas à l’ennemi des raisons de dire que l’Ukraine ne veut pas la paix, qu’elle sabote le processus et qu’elle n’est pas prête pour la diplomatie. Cela n’arrivera pas.
L’Ukraine travaillera rapidement.
Aujourd’hui, samedi et dimanche, toute la semaine prochaine et aussi longtemps que nécessaire. Je me battrai 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, pour qu’au moins deux points du plan ne soient pas négligés : la dignité et la liberté des Ukrainiens.
Car c’est sur cela que repose tout le reste : notre souveraineté, notre indépendance, notre terre, notre peuple. Et l’avenir de l’Ukraine.
Nous devons tout faire pour que la guerre prenne fin et pour préserver l’Ukraine, l’Europe et la paix mondiale ; et nous le ferons.
Je viens de m’entretenir avec les Européens.
Nous comptons sur nos amis européens, qui comprennent parfaitement que la Russie n’est pas loin, qu’elle est proche des frontières de l’Union et que l’Ukraine est actuellement le seul bouclier qui sépare la vie confortable des Européens des plans de Poutine.
Nous nous souvenons que l’Europe était avec nous. Nous avons confiance que l’Europe sera avec nous.
L’Ukraine ne doit pas revivre le déjà-vu du 24 février — lorsque nous avions le sentiment d’être seuls. Lorsque personne ne pouvait arrêter la Russie, à part nos héros qui ont formé un rempart contre l’armée de Poutine.
Et nous avons bien sûr été très heureux lorsque le monde a dit : « Les Ukrainiens sont incroyables ; comme les Ukrainiens se battent ; quels titans ils sont. » Et c’est vrai. Absolument.
Mais l’Europe et le monde entier doivent comprendre une autre vérité : les Ukrainiens sont avant tout des êtres humains, et depuis près de quatre ans, nous résistons à l’une des plus grandes armées du monde, et nous tenons une ligne de front de plusieurs milliers de kilomètres, et notre peuple subit chaque nuit des bombardements, des attaques de missiles, des frappes balistiques et des frappes de drones. Nos concitoyens perdent chaque jour des proches. Nos concitoyens veulent vraiment que la guerre se termine.
Nous sommes solides comme l’acier. Mais même le métal le plus résistant peut finir par céder.
N’oubliez pas cela, soyez avec l’Ukraine, soyez avec notre peuple, et donc soyez dignes et libres !
Chers Ukrainiens,
Souvenez-vous du premier jour de la guerre. La plupart d’entre nous a fait un choix. Le choix en faveur de l’Ukraine. Souvenez-vous de nos sentiments à ce moment-là. Comment était-ce ? Sombre, bruyant, difficile, douloureux, effrayant pour beaucoup. Pourtant, l’ennemi n’a pas vu nos dos qui fuyaient : il a vu nos yeux, prêts à se battre pour ce qui nous appartient. C’est cela, la dignité. C’est cela, la liberté. Et c’est en fait la chose la plus effrayante qui puisse arriver à la Russie : voir l’unité des Ukrainiens.
À l’époque, notre unité visait à protéger notre foyer contre l’ennemi.
Et aujourd’hui, nous avons plus que jamais besoin d’unité pour que notre foyer connaisse une paix digne de ce nom.
Je m’adresse maintenant à tous les Ukrainiens.
Notre peuple, nos citoyens, nos politiciens, tout le monde. Nous devons nous rassembler. Nous ressaisir. Cesser les querelles. Cesser les jeux politiques. L’État doit fonctionner. Le parlement d’un pays en guerre doit travailler de manière unie. Le gouvernement d’un pays en guerre doit travailler efficacement. Et nous devons tous ensemble ne pas tomber dans la confusion, et ne pas oublier qui est aujourd’hui vraiment l’ennemi de l’Ukraine.
Je m’en souviens encore : au premier jour de la guerre, différents intermédiaires m’avaient transmis différents plans, points et ultimatums concernant la fin de la guerre.
Ils disaient : c’est cela ou rien.
Soit vous signez, soit vous serez simplement éliminé et c’est le « président par intérim de l’Ukraine » qui signera à votre place.
On sait comment cela s’est terminé.
Bon nombre de ces messagers ont fait partie du fonds d’échange et sont repartis, avec leurs propositions et leurs points d’où ils étaient venus — « à la maison ».
Le président ukrainien désigne ici des personnes qui ont ensuite fait partie de l’échange de prisonniers — le « fonds d’échange » étant le terme consacré en ukrainien. L’expression « дамой, в радную гавань » est un russisme employé de manière sarcastique par Zelensky pour signifier que ces intermédiaires ont ensuite été arrêtés par l’Ukraine puis échangés contre des captifs ukrainiens détenus par Moscou.
Je n’ai pas trahi l’Ukraine à ce moment-là, je sentais clairement le soutien de chacun derrière moi. Chacun d’entre vous. Chaque Ukrainien, chaque Ukrainienne, chaque soldat, chaque volontaire, chaque médecin, chaque diplomate, chaque journaliste, tout notre peuple.
Nous n’avons pas trahi l’Ukraine à ce moment-là, nous ne le ferons pas maintenant. Et je sais avec certitude que dans ce moment — véritablement l’un des plus difficiles de notre histoire — je ne suis pas seul.
Que les Ukrainiens croient en leur État, que nous sommes unis.
Dans tous les formats des futures réunions, discussions, négociations avec nos partenaires, il me sera beaucoup plus facile d’obtenir une paix digne pour nous et de les convaincre si je suis sûr à 100 % que derrière moi se trouve le peuple ukrainien.
Des millions de nos concitoyens qui ont leur dignité, qui luttent pour la liberté et qui méritent la paix.
Tous nos héros tombés au combat, qui ont donné leur vie pour l’Ukraine, qui sont maintenant au ciel et qui méritent de voir de là-haut que leurs enfants et petits-enfants vivront dans une paix digne. Cette paix viendra. Une paix digne, efficace, durable.
Chers Ukrainiens,
La semaine prochaine sera très difficile. Il se passera beaucoup de choses.
Vous êtes un peuple adulte, intelligent, conscient, qui l’a prouvé à maintes reprises. Et qui comprend qu’il y aura beaucoup de pression dans ce moment — pression politique, informationnelle… Tout cela dans le but de nous affaiblir, de nous diviser.
L’ennemi ne dort pas et il fera tout pour que nous échouions.
Allons-nous les laisser faire ? Nous n’en avons pas le droit.
Mais ceux qui cherchent à nous détruire nous connaissent mal. Ils ne comprennent pas qui nous sommes vraiment, ce que nous défendons, ce pour quoi nous nous battons, quel genre de personnes nous sommes. Ce n’est pas pour rien que nous célébrons la Journée de la Dignité et de la Liberté comme une fête nationale. Cela montre qui nous sommes et quelles sont nos valeurs.
Nous allons travailler sur le plan diplomatique pour notre paix. Nous devons travailler ensemble à l’intérieur du pays pour notre paix. Pour notre dignité.
Pour notre liberté. Je crois — je sais — que je ne suis pas seul.
Avec moi, il y a notre peuple, notre société, nos soldats, nos partenaires, nos alliés, tous nos concitoyens. Dignes. Libres. Unis.
Joyeux Jour de la Dignité et de la Liberté !
Gloire à l’Ukraine !