L’annonce dimanche 26 octobre par Poutine de l’essai réussi du missile 9M730 Bourevestnik, un nouveau vecteur à réaction nucléaire de l’arsenal russe, n’était guère surprenante, celui-ci ayant déclaré deux semaines auparavant, lors du sommet de la CEI de Douchanbé, que la Russie serait « bientôt en mesure de dévoiler une nouvelle arme » 1.
Dès 2018, le président russe évoquait ce missile comme une réplique aux menaces de l’Occident et à l’expansion de l’OTAN.
- Le nom « Bourevestnik » vient du pétrel, un oiseau marin qui signifie littéralement en russe « l’annonciateur des tempêtes ».
- Son principal avantage consiste en sa portée : son « statoréacteur nucléaire » lui permettrait (en théorie) de voler pendant plusieurs jours — ce qui augmente toutefois ses chances d’être détecté.
- Au moins quinze essais auraient déjà été réalisés ces dernières années, le plus récent datant de 2023. Ces tests ont occasionné un certain nombre d’accidents, dont certains particulièrement graves, notamment en 2019.
Le président russe a insisté sur le fait qu’il s’agissait là d’une véritable prouesse technique dépassant l’imagination : « C’est véritablement un engin unique ; personne au monde ne possède rien de semblable ». Pourtant, comme l’explique Stéphane Audrand, les spécialistes de la dissuasion nucléaire ont plutôt tendance à considérer cette annonce comme relevant d’un « non-événement » visant avant tout à susciter la peur.
Cette stratégie est partiellement efficace.
- Selon une enquête YouGov conduite début octobre, la peur de la menace d’une agression russe est avant tout présente dans l’Est du continent, près des frontières russes.
- Tandis que 62 % des Danois ou 57 % des Lituaniens disent considérer une attaque russe comme la menace la plus grave pesant sur leur pays, cette part n’est que de 22 % en Espagne ou de 20 % en Italie.
- En Allemagne et en France, environ un tiers de la population (respectivement 36 % et 31 %) est en accord avec l’affirmation, soit un niveau similaire à la crainte liée à l’immigration.
- Moins de 10 % des Européens sondés disent toutefois craindre le scénario d’une attaque nucléaire.
Peu de réactions officielles ont suivi l’annonce de l’essai du missile.
- La machine d’information russe s’est toutefois mise en branle : RIA Novosti titrait ainsi : « En Inde, on met en garde l’Occident après les annonces de Poutine sur le Burevestnik » 2.
- En réalité, l’agence de presse citait à l’appui un unique article du Times of India qui interprétait le lancement comme un « signal » ou un « avertissement » adressé à l’Occident.
L’essai du missile étant pensé comme un message aux États-Unis, plusieurs déclarations des responsables russes et états-uniens ont précisé l’état de leurs relations dans ce nouveau contexte.
- Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a tenu à souligner deux éléments. Tout d’abord « la Russie œuvre de manière constante à la garantie de sa propre sécurité ».
- Il ajoutait cependant : « Il n’y a rien ici qui puisse ou doive aggraver les relations entre Moscou et Washington, d’autant que ces relations se trouvent déjà à leur niveau le plus bas ».
L’annonce ne remet ainsi pas en cause les données fondamentales de la donne stratégique, mais présente plutôt un caractère politique : celui d’une démonstration de force qui touche aux émotions.
Ce sens n’a pas échappé à l’un des idéologues les plus agressifs du Kremlin, Alexandre Douguine ayant déclaré le 27 octobre : « Nous devons montrer notre force. Notre président a parlé de stupéfier l’Occident, annonçant que le monde entier serait “sidéré” par le spectacle qu’offre la Russie. L’essai du missile Bourevestnik est une manière parmi d’autres de provoquer cette sidération, mais il est temps d’aller plus loin. Nous devons effrayer l’Occident » 3.
- La stratégie de la « peur nucléaire » est également promue par Sergueï Karaganov, le plus influent stratège de Poutine, qui a appelé à la télévision à instiller « la terreur et la crainte de Dieu » aux Européens.
- C’est pour susciter la peur que Poutine avait frappé la ville ukrainienne de Dnipro avec un missile Oreshnik, capable de transporter une ogive nucléaire, en novembre 2024 en réaction à l’utilisation par Kiev de missiles américains ATACMS et de fusées britanniques Storm Shadow sur le sol russe.
- Les médias d’État russe diffusaient alors à la télévision des estimations du temps de trajet requis pour qu’un tel missile atteigne les capitales européennes : 12 minutes pour Varsovie, 15 pour Berlin, 20 pour Londres et Paris.
- Quelques jours plus tôt, le président russe avait fait évoluer la doctrine russe en matière d’utilisation de son arsenal atomique.
Depuis de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine en 2022, toutes les lignes rouges fixées par le régime russe en matière d’assistance militaire à Kiev — d’abord les chars d’assaut, puis les avions de chasse et les missiles longue portée — ont été franchies sans qu’elles ne déclenchent de réponse russe.
- En plus de l’Ukraine, deux autres pays — l’Inde et l’Iran — ont frappé des puissances nucléaires ces derniers mois sans qu’une escalade jugée irrémédiable ne soit engagée.
Sources
- Владимир Путин ответил на вопросы журналистов, Kremlin, 10 octobre 2025.
- « В Индии предупредили Запад после слов Путина о « Буревестнике » », RIA Novosti, 27 octobre 2025.
- « Дугин назвал « Буревестник » одним из вариантов ошеломления Запада », RIA Novosti, 27 octobre 2025.