Aujourd’hui, mercredi 3 septembre, le président polonais Karol Nawrocki est reçu à Washington par Donald Trump. Cette rencontre s’inscrit dans le cadre d’un rapprochement progressif entre les deux hommes depuis le printemps, lorsque l’administration américaine avait choisi de soutenir l’historien nationaliste, alors candidat du PiS, devenu président de la République polonaise le 6 août.
- Durant la campagne, Nawrocki avait déjà été reçu par Trump à la Maison-Blanche et avait indiqué que le président américain lui aurait soufflé : « Vous allez gagner ». Lors de la CPAC de Varsovie au mois de mai, la secrétaire américaine à la Sécurité intérieure, Kristi Noem, l’avait officiellement soutenu.
- Le 9 août, soit trois jours après sa prestation de serment, la chancellerie présidentielle a annoncé une invitation formelle de Trump à Nawrocki pour une visite de travail le 3 septembre à Washington, qui sera le premier déplacement à l’étranger du nouveau chef de l’État.
- Ce dernier a indiqué qu’il abordera bien sûr la question de l’Ukraine, mais qu’il se concentrera surtout sur les questions liées à la défense de la Pologne.
Outsider inconnu du grand public avant que son passé de hooligan ne soit dévoilé au cours de la campagne présidentielle, ainsi que ses positions ambiguës sur le soutien à l’Ukraine, Nawrocki a déjà rompu avec la tradition polonaise depuis son investiture : au lieu d’une présidence protocolaire, il impose une hyper-présidence offensive.
Il ne s’agit ainsi pas du simple remplacement d’un président pro-PiS, Andrzej Duda, par un autre.
- Le déplacement de Nawrocki à Washington arrive après une série d’événements au cours desquels celui-ci a progressivement tenté de représenter la Pologne à l’étranger.
- Selon la Constitution polonaise, la diplomatie relève du domaine du gouvernement, incarné par les figures du Premier ministre Donald Tusk et du ministre des Affaires étrangères Radosław Sikorski, qui ne cesse de le rappeler à la chancellerie présidentielle, sans succès.
Lors du briefing du 13 août, qui visait à coordonner la position des Américains et des Européens en amont de la rencontre entre Poutine et Trump, c’est Nawrocki qui a été invité par le président Trump, et non Tusk. Cet événement, dévoilé au dernier moment, a surpris la classe politique polonaise.
- Pourtant, le lendemain, lors de la réunion de la « coalition des volontaires », c’est bien le ministre des Affaires étrangères Sikorsk qui était présent.
- Ces manœuvres ont entraîné leur lot de tensions entre les deux hommes, si bien que, le 18 août, alors que la Pologne est l’un des principaux soutiens de l’Ukraine, le pays n’était pas représenté dans le Bureau ovale, où étaient réunis plusieurs dirigeants européens et le président Zelensky.
- À l’approche de la visite de Nawrocki à Washington, le ministère des Affaires étrangères polonais a transmis à la présidence un document synthétique résumant la position diplomatique que la Pologne devrait adopter vis-à-vis des États-Unis, ce que le porte-parole de la présidence a qualifié de « blague ».
Après l’élection présidentielle, certains ont pu penser que le fait que Nawrocki entretienne des relations avec la Maison-Blanche et le mouvement MAGA était une bonne nouvelle, celle-ci permettant d’avoir une relation atlantique privilégiée, comme lors du précédent mandat d’Andrzej Duda.
- En effet, les relations entre Trump et Tusk sont mauvaises depuis 2017-2019, période durant laquelle ce dernier était président du Conseil européen.
- Pour autant, la bataille qui oppose la présidence et le gouvernement sur la personnalité qui incarne le mieux l’image internationale de la Pologne ternit le « moment polonais », au cours duquel Varsovie présidait le Conseil de l’Union et siégeait avec Paris et Berlin dans un triangle de Weimar renforcé.

Au-delà de cette cacophonie diplomatique, le conflit entre les deux hommes, qui se détestent cordialement, est également présent dans la politique intérieure.
- Après l’imbroglio concernant la participation de Nawrocki à la réunion avec Trump le 13 août, une explication a eu lieu le lendemain au palais de la présidence.
- Avant celle-ci, Nawrocki a délibérément laissé attendre Tusk pour simuler une supériorité devant les caméras.
- La discussion n’a rien donné, Tusk ayant tweeté que le seul point d’accord entre les deux hommes est « que nous avons de belles familles et des enfants fantastiques ».
- Nawrocki a également convoqué un Conseil des ministres le 27 août et a lancé une salve de critiques contre Tusk et son gouvernement, leur reprochant notamment un déficit record, des retards dans le méga-projet d’aéroport CPK et une protection insuffisante de l’agriculture polonaise.
De façon plus concrète, en quatre semaines à la tête de l’État, Nawrocki a opposé son veto à de nombreux projets de loi proposés par le gouvernement et adoptés par la Diète, dominée par la coalition de Tusk, dans à peu près tous les domaines.
- Dans l’énergie, à une loi assouplissant les règles d’implantation des éoliennes, jumelée à une prolongation du gel des tarifs pour les ménages ;
- Dans la politique sociale et d’immigration, à une loi visant à prolonger les aides sociales aux Ukrainiens présents en Pologne ;
- Dans le soutien plus spécifique à Kiev, à une loi sur le financement par la Pologne du réseau Starlink utilisé en Ukraine.
Au total, on compte sept vétos en un mois, soit à peu près autant que ceux du précédent président Duda en deux ans.
- Pour renverser ces vétos, il faut atteindre une majorité des trois cinquièmes à la Diète, ce qui semble très improbable dans la mesure où le PiS dispose de deux cinquièmes des sièges +1, auxquels il faut ajouter ceux des autres formations d’opposition (28), la principale étant le parti d’extrême-droite Confédération.
Les dossiers risquent de rester sur la table du président.
- Sur la plupart des sujets, Nawrocki a proposé de nouveaux projets de loi au Parlement, même si ses soutiens directs n’y ont de fait pas de majorité.
- Il est possible que certains compromis soient trouvés, certains projets de Nawrocki reprenant partiellement les propositions du gouvernement en omettant les aspects plus conflictuels.
- Le gouvernement peut également jouer sur des mécanismes extra-parlementaires pour proposer des ajustements à l’état des choses, comme il l’a déjà fait sur l’administration de la pilule du lendemain sans ordonnance, un projet bloqué par le président Duda et que Nawrocki n’a aucune intention de faire progresser.
Pour autant, le moindre sujet devient l’objet d’une confrontation directe qui ne laisse pas le temps aux commissions parlementaires de faire leur travail de réconciliation — et c’est bien l’horizon d’un conflit permanent qui se dessine.
- Dans les sondages, le PiS et la Coalition civique sont au coude à coude, avec environ 30 % des intentions de vote.
- Les prochaines élections législatives sont prévues à l’automne 2027, et les marges de manœuvre de la Coalition civique et de ses alliés sont minces d’ici là, même si la somme de leurs voix reste majoritaire.
- Nawrocki restera président jusqu’en 2030.
Dans un contexte où il faut aller chercher des voix à droite, on assiste parfois à une « nawrockisation » de la vie politique polonaise.
- Nawrocki considère que la question des massacres de Volhynie pendant la Seconde Guerre mondiale est le point principal des tensions entre la Pologne et l’Ukraine 1.
- Jouant sur la corde mémorielle, le ministre de la Défense, membre de la coalition gouvernementale de Tusk mais appartenant au PSL (un parti paysan plus conservateur que la Coalition civique), a déclaré que la Pologne ne soutiendrait pas l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne tant que les conflits mémoriels relatifs à ces massacres ne seraient pas résolus.
- Pour tenter de préserver la place de la Pologne sur la scène internationale malgré les tensions, Tusk poursuit sa diplomatie parallèle, comme en témoigne sa visite en Moldavie avec le président français Macron et le chancelier Merz.
- Parallèlement, Nawrocki met en place ses propres initiatives, comme un sommet la semaine dernière à Varsovie avec les pays baltes et le Danemark, qui a donné lieu à une visioconférence avec le président Zelensky.
- Hier encore, en amont de la rencontre entre Nawrocki et Trump, le ministre des Affaires étrangères, Sikorski, a mis en scène sa rencontre à Miami avec le secrétaire d’État américain, Marco Rubio, afin d’attribuer le prix Solidarność à la dissidente cubaine Berta Soler.
Sources
- Il s’agit de l’assassinat de près de 100 000 Polonais par l’Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA), de 1942 à 1944, que la Pologne qualifie de génocide. Depuis la guerre en 2022, la reconnaissance de ces massacres par l’Ukraine a progressé ; à la mi-janvier 2025, Zelensky a officiellement annoncé qu’il commencerait l’exhumation des victimes à partir du printemps, répondant à une attente de familles polonaises qui dure depuis maintenant 80 ans.