Défilé du 9 mai : le discours intégral de Poutine à Moscou

Devant Xi, al-Sissi, Lula, Vučić et les autres, Poutine voulait une mise en scène éclatante : celle d’un nouveau succès dans une guerre éternelle.

La guerre d’il y a quatre-vingt ans ; celle d’aujourd’hui en Ukraine, celle de demain en Europe — celle qui ne s’arrête jamais.

Parmi les douze batailles de la Seconde Guerre mondiale de son discours, on trouvait trois villes ukrainiennes et une autre, russe, qui fait désormais partie du front — Koursk.

Nous le traduisons.

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Guillaume Lancereau
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© Vyacheslav Prokofyev/SIPA

Tout devait être parfait. Le Kremlin avait méticuleusement préparé sa cérémonie du 9 mai, consacrée à la victoire soviétique dans la Seconde Guerre mondiale, en renforçant notamment son dispositif de sécurité après les annonces de Volodymyr Zelensky, qui menaçait il y a quelques jours  : « En ce moment, les Russes s’inquiètent pour leur défilé, et ils ont raison de s’inquiéter ».

Il était clair qu’il ne fallait attendre de l’Ukraine aucune attaque visant le défilé lui-même  ; en revanche, les drones ukrainiens qui ont pris pour cible les principaux aéroports de Moscou ont perturbé ou suspendu les vols de 60 000 passagers. L’avion du président serbe Aleksandar Vučić a même été contraint de passer par la Turquie et l’Azerbaïdjan avant de parvenir à Moscou, en raison des risques de sécurité de l’espace aérien russe — le motif invoqué par les autorités serbes et russes étant d’ordre plus politique, puisqu’elles ont attribué cet incident à la fermeture inopinée de l’espace aérien de la Lettonie et de la Lituanie. 

Comme chaque année, le régime s’était également appliqué à porter les commémorations au plus près du quotidien des populations.

Si les décorations et les « rubans de saint Georges » orange et noir sont des éléments traditionnels de ce décorum, le Kremlin s’était fendu d’un site internet et d’une application mobile recensant des dizaines d’initiatives nationales ou locales aux intitulés limpides, mais sans grande inspiration  : « la dictée de la Victoire », « le train de la Victoire », « le cinéma de la Victoire », « la musique de la Victoire », et d’autres. 

Dans ce contexte, aucune parole dissidente, malintentionnée ou malavisée ne pouvait se faire entendre.

L’une des personnalités qui en a fait les frais a été Vitaly Goura. Chef de l’administration de Nova Kakhovka, dans la région de Kherson occupée par la Russie, il a été placé en détention provisoire après la fuite d’une vidéo dans laquelle on l’entendait en « off », avant ses vœux officiels aux habitants de la ville pour le 9 mai, jurer et insulter les autorités.

Manifestement alcoolisé, le dirigeant de l’administration locale, qui a résisté à la police lors de son interpellation, fait désormais l’objet d’une enquête pour « profanation de symboles de la gloire militaire russe » au titre de l’article 354.1, partie 3, du Code pénal de la Fédération de Russie, qui prévoit des peines allant jusqu’à 10 ans d’emprisonnement. 

Après avoir, donc, fait place nette, le régime a pu lancer son défilé.

Sous le regard d’une série de dirigeants étrangers signalant la fin de l’isolement russe sur la scène internationale, la place Rouge a vu défiler un échantillon des forces létales engagées en Ukraine, dans un conflit qui a causé plus d’1,3 millions de morts et blessés. Aux côtés des classiques chars T-34, le « char de la Victoire », la procession comprenait plus de 11 500 militaires, des systèmes de missiles Iskander — ceux-là mêmes qui ont fait 34 morts parmi les civils à Soumy lors du dernier dimanche des Rameaux — et, pour la première fois, des drones Orlan et Lancet, de fabrication russe. 

Le discours de Vladimir Poutine a été, pour sa part, assez convenu. Pour éviter d’assombrir cette manifestation d’unité, il a soigneusement évité de consacrer à l’Ukraine plus qu’une dizaine de mots. On ne peut cependant s’empêcher de constater que, parmi les douze batailles de la Seconde Guerre mondiale citées dans son discours figuraient trois villes ukrainiennes et une ville russe — celle de Koursk — actuellement disputée par les forces armées ukrainiennes.

Par ailleurs, si Donald Trump n’a finalement pas fait partie des personnalités étrangères présentes à Moscou ce 9 mai, la référence au « deuxième front » ouvert en Europe occidentale par les Alliés peut être lue à la lumière du réchauffement récent des relations entre la Russie et les États-Unis. 

On ne devait attendre rien d’autre de l’allocution militariste et familialiste de Vladimir Poutine, dont chacun peut juger si la politique qu’il mène, en Ukraine, en Russie et ailleurs, relève bien, comme il l’affirme dans le discours traduit ci-dessous, d’une lutte « pour la justice et pour la vérité ».

Chers citoyens russes, chers vétérans, 

Honorables invités, 

Camarades soldats et matelots, sergents et adjudants, aspirants et sous-officiers, 

Camarades officiers, généraux et amiraux, 

Recevez tous mes vœux en ce jour où nous fêtons les quatre-vingts ans de la Victoire dans la Grande Guerre patriotique.

Ce qui nous réunit aujourd’hui, c’est d’abord et avant tout un sentiment mêlé, de joie et de tristesse, de fierté et de gratitude. Nous nous inclinons avec respect devant cette génération qui a vaincu le nazisme, qui a arraché la liberté et la paix, au profit de l’humanité tout entière et au prix de millions de vies.

Nous chérissons la mémoire de ces événements historiques, ces événements triomphants. En tant qu’héritiers des vainqueurs, nous célébrons le 9 mai comme une date qui nous appartient en propre, comme la fête la plus essentielle pour le pays, pour l’ensemble de ses habitants, pour chaque famille, pour chacune et chacun d’entre nous.

Nos parents, nos grands-parents et nos arrière-grands-parents ont sauvé la Patrie. Ils nous ont ce faisant légué des devoirs  : défendre la Nation, toujours nous montrer soudés, défendre jusqu’au bout les intérêts de notre nation, notre histoire millénaire, notre culture, nos valeurs traditionnelles  : en un mot, tout ce qui nous est cher. Tout ce qui, pour nous, est sacré.

Nous nous souvenons des leçons de la Seconde Guerre mondiale et n’admettrons jamais que ces événements soient déformés. Nous ne tolérerons jamais les relectures de l’histoire qui s’efforcent de justifier les bourreaux et de calomnier les véritables vainqueurs. 

Défendre l’honneur des combattants et des commandants de l’Armée rouge, l’exploit mémorable des soldats de toute nationalité, qui figurent à jamais dans l’histoire mondiale comme des soldats russes — tel est notre devoir.

La Russie a été et sera toujours un rempart indestructible contre le nazisme, la russophobie, l’antisémitisme. Les partisans de ces idéologies assassines et délétères nous trouveront toujours sur leur chemin.

La vérité et la justice sont de notre côté. Notre pays tout entier, notre société, notre peuple — tous ensemble, nous apportons notre soutien aux participants de l’opération militaire spéciale. Nous sommes fiers de leur courage et de leur détermination, de retrouver en eux cette force d’esprit qui nous a toujours offert la victoire.

Chers amis, 

L’Union soviétique a subi les assauts les plus féroces, les plus impitoyables de ses ennemis. 

Des millions de personnes, qui n’avaient connu qu’un monde en paix, ont du jour au lendemain pris les armes pour se battre jusqu’à la mort sur toutes les hauteurs, tous les terrains, tous les fronts, déterminant ainsi l’issue de la Seconde Guerre mondiale. Et ils ont vaincu, grâce à leurs victoires incontestables lors des grandes batailles de Moscou et de Stalingrad, sur le saillant de Koursk et le Dniepr  ; grâce au courage des défenseurs de la Biélorussie, les premiers à faire front à l’ennemi  ; grâce à la ténacité des défenseurs de la forteresse de Brest et de Moguilev, d’Odessa et de Sébastopol, de Mourmansk, de Toula, de Smolensk  ; grâce à l’héroïsme des habitants de Léningrad assiégée  ; grâce encore à la bravoure de celles et ceux qui ont lutté sur tous les front, dans les détachements de partisans et dans la clandestinité  ; grâce enfin au dévouement des citoyennes et citoyens qui, sous les bombardements ennemis, ont évacué les usines du pays, travaillé à l’arrière sans jamais rechigner leur tâche, jetant toutes leurs forces dans l’œuvre de la victoire.

Les plans nazis de conquête de l’Union soviétique se sont heurtés à l’unité de fer de notre pays. La grande masse du peuple a fait preuve d’un héroïsme invraisemblable, toutes les républiques ont partagé l’immense fardeau des combats.

Sous le regard d’une série de dirigeants étrangers signalant la fin de l’isolement russe sur la scène internationale, la place Rouge a vu défiler un échantillon des forces létales engagées en Ukraine, dans un conflit qui a causé plus d’1,3 millions de morts et blessés.

La contribution des habitants de l’Asie Centrale et du Caucase a été considérable. Depuis ces régions, un flot continu de convois apportait au front tout le nécessaire  ; des hôpitaux y étaient installés partout  ; des centaines de milliers de personnes évacuées y trouvaient un second foyer, là où les habitants offraient leur toit, leur pain, la chaleur de leur cœur.

Nous honorons chacun des vétérans de la Grande Guerre patriotique, nous nous inclinons solennellement devant la mémoire de tous ceux qui ont sacrifié leur vie pour la Victoire, devant la mémoire des fils et des filles, des pères et des pères, des grands-parents, des arrière-grands-parents, des maris et des épouses, des frères et des sœurs, des proches, des amis. Nous nous inclinons devant tous nos compagnons d’armes tombés au champ d’honneur dans leur juste lutte pour la Russie. Observons pour eux une minute de silence.

Une minute de silence.

Chers amis,

L’orbite brûlante de la Seconde Guerre mondiale a attiré à elle presque 80 % de la population de la planète. L’anéantissement final de l’Allemagne nazie, du Japon militariste et de leurs satellites dans diverses régions du monde a été accompli grâce aux efforts conjoints des pays alliés.

Nous n’oublierons jamais que l’ouverture du second front en Europe, après les combats décisifs sur le territoire de l’Union soviétique, a rapproché l’heure de la Victoire. Nous saluons la contribution des soldats des armées alliées, des combattants de la Résistance, le courage du peuple de Chine, de toutes celles et tous ceux qui ont porté les armes au nom de la paix future. 

Chers amis,

Nous ne cesserons jamais de prendre exemple sur nos vétérans, leur amour sincère de la Patrie, leur détermination à défendre leur foyer, les valeurs de l’humanisme et de la justice. Nous associons ces traditions, cet héritage, à ce que nos cœurs ont de plus précieux, et nous les transmettrons aux générations à venir. 

En temps de paix comme en temps de guerre, dans la résolution de nos objectifs stratégiques et de toutes les tâches dont dépendent la Russie, sa grandeur et sa prospérité, nous saurons toujours nous appuyer sur notre unité.

Gloire au peuple vainqueur  ! Bonne fête  ! Bonne journée de la Victoire à tous  ! Hourrah  !

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