Après notre portrait de George Simion, découvrez celui qui lui fera face au second tour de la présidentielle en Roumanie. Avec le Grand Continent nous avons suivi de près l’élection roumaine — l’une des plus importantes de ce premier semestre — avec des enquêtes, des profils et des analyses à chaud. Pour recevoir l’essentiel de nos publications ou pour soutenir notre travail vous pouvez vous abonner à la revue
1 — Une formation francophone, marquée par l’excellence académique
Nicușor Dan est né le 20 décembre 1969 à Făgăraș, dans le département de Brașov 1.
Élève brillant, il remporte deux médailles d’or aux Olympiades internationales de mathématiques en 1987 et 1988. Il intègre la Faculté de mathématiques de l’Université de Bucarest, puis part en 1992 en France poursuivre ses études à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm. Il y obtient un DEA puis soutient en 1998 un doctorat en mathématiques à l’Université Paris XIII (Sorbonne Paris Nord) sous la direction de Christophe Soulé 2. Outre le roumain, Nicușor Dan parle couramment le français et l’anglais, héritage de son parcours international.
2 — Recherche en mathématique et fondation de l’École normale supérieure de Bucarest
Spécialiste de mathématiques fondamentales, Nicușor Dan s’est d’abord consacré à la recherche académique. À son retour en Roumanie en 1998, il devient chercheur et professeur de mathématiques à l’Institut de Mathématique de l’Académie Roumaine, poste qu’il occupe jusqu’en 2016. Il participe également à la fondation de la Școala Normală Superioară București — une « École normale supérieure » locale, calquée sur le modèle français — dont il sera le premier directeur administratif.
3 — « Sauvez Bucarest ! » : de l’activisme civique à la mairie
Nicușor Dan s’engage d’abord dans l’activisme civique en se mobilisant pour la lutte contre la corruption de l’urbanisme de la capitale roumaine. En 2006, indigné par la démolition de maisons patrimoniales et la réduction des espaces verts à Bucarest, il fonde l’association Salvați Bucureștiul (« Sauvez Bucarest »). Par la voie juridique, il remporte des dizaines de procès pour bloquer les projets immobiliers illégaux.
Dans ses différents procès et actions, suivies de plus en plus par les médias, il développe une rhétorique dégagiste dénonçant la « mafia de l’immobilier (mafia imobiliară) » et l’inaction des autorités locales 3, en obtenant une large reconnaissance.
En 2012, en candidat indépendant, il brigue la mairie de Bucarest sur un programme de transparence administrative et de protection du patrimoine urbain.
Sans l’appui d’un parti, soutenu seulement par des bénévoles et une campagne très active en ligne, il crée la surprise en terminant troisième du scrutin municipal. « Nous voulons prolonger l’effort du parquet anticorruption (DNA) pour nettoyer l’administration publique de Bucarest, une administration profondément corrompue et incompétente » déclare-t-il en 2015 lors du lancement de son mouvement. C’est avec cette ligne qu’il se représente en 2016 (obtenant 30,5 % des voix) puis en 2020 pour être finalement élu maire de Bucarest 4.
4 — L’alternative propre et compétente : une trajectoire de l’échelle municipale à l’échelle nationale
S’il n’avait fini que troisième alors, son score de 2012 à Bucarest était inattendu : Nicușor Dan structure un mouvement politique en s’appuyant sur la société civile 5. Le 1ᵉʳ juillet 2015, il annonce la création de l’Uniunea Salvați Bucureștiul (USB) — l’acronyme du nom est un clin d’oeil geek. L’USB devient en 2016, l’Uniunea Salvați România (USR), en passant à l’échelle nationale.
Selon la vision de Dan, il faut que l’USB évite de se réclamer d’une idéologie, en mettant l’accent sur une gouvernance honnête, transparente et efficace plutôt que sur un positionnement partisan.
Leader du parti, il démissionne de l’Union Sauvez la Roumanie (USR) le 1er juin 2017, en désaccord avec la décision de s’opposer à la révision constitutionnelle visant à définir le mariage exclusivement comme l’union entre un homme et une femme. Il estimait que cette prise de position risquait de détourner l’attention des priorités essentielles, notamment la lutte contre la corruption. Dans une conférence de presse, il déclarait : « Je considère que le pire qui puisse arriver en Roumanie actuellement est que le débat principal ne porte plus sur qui vole ou non, mais sur qui défend ou non les traditions. Car ceux qui volent continueront de le faire en prétendant défendre les traditions, ce qui représente un danger immense pour la Roumanie. » 6
5 — Un candidat indépendant à la présidentielle : contre Poutine et contre Trump
Candidat indépendant à l’élection présidentielle de 2025, Nicușor Dan présente un programme axé sur la modernisation de la Roumanie, tout en consolidant son ancrage occidental.
Sur le plan interne, il met en avant la continuité de son combat anti-corruption et la réforme de l’État. Il prône la transparence institutionnelle et le renforcement de l’État de droit, souhaitant étendre à l’échelle nationale les principes de bonne gouvernance appliqués à Bucarest. Il s’inquiète par exemple du fonctionnement opaque des services de renseignement roumains et milite pour un contrôle civil accru sur ces agences 7. Il entend répondre aux frustrations sociales qui ont alimenté le populisme, en s’attaquant aux causes de la colère populaire — corruption endémique, défaillances de l’administration, gaspillage du potentiel économique.
Sur le plan international, Nicușor Dan adopte une ligne clairement pro-occidentale et pro-européenne : « Je m’engage à soutenir l’Ukraine contre la Russie et à préserver les alliances occidentales de la Roumanie » 8. Nicușor Dan a critiqué l’attitude ambiguë du président américain Donald Trump envers le Kremlin, estimant qu’il aurait dû se montrer bien plus ferme face à Vladimir Poutine. À l’inverse, Dan adopte une posture sans compromis vis-à-vis de Moscou : il soutient sans réserve les sanctions contre la Russie et les efforts communs de l’OTAN et de l’Union pour contrer l’agression russe.
6 — Une géographie électorale potentiellement défavorable
Le profil socio-géographique de l’électorat de Nicușor Dan reflète son image de réformateur urbain. Ses soutiens se concentrent dans les grandes villes et parmi les catégories éduquées.
- Bucarest, dont il est le maire, est bien entendu son fief : il y a recueilli environ 40 % des voix au premier tour de la présidentielle de 2025 9.
- L’autre bastion de Nicușor Dan est la Transylvanie urbaine et cosmopolite – notamment le département de Cluj, seul autre endroit où il est arrivé en tête au premier tour (avec plus de 35 % des suffrages).
- De manière générale, il performe bien dans les centres urbains développés (Timișoara, Brașov, Iași…), auprès des jeunes diplômés et des classes moyennes modernistes, alors que l’électorat rural et les petites villes tendent à lui préférer des candidats populistes ou traditionalistes.
Sa base de partisans se distingue aussi par son âge plus jeune et son caractère connecté : le vote urbain du soir, constitué en grande partie de jeunes revenant de week-end, s’est avéré massivement en sa faveur 10.
Enfin, Nicușor Dan bénéficie d’un certain appui de la diaspora roumaine, même si l’électorat roumain résidant en Europe occidentale — cas relativement unique pour les pays d’Europe centrale — reste favorable au candidat d’extrême droite Simion.
- Il réalise de très bons scores parmi les expatriés d’Amérique du Nord (par exemple près de 48 % des voix des Roumains aux États-Unis) et d’Europe centrale et orientale.
- En revanche, dans la diaspora ouest-européenne, plus nombreuse, il est devancé par son adversaire nationaliste, notamment en Italie, Espagne ou France où le vote anti-système l’a emporté au premier tour 11.
Cette géographie électorale — villes contre campagnes, diaspora d’outre-mer contre diaspora d’Europe occidentale — illustre un clivage politique actuel en Roumanie et montre les fortes limites de sa candidature contre George Simion.
Sans une participation accrue dans les villes et une forte mobilisation de l’électorat démocratique, Nicușor Dan pourrait ne pas avoir les réserves de voix nécessaires pour l’emporter au second tour de la présidentielle.
Sources
- „Nicușor Dan – Biografie”, Site officiel de la campagne.
- „Ce studii are, de fapt, Nicușor Dan”, Business Magazin, 17 juin 2020.
- „Asociația Salvați Bucureștiul, fondată de primarul general Nicușor Dan, riscă să fie desființată”, Europa Liberă România, 22 décembre 2023.
- Nicuşor Dan şi-a făcut partid – Uniunea Salvaţi Bucureştiul, Bursa, 2 juillet 2015.
- Aux côtés de Nicușor Dan lors de la fondation figurent des personnalités de la société civile : des architectes (Ioan Miloș), des universitaires (Dan Podaru). Ce renouvellement des acteurs politiques va jusqu’à inclure plus tard des personnalités comme l’ingénieure franco-roumaine Clotilde Armand.
- « Nicușor Dan își anunță demisia din USR », Radio Romania Actualitati,1 juin 2017.
- Digi24.ro, 1er avril 2025.
- « The Romanian mathematician trying to stop Putin and Trump wrecking the West », Politico, 28 mars 2025.
- « REZULTATE ALEGERI Clujul și Bucureștiul l-au dus pe Nicușor Dan în turul 2. Victorie zdrobitoare a lui George Simion, cu peste 40 % ! », Ştiri de Cluj, 5 mai 2025.
- « Alegeri prezidențiale 2025. După rezultatele exit-poll, Nicușor Dan e pregătit să ceară reprezentanților USR din secții să păzească numărarea fiecărui vot », Hotnews.ro, dimanche 4 mai 2025.
- Digi24.ro, 5 mai 2025.