En Allemagne, les Verts donnent leur accord pour débloquer le plan Merz : texte intégral
L’Allemagne est-elle en passe de sortir enfin de l’interrègne ?
Aujourd’hui, vendredi 14 mars, Friedrich Merz, le futur chancelier allemand, a reçu l’accord du groupe des Verts à l’actuel Bundestag pour la réforme constitutionnelle qui lui permettra de faire passer son ambitieux plan d’investissement avant la fin de la législature.
Débloqué in extremis, il s’accompagne de garanties fortes en matière de transition écologique.
Nous le traduisons et le commentons ligne à ligne.
- Auteur
- Pierre Mennerat •
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- © SIPA

Au prix de concessions et d’assurances fermes sur le financement de la transition écologique, le futur chancelier chrétien-démocrate a reçu in extremis l’accord des Verts pour une réforme de la Loi fondamentale. Une majorité parlementaire des deux tiers permettra donc de libérer les dépenses de défense et d’investissement des limites fixées par le frein à l’endettement.
L’accord atteint ce vendredi 14 mars n’allait pas de soi.
Certes, un refus clair et net des Verts d’approuver une réforme du frein à l’endettement aurait semblé en contradiction avec les positions historiques et l’image du parti comme celui du climat et de l’Europe. Mais la récente campagne électorale a renforcé l’antagonisme entre les écologistes et les conservateurs. Le président du parti chrétien-social bavarois (CSU) Markus Söder a notamment été très virulent à l’encontre les Verts, excluant même d’emblée toute coalition avec le parti. Le samedi 22 février lors d’un événement à Munich à la veille de l’élection, Friedrich Merz versait à son tour dans l’invective, en promettant au public qu’il mènerait « une politique pour l’Allemagne, et non pas pour je ne sais quels cinglés verts ou gauchistes ». Cette réaction à la présence de manifestants hostiles à son vote en commun avec l’AfD sur l’immigration aux abords de la salle où il s’exprimait avait été commentée avec consternation par les représentants des Verts.
Pour autant, les ponts n’ont jamais été véritablement coupés entre les conservateurs et les écologistes qui gouvernent par ailleurs ensemble dans trois Länder (Bade-Württemberg, Schleswig-Holstein, Rhénanie-du-Nord-Westphalie). Les deux dirigeantes du groupe parlementaire Bündnis 90/Die Grünen au Bundestag, Katharina Dröge et Britta Hasselmann ont ainsi à la fois laissé entendre qu’elle n’hésiteraient pas à faire échouer la réforme constitutionnelle proposée par la CDU/CSU et le SPD, tout en continuant à négocier pour l’amender en direction des priorités des Verts. Hier encore, le ton adopté à la tribune du Bundestag par Katharina Dröge était très critique. Mais plusieurs voix se sont faites entendre pour trouver un accord, à la fois des ministres-présidents et de personnalités écologistes historiques comme l’ancien ministre des affaires étrangères Joschka Fischer (1998-2005).
Malgré cette volonté d’arriver à un accord satisfaisant, Friedrich Merz représente toujours pour les Verts un partenaire politique imprévisible et peu fiable. En janvier 2024, alors chef de l’opposition, il s’était en effet opposé à la proposition de réforme du frein à l’endettement formulée par le ministre de l’Économie de la coalition en feu tricolore Robert Habeck. À la suite du rejet par le tribunal constitutionnel fédéral d’un arrangement budgétaire sur la réutilisation de crédits du fonds de relance post-pandémie, la coalition souhaitait en effet assouplir les règles autour de l’endettement pour se redonner une marge de manœuvre. Robert Habeck en veut encore manifestement au chef de la CDU d’avoir opportunément retourné sa veste sur le sujet du frein à l’endettement maintenant qu’il est assuré d’accéder à la chancellerie.
Si Robert Habeck a annoncé vouloir se retirer de la politique active, il a cependant encore une grande influence au sein de Bündnis 90/Die Grünen qui voit encore en lui son leader naturel. Le ministre sortant — discret depuis l’élection du 23 février — s’est ainsi fendu d’un message sur le réseau X 1 :
La voie est désormais dégagée pour une modification de la Loi fondamentale à la majorité des deux tiers lors de la toute dernière semaine de session de la vingtième législature du Bundestag — avant que la vingt-et-unième ne commence le 25 mars prochain. Le groupe parlementaire CDU/CSU a déjà approuvé à l’unanimité l’accord négocié ce vendredi.
Document d’information pour les députés des 20e et 21e législatures. Accord sur les modifications prévues de la Loi fondamentale.
Pour nous les Verts, il est clair depuis toujours que nous devons réformer le frein à l’endettement pour renforcer les investissements d’avenir et la protection du climat, et pour augmenter les dépenses pour notre sécurité. Nous trouvons également juste que les Länder aient plus de marge de manœuvre — car, comme l’État fédéral, ils font face à de grands défis.
Nous avons conduit des discussions sérieuses avec la CDU/CSU et le SPD sur trois modifications possibles de la Loi fondamentale. Pour nous, il était clair depuis le début que nous étions prêts à prendre des décisions rapides pour la paix et la sécurité — avec l’Ukraine et l’Europe à l’esprit.
Les propositions que la CDU/CSU et le SPD ont faites cette semaine au Bundestag n’étaient, à nos yeux, ni suffisantes ni adaptées à la situation.
Voici un aperçu des améliorations :
- Accord sur “l’additionnalité”. Le principe selon lequel toutes les dépenses issues du fonds spécial nouvellement créé doivent être des investissements additionnels dans la protection du climat, l’infrastructure et l’économie, sera désormais ancré dans la Loi fondamentale. Le fonds spécial ne servira donc pas de voie de report pour des baisses d’impôts.
La principale critique formulée par les Verts envers le fonds spécial pour l’investissement de 500 milliards d’euros annoncé le 4 mars au soir par la future coalition était qu’il était simplement un moyen de sortir des dépenses d’investissement déjà prévues du budget courant afin de financer de coûteux cadeaux électoraux des deux partis pour sa clientèle électorale comme la retraite pour les mères au foyer, le retour de la ristourne sur le diesel agricole ou la hausse de l’indemnité kilométrique. En imposant un fléchage vers des investissements additionnels, les Verts veulent s’assurer que le fonds ne servira pas à défalquer des projets existants mais à soutenir des projets supplémentaires.
- La neutralité climatique d’ici 2045 est l’objectif des investissements. Pour la première fois, le concept de neutralité climatique fait expressément son entrée dans la Loi fondamentale. Le fonds spécial est défini précisément comme un fonds spécial pour l’infrastructure et d’investissement pour atteindre la neutralité climatique d’ici 2045.
- 100 milliards pour le fonds pour le climat et la transformation. 100 milliards du fonds spécial seront dédiés à la protection du climat et transférés au fonds pour le climat et la transformation (Klima- und Transformationsfonds, KTF). Ainsi, au moins un quart des moyens du fonds spécial iront directement à des projets dédiés à la protection du climat. Les coûts liés à la contribution de soutien aux énergies renouvelables électriques (EEG-Umlage) seront portés par le budget conventionnel de l’État et pas par le fonds pour le climat et la transformation. Cela est décisif pour que l’argent soit réellement utilisé pour des investissements pour la protection du climat.
Le fonds pour le climat et la transformation (Klima- und Transformationsfonds) qui doit contribuer à assurer les objectifs climatiques allemands a été créé par une loi de 2010. Il repose sur les recettes du marché des droits d’émission de CO2 et sur les subventions de l’État fédéral.
La contribution de soutien à la production d’énergie renouvelable est une surtaxe allemande sur l’électricité instaurée par la loi sur les énergies renouvelables (Erneuerbare-Energien-Gesetz ou EEG), adoptée en 2000, et réformée plusieurs fois jusqu’à la version actuelle adoptée en 2023. Depuis 2022, cette surtaxe a été transférée du consommateur au budget de l’État. Le régime propose des contrats à long terme aux producteurs d’énergie renouvelable, sur la base du coût de production de la technologie en question. Les tarifs (Einspeisevergütungen) sont eux-mêmes financés par un prélèvement ou une surtaxe (EEG-Umlage). Les industriels à forte consommation d’électricité en sont toutefois largement exemptés.
- Une définition large de la sécurité. Avec cet accord, nous investissons pour la paix, pour la sécurité et dans notre défense — pas seulement dans la Bundeswehr. Un résultat important des négociations est l’utilisation d’un concept élargi de la sécurité pour le calcul des dépenses pour la défense. Celui-ci comprend non seulement la défense militaire, mais aussi des domaines comme la protection civile, la protection de la population, la cybersécurité, les services de renseignement et le soutien à des pays attaqués en violation du droit international.
La définition élargie de la sécurité exprimée ici est un élément rhétorique important de la conception de la politique étrangère des Verts. Elle trouve son expression dans la stratégie de sécurité nationale élaborée à l’initiative de la ministre des affaires étrangères Annalena Baerbock en juin 2023. Dans son discours de politique étrangère prononcé en janvier 2025 à l’invitation de la Körber-Stiftung à Berlin, Friedrich Merz critiquait cependant le caractère trop ambitieux et fouillis de ce document de 74 pages : « Nous sommes en effet pour tout ce qui est bon dans le monde : pour le multilatéralisme, pour un ordre international fondé sur des règles, pour l’élimination de la famine, la réalisation des objectifs de développement durable, la réforme des Nations unies, et ainsi de suite. Tous ces objectifs sont justes, sans aucun doute. Mais ils ne sont pas mis dans un ordre de priorité. Or nous n’en atteindrons aucun avec nos moyens diplomatiques, financiers et militaires limités. »
- L’aide à l’Ukraine est élargie : la semaine prochaine, le Bundestag débloquera enfin une aide rapide de 3 milliards d’euros supplémentaires pour l’Ukraine.
- Participation des Länder : L’inclusion des Länder dans les stratégies d’investissement a été fermement adoptée. Comme c’est à leur niveau que sera mise en place une grande partie des investissements, il est indispensable que leur dotation financière soit appropriée. Ainsi pourront-ils remplir leurs fonctions avec plus d’efficacité et contribuer à la modernisation de l’infrastructure. En particulier, les réseaux de chauffage et les autres réseaux énergétiques, qui sont décisifs pour la neutralité climatique future de notre pays, seront financés par des moyens issus du fonds spécial.
Nous aurions préféré, pour ces questions centrales pour l’avenir de notre pays, qu’une décision soit trouvée avec de larges majorités démocratiques au sein du 21e Bundestag. La CDU/CSU et le SPD portent seuls la responsabilité de cette procédure. Nous avons obtenu beaucoup mais beaucoup de choses sont encore devant nous. Des investissements supplémentaires pour l’avenir de notre pays nécessitent une réforme fondamentale du frein à l’endettement. C’est pourquoi nous soumettons une motion au Bundestag qui mettra en place une commission d’experts et qui fixe l’objectif d’une réforme d’ici fin 2025.
Nous ne lâchons rien !
Sources
- « Félicitations à Katharina Dröge et Britta Hasselmann, et grand respect ! Des négociations difficiles se soldent par des améliorations très importantes : seuls des investissements supplémentaires peuvent favoriser la croissance. Le fait que l’additionnalité soit inscrite dans la loi fondamentale empêche que les baisses d’impôts soient financées par la dette. Le fait que le fonds pour la transition et le soit augmenté de 100 milliards supplémentaires garantit la transition thermique, les contrats de protection climatique et l’économie de l’hydrogène. Que l’Ukraine soit immédiatement soutenue à hauteur de 3 milliards, cela n’a que trop tardé ! Et le fait que la sécurité soit définie de manière plus large que l’acier et les munitions ne fait que refléter la réalité. Tout compte fait, on voit que les Verts font la différence, les verts agissent ! »