Les politiques liées à la possession d’animaux de compagnie, et notamment de chiens, ont connu des transformations majeures en Chine depuis la fondation de la République populaire en 1949. 

Initialement considérés comme représentant un danger de santé publique et, plus marginalement, comme allant à l’encontre des valeurs socialistes de la RPC — incarnant un mode de vie bourgeois visé par les Gardes rouges de Mao durant la Révolution culturelle —, les chiens domestiqués sont de plus en plus courants dans les grandes villes chinoises.

  • Au début du siècle, 85 à 95 % du nombre de cas de rage détectés chez l’humain étaient dus à des morsures de chiens 1. Encore aujourd’hui, la Chine est le 5e pays au monde le plus touché par la rage : 610 personnes en sont mortes en 2021.
  • Afin de stopper la propagation de la maladie, les autorités chinoises ont mené de grandes campagnes de traque de chiens errants au cours de la seconde moitié du XXe siècle. À Pékin, il était ainsi interdit de posséder des chiens de 1983 à 1995 2.
  • Le 1er mai 1995, les autorités municipales de la capitale chinoise ont levé l’interdiction mais exigeaient que tous les chiens soient enregistrés et vaccinés contre la rage. Seules les personnes habitant dans des logements individuels étaient par ailleurs autorisées à posséder un chien, qu’ils étaient interdits de sortir dans certains quartiers de 20h à 7h du matin.

Encore aujourd’hui, la politique du chien unique implémentée en 2006 interdit aux habitants de Pékin de posséder des chiens dont la taille au garrot est supérieure à 35 cm. En 2016, le Gouvernement populaire de la municipalité de Pékin a lancé une campagne incitant les propriétaires de chiens à « être des Pékinois civilisés et polis » et à « élever leurs chiens de manière civique ». Si la politique des grandes villes chinoises en matière de possession d’animaux de compagnie s’est assouplie ces dernières décennies, celle-ci demeure strictement encadrée.

Depuis quelques années, on assiste en Chine à une explosion du nombre d’animaux de compagnie. Goldman Sachs anticipe que leur nombre devrait atteindre le double du nombre d’enfants en bas âge d’ici 2030. Plusieurs facteurs sont susceptibles d’expliquer ce phénomène. 

  • Tout d’abord, l’économie. Le revenu moyen par habitant a été multiplié par 10 en Chine au cours des deux dernières décennies, dépassant les 9 000 dollars en 2021. Le développement d’une importante classe moyenne, majoritairement urbaine et qui dispose d’un pouvoir d’achat important a conduit à la formation d’un marché centré autour des animaux domestiques qui pourrait dépasser les 100 milliards d’euros cette année (811 milliards de yuans) 3.
  • Une étude de 2024 de chercheurs des universités de Shenzhen et du Zhejiang indique que la possession d’animaux de compagnie est directement liée au statut socio-économique en Chine 4. Posséder un chien — ou un chat — témoigne d’un niveau de vie confortable, mais est également valorisé comme étant un signe extérieur de richesse.
  • De la même manière que le café est de plus en plus consommé en Chine au détriment du thé, l’augmentation du nombre d’animaux de compagnie traduit également une forme d’ouverture au monde, principalement influencée par l’Occident.
  • La possession de chiens et de chats est par ailleurs visée par certains nationalistes chinois qui dénoncent une « influence néo-impériale ». L’ancien professeur à l’université de Tsinghua, Zhao Nanyuan, considérait l’augmentation du nombre d’animaux de compagnie et la prise en compte croissante de leur bien-être comme étant liée à la diffusion en Chine d’un mouvement occidental en faveur du droit des animaux.
  • Pour Nanyuan, l’importation de ces « théories » en Chine serait susceptible de contribuer à des attentats terroristes « qui ont provoqué une série d’incidents en Occident, tels que des incendies de laboratoires animaliers, ce qui est devenu un obstacle majeur à la recherche scientifique en Europe et aux États-Unis » 5.

Dans son essai « Le cœur de la théorie des droits des animaux est anti-humain » (動物權利論的要害是反人類), Nanyuan écrit :

Afin de prouver que les autres cultures sont “barbares”, la théorie des droits des animaux est devenue une excellente base théorique pour le nouvel impérialisme. Les “amis des animaux” de mon pays entretiennent également des liens étroits avec les puissances étrangères. Ils s’acharnent à prouver la “barbarie” et la “cruauté” de la culture chinoise, à collecter, exagérer, voire inventer divers “crimes” de maltraitance animale commise par des Chinois, à vilipender la culture chinoise, à alimenter l’opinion publique en agressions culturelles et militaires du néo-impérialisme et à agir, consciemment ou inconsciemment, comme la cinquième colonne de ce dernier 6.

Au-delà de ces facteurs, l’adoption massive de chiens — et le niveau de soins qui leur est apporté, parfois à grand frais, comme en témoignent les différents services qui se sont développés ces dernières années (poussettes pour animaux, cours de fitness, séances de médecine traditionnelle…) 7 — coïncide également avec une baisse drastique du nombre de naissances et de mariages.

Alors que les coûts liés à l’éducation des enfants sont jugés trop élevés par une grande partie de la jeunesse urbaine, celle-ci se tourne de plus en plus vers des animaux. Ce courant s’accompagne par ailleurs d’une utilisation plus fréquente du terme « animal compagnon » (dòngwù bànlǚ, 动物伴侣) plutôt que du traditionnel « animal de compagnie » (chǒngwù, 宠物) — ce qui revient à considérer les animaux comme faisant partie de la famille.

Sources
  1. Tang, X., Luo, M., Zhang, S., Fooks, A. R., Hu, R., & Tu, C, « Pivotal role of dogs in rabies transmission, China », Emerging infectious diseases, 11(12), p.1970-1972, 2005.
  2. Jeffreys, E., « Beijing Dog Politics : Governing human-canine relationships in China », Anthrozoös : A multidisciplinary journal of the interactions of people and animals, 33(4), p.511–528, 2020.
  3. 关注 | 2024-2025年中国宠物行业运行状况及消费市场监测报告, WeChat, 12 août 2024.
  4. WU, Dan, LIU, Ying, et YANG, Tingzhong, « Pet ownership : A sign of superior socioeconomic position ? Evidences from six cities in China », Preventive Veterinary Medicine, vol. 225, p. 106-140, 2024.
  5. « “动物福利”左右为难 », 新浪新闻, 1er juin 2004.
  6. « 動物權利論的要害是反人類——評邱仁宗《動物權利何以可能 ?》 », 17 février 2007.
  7. « 中国宠物数量大过婴幼儿?1亿家庭进入“猫狗富养时代” », 搜狐, 12 décembre 2024.