Si l’Iran semble occuper une place secondaire dans l’agenda géopolitique de Trump, le président américain multiplie les tentatives de contact avec Téhéran depuis son retour au pouvoir.
- Mardi 12 mars, son envoyé pour le Moyen-Orient, Steve Witkoff, a confié au président émirati Mohammed ben Zayed Al Nahyane une lettre destinée au guide suprême iranien Ali Khamenei dans laquelle Trump a réitéré sa volonté de convaincre l’Iran de mettre fin à son programme nucléaire militaire. Cette lettre a été apportée à Téhéran par Anwar Gargash, conseiller diplomatique du président émirati.
- Il s’agit de la deuxième lettre envoyée par le président américain à Khamenei depuis le 20 janvier. Le ministère des Affaires étrangères iranien Abbas Araqchi – négociateur historique du JCPOA – avait fait savoir la semaine dernière qu’il n’avait « pas reçu » un premier courrier vraisemblablement envoyé par Trump vendredi 7 mars 1.
- Le guide suprême iranien a publiquement réagi au second courrier qualifiant la tentative de négociation de « tromperie », ajoutant que Washington ne lèverait pas les sanctions mais « les rendrait encore plus sévères » 2.
Les déclarations des dirigeants iraniens doivent toutefois être interprétées avec prudence, car les représentants de l’État expriment parfois des positions contradictoires.
- Le ministre des Affaires étrangères Abbas Araqchi a déclaré dans un entretien paru le 12 mars, que « Des négociations directes pourraient être envisagées lorsque les parties concernées se considèrent sur un pied d’égalité, sans coercition ni intimidation ».
- Le vice-président iranien Mohammad Javad Zarif avait publié une tribune dans Foreign Affaires pendant la période de transition, invitant à la reprise de négociations 3.
- Le guide suprême Ali Khamenei reste la personne qui décide de la position iranienne, mais il est possible que, s’il s’oppose aux négociations au niveau déclaratif, il accepte que l’administration de la République islamique y participe.
- Ainsi, rien n’exclut la possibilité que des négociations secrètes aient lieu entre les Iraniens et l’administration républicaine.
- En effet, alors même que l’Iran était alors présidé par Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013) et visé par un régime de sanctions internationales extrêmement sévère, l’administration Obama avait mis en place, à Oman, un canal de négociation porté notamment par William Burns et Jake Sullivan. Celui-ci avait notamment permis une accélération des négociations lors de l’élection de Hassan Rouhani en 2013.
Ces déclarations ont lieu dans un contexte où les sanctions internationales à l’encontre de Téhéran, levées par l’Accord de Vienne, pourraient être rétablies, et où les inquiétudes à l’égard du programme nucléaire iranien sont extrêmement vives.
- Fin février, l’AIEA notait que « l’augmentation significative de la production et de l’accumulation d’uranium hautement enrichi par l’Iran, seul État non doté d’armes nucléaires à produire de telles matières nucléaires, est très préoccupante » 4.
- Le 12 mars, le Conseil de sécurité des Nations unies a tenu une réunion non publique sur l’Iran 5.
- Lors du Conseil des gouverneurs de l’AIEA du 9 juin, les membres de l’Agence devraient examiner un rapport complet commandé au directeur général, Rafael Grossi. Sur la base de celui-ci, ils décideront de transférer ou non le dossier au Conseil de sécurité de l’ONU. Si ce dernier est saisi, l’administration américaine, comme les autres membres permanents, pourra rétablir l’intégralité des sanctions contre l’Iran.
Outre la tentative de mise en place d’un canal de négociation direct entre l’Iran et les États-Unis, une médiation russo-chinoise se met en place.
- Aujourd’hui, vendredi 14 mars, le vice-ministre iranien des Affaires étrangères, Kazem Gharibabadi, prend part à une réunion à Pékin sur le programme nucléaire de Téhéran en présence de ses homologues chinois Ma Zhaoxu et russe Sergei Ryabkov – négociateur historique des accords pour la Russie.
- Les discussions porteront notamment sur la proposition de « dénucléarisation » ou, du moins, de réduction de la taille des arsenaux atomiques, formulée par Trump il y a un mois. Le weekend dernier, la mission de l’Iran auprès des Nations unies a signalé être ouverte à des discussions portant uniquement sur « les aspects militaires » du programme nucléaire et de son « éventuelle » militarisation 6.
- Cette réunion trilatérale a lieu quelques jours seulement après l’organisation d’un exercice militaire naval d’ampleur entre la marine chinoise, russe et iranienne dans le golfe d’Oman, à proximité du détroit d’Ormuz. Pékin a continué d’acheter du pétrole iranien malgré les sanctions occidentales, tandis que la Russie continue de développer son alliance militaro-industrielle avec le pays, notamment sur la production de drones Shahed.
Les discussions directes, tout comme l’utilisation de la Russie comme intermédiaire, reviennent à marginaliser les Européens, qui ont pourtant joué pendant 20 ans un rôle crucial de médiation dans les négociations, lancées en octobre 2003 par la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne avec le haut représentant de l’Union qui avait réussi, depuis 2015, à se positionner comme le garant de la pérennité du JCPOA.
- Les Européens ont tenté au début de l’année de créer un contexte diplomatique dans lequel les États-Unis auraient pu s’insérer, en reprenant les négociations avec l’Iran tout en mobilisant l’AIEA.
- Un quatrième tour de négociations est prévu entre la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Iran la semaine prochaine.
Sur le plan de la politique interne américaine, le contrôle que Donald Trump exerce sur son parti, sa proximité avec Benjamin Netanyahu et sa réputation de grande dureté à l’encontre de l’Iran pourraient paradoxalement lui permettre de faire accepter par le Congrès un accord avec l’Iran – ce qui serait impossible pour un président démocrate.
Sources
- « Foreign minister says Iran has not received any letter from the U.S. », The Islamic Republic News Agency, 8 mars 2025.
- Barak Ravid, « Iran calls Trump’s offer to negotiate a new nuclear deal « a deception » », Axios, 12 mars 2025.
- Javad Zarif, « How Iran Sees the Path to Peace », Foreign Affairs, 2 décembre 2024.
- Francois Murphy, « Iran’s near-bomb-grade uranium stock jumps, IAEA reports say », Reuters, 26 février 2025.
- US Mission to the United Nations Security Council, « U.S. Statement on UN Security Council Meeting on Iran », 12 mars 2025.
- Publication de la représentation permanente de l’Iran auprès des Nations unies sur X, 9 mars 2025.