Trump vient-il de faire signer à l’Ukraine un traité inégal ? Le texte intégral de l’accord États-Unis-Ukraine sur les minéraux critiques
En apparence, le « deal » en 11 points signé par Washington et Kiev, qui ne donne aucune garantie de sécurité, a tout d’un accord d'investissement.
Mais si l’on sait le lire entre les lignes, il faut y voir une première étape grâce à laquelle Donald Trump pourrait se réserver une porte de sortie pour vassaliser l’Ukraine de facto.
Les spécialistes Lee Buchheit et Elena Daly se sont plongés au cœur des brèches du texte pour étudier les possibilités d’interprétation qu’il porte.
- Auteur
- Lee C. Buchheit, Elena L. Daly

ll existe plusieurs manières d’interpréter le document intitulé « Accord bilatéral établissant les conditions générales d’un fonds d’investissement pour la reconstruction » qui a été publié et signé conjointement par les États-Unis et l’Ukraine et que nous traduisons ici en français, après des négociations particulièrement dures.
L’une de ces lectures est assez favorable à l’Ukraine — les autres, beaucoup moins.
Tout d’abord, le document ne prévoit aucune contribution financière spécifique des États-Unis au Fonds.
La chose qui se rapprocherait le plus d’un tel engagement est une déclaration vague selon laquelle les États-Unis maintiendront « un engagement financier à long terme en faveur du développement d’une Ukraine stable et économiquement prospère ».
À première vue donc, tout l’argent abondant ce Fonds, du moins au début, appartiendra à l’Ukraine.
C’est l’interprétation favorable : l’Ukraine met en place un véhicule offshore pour coordonner le financement de projets sur son territoire, pour le futur et dans le cadre de la reconstruction économique du pays.
L’Ukraine s’engage dès à présent à financer ce véhicule avec une partie (50 %) de ses futures recettes provenant des actifs en ressources naturelles appartenant au gouvernement. Toujours selon une interprétation qui lui est favorable, l’Ukraine invite le gouvernement des États-Unis à participer à la gestion de ce véhicule afin d’attirer de futures contributions financières américaines, et peut-être d’autres sources officielles ou du secteur privé.
Un tel véhicule offshore, qui ne serait pas entièrement sous le contrôle du gouvernement ukrainien, devrait contribuer à apaiser les craintes de corruption ou de mauvaise gestion.
En bref, selon l’interprétation la plus favorable, cet arrangement n’est guère plus qu’un moyen pour l’Ukraine de s’assurer que son propre argent sera utilisé à l’avenir dans des investissements prudents et supervisés en Ukraine. En d’autres termes, c’est un peu comme si un particulier acceptait des prélèvements réguliers sur son salaire pour alimenter son compte de retraite.
Mais le texte laisse la place à un autre type d’interprétations — aux motivations beaucoup plus sombres et défavorables à l’Ukraine.
Donald Trump a déjà déclaré sans ambages que le but de cet accord était de récompenser le contribuable américain pour l’aide financière fournie à l’Ukraine depuis les trois dernières années. Placer ainsi une grande quantité d’argent ukrainien entre les mains des États-Unis exposerait potentiellement Kiev au même type de pression que celle exercée sur la Russie en 2022 lorsque les États-Unis et l’Union ont gelé 300 milliards de dollars d’actifs russes.
Une telle interprétation pourrait expliquer l’une des phrases les plus étonnantes de l’accord : « Les participants se réservent le droit de prendre les mesures nécessaires pour protéger et maximiser la valeur de leurs intérêts économiques dans le fonds ».
D’autres lectures du document sont possibles : par exemple, nulle part dans l’accord bilatéral il n’est dit que l’argent du fonds sera investi exclusivement en Ukraine.
Une partie de cet argent pourrait-elle être détournée pour rembourser des contributions antérieures au financement de la défense de l’Ukraine ? La motivation pourrait-elle être de s’assurer que les ressources minérales de l’Ukraine sont vendues à des acheteurs américains — ou du moins ne sont pas vendues à des adversaires des États-Unis comme la Chine ? Le rôle du gouvernement américain dans la gestion du fonds pourrait-il garantir que les entreprises américaines jouent un rôle de premier plan dans la reconstruction de l’Ukraine ? Un dispositif similaire avait été mis en place en Irak après l’éviction de Saddam Hussein par une coalition dirigée par les États-Unis.
Autre interprétation possible : les États-Unis pourraient-ils simplement être en train de « couvrir leurs arrières » au prétexte d’un accord d’investissement pour le futur ? Imaginons un scénario dans lequel l’Ukraine ne parvient pas à maintenir son indépendance après un cessez-le-feu car celui-ci est assorti de garanties de sécurité insuffisantes. Dans ce cas de figure, l’accord pourrait permettre à Washington de faire valoir auprès de la nouvelle administration du pays que les États-Unis ont des droits sur la moitié des ressources naturelles de l’Ukraine au titre de cet accord-cadre.
Rappelons enfin une chose essentielle : dans le jargon des avocats, cet accord bilatéral est ce qu’on appelle « un accord pour s’entendre » (an agreement to agree) : une première étape qui laisse ouvertes beaucoup de possibilités.
Certaines des questions que nous avons mentionnées plus haut — sinon toutes — trouveront une réponse après la négociation de « l’Accord relatif au Fonds » (« Fund Agreement ») qui constituera de fait le document définitif et que les deux parties se sont engagées à négocier « sans délai ».
Accord bilatéral établissant les conditions générales d’un fonds d’investissement pour la reconstruction
CONSIDÉRANT que les États-Unis d’Amérique ont apporté un soutien financier et matériel important à l’Ukraine depuis l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie en février 2022 ;
CONSIDÉRANT que le peuple américain souhaite investir aux côtés de l’Ukraine dans une Ukraine libre, souveraine et décrochée ;
CONSIDÉRANT que les États-Unis d’Amérique et l’Ukraine souhaitent une paix durable en Ukraine et un partenariat durable entre leurs deux peuples et gouvernements ;
CONSIDÉRANT que les États-Unis d’Amérique et l’Ukraine reconnaissent la contribution que l’Ukraine a apportée au renforcement de la paix et de la sécurité internationales en abandonnant volontairement le troisième plus grand arsenal d’armes nucléaires au monde ;
CONSIDÉRANT que les États-Unis d’Amérique et l’Ukraine souhaitent s’assurer que les États et les autres personnes qui ont agi au détriment de l’Ukraine dans le conflit ne bénéficient pas de la reconstruction de l’Ukraine à la suite d’une paix durable ;
EN CONSÉQUENCE, PAR LES PRÉSENTES le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement de l’Ukraine (chacun étant un « Participant ») concluent le présent accord bilatéral établissant les conditions d’un fonds d’investissement pour la reconstruction afin d’approfondir le partenariat entre les États-Unis d’Amérique et l’Ukraine, tel qu’il est défini dans le présent document.
1. Les gouvernements de l’Ukraine et des États-Unis d’Amérique, dans le but de parvenir à une paix durable en Ukraine, ont l’intention de créer un fonds d’investissement pour la reconstruction (fonds), en s’associant au fonds par le biais d’une propriété conjointe, qui sera définie plus en détail dans l’accord relatif au fonds. La propriété conjointe prendra en considération les contributions effectives des participants, telles que définies aux sections 3 et 4. Le Fonds sera géré conjointement par des représentants du gouvernement ukrainien et du gouvernement des États-Unis d’Amérique. Des conditions plus détaillées concernant la gouvernance et le fonctionnement du Fonds seront énoncées dans un accord ultérieur (l’Accord relatif au Fonds) qui sera négocié rapidement après la conclusion du présent accord bilatéral. Le pourcentage maximum de participation au capital et aux intérêts financiers du Fonds détenu par le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le pouvoir de décision des représentants du gouvernement des États-Unis d’Amérique seront dans la mesure permise par les lois américaines applicables.
Aucun participant ne vendra, ne transférera ou ne cédera de quelque manière que ce soit, directement ou indirectement, une partie de sa participation dans le Fonds sans le consentement écrit préalable de l’autre participant.
2. Le Fonds percevra et réinvestira les revenus versés au Fonds, moins les dépenses encourues par le Fonds, et tirera un revenu de la monétisation future de tous les actifs de ressources naturelles pertinents appartenant au gouvernement ukrainien (qu’ils soient détenus directement ou indirectement par le gouvernement ukrainien), tels que définis à la section 3.
3. Le gouvernement ukrainien versera au Fonds 50 % de tous les revenus tirés de la monétisation future de tous les actifs de ressources naturelles pertinents appartenant au gouvernement ukrainien (qu’ils soient détenus directement ou indirectement par le gouvernement ukrainien), définis comme des gisements de minéraux, d’hydrocarbures, de pétrole, de gaz naturel et d’autres matières extractibles, ainsi que d’autres infrastructures liées aux actifs de ressources naturelles (telles que les terminaux de gaz naturel liquéfié et les infrastructures portuaires), comme convenu par les deux participants, et qui peuvent être décrits plus en détail dans l’Accord relatif au Fonds. Pour éviter toute ambiguïté, ces sources futures de revenus ne comprennent pas les sources actuelles de revenus qui font déjà partie des recettes du budget général de l’Ukraine. Le calendrier, le champ d’application et la durabilité des contributions seront définis plus en détail dans l’Accord relatif au Fonds.
Le Fonds peut, à sa seule discrétion, créditer ou rembourser au gouvernement ukrainien les dépenses réelles encourues par les projets nouvellement développés dont le Fonds reçoit des revenus.
Les contributions versées au Fonds seront réinvesties au moins une fois par an en Ukraine afin de promouvoir la sûreté, la sécurité et la prospérité de l’Ukraine, comme le prévoit l’Accord relatif au Fonds. L’Accord relatif au Fonds prévoira également des distributions futures.
4. Sous réserve de la législation américaine applicable, le gouvernement des États-Unis d’Amérique maintiendra un engagement financier à long terme en faveur du développement d’une Ukraine stable et économiquement prospère. Les contributions supplémentaires peuvent être constituées de fonds, d’instruments financiers et d’autres actifs corporels et incorporels essentiels à la reconstruction de l’Ukraine.
5. Le processus d’investissement du Fonds sera conçu de manière à investir dans des projets en Ukraine et à attirer des investissements pour accroître le développement, le traitement et la monétisation de tous les actifs ukrainiens publics et privés, y compris, mais sans s’y limiter, les gisements de minéraux, d’hydrocarbures, de pétrole, de gaz naturel et d’autres matières extractibles, les infrastructures, les ports et les entreprises d’État, comme cela peut être décrit plus en détail dans l’Accord relatif au Fonds. Le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement de l’Ukraine souhaitent que le processus d’investissement débouche sur des possibilités de distribution de fonds supplémentaires et de réinvestissement plus important, afin de garantir un apport suffisant de capitaux pour la reconstruction de l’Ukraine, comme le prévoit l’Accord relatif au Fonds.
Les participants se réservent le droit de prendre les mesures nécessaires pour protéger et maximiser la valeur de leurs intérêts économiques dans le Fonds.
6. L’Accord portant création du Fonds comprendra les déclarations et garanties appropriées, y compris celles qui sont nécessaires pour garantir que les obligations que le Gouvernement ukrainien peut avoir envers des tiers, ou celles qu’il peut contracter à l’avenir, ne vendent pas, ne transmettent pas, ne transfèrent pas, ne mettent pas en gage ou ne grèvent pas d’une autre manière les contributions du Gouvernement ukrainien au Fonds ou les actifs d’où proviennent ces contributions, ou la disposition des fonds par le Fonds.
En rédigeant l’Accord relatif au Fonds, les participants s’efforceront d’éviter les conflits avec les obligations de l’Ukraine dans le cadre de son adhésion à l’Union européenne ou ses obligations dans le cadre d’accords avec des institutions financières internationales et d’autres créanciers officiels.
7. L’Accord relatif au Fonds prévoira, entre autres, une reconnaissance du caractère commercial de l’Accord relatif au Fonds et des activités qui y sont prévues.
L’Accord relatif au Fonds sera ratifié par le Parlement ukrainien conformément à la loi ukrainienne sur les traités internationaux de l’Ukraine.
8. L’Accord relatif au Fonds accordera une attention particulière aux mécanismes de contrôle qui rendent impossible l’affaiblissement, la violation ou le contournement des sanctions et autres mesures restrictives.
9. Le texte de l’Accord relatif au Fonds sera élaboré sans délai par des groupes de travail présidés par des représentants autorisés du gouvernement ukrainien et du gouvernement des États-Unis d’Amérique.
Les personnes de contact chargées de préparer l’Accord relatif au Fonds sur la base du présent accord bilatéral sont : pour le gouvernement des États-Unis d’Amérique : le département du Trésor ; pour le gouvernement de l’Ukraine : le ministère des finances et le ministère de l’économie : Ministère des finances et ministère de l’économie.
10. Le présent accord bilatéral et l’Accord relatif au Fonds feront partie intégrante de l’architecture des accords bilatéraux et multilatéraux et constitueront des mesures concrètes pour instaurer une paix durable et renforcer la résilience de la sécurité économique, tout en reflétant les objectifs énoncés dans le préambule du présent accord bilatéral.
Le gouvernement des États-Unis d’Amérique soutient les efforts de l’Ukraine pour obtenir les garanties de sécurité nécessaires à l’établissement d’une paix durable. Les participants s’efforceront d’identifier toutes les mesures nécessaires pour protéger les investissements mutuels, tels que définis dans l’Accord relatif au Fonds.
11. Le présent accord bilatéral est contraignant et sera mis en œuvre par chaque participant conformément à ses procédures nationales. Le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement de l’Ukraine s’engagent à procéder sans délai à la négociation de l’Accord relatif au Fonds.
Signé le 25 février 2025 en anglais et en ukrainien, les deux textes faisant également foi.