Les élections législatives de septembre dernier, ont catapulté le FPÖ à la première place pour la première fois dans l’histoire de l’Autriche. Le Président de la République fédérale, issu des Verts, avait toutefois décidé de ne pas confier la tâche de former un gouvernement à Herbert Kickl. En raison de sa personnalité exceptionnellement clivante, aucun autre parti n’avait manifesté l’intention de collaborer avec Herbert Kickl pour former une majorité dont il aurait été chancelier. 

L’ÖVP du chancelier Karl Nehammer, le parti de centre-droit arrivé pour la première fois de son histoire en deuxième place, avait alors érigé un cordon sanitaire. Son secrétaire général Stocker — qui depuis la démission de Nehammer conduit les négociations avec le FPÖ de Kickl en tant que chef du parti par intérim — déclarait alors : « À chaque nouvelle tirade venimeuse, Herbert Kickl prouve qu’il représente un risque pour la sécurité de notre pays. (…) Le chancelier Nehammer est synonyme de stabilité, Herbert Kickl est synonyme de chaos radical. » 1

Le chancelier et chef du parti chrétien-démocrate avait lancé les négociations officielles avec les partis SPÖ (sociaux-démocrates, troisièmes du scrutin) et NEOS (libéraux, quatrièmes du scrutin) en vue de former un gouvernement à trois. Après plusieurs semaines de discussions, la nouvelle est tombée de manière inattendue : les libéraux ont décidé, le vendredi 3 janvier, de quitter les négociations. Avec une majorité parlementaire de seulement un député d’avance pour une coalition ÖVP-SPÖ, il était clair que deux scénarios devenaient les plus probables : un gouvernement FPÖ-ÖVP (avec Kickl à la Chancellerie et l’élimination de Nehammer) ou de nouvelles élections (auxquelles aucun parti n’avait d’intérêt sauf le FPÖ, qui s’envole dans les sondages).

Avec sa démission en tant que chancelier et chef de parti, Karl Nehammer a ouvert la voie à un scénario inédit depuis la Seconde Guerre mondiale : l’arrivée à la tête du pays d’un chef du parti d’extrême droite.

Figure extrême de la politique autrichienne, spin doctor et plume de Heider et Strache, Herbert Kickl reste méconnu en Europe. Nous avons sélectionné une dizaine de phrases clefs pour comprendre son offre politique.

1 — Jouer avec la ligne rouge nazie : « Je veux être Volkskanzler » 

Dans son discours du mercredi des Cendres à Ried im Innkreis du 22 février 2023, Kickl déclarait : « Je serai un chancelier du peuple libéral qui ne se courbera pas vers le haut, en direction de l’Union, de l’OTAN, de l’OMS, pour ensuite donner des coups de pied vers la population ».

Comme nous le rappelions dans l’enquête historique sur le FPÖ publiée dans les pages de la revue, Herbert Kickl a longtemps été un homme de l’ombre — spin doctor, éminence grise et « plume » des grandes figures du parti comme Haider et Strache. Pourtant, depuis son ascension à la tête du FPÖ le 19 juin 2021, il a su façonner une image de tribun que peu soupçonnaient auparavant. De « Tribun du Peuple » (Volkstribun) durant la crise pandémique — toujours prêt à critiquer l’action gouvernementale et sa tyrannie contre « les gens normaux »  — à « Chancelier du Peuple » (Volkskanzler), il n’y avait qu’un pas : en mars 2023, pour la première fois, on trouve l’expression Volkskanzler dans un communiqué de presse du parti d’extrême droite. Depuis, l’expression fait partie intégrante du répertoire du FPÖ lorsqu’il est question de son leader, Kickl. 

L’utilisation d’un tel terme n’a rien d’anodin. De manière explicite pour les Autrichiens, elle est une référence claire au national-socialisme et, plus particulièrement, à la figure d’Adolf Hitler 2 qui se présente devant « le Peuple » comme « son » chancelier — un homme providentiel venu combattre « le Système » au nom de ce même « Peuple » qui l’aurait choisi. Dans le dictionnaire Duden — le plus célèbre dictionnaire en langue allemande, dont la première édition a été publiée le 7 juillet 1880 — pour l’année 1941, on trouve comme définition du terme Volkskanzler : « Nom donné à Hitler pour exprimer le lien entre le peuple et le Führer ».

Ce terme a dès l’origine été utilisé par les nazis comme un instrument de propagande. Ces débuts peuvent être retracées dans la stratégie de Göbbels qui commence à en faire usage durant la campagne des législatives en 1933, au moment où le NSDAP n’a pas encore pris le pouvoir, en particulier sur certains manifestes électoraux 3. Son usage diminue avec la consolidation du pouvoir nazi à la tête de l’Allemagne pour laisser la place à Führer puis à Reichskanzler (Chancelier du Reich).  

2 — Id. : « Je ne suis pas d’accord pour dire qu’un groupe en tant que tel, ou une unité comme la Waffen-SS, devrait être déclaré collectivement coupable » (Da werden wir uns nicht darauf verständigen können, dass ein Verein als solcher oder eine Einheit wie die Waffen-SS kollektiv schuldig zu sprechen ist).

Le 2 septembre 2010, Herbert Kickl était l’invité de l’émission télévisée Am Punkt. Face à Ariel Muzicant, il présente son désaccord avec celui qui est à l’époque président du Consistoire israélite de Vienne avec cette phrase. Son argument, comme souvent, joue avec les lignes rouges : la faute serait quelque chose d’individuel ; il ne serait pas possible de faire porter une responsabilité de manière collective. Face à l’objection de Muzicant selon laquelle la Waffen-SS a été reconnue comme une organisation criminelle lors des procès de Nuremberg, Kickl répond du tac au tac : ce serait « exactement le même non-sens » d’accorder une « présomption d’innocence collective » à la Wehrmacht nazie que de déclarer la Waffen-SS collectivement coupable.

L’argumentation de Kickl — opposant faute collective à faute individuelle — résonne fortement avec les idées défendues en son temps par le dignitaire nazi Anton Reinthaller, fondateur en 1956 du FPÖ. Comme il l’écrivait dans son journal intime, les crimes ne peuvent  « en aucun cas être imputés au peuple ou au parti, mais aux coupables individuels » 4.

La citation de Kickl a été exhumée en mai dernier par l’hebdomadaire de gauche Profil 5 après les déclarations similaires de Maximilian Krah, tête de liste de l’AfD pour les élections européennes, dans le quotidien italien La Repubblica.

Dans l’entretien qui avait valu à l’AfD d’être exclue du groupe ID au Parlement européen, il avait tout d’abord proclamé : « Je ne dirai jamais que toute personne portant un uniforme SS était automatiquement un criminel ». Interrogé sur la question de savoir si tous les membres de la Waffen-SS dans l’Allemagne nationale-socialiste étaient des criminels de guerre, il avait ensuite affirmé qu’« il y avait certainement un pourcentage élevé de criminels, mais [que] tous n’étaient pas criminels » 6

3 — Le vaccin contre le Covid ? « Une vaste expérience d’ingénierie génétique dont l’issue est incertaine » (Ein riesiges Gentechnik-Experiment, Ausgang ungewiss)

C’est durant les manifestations contre les mesures gouvernementales face à la pandémie de la Covid-19 qu’Herbert Kickl est parvenu à s’imposer en tribun.

Le gouvernement ÖVP-Verts avait notamment décrété la vaccination obligatoire contre le coronavirus — avec l’approbation des deux chambres entre le 20 janvier et le 3 février 2022 — pour tous les adultes de plus de 18 ans, sous peine d’amendes 7. Bien que jamais mise en pratique 8, cette mesure avait donné du grain à moudre aux opposants, en premier lieu Kickl. Elle avait été instaurée face à un taux de vaccination qui ne voulait plus progresser, se situant en deçà des ceux enregistrés en Europe : seulement 70 % de la population autrichienne avait accepté de se faire vacciner 9

Adepte de la diffusion de fausses informations sur des sujets sensibles et surtout fort habile à semer le doute dans la population — vis-à-vis du « Système » et de ses élites — Kickl considère la vaccination comme un simple moyen pour enrichir l’industrie pharmaceutique, en allant jusqu’à parler de « dictature sanitaire ». En se posant en victime face à la violence étatique et aux mesures liberticides promues par le gouvernement, Kickl choisit de ne pas se faire vacciner, faisant ainsi office de symbole de la résistance de pauvres gens face à l’oppression de l’État.  

4 — L’écologie envisagée comme un « écoterrorisme » :  « Monsieur le vice-chancelier, le bras armé des éco-fondamentalistes et des terroristes du climat sur le banc des ministres ! » (Herr Vizekanzler, der verlängerte Arm der Ökofundamentalisten und der Klimaterroristen auf der Regierungsbank !)

« Terroriste du climat » (Klimaterrorist) a été choisi en tant que le mot allemand le plus horrible de l’année par la radio télévision publique (Unwort des Jahres) en 2022 10. Herbert Kickl l’a d’abord utilisé très souvent pour critiquer les actions des groupes d’activistes écologistes comme Letzte Generation 11, puis pour désigner ses opposants, les Verts alors au gouvernement. 

La citation ci-dessus a été prononcée par Kickl à l’égard du vice-chancelier et chef des Verts Werner Kogler durant un débat au Parlement le 13 décembre 2023 12.

5 — L’art trumpiste du trash talk : « Un fruit marxiste pourri et immangeable » (faules, ungenießbares marxistisches Früchtchen) ; « Un paon qui court partout » (Er rennt herum wie ein Pfau) ; « La momie dans le Palais présidentiel » (Mumie in der Hofburg) « un organisme unicellulaire mental » (Geistiger Einzeller) ; « Il n’y a pas assez d’intelligence artificielle dans le monde pour compenser celle qui lui manque » (So viel künstliche Intelligenz gibt es auf dieser Welt gar nicht, dass man das kompensieren kann, was dort alles fehlt).

Herbert Kickl est connu pour ses slogans très violents contre ses détracteurs 13.

Le premier de la liste ci-dessus est dirigé vers le leader du parti social-démocrate Andreas Babler. 

Avant sa démission vendredi, l’ancien chancelier Karl Nehammer (ÖVP) avait été comparé à un paon (symbole de la vanité) : « Il court partout comme un paon et se complaît dans le rôle de celui qui peut expliquer le monde aux gens, et il est profondément offensé si quelqu’un a une opinion différente ».

Pour le successeur de Nehammer, Christian Stocker — avec qui il sera en négociation pour la formation d’un gouvernement — il a forgé l’expression « l’organisme unicellulaire mental ». Il considère également qu’il « n’y a pas assez d’intelligence artificielle dans le monde pour compenser tout ce qui lui manque ».

Les rapports avec le Président de la République Alexander Van der Bellen ne sont pas  meilleurs, comme en témoignent certaines expressions utilisées par Kickl pour le décrire : une « momie dans la Hofburg », un « somnifère », qui vit « depuis des années dans un coma éveillé ». 

Contre l’ancienne ministre de l’Agriculture Elisabeth Köstinger (ÖVP) qui l’avait accusé d’avoir « du sang sur les mains » (à cause des manifestations anti-vax), il avait répliqué qu’elle n’avait que « de la merde dans la tête ». 

6 — « Le Système » comme matrice complotiste : « Le pays a besoin (…) de quelqu’un qui n’a pas peur de s’attaquer au Système » (Das Land braucht (…) jemanden, der keine Scheu hat, sich mit dem System anzulegen)

À l’instar d’autres leaders populistes d’extrême droite, Kickl invoque souvent la figure du « Système », qui oppresserait les gens ordinaires et empêcherait l’accession au pouvoir de ceux qui pourraient changer les choses en leur faveur. Ce même « Système » permettrait aux élites de continuer à gouverner et à se partager les richesses du pays sur le dos des honnêtes gens. Selon le nouveau président du centre-droit autrichien, Christian Stocker : « la vérité, c’est que Kickl est un conspirationniste radical ».

En Autriche, ce discours est d’autant plus simple à manier 14 qu’il y a eu, de fait, un « système » — le Proporzsystem — fondé sur la répartition équitable des postes au sein de l’État et des institutions publiques au sens plus large entre les deux grands partis politiques : les sociaux-démocrates du SPÖ et les chrétien-démocrates de l’ÖVP. Depuis les années 1990, la fragmentation du paysage politique due l’émergence et à la montée en puissance de nouveaux partis — les Verts, les libéraux ou des partis de courte durée comme JETZT – Liste Pilz ou Team Stronach — a conduit à l’affaiblissement des partis historiques SPÖ et ÖVP, ainsi que du Proporzsystem

Pourtant, par son histoire — et contrairement à beaucoup d’autres formations d’extrême droite comme le Rassemblement national —, le FPÖ a accédé à des positions de pouvoir non seulement au niveau fédéral — en participant à cinq reprises à des gouvernements en tant que partenaire minoritaire 15 — mais également au niveau régional : début 2025, le FPÖ est ainsi représenté dans cinq gouvernements régionaux, avec Mario Kunasek comme gouverneur en Styrie, et partenaire junior dans quatre autres Länder — Basse- et Haute-Autriche, Salzbourg et Vorarlberg. 

Comme l’a également indiqué le journaliste Martin Thür durant son entretien d’été (Sommergespräch16 avec Herbert Kickl de l’année dernière 17, le chef du parti d’extrême droite et potentiel futur chancelier de l’Autriche fait partie intégrante de l’élite qu’il dénonce avec le terme « Système » depuis bien longtemps : se lançant immédiatement en politique au sein du FPÖ, il n’a jamais exercé un poste dans le privé et n’a pas terminé ses études d’histoire et de philosophie à l’Université de Vienne.

7 — La défense du « sang viennois » : « trop d’étrangers ne font de bien à personne » ; « des cloches, pas de muezzin » ; « ’Chez nous’, pas l’Islam » (Mehr Mut für unser ‘Wiener Blut’, Zu viel Fremdes tut niemandem gut ; Pummerin statt Muezzin ; Daham statt Islam18 

Ces slogans — tous imaginés par Herbert Kickl — ont été utilisés durant plusieurs campagnes législatives au niveau fédéral et régional, en particulier à Vienne.

Presque impossibles à traduire mot à mot, ils fonctionnent comme des réclames publicitaires. Chacune de ces phrases est pensée autour d’un jeu de mots, souvent facilité par une assonance ou consonance entre les différents éléments du slogan. Cette technique — que l’on retrouve également sur les affiches électorales du parti d’extrême droite allemand AfD — est particulièrement visible dans le Daham statt Islam, qui utilise la forme dialectale du mot Daheim (chez soi) en viennois pour rimer avec Islam. 

D’autres mots font allusion à certains éléments qui appartiennent à l’imaginaire collectif : comme la Pummerin, la cloche de la Cathédrale Saint-Étienne de Vienne, que les Autrichiens aiment entendre sonner tous les ans à minuit  pour marquer le début de la nouvelle annéeWiener Blut — parfois traduit en français également par « esprit viennois » — est le nom d’une valse et d’une opérette présentées entre 1873 et 1898 par le « roi de la valse » Johann Strauss II. 

L’attrait pour les jeux de mots et les phrases choc, provocatrices, est un trait distinctif du style de Herbert Kickl. Depuis ses débuts au sein du parti FPÖ, il a été fortement apprécié pour ses capacités d’écriture par les grandes figures du parti, Haider et Strache. Sous l’apparence de la légèreté et de l’humour, le message reste résolument radical et xénophobe : l’Islam et l’étranger semblent faire partie d’un même récit et provoquent le même rejet.

8 — Le grand remplacement comme horizon politique : « Pour les dépenses sociales, nous gaspillons de l’argent que nous pourrions donner aux Autrichiens, tout en empêchant la progression du grand remplacement de la population ». (Ersparen uns Geld – für die Sozialausgaben nämlich –, das wir den Österreichern geben können, und gleichzeitig verhindern wir das Fortschreiten des Bevölkerungsaustausches)

Prononcée par Kickl au parlement autrichien le 7 octobre 2020, cette affirmation reprend la théorie complotiste du « Grand remplacement » (qui devient « Bevölkerungsaustausch » dans la bouche de Kickl), souvent défendue par des partis d’extrême droite comme l’AfD en Allemagne ou Reconquête ! en France. 

Elle représente parfaitement la ligne dure défendue par le FPÖ en matière d’immigration — souvent d’ailleurs sans faire aucune distinction entre migrants et demandeurs d’asile. Le 9 novembre 2022, le secrétaire général du FPÖ Michael Schnedlitz et des représentants des organisations de jeunesse du FPÖ ont lancé un site web intitulé « remplacement de population ». En août 2023, une vidéo des jeunes du FPÖ a été rendue publique où de jeunes sympathisants évoquent à plusieurs reprises le Bevölkerungsaustausch, tout en tournant pieusement leur regard vers le « balcon du Führer » sur la Heldenplatz de Vienne) 19. Kickl a trouvé cette vidéo « formidable » 20.

Le leader du FPÖ avait également déclaré que les demandeurs d’asile devaient à l’avenir être « concentrés en un seul endroit ».

Cette phrase, prononcée seulement quelques jours après sa prise de fonction comme ministre de l’Intérieur (2017-2019, sous le gouvernement Kurz 1), avait fait le tour du monde, le New York Times et la BBC s’en étant fait l’écho 21.

9 — Une longue histoire de scandales et d’accusations d’antisémitisme : « Comment quelqu’un qui s’appelle Ariel peut-il être aussi sale [avoir autant de choses à cacher] » (Wie kann einer, der Ariel heißt, so viel Dreck am Stecken haben)

Cette phrase à l’apparence presque anodine a été prononcée par Jörg Haider — à l’époque non plus dans sa fonction de président du parti FPÖ, mais comme puissant Landeshauptmann de Carinthie — le 28 février 2001 durant le discours du mercredi des Cendres à Ried im Innkreis. Elle a été écrite par sa plume d’alors : Herbert Kickl.

La cible était Ariel Muzicant, alors président du Consistoire israélite de Vienne (Israelitische Kultusgemeinde Wien). Le jeu de mots fait référence à la marque de lessive Ariel. Le sous-entendu : comment une personne qui porte un nom qui devrait être synonyme de propreté peut-elle être si sale (l’expression Dreck am Stecken — avoir de la saleté sur son bâton — est utilisée pour indiquer quelqu’un qui s’est rendu coupable d’une faute ou a agi de manière immorale) ?

À l’époque, le scandale éclate de manière vertigineuse. Les politologues Anton Pelinka et Ruth Wodak publient une étude devenue célèbre qui démontre le caractère antisémite de la phrase 22. Le président du Consistoire décide de porter l’affaire en justice, mais celle-ci se termine par un accord hors de salles d’audience. 

L’auteur du discours, Herbert Kickl, est envoyé pour une courte période en Carinthie, loin de la structure fédérale du parti à Vienne : il s’agit à la fois d’une punition et, surtout, d’une manière de baisser la pression de l’opinion publique. 

10 — « Les Identitaires sont pour moi une sorte d’ONG de droite. Une vraie ONG, digne de ce nom, car elle ne reçoit pas d’argent de l’État » (Die Identitären sind für mich so etwas wie eine NGO von rechts. ​​So eine echte NGO, die diesen Namen auch verdient, weil sie nämlich kein Geld vom Staat bekommt)

Le 9 juin 2021, Kickl explicite avec cette phrase son rapport avec les groupuscules d’extrême droite regroupés sous le vocable « Identitaires » — et typologisés dans ces termes par les services de renseignement autrichiens. Quelques jours avant de prendre la tête du parti, il montre la direction que le FPÖ prendra sous son impulsion : une radicalisation plus assumée, un retour aux racines après la période de dédiabolisation avec Strache. Son prédécesseur direct, Norbert Hofer, était connu pour ses positions très critiques vis-à-vis des Identitaires. Kickl a quant à lui tout de suite confirmé qu’il ne serait pas possible d’être à la fois membre actif des Identitaires et fonctionnaire du FPÖ — une règle qui existait avant son arrivée et devait continuer à s’appliquer sous son mandat 23.

Selon l’historien Bernhard Weidinger 24, la radicalisation et l’adhésion à certaines idées des Identitaires de la part du FPÖ sont directement corrélées au retour dans le rang de l’opposition en 2019 (après la fin du gouvernement Kurz suite au scandale d’Ibiza) et à la nécessité de devoir récupérer du terrain depuis une position défensive. Dans ce contexte, le choix de Herbert Kickl comme chef de parti ne doit rien au hasard : il est le fruit d’une stratégie claire, pensée pour la reconquête du pouvoir — et désormais en passe d’être récompensée.

11 — Orban connection : « Contrairement à Mme von der Leyen, Viktor Orban a été légitimé par une élection démocratique du souverain. Mme Von der Leyen n’est pas une représentante des peuples d’Europe, mais une alliée du lobby de l’armement et de l’industrie pharmaceutique. En tant que présidente de la Commission européenne, elle est donc à proscrire pour tout démocrate » ; « La réélection de Von der Leyen est une trahison de l’autodétermination des peuples d’Europe et une gifle pour la paix sur le continent » 25

Herbert Kickl, aux côtés de Viktor Orbán et de l’ancien Premier ministre tchèque Andrej Babiš, a lancé un « Manifeste patriotique » à Vienne avant les élections européennes de mai.

Ce texte critique l’Union et propose de démembrer l’euro, les politiques communes en matière de sécurité et de politique étrangère, ainsi que les politiques migratoires. Herbert Kickl considérant qu’il faudrait que « la Commission européenne soit remise à sa place dans son arrogance et ses excès ».

Après les élections, ce texte a servi de base à la création du groupe « Patriotes pour l’Europe » au Parlement européen, succédant au groupe « Identité et Démocratie ». Cette coalition regroupe des partis eurosceptiques à l’extrême droite, tels que la Lega italienne, Vox en Espagne, le Parti pour la liberté de Geert Wilders aux Pays-Bas, et le mouvement de Marine Le Pen en France. En juillet, le Fidesz de Viktor Orbán a officiellement approuvé le manifeste. 

Par rapport à Jörg Haider ou Heinz-Christian Strache, il a cherché à reconfigurer l’image du parti en adoptant une stratégie similaire à celle de Marine Le Pen en France. Cette approche consiste à afficher une opposition formelle à l’antisémitisme tout en essayant d’étouffer les expressions d’apologie du national-socialisme dans ses rangs. Dans ce schéma populiste classique opposant « nous » à « eux », l’ennemi est défini dans un cadre national et patriotique, incluant les immigrés, l’Islam et la Commission européenne.

Une nouveauté majeure de cette ligne est toutefois son orientation pro-Kremlin, où Vladimir Poutine est présenté comme le défenseur d’une Europe des nations, indépendante des États-Unis, perçus comme un vecteur d’asservissement économique et de déclin culturel. Dans ce contexte, si Kickl ne prend pas ses distances d’avec la ligne pro-russe historique du FPÖ, il se fait beaucoup plus discret que ses prédécesseurs sur ce dossier Poutine : il n’a ainsi pas participé à « l’accord d’amitié » formé entre le FPÖ et le parti de Vladimir Poutine, Russie unie, et s’est toujours défendu de tout lien avec la Russie à titre personnel.

Sources
  1. Walter Hämmerle, „Kickl steht für radikales Chaos“ : Die besten Zitate des neuen ÖVP-Obmanns, Kleine Zeitung, 6 janvier 2025.
  2. Markus Sulzbacher, « Die Geschichte des Begriffs « Volkskanzler » : Von Hitler bis Kickl », der Standard, 30 novembre 2023.
  3. Voir cette image par exemple ; MZA K924 : Luftschutz 1933 – Bildarchiv / Bilddatenbank LWL-Medienzentrum für Westfalen.
  4. Christa Zöchling, « FPÖ : Die Tagebücher des Gründungsvaters Anton Reinthaller », Profil, 18 septembre 2018.
  5. Max Miller, « Kickl 2010 : „Waffen-SS nicht kollektiv schuldig zu sprechen“ », Profil, 24 mai 2024.
  6. Tonia Mastrobuoni, « La versione di Krah : ‘Non prendo soldi dai russi. Le SS criminali ? Sbagliato generalizzare’ », la Repubblica, 18 mai 2024.
  7. « Covid-19 : l’Autriche instaure officiellement la vaccination obligatoire », Le Monde, 5 février 2022.
  8. La mesure a été officiellement suspendue le 9 mars 2022.
  9. Sur les raisons, on pourra se reporter à cette étude de l’Université de Vienne : Robert Böhm, Bernhard Kittel, Katharina T. Paul, Julia Partheymüller et Thomas Resch, « Das 7C-Modell zur Erklärung der (mangelnden) Impfbereitschaft », Vienna Center for Electoral Research, 29 octobre 2021.
  10. « Unwort des Jahres : Die Unwörter von 2011-2023 », NDR, 25 novembre 2024.
  11. Confronté à la question du célèbre journaliste Armin Wolf sur les raisons derrière cette appellation, Kickl s’est justifié en indiquant que l’on parle souvent d’être « terrorisé » par quelqu’un : de nombreuses personnes se sentiraient dérangées par les protestations climatiques et n’aimeraient pas être « terrorisées » par elles. Voir : « FPÖ-Chef Herbert Kickl in der ‘ZiB 2’ : ‘Die Klimapolitik ist völlig überbordend’ », Der Standard, 18 janvier 2023.
  12. Vidéo sur le site du Parlement.
  13. Nina Horaczek, « Strategisch Schimpfen mit Kickl : Das Kalkül hinter den FPÖ-Flegeleien », Falter, 8 février 2024.
  14. Der Erfolg der FPÖ : Österreichs Parteien- und Regierungssystem unter Druck, Matthias Belafi, Zeitschrift für Politik, Vol. 64, No. 3 (août 2017), pp. 364-383.
  15. 1983–1986, 1986–1987, 2000–2003, 2003–2005, 2017–2019.
  16. Tous les ans, la télévision d’État ORF organise une série d’entretiens durant les mois estivaux (les Sommergespräche) avec les chefs des partis politiques représentés au parlement.
  17. « Martin Thür im Gespräch mit Herbert Kickl, FPÖ », ORF (en version Podcast).
  18. Oliver Pink, « Vilimsky und Kickl : Der Raue und der Schlaue », Die Presse, 22 août 2009.
  19. Irene Brickner, « In Video der FPÖ-Jugend wird gegen Wolf, Strobl und Klenk polemisiert », der Standard, 28 août 2023.
  20. Hans Rauscher et Ronald Pohl, « ’Systemparteien’, ‘Volksverrat’, ‘Ketten brechen’ – Kickl und die Sprache der Nazis », der Standard, 21 janvier 2024.
  21. « Herbert Kickl : Best of grauslich », Weekend, 27 mai 2021.
  22. Ruth Wodak et Anton Pelinka, „Dreck am Stecken“ Politik der Ausgrenzung, Czernin Verlag, 2001.
  23. « Kickl : ‘Die Identitären sind für mich so etwas wie eine NGO von rechts’ », Kurier, 9 juin 2021.
  24. Irene Brickner, « In Video der FPÖ-Jugend wird gegen Wolf, Strobl und Klenk polemisiert », Der Standard, 28 août 2023.
  25. « Im Unterschied zu von der Leyen wurde Viktor Orban durch eine demokratische Wahl des Souveräns legitimiert. Von der Leyen ist keine Repräsentantin der Völker Europas, sondern eine Verbündete der Waffen- und Pharmalobby. Als Präsidentin der EU-Kommission ist sie daher ein ‚No Go‘ für jeden Demokraten. »