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En Brandebourg ce dimanche, le parti d’extrême droite AfD pourrait l’emporter. Pour comprendre son émergence et mettre en contexte l’importance de cette élection, vous pouvez relire l’analyse électorale de François Hublet, notre entretien de fond avec l’historien Johann Chapoutot ou découvrir l’histoire du mot « Lebensraum » par Florian Louis. Si vous appréciez nos contenus et que vous en avez les moyens, nous vous demandons de penser à vous abonner au Grand Continent

Nazi toit-même

Commençons par l’affiche la plus caractéristique du « style AfD ». En apparence, elle montre une famille. Deux parents au sourire figé et à l’allure un peu inquiétante. Leurs mains se rejoignent pour former un toit. Problème : les bras tendus vers le haut rappellent un peu trop explicitement le salut nazi. Mais en est-ce un ? C’est dans cet interstice que se glisse le message—en jouant avec un tabou absolu, que l’AfD n’a désormais plus peur d’approcher.

Lebensraum : un petit détail du IIIe Reich sur une affiche

Contrairement à ce que notre époque pourrait laisser croire, la politique n’a pas forcément besoin d’image. Le choix du mot « Lebensraum » pour désigner le cadre de vie germanique censément mis en péril par la prolifération des éoliennes ne pouvait manquer d’interpeller — même les non-germanophones. Florian Louis propose ce matin une analyse approfondie dans nos pages du concept nazi de Lebensraum et de sa réappropriation par l’AfD dans cette campagne.

Le Diesel, c’est super

« Un seul mot, imprimé en grosses lettres sur les affiches de l’AfD, le parti d’extrême droite allemand qui a fait du climatoscepticisme l’un des principaux thèmes de sa campagne pour les élections européennes de juin. Pas besoin de slogans pour les partis qui jouent sur la peur du changement. Ils pourraient se contenter d’inscrire certains mots clefs sur leurs panneaux : Noël, steaks, costumes d’Indiens et de cow-boys, sel, sucre, pain blanc, bonnes blagues… Tout ce que les « élites » donnent l’impression de vouloir enlever aux gens ordinaires — et dont les mouvements nationaux-populistes ont fait leur étendard. » Pour décoder l’AfD, il faut relire Giuliano da Empoli.

Les « années Harris » : un ingénieur du chaos au service de l’AfD

« Burqa ? Je préfère le Bourgogne » — n’est qu’une déclinaison de la marque de fabrique d’une campagne-choc lancée en 2017 par une agence américaine. Rembobinons un instant…

Sourire Colgate, Macbook Pro ouvert sur la table, chemise à carreaux, jean foncé, santiags parfaitement vernies : Vincent Harris est un ingénieur du chaos.

Son ascension, qui part du Midwest américain — du Texas plus exactement — a suivi presque linéairement l’essor des réseaux sociaux. Mais sa véritable implantation en Europe doit beaucoup à l’Allemagne, où le parti d’extrême droite Alternativ für Deutschland, l’AFD, s’est appuyé sur les talents de sa puissante agence Harris Media pour penser des affiches et des slogans choc.

Depuis ses premiers succès pour Ted Cruz — qu’il a presque totalement contribué à propulser — et Rand Paul au Sénat américain, celui que Bloomberg a baptisé « l’homme qui a inventé l’Internet du Parti républicain » a une recette simple : identifier les limites du politiquement correct — pour les briser méticuleusement.

Après être devenu un communicant de référence pour la droite radicale américaine, la liste des clients internationaux qui grossissent le portfolio d’Harris aurait de quoi faire pâlir d’envie Roger Stone : l’UKIP pour la campagne du Brexit, le Likoud de Benjamin Netanyahou pour les législatives de 2015 et même, brièvement, Donald Trump en 2016.

En 2017, trois consultants seniors d’Harris Media posent leurs valises à Berlin, Schilstrasse, au QG de campagne de l’AfD. Cette année-là, le parti alors mené par Alexander Gauland et Alice Weidel est bien décidé à réussir — il finira troisième aux élections de septembre, faisant son entrée au Bundestag : le début d’une ascension.

Leur mission est assez claire : construire des slogans et des messages chocs qui fonctionnent à la fois sur des affiches et pour les réseaux sociaux du parti d’extrême droite. Avec de petites phrases et des images faciles à décoder, l’identité de l’AfD, déployée autour de la couleur bleue ciel qui caractérise ses visuels, pourra peu à peu hégémoniser Internet. L’hebdomadaire Der Spiegel rapporte une anecdote1. Lors d’une des premières sessions de brainstorming, les hommes de Harris demandent, presque naïvement pourquoi ne pas utiliser carrément « l’Allemagne aux Allemands » sur les affiches. Petite panique parmi les équipes de l’AfD : même eux ne peuvent pas aller aussi loin. Ils posent une limite : un tel slogan rappellerait trop explicitement le « Nur für Deutsche » nazi. Il y a encore certaines lignes rouges…

Plus de sept ans plus tard, les responsables de l’AfD seraient-ils si réticents ?

L’entrepreneur américain à l’ascension fulgurante Vincent Harris, dont l’agence a prodigué ses conseils à l’AfD en 2017. © Harris Media

À voir la radicalité du choix des images — et surtout des mots — des campagnes successives l’AfD, on peut en douter fortement.

C’est Vincent Harris qui est à l’origine des campagnes montrant un petit cochon avec la légende « L’Islam ? Ce n’est pas compatible avec notre cuisine » ou encore des femmes en maillot de bain avec le slogan « Burkini ? On préfère le bikini ». Très tôt, il a su capter et infuser dans les affiches de l’AfD ce qu’Olivier Roy a bien décrit pour expliquer la montée du RN comme « la défense du mode de vie ».

Aujourd’hui, c’est bien cette thématique de la conservation d’un soi-disant bien-être fantasmé qui est au cœur des campagnes publicitaires de l’AFD — y compris pour les élections régionales de ce dimanche en Brandebourg. Avec une forte inflexion par rapport à 2017 : aujourd’hui, le signifiant nazi ne semble plus un problème insurmontable.

«  ’L’Islam  ?’ Ce n’est pas compatible avec notre cuisine.  »
«  Et qu’est-ce qui vous pousse à vous battre pour l’Allemagne  ?  » Frauke Petry, la leader de l’AfD a l’époque de cette affiche, pose ici avec son propre enfant. Objectif  : se défaire de son image de froideur.
«  Été, soleil. Remigration  ».
«  ’De nouveaux Allemands  ?’ Nous les faisons nous-mêmes.  »

La campagne pour les régionales 2024

Florilège d’affiches de l’AfD lors des campagnes électorales pour les élections régionales de septembre 2024. © AP/SIPA
Sources
  1. Melanie Amann, «AfD engagiert US-Agentur», Der Spiegel, 26 août 2017.