Comment décririez-vous le contexte social, politique, juridique et international dans lequel le gouvernement de Maduro est arrivé aux élections du 28 juillet ?
Paulina Astroza
Une grande partie des discussions, en particulier ces dernières semaines, s’est concentrée sur la question des procès-verbaux — c’est-à-dire sur la validation ou non des résultats des élections. Mais en réalité, le Venezuela se trouve dans une situation très grave depuis longtemps — bien avant les élections du 28 juillet.
Tous les indicateurs de développement humain, d’économie et de pauvreté, entre autres, y sont dramatiques. L’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) estime que 7,7 à 8 millions de Vénézuéliens sont partis en tant que réfugiés ou migrants vers d’autres pays, dont une grande partie — 6,5 millions — vers des pays d’Amérique latine et des Caraïbes.
Le Chili, où je vis, compte par exemple à lui seul près de 800 000 personnes qui sont arrivées récemment parmi cette diaspora, qui s’est évidemment renforcée après la répression qui a lieu en ce moment au Venezuela. Cette situation grave est comparable à celle des réfugiés qui ont commencé à quitter la Syrie à partir de 2011.
Il faut à cet égard saluer le travail du HCR. On évalue souvent les organisations internationales à partir des grandes instances visibles — dans le cas des Nations unies, en fonction de ce que fait ou ne fait pas le Conseil de sécurité — en oubliant toutes les autres agences. Sans le travail de toutes les autres institutions qui font partie de ce système, aucune aide ne parviendrait aux réfugiés et aux migrants. C’est en partie ce que font le HCR et les autres États qui ont accueilli ces réfugiés et migrants qui, du point de vue du droit international, ont le droit à une protection internationale et à une assistance humanitaire.
Mais je voudrais également aborder une question sémantique majeure : le Venezuela est-il, ou non, une dictature ? Ou s’il s’agit simplement d’un régime « désagréable », comme l’a décrit Lula ? Ou d’un régime avec des biais autoritaires ou qui connaît une dérive autoritaire, comme l’a décrit le président Gabriel Boric récemment à Brasilia — il a été l’un des premiers à le faire.
Au-delà des élections, qui constituent une étape importante, on parle surtout d’un pays dans lequel il n’y a pas d’État de droit, dans lequel les droits de l’homme sont violés et qui a fait l’objet d’une enquête de la Cour pénale internationale pour crimes contre l’humanité, pour la situation de répression et la présomption claire que des crimes internationaux sont commis, qui sont punis et caractérisés par le statut de la Cour pénale internationale. Cette décision a été contestée par le Venezuela et finalement rejetée très récemment. En mars, la Chambre d’appel de la Cour pénale internationale a de nouveau autorisé et ratifié la poursuite de l’enquête menée par le Bureau du procureur sur ces crimes présumés au Venezuela.
Cela fournit à mon sens un cadre pour commencer à prendre la mesure de la situation très grave que traverse le pays. En ce qui concerne les élections, comme l’a souligné le président Boric dans un tweet, il s’agit déjà de l’aboutissement de ce qui n’est ni plus ni moins qu’une fraude d’un point de vue politique — et plus encore la poursuite de la répression et la perpétration de crimes qui devraient être condamnés au niveau international.
Andrés Malamud
Le contexte dans lequel on arrive à ces élections peut en fait se subdiviser en quatre dimensions. Premièrement, un contexte social catastrophique. Deuxièmement, un contexte politique autoritaire. Troisièmement, le contexte juridique inexistant. Et quatrièmement, un contexte international que je résumerais ainsi : le Venezuela est une colonie cubaine.
Le contexte social est catastrophique et Paulina l’a très bien dit : il y a plus de migrants, de réfugiés et d’exilés qui viennent du Venezuela que de Syrie. Or il y a une guerre civile en Syrie, pas au Venezuela. Le Venezuela est l’un des deux pays d’Amérique latine qui connaît une dynamique démographique négative. L’autre est Haïti, mais peut-on honnêtement comparer le pays qui possède les plus grandes réserves de pétrole au monde à un petit État instable des Caraïbes ?
Bien que le niveau actuel de catastrophe du Venezuela ne soit pas comparable à l’effondrement économique sous le chavisme, les données de l’effondrement économique du Venezuela de Maduro sont plus importantes que celles de l’effondrement allemand après le nazisme. Dresde a été annihilée, mais l’Allemagne s’est moins effondrée économiquement que le Venezuela — c’est-à-dire un pays sans guerre et sans tremblements de terre, seulement le chavisme.
Pour ce pays, Maduro est une sorte de produit dérivé de Chávez. Ce dernier commence par une tentative de coup d’État et échoue. Il dit qu’il reviendra. Il revient et gagne les élections. On ne peut pas parler d’un système autoritaire fermé du vivant de Chávez : jusqu’en 2013, le Venezuela était une démocratie érodée — elle a peu à peu perdu de plus en plus de ses attributs.
Passons maintenant au contexte politique. On peut grossièrement diviser les régimes politiques en quatre grands groupes, le long d’un continuum allant de la démocratie totale à l’autoritarisme fermé. Entre les deux, on trouve la démocratie électorale, où certains droits sont violés par les choix déterminés du gouvernement, et l’autoritarisme compétitif, où de nombreux droits sont violés et où les élections ne sont ni justes ni libres. Il se peut que la majorité gouverne — mais même si elle ne gagne pas, elle gouverne quand même. Ce que nous voyons au Venezuela, c’est la transition d’un autoritarisme compétitif à un autoritarisme qui cesse de l’être car, bien qu’il convoque des élections, il les perd et ne reconnaît pas le résultat. C’est la même chose que de ne pas convoquer d’élections. Du point de vue de la fabrication électorale, le Venezuela a cessé d’être semblable à la Turquie et commence à ressembler à la Russie.
En ce qui concerne le contexte international, on ne peut pas comprendre le Venezuela sans comprendre Cuba. Pour deux raisons : premièrement, parce que le Venezuela suit la voie cubaine. Cette voie consiste à se fermer et à devenir davantage un État policier. Deuxièmement, cette fermeture et ce maintien de l’ordre découlent de Cuba : ce sont les Cubains qui ont fourni à Caracas la technologie et les instruments. Par instruments, j’entends les responsables de l’information, du renseignement, la garde prétorienne qui contrôle le président des grandes puissances, la formation très personnelle de Nicolás Maduro.
Mais c’est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît car Cuba ne peut à lui seul faire vivre un pays comme le Venezuela : il lui faut la Russie, la Chine, l’Iran et la Turquie. Le contexte dans lequel nous abordons les élections en détermine le résultat, à une exception près.
La seule chose que nous ne savions pas avant les élections, c’est que les classes populaires allaient tourner le dos à leur dirigeant — et de façon massive. Cela ne s’était jamais produit auparavant. Jusqu’à présent, nous avions un autoritarisme compétitif, car ce vote était encore en faveur de Maduro. C’est la surprise des hiérarques du régime, qui décident alors de suspendre le décompte. À partir de là, c’est Cuba — sans la sophistication de La Havane. Car c’est bien là qu’est le problème, le Venezuela, c’est la brutalité urbaine. Cuba avait au moins la mystique révolutionnaire et des personnes intelligentes au pouvoir. Ce n’est plus le cas au Venezuela. Les gens intelligents sont loin.
Martín Schapiro
Je voudrais apporter quelques nuances. Non pas parce que la situation catastrophique qu’Andrés et Paulina ont décrite serait fausse, mais elle nécessite quelques précisions.
Il est vrai que le Venezuela est le cas le plus frappant d’effondrement sans guerre en raison de la taille du pays, et le plus important en raison de l’importance du pays. Je n’ai aucun exemple d’un cas similaire dans l’histoire moderne. Mais dans ce contexte catastrophique, je pense qu’il est intéressant de voir comment le Venezuela est arrivé aux élections du 28 juillet dans un contexte de relance.
Après une catastrophe sociale, après avoir perdu les trois quarts de son économie, un tiers de sa population et les deux tiers de sa production pétrolière, je ne veux en aucun cas donner l’impression de relativiser. Mais je voudrais donner quelques chiffres sur la situation du Venezuela au cours des trois ou quatre dernières années qui ont suivi la pandémie.
C’est une économie qui a connu une croissance de plus de 4 % depuis 2022 et qui est passée de l’hyperinflation à une inflation très élevée. Elle a retrouvé sa production de pétrole et amélioré ses indices de sécurité. Le Venezuela avait les pires taux d’insécurité d’Amérique latine et, par conséquent, parmi les pires du monde.
Le pays avait trouvé des formes de normalisation économique qui n’étaient pas liées à la voie socialiste proclamée par le gouvernement : un régime de zones économiques spéciales, moins sophistiqué et plus intéressant que le modèle de ZES développé en Chine ; un régime très lié à la fonction publique et à la corruption de l’État. Il remontait la pente de la production dans le secteur pétrolier, où il a bénéficié d’un allègement des sanctions américaines, ce qui signifie qu’aujourd’hui le Venezuela passe de 700 à 820 ou 920 000 barils par jour, c’est-à-dire qu’il a récupéré une partie importante du niveau de production pétrolière auquel il était parvenu. Sur les 920 000 barils que l’OPEP dit produire, d’autres sources secondaires parlent de 820 000 — et malgré cela, 150 000 sont produits par Chevron.
Il s’agissait d’un processus de relative normalisation capitaliste avec la légalisation du dollar et sa participation aux marchés, ainsi qu’un répit relatif en termes d’échanges provenant de l’or et des exportations d’Amazonie. Ces dernières sont très nocives sur le plan environnemental, mais elles ont trouvé un marché en Turquie, aux Émirats arabes unis et en Iran pour échapper aux sanctions — étant donné que ces pays ne sont pas très exigeants en la matière, il a été possible de remplacer une partie de la production pétrolière perdue.
Parallèlement à cette normalisation, l’on a assisté à une récupération de l’indice de sécurité avec un certain degré de normalité dans la vie quotidienne, ce qui a permis de penser à une sortie des accords de la Barbade et à l’engagement de l’opposition dans la voie électorale. Il me semble que cela doit être lu dans le contexte d’un Venezuela qui s’améliore et dans lequel l’opportunité de croissance qui était apparue et qui avait été perçue avec le dollar — normalisation, pacification, investissements étrangers — nécessite une levée des sanctions beaucoup plus forte que celle que nous avons eue jusqu’à présent.
Mais il me semble également que cette normalisation a conduit le régime à penser qu’il pouvait bénéficier d’un soutien électoral qu’il n’a finalement pas eu. En réalité, le gouvernement n’avait été impliqué dans aucune élection vraiment importante au cours des dix dernières années. Ils avaient une perception déformée de la réalité. De nombreuses personnes proches du gouvernement vénézuélien avant les élections m’ont dit deux choses avec un certain scepticisme sur les possibilités électorales de l’opposition : la première est que les gens auraient été occupés à consommer et auraient été moins intéressés par un changement de régime que par une relance de la croissance. La deuxième est qu’avec l’abstention, le gouvernement aurait eu de bonnes chances d’être élu — tous les Vénézueliens étant partis de votant pas. Ces perceptions reflètent de fait la confiance aveugle qu’avait l’administration vénézuélienne.
Nous sommes face à un gouvernement qui, me semble-t-il, pendant des années, a eu une perception déformée de la croissance et d’un retour à un minimum de normalité, mais qui a oublié ou perdu de vue la dimension des dommages causés. Alors qu’au Venezuela, les gens ont voté, entre autres, en pensant à ceux qui n’étaient pas là : chaque Vénézuélien a un parent proche qui a sûrement quitté le pays.
Il me semble qu’il y a eu un conflit de perceptions qui a conduit à un processus électoral et à un gouvernement surpris par l’ampleur de la défaite.
Avec le gouvernement post-électoral de Maduro, y a-t-il une redéfinition de la carte régionale en termes de relations intergouvernementales ? S’agit-il d’un modèle qui peut être diffusé dans la région ?
Andrés Malamud
Avec Luis Schenoni, nous menons depuis un certain temps des recherches sur la pertinence géopolitique des régions. Ce qui en résulte c’est que l’Amérique latine devient moins pertinente qu’auparavant dans le temps et moins pertinente que d’autres dans l’espace. Nous suggérons même qu’elle est sur le point de devenir la région la moins pertinente du monde, et ce pour deux raisons.
La première est que nous ne générons pas d’opportunités de croissance. Même si nous nous en sortons très bien, les grands pays d’Amérique latine ont une croissance très faible, comme le Brésil, le Mexique — sans même parler de l’Argentine. Par conséquent, nous n’avons pas le potentiel pour devenir un moteur de la croissance mondiale comme l’Afrique. Car bien qu’il soit très improbable que l’Afrique devienne un moteur de la croissance mondiale, si elle se développait, elle aurait raisonnablement une chance d’en devenir un.
La deuxième raison pour laquelle l’Amérique latine n’est pas pertinente est que nous ne représentons pas une menace. Nous n’avons pas d’importance positive en raison de ce que nous pouvons offrir, ni d’importance négative en raison de ce que nous pouvons menacer. Autrefois, on pensait que les États-Unis avaient une relation relative avec l’Amérique latine, au sens de la relativité d’Einstein. La formule d’Einstein (e=mc2) décrivait ce qu’ils attendaient de nous : E représente l’énergie — principalement le pétrole, M pour migration et C équivaut à la cocaïne, au carré.
Les États-Unis sont autonomes et autosuffisants en pétrole. Bien sûr, ils s’intéressent au Venezuela surtout depuis l’invasion de l’Ukraine — d’où les 120 000 barils mentionnés par Martin. Mais aujourd’hui, faire ce qu’ils ont fait par le passé — enfiler des bottes et aller sur le terrain, comme ils l’ont fait quand ils sont allés avec Noriega au Panama pour financer ou accompagner la sortie de gouvernements — ne suffit plus. C’est ce qu’ils avaient fait, par exemple, au Chili avec Allende et Pinochet. Les États-Unis ne s’intéressent donc pas tant à l’Amérique latine parce qu’elle est autosuffisante en énergie ou autosuffisante en drogue. Ce qui les inquiète, c’est la migration. Et la migration vénézuélienne est un peu inférieure à d’autres qui les préoccupent davantage : Cuba, le Triangle du Nord, Sonora, le Guatemala, le Salvador et le Honduras. En termes comparatifs, nous ne sommes donc pas si importants.
Mais il y a des pays pour lesquels le Venezuela est essentiel. Tout d’abord, Cuba. Le Venezuela est beaucoup plus important pour Cuba que pour les États-Unis. Un autre pays pour lequel le Venezuela revêt une certaine importance est la Russie, qui lui envoie de temps à autre des bateaux. Des missions militaires russes visitent les Caraïbes et le Venezuela. Ensuite, l’Iran et la Turquie, tous deux pour des raisons différentes, trouvent des moyens de contourner les blocus. Et, bien sûr, la Chine, qui a une politique d’ouverture à tout ce qui est commercial et lui convient ; elle est toujours socio-économique et non géopolitique. Les revendications territoriales de la Chine portent sur ses propres territoires, ses banlieues, c’est-à-dire tout ce qu’elle considère comme lui appartenant — comme le Tibet, Hong Kong ou Taïwan. La Chine ne revendique pas de territoires qu’elle ne considère pas comme chinois. Elle n’est pas intéressée et n’a pas l’intention d’être comme les autres. Aux États-Unis, on pense que tout le monde veut être comme vous. En Chine, on pense que personne ne peut être comme vous.
Nous avons ici des pays pour lesquels le Venezuela est plus pertinent que les démocraties qui disent que le Venezuela est pertinent. Les deux pays de la région qui se positionnent pour résoudre la crise vénézuélienne en faveur de la démocratie sont le Brésil et la Colombie. Et ce, pour deux raisons. Premièrement, parce qu’ils souffrent directement de l’augmentation de la migration et des exilés. Deuxièmement, parce qu’ils ont des gouvernements de gauche qui ont des affinités avec Maduro. Ils ont donc l’oreille du dictateur pour lui parler et peut-être finir par le convaincre de faire des choses. Le problème, c’est que dans les deux cas le Venezuela n’est pas leur priorité première. La première priorité de Lula est qu’il n’y ait pas de guerre en Amérique du Sud dans laquelle il doive intervenir ; tandis que la première priorité de Petro est la paix totale, c’est-à-dire l’achèvement du processus de pacification. Pour éviter une guerre en Amérique du Sud, le Brésil doit écarter la Russie d’une part ; les États-Unis et la Grande-Bretagne, d’autre part. C’est ce qui pourrait se produire si le Venezuela envahissait la région de la Guyana, qu’il a expressément et explicitement revendiquée comme sienne lors d’un référendum il y a quelques mois. Pour Petro, la pire chose qui puisse arriver maintenant, c’est que toute la mafia, les narcotrafiquants et toutes les organisations criminelles transnationales qui se trouvent à la frontière s’emploient à empêcher l’instauration de la paix. Pour le Brésil et la Colombie, l’objectif fondamental du Venezuela est donc la stabilité — pas la démocratie.
La stabilité signifie le maintien du régime, car un changement de régime relève par définition de l’instabilité. S’il y a donc une transition négociée et que Maduro veut partir, tant mieux. Si Maduro ne veut pas partir, la stabilité passe avant la démocratie.
Comment peuvent être analysées les actions des organismes internationaux qui observent la séquence, ainsi que dans les définitions et les déclarations des pays de la région et au-delà ?
Paulina Astroza
Tout d’abord, il n’est donc ni rare, ni étonnant que le droit international ait des faiblesses face à certaines situations. Il est donc parfois plus facile d’expliquer par la politique internationale pourquoi le droit international n’est souvent pas respecté. De ce point de vue, il faut souligner un certain nombre de choses.
Premièrement, la Cour pénale internationale est en danger. De manière surprenante, le bureau du procureur a déclaré qu’il était compétent pour entendre l’affaire et a ouvert une enquête. Le Venezuela a fait appel devant la Cour pénale internationale, mais l’enquête se poursuit bel et bien. L’affaire de ces très graves violations des droits de l’Homme est donc surveillée par un organisme international. Mais une autre question est de savoir ce qui se passera si un jugement est rendu ou non, s’il y a un mandat d’arrêt international — comme c’est le cas pour Poutine.
Deuxièmement, du point de vue du droit international, il est évidemment impossible pour les organisations internationales d’aller au-delà de ce que leurs propres statuts leur permettent de faire. Beaucoup appellent même à un peu moins qu’une intervention militaire au Venezuela, mais cela n’est en aucun cas autorisé. Même si le Conseil de sécurité était alerté en ce sens — personne n’est plus intéressé par une intervention de ce type. Tout au plus a-t-on obtenu une résolution de l’OEA, sur laquelle de nombreux pays se sont abstenus, surtout les États d’Amérique centrale, même pour demander que le procès-verbal soit rendu officiel.
La question du pétrole est aussi très importante. Lors du second vote, les États-Unis ont manifestement exercé une pression, et cela a été très clair puisque la seconde résolution a été approuvée, que l’OEA a exprimé son soutien et qu’elle a exigé de voir les procès-verbaux. C’est là qu’intervient le rôle des États dans un scénario d’anarchie internationale. Nous avons déjà vu quels États se sont empressés de reconnaître le résultat. Il est très clair que le système international se divise entre les États dits occidentaux d’un côté ; et la Chine, la Russie, l’Iran et d’autres, de l’autre.
Je voudrais aussi attirer l’attention sur les reconnaissances qui ont été faites et sur certaines situations qui ont émergé. En ce qui concerne les accords de la Barbade, Lula avait mis beaucoup de jetons sur la table, en pariant que Maduro s’y conformerait ; les pays d’Amérique du Sud ont exigé que Lula joue son rôle et pèse de tout son poids en ce qui concerne le Venezuela. Je me souviens surtout de ce sommet informel entre 11 États à Brasilia, où on a vu poindre les premières tensions entre Boric et Lula. Le président brésilien a traité Boric de petit garçon et a prétendu qu’il manquait d’expérience. La vérité est que dans l’accord de la Barbade, l’on avait beaucoup misé sur le fait que le Venezuela organiserait vraiment des élections régulières, comme Maduro l’avait promis. Cela a conduit plusieurs États — y compris des États européens et le Chili — à renommer un ambassadeur au Venezuela.
Après les résultats, Maduro s’est bien sûr chargé de reproduire et de diffuser des milliers de fois les reconnaissances faites par la Russie, la Chine, l’Iran et d’autres.
D’autres ont tout de suite dit qu’ils ne croyaient pas aux résultats fournis par le Comité électoral national. L’un des premiers a été le président Gabriel Boric ; il est intéressant de noter que le président le plus à gauche que le Chili n’ait jamais connu est aussi l’un des dirigeants les plus durs dans ses déclarations contre « la réélection fabriquée » de Maduro, ce qui n’a pas laissé de provoquer des tensions avec les autres dirigeants de gauche de la région — à commencer par Lula, Gustavo Petro et AMLO.
Alors que beaucoup disaient que Boric était précisément de cette gauche qui soutenait Maduro, le président chilien a démontré — non sans difficulté — que c’était faux. Dans la coalition au pouvoir, le parti communiste soutient le régime de Maduro.
Au total, nous sommes confrontés assez particulière au plan du droit international.
Certains reconnaissent le résultat des élections, mais pas encore le gouvernement. D’autres reconnaissent le gouvernement. D’autres encore disent qu’ils attendent les résultats des procès-verbaux. Mais, à ce stade, quels sont les résultats ? L’élection a eu lieu depuis plus d’un mois, les procès-verbaux ont déjà pu être falsifiés. Le comité d’experts techniques des Nations unies ne reconnaît pas la validité de cette élection et déclare qu’il s’agit d’une fraude parce que le vote n’a pas été compté après le dépouillement et parce que les procès-verbaux n’ont pas été montrés. C’est ce qui ressort aussi du rapport de ces observateurs.
Cependant, un certain nombre d’États veulent éviter une répétition du scénario Guaidó. C’est-à-dire la reconnaissance d’un gouvernement qui n’a de fait aucun contrôle réel sur les pouvoirs de l’État. Or c’est ce qui pourrait se produire si Edmundo González était donné vainqueur : il ne tiendrait ni les forces armées, ni l’administration publique, ni la police, ni quoi que ce soit. Cela n’aiderait en rien.
La situation est donc extrêmement compliquée. Ce sont les pressions internes et externes qui pourraient apporter une solution à une transition négociée. Mais le conflit entre l’opposition et Maduro est absolument asymétrique ; les forces de l’opposition n’ont aucun moyen de rivaliser. Cela signifie plus de répression, plus de violations des droits de l’Homme, plus de pression migratoire, plus d’instabilité.
Quel rôle jouent les acteurs internes — opposition, forces armées — et externes — intérêts économiques multinationaux, puissances occidentales, Chine et Russie — dans le scénario post-électoral ? Comment se sont-ils positionnés dans le mois qui a suivi les élections et pourquoi ?
Martín Schapiro
Il y a quelques questions à se poser en termes de positionnement.
La première, et celle qui était sur toutes les lèvres le dimanche des élections, était de savoir ce qui se passerait au sein du gouvernement et des forces armées. On cherchait une nuance entre Diosdado Cabello, les secteurs les plus durs et ce que feraient les Forces armées — notamment le ministre de la Défense, Vladimir Padrino. C’est la deuxième fois que ceux qui veulent changer le régime au Venezuela placent leurs espoirs en Padrino — et c’est la deuxième fois qu’il les déçoit. L’armée s’est montrée solidement alignée sur le régime vénézuélien et surtout sur les personnalités qui les dirigent. C’est la première chose à noter au niveau interne.
La deuxième est une évolution intéressante : il y a une mobilisation dans ces mêmes secteurs populaires qui ont d’abord voté massivement contre le chavisme. Mais cette mobilisation se traduit bien moins intensément en termes de violence de rue — notamment si on la compare à d’autres cycles de mobilisation contre le gouvernement.
En ce sens, le Venezuela est un autoritarisme particulier, car il connaît une énorme mobilisation de l’opposition par cycle. Cela s’est produit en 2014 et 2018, avec la proclamation de Juan Guaidó et la reconnaissance d’un gouvernement parallèle qui avait une présence à l’intérieur du pays avec différentes instances. Cette fois-ci, il ne semble pas que la stratégie de l’opposition favorise une mobilisation massive dans les rues et il pourrait y avoir deux raisons à cela. La première serait de chercher à ne pas provoquer la répression du régime, qui est énorme ; il y a eu de nombreux exemples intimidants de la mesure dans laquelle ils étaient prêts à réprimer. La deuxième est que les membres de l’opposition misent sur le renforcement de la pression internationale de ces démocraties — bien que, comme l’a dit Andrés, elles n’ont peut-être pas la démocratisation comme priorité pour mobiliser tous les outils dont elles pourraient disposer.
Par ailleurs, l’échec de Donald Trump quand il était en fonction et son accord présumé avec une partie des forces armées pour déposer le gouvernement a donné à réfléchir aux États-Unis. Des pays comme le Brésil et la Colombie, ou même le Chili, qui a été beaucoup plus ferme dans ses déclarations, ont d’autres préoccupations. Lorsqu’il s’agit de prendre des mesures et des sanctions plus fortes, je pense qu’ils ont plus à perdre qu’à gagner. Je ne les vois donc pas prêts à accepter une stratégie qui n’est rien de plus qu’une pression diplomatique — réelle et significative et qui a pour but de délégitimer un gouvernement seulement soutenu par un résultat auquel personne ne croit. C’est une nouveauté dans le cas vénézuélien.
Nous sommes dans un moment d’incertitude. Ce manque d’enthousiasme de la part du parti au pouvoir, qui sait qu’il a perdu — mais avec un manque de fissures dans sa bureaucratie civile et militaire, une opposition qui n’a pas encore pris le risque d’une mobilisation totale, et une communauté internationale fébrile, tout cela crée une incertitude qui favorise le parti au pouvoir et sa tendance à l’autoritarisme.
La dernière chose qu’il me semble important de rappeler, c’est que les pays qui ont déjà reconnu le résultat électoral malgré les énormes doutes qu’il suscite sont les mêmes que ceux qui ont accompagné le Venezuela lorsqu’il était sous pression. Il est significatif aujourd’hui que le Brésil et la Colombie aient des présidents de gauche — mais le fait que le Brésil et la Colombie affrontent le gouvernement vénézuélien et tentent d’obtenir un changement de régime n’est pas nouveau. Si les États-Unis faisaient pression pour obtenir un changement de régime, ce ne serait pas non plus une nouveauté. Que le reste de la région — l’Argentine, le Chili, l’Uruguay — qui tentent d’obtenir un changement de régime, n’est pas non plus une nouveauté. Le Venezuela est déjà passé par là. Il a déjà fait face à la Commission interaméricaine des droits de l’homme, il a déjà fait face au Comité des droits de l’homme des Nations unies et il est toujours là. L’autoritarisme de Caracas n’a pas subi de fissures internes majeures.
Au-delà de l’incertitude sur les stratégies de chacun des acteurs, et à moins d’un changement au sein de la société, je ne vois pas de scénario dans lequel le parti au pouvoir pourrait être affaibli et quitter le gouvernement.
Dans quelle mesure pensez-vous que le gouvernement de Maduro sera viable dans les années à venir ?
Un scénario se dégage de plus en plus clairement. Dans un isolement toujours plus grand, la trajectoire du Venezuela pourrait commencer à ressembler à celle du Nicaragua. Avec une énorme différence : le poids relatif entre les deux pays. À Caracas, une fermeture totale entraînerait de nouvelles sanctions — et le rétablissement des anciennes.
Il est certain qu’une partie de la normalisation qui a suivi la reprise de Chevron et le retour de certains investissements va générer des problèmes.
Le Venezuela devra inévitablement se tourner vers des partenaires tels que la Chine et la Russie ; dans la région, Cuba fournit une certaine bureaucratie mais, en termes économiques, ne reçoit que 8 % des exportations pétrolières vénézuéliennes. Il reste à voir comment une économie comme celle du Venezuela — avec un gouvernement qui est prêt à renforcer fortement la répression — pourrait être renormalisée.
Quant à l’avenir de Maduro, je ne pense pas qu’il se rende compte que le calcul coût-bénéfice ne fait que s’aggraver avec le temps. Il n’y aura pas de meilleur moment que celui qu’il a eu en juillet pour négocier, pour avoir une sortie éventuelle du pouvoir qui lui permette de rester au Venezuela ou même d’aller dans un exil toléré, permettant aux forces armées de conserver une partie du pouvoir. Au fur et à mesure que le temps passe et dans l’alignement politique actuel, il y aura soit plus d’autoritarisme, soit une chute — soit une déposition violente.
Paulina Astroza
Je ne serais pas beaucoup plus optimiste que Martín. Je suis d’accord avec lui et j’ajouterai un fait : la Chine a intérêt à être remboursée. La Chine a prêté beaucoup d’argent au Venezuela et a également soutenu Maduro précisément parce qu’elle voulait que le crédit porte ses fruits à un moment donné. Dans le cas de la Russie, il est également bien connu qu’il y a eu des chars russes dans le pays et même que le groupe Wagner a été présent. En fin de compte, le Venezuela se trouve au cœur de l’affrontement des grandes puissances. Ce que l’Iran lui a permis de faire, c’est de contourner les sanctions d’une manière ou d’une autre. La levée des sanctions n’est pas le fruit du hasard : les États-Unis ont envoyé une mission pour négocier lorsque la guerre en Ukraine a commencé parce qu’ils avaient besoin de pétrole — pour l’Europe.
Quant à la sortie, elle aurait pu être négociée pour qu’il parte. Poutine l’avait invité à se rendre à Moscou et il y avait eu des spéculations à l’époque sur le fait qu’il allait partir sans billet de retour. Mais je ne pense pas que ce soit ce que Maduro recherche. La probabilité qu’il reste en vie au Venezuela en quittant le pouvoir est très faible. Il ne veut pas quitter le pouvoir, il ne lui reste donc qu’un scénario assez sombre avec des pressions internationales, le gel des avoirs et l’isolement d’un État paria — mais avec l’aide des usual suspects.
Andrés Malamud
En février 2014, j’ai assisté à un événement à Georgetown, où deux auteurs ont présenté leurs travaux analysant les perspectives de protestations sociales en fonction du type d’autocratie. Ils définissaient très simplement deux types d’autocratie : celles qui disposent de ressources naturelles et celles qui n’en disposent pas. Selon cette étude, les autocraties disposant de pétrole sont efficaces pour réprimer les manifestations, les autres ne le sont pas. Au moment de l’étude en question, nous parlions de la première fraude de Maduro en 2013 et du Maïdan en Ukraine ; le gouvernement ukrainien tombe, mais pas le gouvernement vénézuélien. On peut sans doute prédire la même chose à cette occasion. Il n’y a aucune raison pour qu’une autocratie fondée sur le pétrole tombe face à la protestation sociale.
Mon deuxième point est qu’une autocratie fermée ne peut tomber que dans deux cas : par des fissures internes ou externes. Dans le premier cas, les cadres moyens désobéissent aux hiérarchies militaires supérieures. Or jusqu’à présent, nous ne disposons d’aucune donnée permettant d’anticiper une fissure dans l’ordre hiérarchique moyen. La fissure externe pourrait se produire avec la Chine, mais là encore, le risque semble limité. La Chine joue sur le long terme ; elle ne va pas laisser gratuitement le Venezuela aux mains de l’Occident.
Troisième point : la communauté internationale n’existe pas. Oui, le Venezuela va être de plus en plus isolé — mais isolé des démocraties occidentales. Caracas est d’ores et déjà une colonie cubaine ; elle va maintenant devenir de plus en plus une colonie de Moscou — voire de Pékin et de Téhéran. Elle sera donc très à l’écart des démocraties — mais très intégrée aux autocraties.
Le Venezuela est un régime stable qui exporte l’instabilité de diverses manières — avec les migrants par exemple. Ce que le Brésil essaie de faire avec Lula, c’est de se soumettre à la stabilité interne du Venezuela pour essayer de canaliser son instabilité externe. Ce qu’il demande au Venezuela, c’est de ne pas traverser l’Amazone pour envahir le Guyana ou encore de ne pas créer de problèmes qui amèneraient la Russie ou les États-Unis à sa frontière.
Enfin, la semaine dernière, Margarita López et Sérgio Fausto ont souligné que l’expérience vénézuélienne risquait de produire une contamination : les dictateurs en puissance en Amérique latine — en particulier en Amérique centrale — regardent Maduro comme un modèle. C’est un autre problème : le Venezuela, par cette forme particulière de stabilité, pourrait devenir un exemple pour des pays où personne ne se soucie de savoir s’il y a une démocratie ou non.