Vous avez choisi de parler de Saint-Rémy de Provence, un lieu assez proche de votre lieu de naissance — Monaco. Pouvez-vous nous expliquer ce choix et les liens qui vous unissent ?

J’ai choisi Saint-Rémy parce que c’est avant tout un endroit qui m’est très cher. J’y ai vécu pendant dix ans avec mes frères et ma mère et c’est resté une destination de vacances est de week-end. C’est un endroit qui a beaucoup compté dans mon enfance. Même si, effectivement, il n’est pas très loin de Monaco, du point de vue de la distance, et dans ma géographie intime, Saint-Rémy représente une autre perspective et un autre ancrage qui ont été déterminants dans la personne que je suis aujourd’hui. 

Comment le lointain s’introduit-il dans Saint-Rémy — notamment par rapport à Monaco ?

D’abord, et cela va sans dire, il y a un certain nombre de choses qui rapproche ces deux endroits. Il y a des racines communes, une culture latine, une langue — entre le provençal et l’italien, des paysages, dans la végétation, dans les villages où la mer et l’arrière pays finissent par se toucher quelque part.

Mais les différences sont tout aussi nombreuses, en termes de sensations notamment. C’est, bien sûr, très personnel mais, pour moi, il s’agit de deux endroits très différents. Saint-Rémy est, à mes yeux, un endroit bien moins exposé que Monaco qui est beaucoup plus connoté. À l’inverse, je trouve que ce qui est tout à fait unique en Provence, dans ce coin là où j’ai grandi en particulier, c’est vraiment cette lumière très particulière propre à cet endroit et qu’on ne trouve, je crois, nulle part ailleurs. Ce n’est pas pour rien que des grands peintres ont cherché cette lumière de manière assez obsessionnelle. 

La Provence, c’est la lumière d’un endroit, c’est la manière dont elle se pose sur les choses et ce monde qu’elle ouvre d’un coup avec ses couleurs et ses odeurs. On sait combien les odeurs y sont aussi très spécifiques. Et c’est notamment en cela que Saint-Rémy et Monaco ne sont pas du tout les mêmes territoires. 

Quel est votre endroit préféré à Saint-Rémy ? Y avez-vous une promenade idéale que vous pourriez nous raconter ?

Je pense à un endroit qui a occupé une place très importante dans mon enfance. Quand on sort du village, il y a le célèbre et très beau monastère Saint-Paul, connu pour l’asile qui a accueilli — et inspiré — Van Gogh. Le musée Van Gogh se trouve d’ailleurs au premier étage du cloître, où l’on peut visiter la fameuse chambre du peintre. 

Mais le cloître est plutôt un point de départ. C’est à partir de là que l’on peut partir se promener dans les Alpilles, dans cette partie de la Provence qui m’a toujours éblouie. J’associe ce coin-là très naturellement à des romans, à Pagnol notamment, au fait de partir dans les collines, de s’en aller dans cet espace sauvage en quittant le village. Pour moi, ce chemin a toujours été lié à un sentiment de liberté ; tout autour du cloître, c’est un endroit extrêmement apaisant auquel je suis très attachée. 

La Provence, c’est la lumière d’un endroit, c’est la manière dont elle se pose sur les choses et ce monde qu’elle ouvre d’un coup avec ses couleurs et ses odeurs.

Charlotte Casiraghi

Il faut dire qu’il y autre chose qui me plaît beaucoup : on y trouve aussi beaucoup de ruines antiques. Cela ajoute indéniablement à mes yeux une autre dimension. C’est difficile de ne pas être ému quand on se promène dans ce coin-là. Que ce soit d’ailleurs à pied ou à cheval. J’ai monté à cheval dans un centre équestre qui était dans le village et on partait souvent se promener autour de ces endroits, en suivant ces petits chemins qui allaient vers les Alpilles. Je garde précieusement en mémoire ces mercredis après-midis où je partais avec mon poney. Les sensations étaient différentes, mais le souvenir plein de joie est le même. 

La Provence est une région vaste et diverse, qui va des Alpilles aux Alpes en passant par des zones plus arides, d’autres plus vertes, par des plateaux. Pouvez-vous nous guider dans votre géographie intime de la Provence ?

Je n’ai pas — pas encore, du moins — exploré toute cette géographie de la Provence qui est effectivement très vaste et variée. Je suis notamment moins familière des zones montagneuses qui sont peut-être plus minérales, avec des espaces infinis — moins centrés autour d’un village. La partie de la Provence que j’aime tout particulièrement s’étend de Saint Rémy à Arles, jusqu’à la mer. Je suis vraiment très liée à ce coin. 

Dans un entretien Grand Tour l’année dernière avec le physicien Carlo Rovelli, il nous disait que pour lui, « la Provence est un nom qui évoque les troubadours, les champs de lavande et les petites boutiques pour touristes. » Qu’est-ce que ce nom évoque pour vous ? 

Je vois très bien ce que Rovelli veut dire, on pense immédiatement aux petites boutiques avec les sachets de lavande, des savons et les beaux volets peints en bleu. La Provence, c’est des images qui font rêver. Le cliché n’est d’ailleurs jamais très loin avec les troubadours et, de manière plus générale, le folklore provençal. Il y a, en tout cas, toute une culture en Provence, avec ses traditions comme les lâchers de taureaux que l’on retrouve dans des moments festifs en Provence — et qui lui sont très spécifiques.

À l’évocation de ce nom, je pense aussi à la transhumance. On habitait sur un plateau où se trouvaient beaucoup de bergeries ; je revois encore tous ces troupeaux de moutons autour de la maison que l’on croisait dès qu’on allait se promener. Cela résonne encore et me manque beaucoup. Cela me touche car nous sommes en plein dans les sensations de l’enfant. Ce sont des souvenirs qui sont profondément ancrés dans ma sensibilité et dans un sentiment de quiétude et de douceur qui correspond à cette période durant laquelle j’ai vécu là-bas — et qui ne me quitte pas. Ce sont des réminiscences tout à fait fugitives d’odeurs, de couleurs, d’une atmosphère particulière. 

La Fête de la Transhumance de Saint-Rémy-de-Provence, juin 2022. © Patrick Siccoli/SIPA

Y a-t-il quelque chose qui incarne pour vous, ou représente le mieux, la Provence ? Un objet, une couleur, une odeur, un plat, un paysage, un souvenir — ou tout à la fois ? 

C’est difficile parce que c’est une mémoire que j’ai parfois du mal à saisir, lointaine et, en même temps, toujours très vivante. Tout se mélange, c’est un tout. Mais s’il fallait trancher dans ces synesthésies, je choisirais les Alpilles. C’est peut-être ma madeleine de Proust spatiale, où on trouve une lumière particulière, une charge émotive car c’est un territoire qui n’a pas changé, qui est préservé, assez sauvage. Si vous me transportez là maintenant dans les Alpilles, au milieu de ces chemins, entre les magnifiques pins parasols qui sont très spécifiques à la Provence, je serai certainement très heureuse. 

Saint-Rémy a eu ce rôle-là, de refuge, pour moi. Je m’y suis sentie très protégée. 

Charlotte Casiraghi

J’ajouterais aussi le mistral, si caractéristique de cet endroit ; rien ne vaut cette sensation du vent très fort qui souffle, qui traverse un ciel très bleu et qui vient frapper les volets contre les murs des maisons. Ce vent m’a toujours fascinée, ce vent qui peut vous épuiser — vous rendre fou, même.

Il y a, enfin, le bruit — ou plutôt la musique, celle des cigales. Leur apparition, en général fin juin, était toujours associée à la fin de l’école. Pour moi, ce bruit est non seulement synonyme de début de l’été, il est plus précisément lié au moment de départ en vacances. On se réfugie alors dans le mas, dans la fraîcheur de la pierre et on entend les cigales dehors. Avec l’arrivée de la chaleur naît ce contraste avec l’intérieur très frais des maisons. Voilà une autre sensation dont je pourrais parler ; cette odeur de pierre fraîche — et toujours le chant des cigales dehors. 

C’est intéressant car vous dites que les cigales représentaient pour vous le signal de départ au début de l’été alors que l’on a peut-être plus l’habitude de l’associer, au contraire, à l’arrivée dans le lieu de vacances.

Effectivement, dans mon cas c’est l’inverse car j’habitais à Saint-Rémy tout au long de l’année. C’était mon lieu de résidence et non de vacances. Il s’agissait donc plutôt dans mon esprit de quitter cet endroit avec toute l’excitation propre à cette période pour un enfant. Ces sensations restent associées aux vacances, mais plutôt à leurs prémices, l’annonce de vacances ailleurs. C’était une sorte de chant du départ. 

Mais d’un faux départ, du moins dans la mesure qu’il impliquait nécessairement un retour à la fin de l’été.

Oui, cela ajoutait une sorte de plaisir à ce moment. Ce n’était pas une vraie rupture. C’est différent lorsque nous savons que nous serons de retour. On partait pour mieux revenir. Et ce cadre adoucissait aussi d’ailleurs le retour, la fameuse fin des vacances d’été qui peut être assez mélancolique. Mais c’était une mélancolie plus agréable au rythme des éternelles cigales. 

J’ai l’impression que je n’ai jamais vraiment quitté Saint-Rémy. Tout ce dont on parle reste très fort. Et paradoxalement, aujourd’hui c’est devenu pour ma famille et moi un lieu de vacances. Mais un lieu de vacances forcément particulier, plein de souvenirs et qui me procure un sentiment d’apaisement chaque fois que j’y reviens. Saint-Rémy a eu ce rôle-là, de refuge, pour moi. Je m’y suis sentie très protégée. 

Quand on parle de la Provence, on pense assez rapidement à Van Gogh que vous avez mentionné tout à l’heure. Quel est votre rapport à son œuvre ? Y a-t-il un tableau en particulier qui attire votre attention ? 

C’est difficile de choisir un seul tableau. Je dirais que c’est toute son œuvre qui m’est chère. C’est particulier de voir représentés dans un tableau des paysages que l’on connaît par cœur — d’autant plus quand il s’agit des paysages de l’enfance. On y est d’emblée affectivement très attachés. Je dirais qu’il y a un rapport plus intime qui se crée avec l’œuvre.

Bien que ce ne soit pas très original, il serait difficile de ne pas évoquer un des tableaux les plus célèbres de Van Gogh, La nuit étoilée. Là aussi j’ai un lien très personnel : il a été peint non loin de chez moi. À chaque fois que je l’admire, ce tableau me transporte vers les paysages de mon enfance, ses nuits, ses cieux, ses étoiles. 

D’ailleurs, comme la région est très liée à Van Gogh, il était même très présent à l’école, au cours de notre scolarité. On faisait notamment des reproductions de tournesol à la manière de Van Gogh. Je m’en souviens très bien, on passait pas mal de temps à essayer de reproduire ses tableaux. Cela me plaisait beaucoup. D’ailleurs, il y a quelques jours, je suis retournée dans notre maison à Saint-Rémy et j’ai retrouvé des aquarelles et des dessins qu’on nous demandait de faire — en imitant bien modestement Van Gogh. Je ne vous cache pas que le résultat final est un peu ridicule mais c’était très ludique. Et c’était drôle de les revoir par hasard. 

J’aimerais aussi citer évidemment La Chambre à coucher qui peut donner l’impression d’une grande simplicité tout en étant extrêmement émouvant. Cette chambre nous dit tellement de choses, avec notamment toute la question de de la prise en charge de la folie à l’époque. 

Vos aquarelles d’enfance vous ont-elles donné envie d’essayer de représenter ces paysages plus tard, de les peindre de nouveau ou de les décrire ? 

Ces paysages me donnent surtout envie de les regarder. Je m’en tiens très volontiers au stade de la contemplation. Étrangement, j’éprouve quelques difficultés à parler de ces paysages, à trouver les mots ou avoir envie de les raconter. C’est un endroit que j’ai quitté vers l’âge de quatorze ans quand on a déménagé, et cela a été une déchirure. C’était cette fois un départ pour de bon… 

Il peut y avoir une forme parfois de nostalgie un peu douloureuse par rapport à cet endroit. Cet ancrage affectif peut entraîner une difficulté à le mettre à distance. En réalité, il peut même m’être difficile de m’installer dans une position de pure contemplation. L’introspection n’est jamais très loin : quand je regarde ces paysages, je vois des souvenirs. Je revois mon enfance en étant un peu déchirée par une forme de nostalgie. 

Il serait difficile de ne pas évoquer un des tableaux les plus célèbres de Van Gogh, La nuit étoilée, auquel j’ai un lien très personnel ; il a été peint non loin de chez moi.

Charlotte Casiraghi

Il y a une très belle entrée « Nostalgie » dans le livre que vous avez co-écrit Archipel des passions où vous écrivez : « L’imagination nous permet de retourner dans le passé et de nous transposer dans un moment éloigné mais pourtant bien réel. Ne serait-elle qu’une vaine consolation ? Celle de se remémorer une jeunesse perdue, ou une terre natale que l’on ne retrouvera jamais telle qu’on l’a connue ? » Sentez-vous qu’il y a quelque chose dans Saint-Rémy que vous ne retrouvez plus ? Avez-vous vu l’endroit changer au cours des années ? 

Oui, absolument. C’est d’ailleurs pour cela qu’un mélange se produit dans la nostalgie de Saint-Rémy ; elle est à la fois douce et amère. Le retour en arrière implique toujours une forme de jouissance. On trouve du plaisir à séjourner dans le passé en se reconnectant avec certaines sensations, celles de l’enfance dans mon cas. Mais on trouve aussi en même temps une espèce d’amertume précisément du fait qu’on ne parviendra jamais à retourner et retrouver le moment en question. 

Naturellement, quand on se promène à Saint-Rémy on voit les effets du temps, de l’usure, les transformations urbaines. Les choses ont beaucoup changé en trente ans, de telle sorte qu’il est impossible de retrouver ce que garde précieusement ma mémoire. Dans mes souvenirs, tout est plus sauvage. Il ne faut pas oublier aussi que les yeux de l’enfant voient différemment, les cassures temporelles varient, les dimensions ne sont pas les mêmes, la manière dont on perçoit les espaces, tout paraît plus grand, parfois plus menaçant, souvent plus beau — bien que dans ce dernier cas ce soit peut-être plus l’oeuvre des yeux de la mémoire, comme dirait Proust. 

Avez-vous un café ou une librairie à Saint-Rémy où vous aimez encore vous rendre ? 

J’ai un endroit qui est très important à mes yeux. Pour les gens qui ont vécu en Province, c’est assez significatif. C’est la Maison de la presse ; une librairie particulière où on peut donc trouver des livres, des magazines mais aussi des bonbons. J’y allais tout le temps après l’école le mercredi.

Étrangement, j’éprouve quelques difficultés à parler de ces paysages, à trouver les mots ou avoir envie de les raconter. 

Charlotte Casiraghi

Ce genre d’endroit est un peu le cœur battant de la ville. Fin août, on y croise un peu tout le monde, les gens vous reconnaissent et vous saluent. Ce sont toujours les mêmes personnes qui tiennent encore aujourd’hui la maison de la presse. C’est aussi un des éléments qui fait le charme de cet endroit qui, d’une certaine façon, ne bouge pas. Quand je retourne à Saint-Rémy, je vais toujours à la Maison de la presse. Pour le coup, j’ai vraiment l’impression d’y retrouver quelque chose de mon enfance et de mon rapport au livre.

Y a-t-il un écrivain ou un livre que vous associez à la Provence — pour quelque raison que ce soit ? Quelle est votre bibliothèque provençale idéale d’auteurs qui en viennent, qui en parlent ou simplement que vous aimez lire là-bas ?

Pagnol m’a profondément marquée. Son œuvre a façonné mon imaginaire et influencé mon rapport à la Provence. C’est un écrivain qui est très important pour moi. Manon des Sources et Jean de Florette sont deux livres qui m’ont particulièrement bouleversée. Ils comptent beaucoup dans ma bibliothèque. Et je dois dire que les films sont magnifiques aussi, notamment La gloire de mon père et Le château de ma mère. Lorsque je les regarde de nouveau j’ai l’impression de revoir et de revivre mon enfance, la relation à la famille, un lieu dans lequel on se sent protégé, le fait d’y grandir — avec un peu de mélancolie et de chagrin. À chaque fois, je pleure. 

J’ai relu récemment certains textes de Giono sur la Provence qui sont absolument extraordinaires. On y retrouve toutes les images sanctifiées de la Provence mais il introduit surtout un rapport complètement différent avec les paysages, avec l’ambiance et les éléments — avec la chaleur notamment, où il est question de la violence du soleil. Nous parlions tout à l’heure du mistral ; dans ce cas c’est le soleil qui peut aussi rendre fou. J’ai remarqué une différence dans le rapport au soleil entre les gens qui vivent en Provence et ceux qui y viennent passer quelques jours en vacances. Ces derniers en général cherchent le soleil à tout prix, ils s’y exposent volontiers ; les premiers quant à eux le fuient d’une certaine façon. 

Nous avons parlé de Van Gogh, on associe aussi la Provence à Cézanne. Avez-vous une préférence entre les deux ? 

Ces deux peintres ont peint en Provence et ses paysages, mais pour moi, ils représentent respectivement deux mondes complètement différents. Du côté de Cézanne on trouve La montagne Sainte-Victoire et Aix-en-Provence — ce qui est un tout autre rapport à la Provence que celui que j’entretiens. Plus architectonique, cérébral, un regard de peintre qui décompose et reconstruit. Je suis vraiment beaucoup plus sensible à Van Gogh qui rend des sensations où je retrouve mes propres affects, liés à la nuit, à la lumière, aux vibrations de la matière et même des sons. Certes, Aix n’est pas si loin de Saint-Rémy, mais ce sont, à mes yeux, deux côtés différents de la Provence. 

Les choses ont beaucoup changé en trente ans, de telle sorte qu’il est impossible de retrouver ce que garde précieusement ma mémoire. Dans mes souvenirs, tout est plus sauvage.

Charlotte Casiraghi

En quoi les lieux, et la Provence en particulier dans votre cas, influencent-ils l’orientation de la pensée et le travail philosophique, selon vous ?

C’est une question très importante. J’ai été au primaire et j’ai fait une grande partie de mon collège dans un établissement public où il y avait une grande mixité sociale et culturelle. La diversité qu’on y trouvait était notamment dûe au nombre d’étrangers qui venaient s’installer en Provence, des Hollandais, des Belges, les communautés des gens du voyage sédentarisés, la deuxième génération des gens venus du sud de la Méditerranée. J’ai donc eu l’opportunité de pouvoir aller dans une école assez mixte, où se produisaient ce mélange des cultures et des nationalités, ces différents rapports à la France. Cela a été crucial pour moi. Si j’étais allée en pension en Suisse ou en Angleterre, dans un cadre plus uniforme et plus à l’image de mon milieu d’origine, je ne serais pas la même personne.

Je crois que cela m’a beaucoup façonnée dans la mesure où, au départ, mon arrivée à Saint-Rémy a pu être quelque peu rude. Forcément à cet âge, les changements de la sorte ne sont pas toujours simples. On cherche une forme d’hospitalité mais il faut avant tout réussir à s’adapter pour être accepté. Quand on y arrive, c’est bien plus simple plus tard et je l’ai expérimenté lors des déménagements et des rencontres qui sont venus par la suite. J’ai toujours réussi à m’adapter assez naturellement. Il y a chez moi une certaine plasticité. 

Vous êtes encore en contact avec des personnes de votre enfance à Saint-Rémy ?

J’ai gardé quelques liens bien sûr. Je croise parfois, à la fameuse Maison de la presse par exemple, des gens avec qui j’étais à l’école. Mais la plupart est partie faire ses études et vivre ailleurs. Qu’on habite ou pas au même endroit de notre enfance, je crois qu’on perd de vue de toute façon un grand nombre de nos camarades de classe. En revanche, il y a notamment une personne qui compte beaucoup. Elle ne vivait pas à Saint-Rémy mais à Arles, sa mère était ma professeure de piano, on est devenues meilleures amies et on l’est toujours aujourd’hui. 

Rilke, qui est un auteur que vous appréciez, a voyagé en Provence, région qu’il appréciait beaucoup et à laquelle il aimait se référer dans les voyages qu’il a pu faire plus tard. Il tombe par exemple sous le charme du Valais et explique que c’est parce qu’il y retrouve « un peu de Provence et un peu d’Espagne ». Dans votre cas, y a-t-il un autre endroit — en France ou ailleurs — où vous trouvez, vous aussi, « un peu de Provence » ? 

Je crois que la Toscane est un endroit où on peut retrouver un peu de Provence. Du moins, c’est celle qui s’en rapproche le plus, dans les couleurs notamment. On pourrait peut-être ajouter certaines régions espagnoles — que je connais moins mais que j’aime beaucoup.

Pagnol m’a profondément marquée. Son œuvre a façonné mon imaginaire et influencé mon rapport à la Provence.

Charlotte Casiraghi

Mais je suis allée récemment à Séville et à la fois la culture, les traditions, la musique, le soleil, les taureaux, les couleurs m’ont rappelé la Provence. Il est vrai d’ailleurs que dans les moments festifs en Provence on est très proche de l’Espagne avec les férias. Je repense à ce très beau rouge, un peu vernis, que l’on trouve dans les bars, dans les arènes. Mais je connais moins l’Espagne ; c’est un pays que j’ai découvert surtout à travers la littérature, avec ses grands romanciers et poètes.