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Points clefs
  • Contrairement à ce qu’indique le ministère de l’Intérieur, on décompte en tout 69 candidats et candidates LR-RN, soit davantage que les 64 candidats étiquetés « Union de l’extrême droite » par Beauvau.
  • On comptabilise en tout 11 femmes soit 16 %, un chiffre qui pourrait priver le microparti de la première tranche de financement public.
  • Seules deux circonscriptions ne comptent ni candidat LR-RN, ni candidat RN : celle de Nicolas Dupont-Aignan et celle de Meyer Habib.
  • La stratégie Ciotti semble un échec : parmi les 60 autres députés sortants de son groupe parlementaire, il n’est parvenu à convaincre que sa voisine des Alpes-Maritimes Christelle d’Intorni.
  • Les LR-RN ont en grande majorité été investis dans des circonscriptions tenues par la majorité sortante. Une grande partie se situe dans d’anciens bastions de la droite que le RN peut difficilement espérer récupérer de lui-même  ; d’autres zones de force de la droite sont en revanche ignorées, notamment les zones très rurales du sud du Massif Central, ce qui peut s’expliquer par une difficulté à trouver des candidats locaux ou volontaires pour y être parachutés.
  • En tout, on pourrait comptabiliser une grosse dizaine de députés LR-RN, sans doute pas assez pour faire un groupe et qui serait de toute façon très marginal par rapport au spectaculaire progrès en termes de sièges de députés qui attend a priori le RN.

1 — Le Rassemblement National a concédé en tout 69 circonscriptions à Eric Ciotti

Après une vérification exclusive des candidatures soutenues par le RN et ayant officiellement bénéficié du soutien du président des Républicains Éric Ciotti, entrant donc dans le quota accordé à cette « union nationale » fortement déséquilibrée, nous avons établi une liste de 69 candidats et candidates LR-RN, soit davantage que les 64 candidats étiquetés « Union de l’extrême droite » par le ministère de l’Intérieur1. Parmi eux, 11 femmes soit 16 %, un chiffre qui, si tous ces candidats étaient rattachés financièrement au microparti « À droite  ! Les amis d’Éric Ciotti », priverait ce dernier de l’intégralité de la première tranche de financement public en raison des pénalités liées au manquement à la parité.

Si l’on excepte les outremers où les candidatures peuvent être difficiles à susciter et où les affiliations ne se font pas nécessairement en fonction des partis nationaux (particulièrement dans les collectivités d’outre-mer), seules deux circonscriptions ne comptent ni candidat LR-RN, ni candidat RN  : celle de Nicolas Dupont-Aignan (8ème circonscription de l’Essonne), qui a, semblerait-il, bénéficié à titre individuel d’une certaine mansuétude d’Éric Ciotti et de Jordan Bardella sans toutefois s’allier à eux  ; celle de Meyer Habib (8ème circonscription des Français établis hors de France), sans que l’on sache si cela marque un soutien officieux ou une incapacité de trouver un candidat de substitution après que celui-ci ait été officiellement investi par les LR loyalistes.

2 — L’échec de la stratégie Ciotti ? Des LR-RN souvent bien peu LR

Il est peu dire que la manœuvre initiée par Éric Ciotti lors du journal de 13h de TF1 le mardi 11 juin n’a pas porté tous les fruits espérés. Parmi les 60 autres députés sortants de son groupe parlementaire, il n’est parvenu à convaincre que sa voisine des Alpes-Maritimes, Christelle d’Intorni. Il ne fut suivi par aucun autre ténor du parti, même par ceux qu’ils semblaient espérer convaincre comme François-Xavier Bellamy, étant avant tout secondé par le président des Jeunes Républicains Guilhem Carayon et une poignée de ses amis. La commission d’investiture des Républicains, pourtant confiée à une très proche, Michèle Tabarot, a ainsi décidé d’investir officiellement plus de 300 candidats auxquels est réservée l’utilisation du logo des Républicains, de nombreux cadres locaux s’étant par ailleurs élevés pour dénoncer la confusion engendrée par la présence de candidats désignés par Éric Ciotti dans leur département.

Si celui qui demeure pendant au moins encore quelques jours président du parti a réussi à embarquer avec lui suffisamment de candidats pour ne pas donner l’impression d’avoir mené une aventure solitaire, la proximité de ceux-ci avec Les Républicains laisse parfois songeur, quand ils ne ressemblent pas à des candidats RN ou Reconquête  ! déguisés. 

Certains sont en tout cas des vagabonds partisans, à l’instar de Gilles Bourdouleix et de Charles Prats, auparavant passés par l’UDI, de Typhanie Degois, qui fut députée macroniste avant de parrainer Marine Le Pen en 2022, de Sébastien Meurant, ayant quitté LR pour Reconquête  ! en 2021, de Thierry Coudert, sarkozyste de gauche passé par le Parti radical, de Babette de Rozières, conseillère municipale d’Île-de-France s’étant éloignée de Valérie Pécresse pour demander sans succès l’investiture macroniste en 2022, ou de Nicolas Conquer, trumpiste passé à la fois par le RN et Reconquête  !

3 — Des revanchards et des parachutés

On trouve parmi les investis LR-RN un certain nombre de candidats ayant respecté leur implantation locale, faisant notamment campagne dans une circonscription où ils ont déjà candidaté  : c’est le cas évidemment des sortants Éric Ciotti et Christelle d’Intorni, dans les 1ère et 5e circonscription des Alpes-Maritimes, mais aussi de Sébastien Meurant, ancien sénateur LR du Val-d’Oise et candidat de la 4e circonscription, de Brigitte Barèges, ancienne députée UMP de la 1ère du Tarn-et-Garonne et maire de Montauban, de Guilhem Carayon, président des Jeunes LR et fils de l’ancien député UMP de la 4e du Tarn, de Gilles Bourdouleix, maire de Cholet et ancien député LR de la 5e du Maine-et-Loire, de Jacques Myard, maire de Maisons-Laffitte parti prendre sa revanche contre Yaël Braun-Pivet dans la 5e des Yvelines, de l’ancienne députée LREM de la 1ère de la Savoie Typhanie Degois, et de l’ancien magistrat Charles Prats, déjà candidat dans la 6e de la Haute-Savoie en 2022, mais sous étiquette UDI.

Toutefois on trouve également de nombreux parachutés. Si certains n’ont pas eu à faire beaucoup de chemin, à l’image du leader des Jeunes LR du 17e arrondissement de Paris, candidat dans la 1ère de Seine-et-Marne ou l’entrepreneur Sébastien Laye, qui assume d’avoir « choisi » la circonscription de Gabriel Attal, la 10e des Hauts-de-Seine, d’autres ont dû prendre une chambre d’hôtel pour faire campagne, comme l’ancien porte-parole du Parti Républicain américain Nicolas Conquer, parachuté dans la 4e de la Manche, le jeune LR de Vénissieux Quentin Taïeb, envoyé dans la 5e de la Haute-Savoie, ou Louis-Joseph Pécher, ex-Louis-Joseph Gannat, issu d’une famille phare de l’extrême droite angevine et envoyé en Meurthe-et-Moselle.

4 — Contre qui se présentent-ils ? Plutôt la macronie que la NUPES

Les LR-RN ont en grande majorité été investis dans des circonscriptions tenues par la majorité sortante, avec 72 % des adversaires sortants issus d’Ensemble, dont 51 % pour les seuls Renaissance, alors qu’ils ne représentent respectivement que 51 % et 35 % des députés de la XVIe législature, en excluant les sortants soutenus par le RN — les 89 députés RN, Éric Ciotti, Christelle d’Intorni et Nicolas Dupont-Aignan. Par conséquent, les sortants de la NUPES auront relativement peu de candidats LR-RN face à eux, en particulier les communistes et insoumis, que le RN se réserve donc en priorité, vraisemblablement en raison de la sociologie des circonscriptions.

Étonnamment, peu de candidats LR-RN ont été positionnés contre des LR loyalistes, puisque seuls trois d’entre eux seront défiés par les associés d’Éric Ciotti. On pourrait certes faire remarquer que ces trois circonscriptions sont assez fragiles pour LR  : le RN a obtenu à lui seul 40 % aux élections européennes dans la circonscription d’Indre-et-Loire de Nicolas Forissier, député LR de sensibilité libérale et modérée  ; Alexandre Portier avait plutôt facilement remporté sa circonscription du Rhône mais n’est élu que depuis 2 ans  ; Christelle Petex-Levet ne s’était qualifiée au second tour que d’une quarantaine de voix d’avance dans sa circonscription de Haute-Savoie. En revanche, le profil des candidats LR-RN n’est pas nécessairement le plus avantageux pour faire face à un sortant  : Antoine Valentin est certes maire de Saint-Jeoire dans la circonscription de Christelle Petex-Levet, mais Patrick Louis est un Lyonnais pure souche propulsé dans le nord rural rhodanien, tandis que Marc Siffert est parachuté de Plessis-Robinson jusque dans le Berry.

Étonnamment, peu de candidats LR-RN ont été positionnés contre des LR loyalistes, puisque seuls trois d’entre eux seront défiés par les associés d’Éric Ciotti.

Emilien Houard-Vial

5 — Une géographie des implantations proche de celle de la droite

La géographie de l’implantation des 69 LR-RN donne une certaine idée des stratégies d’investiture de l’alliance entre Ciotti et le parti de Jordan Bardella. Une grande partie se situe dans d’anciens bastions de la droite que le RN peut difficilement espérer récupérer de lui-même  : l’Ouest francilien — 3 investitures à Paris, 4 dans les Hauts-de-Seine, 4 dans les Yvelines —, l’ouest de la Seine-et-Marne, la Vendée, la Manche. D’autres zones de force de la droite sont en revanche ignorées, notamment les zones très rurales du sud du Massif Central, ce qui peut s’expliquer par une difficulté à trouver des candidats locaux ou volontaires pour y être parachutés.

À l’exception des Alpes-Maritimes, où se trouvent les seuls sortants LR ralliés au RN et où Éric Ciotti est parvenu à placer un de ses amis — le conseiller d’opposition de Nice Bertrand Chaix — dans la seule circonscription détenue ni par un RN, ni par un LR, les départements à fort potentiel pour le RN ont été soigneusement gardés par Bardella  : le Pas-de-Calais, la Charente-Maritime, la quasi-totalité de la Picardie et du Grand Est, et même des circonscriptions moins accessibles comme celles de la Bretagne et de l’Alsace.

Les départements à fort potentiel pour le RN ont été soigneusement gardés par Bardella.

Emilien Houard-Vial

6 — Des circonscriptions à droite, mais pas assez

Au premier coup d’œil, l’analyse des scores obtenus par François-Xavier Bellamy lors des européennes de 2024 et par les candidats LR lors des législatives de 2022 laisse apparaître de plutôt bonnes perspectives pour les LR-RN  : plus de 60 % des circonscriptions se situent au-dessus de la médiane (dans la moitié des circonscriptions la plus favorable) pour le vote Bellamy, et plus de 80 % pour le vote LR aux précédentes législatives. Le tableau est pourtant moins reluisant lorsqu’on l’observe de plus près. Ainsi, les seules circonscriptions à avoir voté Bellamy à plus de 10 % sont toutes — à l’exception de celle d’Éric Ciotti — dans l’Ouest parisien, où le camp présidentiel a balayé la droite en 2022, en dépit d’un certain recul en 2024.

À titre d’exemple, dans la meilleure de ces circonscriptions pour Les Républicains, à savoir la 4e de Paris, la liste Bellamy était malgré tout arrivée deuxième derrière celle de Valérie Hayer, et Arnaud Dassier, fils de l’éditorialiste Claude Dassier, aura à affronter non seulement la sortante macroniste Astrid Panosyan-Bouvet, mais également le maire LR du 17e arrondissement Geoffroy Boulard, adoubé par l’ancienne députée Brigitte Kuster, dans une circonscription n’ayant voté qu’à 24 % pour l’extrême droite (RN + R !) aux européennes et 12 % aux législatives  : c’est un pari.

Les seules circonscriptions à avoir voté Bellamy à plus de 10 % sont toutes — à l’exception de celle d’Éric Ciotti — dans l’Ouest parisien.

Emilien Houard-Vial

7 — Peu de circonscriptions semblent gagnables

Il apparaît fort hasardeux de s’aventurer à des prédictions trop affirmatives quant aux résultats électoraux nationaux et plus encore locaux des législatives des 30 juin et 7 juillet. Pour autant, si l’on considère que les résultats des candidats LR-RN seront avant tout annexés sur les scores obtenus précédemment par le RN, la situation apparaît assez peu avantageuse dans l’ensemble. Si les circonscriptions LR-RN semblent plutôt bien réparties de part et d’autre de la médiane en ce qui concerne les scores des candidats RN aux dernières législatives, seules 15 sur 69 la dépassent pour le score de la liste Bardella aux européennes. Dans 10 d’entre elles, Jordan Bardella a obtenu plus de 40 % des suffrages exprimés, ce qui est très prometteur pour une éventuelle élection dans quelques jours, sachant que 18 candidats RN avaient pu se qualifier dans ces 69 circonscriptions, soit 26 %, contre 36 % pour l’ensemble des circonscriptions en 2022.

Parmi les circonscriptions les plus prometteuses, outre la probable réélection des sortants Éric Ciotti et Christelle d’Intorni, se trouve la 5e du Doubs, dans laquelle le candidat RN avait échoué à 450 voix près au second tour en 2022, la 3e de l’Aisne, où Jordan Bardella a presque obtenu la moitié des votes aux dernières européennes, la 3e de la Marne, où il avait manqué un seul millier de voix à la candidate RN et sans concurrent LR officiel en 2024, la 14e du Nord, la 2e de l’Yonne, la 5e de la Seine-et-Marne, la 8e de l’Isère, ou encore la 5e du Gard. En tout, on pourrait comptabiliser une grosse dizaine de députés LR-RN, sans doute pas assez pour faire un groupe et qui serait de toute façon très marginal par rapport au spectaculaire progrès en termes de sièges de députés qui attend a priori le Rassemblement National.

La participation sera cruciale, dans le cas de triangulaires sans désistement spontané du 3e candidat, ainsi que la proportion d’électeurs LR qui se tourneront vers les candidats LR-RN, particulièrement si aucun candidat LR ne leur est opposé en face. Ainsi, dans la 3e des Alpes-Maritimes, le candidat LR-RN sera presque seul face au sortant Horizons et à la candidate socialiste d’union de la gauche, dans une circonscription où LR, RN et Reconquête  ! ont obtenu ensemble 40 % aux élections législatives et 50 % aux européennes, mais où un éventuel cordon sanitaire en faveur du candidat centriste pourrait être fatal pour les ambitions du collègue d’Éric Ciotti.

Sources
  1. Publication des candidatures et des résultats aux élections, Ministère de l’Intérieur et des Outre-Mer, juin 2024.