Dans un archipel dénué de parti politique stable et qui regroupe une multitude de candidats indépendants, l’élection générale du 17 avril 2024 aux îles Salomon n’avait pas permis de faire émerger une majorité absolue. Si le « Our party » du Premier ministre sortant Manasseh Sogavare a obtenu un quart des suffrages et 15 sièges au parlement (sur 50), il n’était pas en mesure de gouverner seul.

Comme c’est l’usage, après de nombreuses tractations post-électorales à huis clos et la construction d’alliances, l’émergence d’une coalition autour du « OUR party » a finalement permis l’élection d’un Premier ministre jeudi 2 mai.

  • La campagne électorale puis l’élection ont fait office de référendum pour ou contre la Chine.
  • Si le Premier ministre sortant Manasseh Sogavare (réélu au parlement) ne s’est pas représenté, l’élection de son successeur ne pouvait pas être plus explicite sur le futur du positionnement diplomatique de l’archipel.
  • Jérémiah Manele, nouveau chef du « Our Party », a remporté le vote du parlement (31-18) face à l’opposant de Manasseh Sovagare, Matthew Wale, qui souhaitait dénoncer les accords de sécurité sino-salomonais (2022) et réduire l’influence de Pékin.

Jérémiah Manele, ministre des Affaires étrangères de Manasseh Sogavare entre 2019 et 2024, incarne le virage pro-chinois entrepris par les Îles Salomon depuis 2019. Dès sa prise de fonction, il avait joué un rôle de premier plan dans la rupture des relations diplomatiques du pays avec Taïwan au profit de l’établissement de relations avec la République Populaire de Chine. Il a également été la cheville ouvrière de l’accord de coopération en matière de sécurité conclu avec Pékin en 2022.

  • Rompu à l’art de la diplomatie, Manele s’est voulu rassurant dans ses premières déclarations, notamment vis-à-vis du partenaire historique de l’archipel : l’Australie.
  • Il assure notamment poursuivre une politique étrangère « d’amis de tous, d’ennemis de personne » afin de faire monter les enchères et d’accepter l’aide des pays occidentaux.
  • Le résultat de cette élection envoie cependant un signal très positif à Pékin pour l’avenir de sa stratégie expansionniste dans l’archipel et, plus globalement, dans le Pacifique Sud.

En janvier, deux jours après la victoire de Lai Ching-te à l’élection présidentielle taïwanaise, Nauru avait annoncé sa décision de reconnaître la République populaire de Chine et de rompre ses relations diplomatiques avec Taïwan. À ce jour, douze pays reconnaissent Taïwan comme un État souverain, dont trois en Océanie (îles Marshall, Palaos et Tuvalu).

Le profil du nouveau Premier ministre salomonais avalise et consolide ainsi la relation stratégique et sécuritaire des Îles Salomon avec la Chine. Il semble désormais très probable que cette relation franchisse de nouvelles étapes.

  • Bien que les puissances occidentales craignent l’installation d’une base militaire chinoise sur l’archipel, le Premier ministre sortant Manasseh Sogavare avait assuré plusieurs fois par le passé que l’accord de sécurité sino-salomonais ne prévoyait pas la construction d’une base.
  • Dans le même temps, la Chine avait répété n’avoir « aucune intention » d’y construire une base militaire dans un avenir proche.
  • En guise de réponse, Washington et Canberra avaient mis en garde le gouvernement de l’époque contre ce qu’ils jugeaient comme étant la première pierre d’un tel projet.

S’inscrivant dans la continuité pro-chinoise de son prédécesseur, le nouveau Premier ministre Jérémiah Manele devra nécessairement composer avec cette « ligne rouge ». Si elle est franchie, elle serait susceptible de cristalliser et de raviver les tensions et rivalités entre les puissances occidentales et la Chine dans le Pacifique Sud.