Julian Jackson, De Gaulle, une certaine idée de la France, Paris, Éditions du Seuil, 2019
Ce livre a été un grand succès public et critique, si l’on excepte certains esprits chagrins qui ont regretté que la biographie du « grand homme » fût écrite par un « anglo-saxon » — preuve que la grammaire gaullienne conserve une certaine vigueur.
Dans cette biographie classique, Julian Jackson s’emploie à retracer l’itinéraire de Charles de Gaulle en essayant avec beaucoup de finesse de retracer le sens des possibles qui l’a habité à chaque moment de sa vie. Il évite ainsi de tomber dans une téléologie gaulliste qui a longtemps marqué l’opinion française. Dans son ensemble, ce livre est brillant, mais certains passages sont particulièrement marquants.
Les années de jeunesse et de formation donnent lieu à des développements passionnants : l’importance de Jacques Bainville dans l’éducation intellectuelle de Charles de Gaulle est remarquable. Plus généralement, loin de naturaliser le gaullisme, Jackson s’emploie à rendre compte de l’habileté manœuvrière du général de Gaulle après son entrée sur la scène politique nationale. Bref, à part les dernières années de son mandat présidentiel, qui sont couvertes un peu rapidement, c’est un livre passionnant.
Charles de Gaulle, L’appel du 18 juin, édité par Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Paris, Armand Colin, 2010
Bien qu’il n’ait été entendu par presque personne le jour où de Gaulle le prononça, c’est ce discours radiophonique qui a été progressivement érigé au rang de mythe, personnel et national.
Jean-Louis Crémieux Brilhac, qui rejoint la France Libre, dont il fut le secrétaire du Comité de Propagande, avant de devenir un de ses premiers historiens, commente ce texte important et d’autres documents — projets de discours repoussés par le gouvernement britanniques ; discours effectivement prononcés ; mais aussi les allocutions du maréchal Pétain en juin 1940.
Cette lecture permet de saisir au plus près les contraintes énormes avec lesquelles de Gaulle doit composer tout en permettant de saisir ses hésitations et ses choix rhétoriques, ainsi que son univers référentiel.
Jean-François Muracciole, Les Français libres, l’autre Résistance, Paris, Tallandier, 2009
Le récit le plus généralement diffusé de la lutte française contre l’Allemagne nazie sont généralement structurés autour de deux pôles : d’un côté, la Résistance intérieure, dont l’imaginaire a été considérablement investie dans la reconstruction morale et politique de la France après la Seconde Guerre mondiale ; de l’autre, le général de Gaulle, dont la silhouette écrase quelque peu toutes celles et ceux qui, hors de métropole, et à son invitation, ont continué le combat. Dans cette magnifique étude, et pour la première fois, Jean-François Muracciole a essayé de systématiquement comprendre qui étaient ces Français libres : origines sociales et culturelles ; raisons de l’engagement ; vie quotidienne pendant le conflit.
Ce portrait est complété par une dernière partie qui décrit la manière dont les Français libres ont investi leur mémoire dans l’après-guerre. En se fondant sur des sources abondantes et des analyses quantitatives extrêmement riches, Muracciole écrit un livre vif, évoquant avec beaucoup de finesse les différentes échelles de la France libre, des choix individuels aux orientations collectives.
Grey Anderson, La guerre civile en France, 1958-1962. Du coup d’État gaulliste à la fin de l’OAS, Paris, La Fabrique, 2018
Issu d’une thèse de doctorat soutenue à l’Université de Princeton, cet ouvrage entreprend de souligner l’imbrication du conflit algérien et de la naissance de la Ve République, soulignant comment l’un a pesé sur la création, la constitution et l’évolution initiale du régime, tandis que l’autre a eu pour préoccupation essentielle de régler une guerre, qui était loin de se limiter aux seuls départements d’Algérie.
Si les termes du titre sont (volontairement) choquants pour le grand public, habitué à voir dans le Charles de Gaulle de 1958 une incarnation nouvelle du sauveur qui avait déjà fait irruption en 1940, ils le sont beaucoup moins pour les historiens qui, depuis plusieurs décennies, réévaluent le rôle des proches du général dans la montée des tensions qui aboutit à la crise de mai 1958 et, partant, à son rappel. En réalité, le livre est beaucoup moins clivant que le titre ne pourrait le laisser penser : avec finesse et minutie, Grey Anderson décrit la mécanique complexe qui voit une guerre coloniale atteindre progressivement la métropole, la transformant profondément.
À tous les niveaux des pouvoirs politique et militaire, il note combien le double traumatisme de 1940 et de la guerre d’Indochine a pesé dans les décisions qui secouent la France de crise jusqu’aux accords d’Évian. Enfin, il décrit l’émergence des institutions de la Ve République, entre adaptation aux circonstances et rejet du parlementarisme — c’est sans doute l’un des héritages les plus durables de Charles de Gaulle. S’il a eu un certain écho au moment de sa parution, il est regrettable que ce livre n’ait pas plus transformé la manière dont les Français considèrent leur régime et son fondateur tant il met en question le caractère de nécessité qui est souvent associé à la Ve République.
Patrick Samuel, Michel Debré. L’architecte du Général, édition revue et augmentée, Paris, Perrin, 2022 (1999)
Cette biographie se lit souvent comme un péan, plus rarement comme une élégie, du gaullisme. Comme il le reconnaît lui-même, Patrick Samuel n’est pas historien de formation et, d’emblée, il affiche une véritable sympathie pour son sujet, comparé à Caton, et décrit en « vieux gardien du sépulcre gaullien ».
À vrai dire, rien que pour ces raisons, ce livre se lit comme une source — un document précieux sur la mémoire longue du gaullisme, progressivement constitué en épopée dans laquelle la figure écrasante du général de Gaulle est néanmoins entourée par d’autres héros, parmi lesquels Michel Debré prend sa place. Écrite peu de temps après la mort de ce dernier, puis reprise dans sa version actuelle, cette biographie est par ailleurs une introduction solide à l’action politique et constitutionnel de Michel Debré.
Si les sympathies — c’est un euphémisme — gaullistes de son auteur l’empêche de saisir certains des aspects les plus complexes de la fondation de la Ve République et de sa première décennie, cet ouvrage n’en demeure pas moins riche d’informations, à compléter par d’autres lectures.
Maurice Vaïsse, La grandeur : politique étrangère du général de Gaulle, Paris, CNRS Éditions, 2013 (1997)
La « certaine idée de la France » qui ouvre les Mémoires de guerre est au cœur du projet gaulliste, de 1940 à sa démission en 1969, c’est entendu. Encore faut-il savoir ce qu’elle recouvre, d’autant que l’une des caractéristiques politiques et diplomatiques de Charles de Gaulle est, contrairement aux apparences, sa grande plasticité. Dans cet ouvrage essentiel, Maurice Vaïsse entreprend de décrire la politique étrangère de Charles de Gaulle entre 1958 et 1969. Marquée par le rejet de la IVe République, caricature, pendant son existence et après sa chute, comme un régime faible, elle repose sur un certain nombre d’axes qui résonne avec un contexte international transformé : à la fin des années 1950, la Guerre froide est caractérisée par un affrontement moins intense qu’au début de la décennie tandis que la quasi-totalité ce qu’il reste de l’empire colonial français disparaît pendant les quatre premières années de la présidence de Gaulle. Justement, ce dernier va profiter de l’extraordinaire situation acquise par la France pendant cette période, comme l’a du reste souligné Georges-Henri Soutou dans La Guerre froide de la France (Tallandier, 2018), pour asseoir sa politique de « grandeur ».
Celle-ci repose sur un certain nombre de principes — l’indépendance, l’équilibre et la paix — qui vont le pousser à faire des choix très distinctifs, de ses relations souvent houleuses avec les « Anglo-saxons » (des États-Unis au Canada en passant par la Grande-Bretagne) à ses ouvertures vers le monde communiste (de la Chine à la Roumanie de Ceaușescu). Avec beaucoup de finesse, Maurice Vaïsse souligne comment cette politique va progressivement se mettre en place : si de Gaulle est empêché par la succession des crises internes pendant les quatre premières années de mandat, il ne cesse de rappeler les principes de cette diplomatie de la grandeur ; les années suivantes, du moins jusqu’en 1968, sont dédiées à sa mise en place — c’est la « phase opératoire ». De ce point de vue, le voyage du général au Québec en 1967 marque l’apogée — et le dernier coup d’éclat — de l’activité gaullienne à l’international. Reste à savoir quelle trace celle-ci a laissé en France, par-delà une rhétorique transpartisane sur la singularité française ou le rôle particulier qui lui incomberait dans le monde : l’idéal de la « grande nation » s’accommode ainsi très bien du gaullisme… et vice-versa.
François Audigier, Histoire du SAC. Les gaullistes de choc 1958-1969, Paris, Perrin, 2021
L’assassinat du juge Renaud en 1975 ; le « suicide » de Robert Boulin en 1978 ; la tuerie d’Auriol en 1981… tous ces faits-divers ont marqué la chronique politique et judiciaire en France.
Tous ont également en commun d’avoir été imputé — à tort ou à raison — au Service d’action civique (SAC), cette organisation majoritairement composée d’anciens résistants passés au RPF sous la IVe République, qui assurait le service d’ordre pour les mouvements gaullistes successifs. Cela fait plus de deux décennies que François Audigier travaille sur un mouvement central du dispositif politique gaulliste : après un premier livre écrit en 2003, il en a publié un second qui décrit minutieusement l’histoire, la sociologie et les mythes structurants du SAC. Il s’agit de dissiper la légende noire pour mieux saisir une organisation clef dans l’évolution des pratiques militantes à droite.
Très inspiré par le renouvellement des travaux sur la violence politique en France, il montre comment le SAC repose sur l’allégeance complète à la figure du général, véritablement sacralisé, soulignant comment le mouvement se durcit à partir de 1967, lorsque les élections législatives menacent l’hégémonie gaulliste. Confondant de plus en plus le régime et son fondateur, le SAC retrouve la violence qui avait été la sienne pendant la guerre d’Algérie — rappelant celle qui anima certains militants du RPF alors que l’anticommunisme faisait rage au début des années 1950.
Après les Prétoriens du Général (Presses universitaires de Rennes, 2018), qui traitait la question de la violence politique et du gaullisme sous la IVe République, l’Histoire du SAC est un ouvrage indispensable de l’historiographie de la Ve République.
Riccardo Brizzi, L’uomo dello schermo : De Gaulle e i media, Bologna, Il Mulino, 2010
La photographie la plus célèbre de Charles de Gaulle le montre devant un micro de la BBC en train de lire un discours. Prise en octobre 1941, elle illustre presque toujours le passage des manuels d’histoire qui évoquent le 18 juin. De fait, cette image a une charge symbolique d’autant plus forte qu’elle rappelle que, jusqu’à la Libération, Charles de Gaulle est avant tout une voix pour la majorité des Français. Jusqu’à sa démission, les médias — radio, presse et, avec le temps, télévision — jouent un rôle important dans la construction de sa personnalité publique, non sans difficultés.
Meilleur spécialiste italien du gaullisme, Riccardo Brizzi a consacré une longue étude aux relations que le général entretenait avec les médias. Évoquant d’abord les bouleversements du champ médiatique sous la IVe République, il souligne les relations difficiles que de Gaulle entretient avec la presse, notamment pendant les douze années qui s’étendent entre sa démission, en janvier 1946, et son retour au pouvoir, en mai 1958.
L’analyse de la Constitution de la Ve République, qui crée un « Président qui gouverne », permet selon lui d’expliquer la naissance de la « télécratie » gaulliste. Paradoxalement, malgré l’énorme contrôle dont jouit l’appareil d’État sur ce nouveau média pendant cette période, de Gaulle ne fut jamais très à l’aise avec un outil qui soulignait son décalage croissant avec la société française.
Ce désamour entre le Président et la télévision atteint un sommet en mai 1968, au point que son allocution du 30 est radiodiffusée : au moment où son pouvoir paraît ébranlé, il revient ainsi à l’outil qui lui avait permis de s’affirmer sur la scène politique nationale et internationale. Charles de Gaulle connaissait sa mythologie mieux que personne.
Benjamin Stora, Le mystère de Gaulle. Son choix pour l’Algérie, Paris, Robert Laffont, 2009
Cet ouvrage est avant tout l’histoire d’un discours. Le 16 septembre 1959, dans une allocution radio et télédiffusée, Charles de Gaulle, Président de la République depuis le mois de janvier, se prononce en faveur de l’autodétermination pour l’Algérie. Cette annonce constitue un tournant officiel dans sa politique algérienne, alors qu’il avait été en partie porté au pouvoir par les militants Algérie française les plus radicaux.
Comme le souligne Benjamin Stora dans son introduction, les raisons de ce discours n’ont cessé d’être discutées. De même, pendant plusieurs décennies, observateurs, journalistes, militants politiques et certains historiens ont cherché à établir quelles étaient les opinions de Charles de Gaulle sur l’Algérie. Furent-elles constantes ou, au contraire, évoluèrent-elles au gré des circonstances ? Le général aurait-il joué « double jeu », afin de gagner du temps ?
Recourant à une approche explicitement personnaliste du conflit, Benjamin Stora s’attaque à ce sujet complexe : après un premier chapitre intégralement consacré au discours du 16 septembre, il croise une lecture de la société française en 1959 — en pleine évolution — et une analyse plus large de la situation algérienne ; le livre se termine par les réactions à cette allocution, en métropole, parmi les Européens d’Algérie et au sein du FLN.
Frédéric Turpin, Jacques Foccart. Dans l’ombre du pouvoir, Paris, CNRS Editions, 2015
Si le SAC est parfois dépeint comme une sorte d’ordre noir du gaullisme, Jacques Foccart est toujours décrit comme son âme damnée. La part du mythe est centrale dans l’enquête que Frédéric Turpin lui a consacrée.
En effet, Jacques Foccart, ancien résistant devenu secrétaire général du RPF, entré à Matignon puis à l’Élysée à la suite du général de Gaulle, est rapidement décrit comme un malfaisant conseiller de l’ombre. C’est d’abord le cas dans les milieux « Algérie française » puisqu’il fait partie des organisateurs du combat contre l’OAS. Mais ce mythe va gagner en importance à mesure que sa proximité avec le chef de l’État va être remarquée par les observateurs : s’il se constitue un pré carré dans les anciennes colonies africaines, Jacques Foccart, dont les capacités de travail et l’efficacité sont très appréciées par de Gaulle, est l’un des principaux interlocuteurs de ce dernier, qu’il accompagne du mois de mai 1958 jusqu’au printemps 1969.
Conseiller de Georges Pompidou puis, à deux reprises, de Jacques Chirac, Foccart a incarné la Françafrique, les barbouzeries et les abus de la Ve République. Sa légende noire dit quelque chose de la défiance suscitée par un régime où les pouvoirs retenus par l’exécutif sont colossaux — surtout lorsqu’on le compare aux IIIe et IVe Républiques. La capacité de Foccart à jouer de son propre mythe et de sa proximité supposée avec de Gaulle et ses successeurs est aussi une manière d’engager une réflexion sur le pouvoir des conseillers, qui tient beaucoup plus à ce que l’on suppose qu’à ce que l’on sait.
La force de cette biographie est justement de démêler le parcours de Jacques Foccart des nombreux usages qui ont été faits de son mythe. En creux, cet ouvrage raconte aussi l’histoire des relations des cinq premiers Présidents de la Ve République avec les anciennes colonies françaises et — dans le cas de la Nouvelle Calédonie — avec ces « miettes d’Empire » qui suscitent tous les fantasmes post-impériaux.
Boris Johnson rêvait à une « Global Britain », ce livre raconte les fantasmes post-impériaux de ceux qui cherchaient à construire une « France globale ».
Jean Guisnel et Bruno Tertrais, Le Président et la Bombe. Jupiter à l’Élysée, Paris, Odile Jacob, 2016
Le 13 février 1960 a lieu l’opération « Gerboise bleue » : dans le Sahara algérien, la France réussit son premier essai nucléaire, rejoignant les trois autres pays qui ont jusque-là réussi à se doter de l’arme atomique (États-Unis, URSS, Royaume-Uni), et se donnant ainsi une nouvelle stature géopolitique.
Dans cet ouvrage de référence, Jean Guisnel et Bruno Tertrais ne se limitent pas au mandat du général de Gaulle, embrassant l’intégralité des mandats présidentiels depuis 1960 pour saisir les différentes approches de l’arme nucléaire qui ont marqué la Ve République. Les premiers chapitres sont néanmoins passionnants et permettent de saisir ce qui change en 1958 lorsque de Gaulle reprend le pouvoir. En effet, s’il existe un véritable facteur de continuité entre la IVe et la Ve Républiques — les deux régimes ayant à cœur de doter la France de cette arme —, de Gaulle introduit une véritable rupture : la dissuasion serait incomplète sans indépendance totale de la France. Alors que les dirigeants de la IVe République voulaient intégrer la bombe français dans le dispositif plus vaste de l’Alliance atlantique, tout en engageant des collaborations avec l’Allemagne et l’Italie, la politique nucléaire militaire évolue drastiquement après 1958.
Il s’agit d’une part de mettre en échec la doctrine de la riposte graduée, qui aurait limité l’affrontement entre Soviétiques et Américains au territoire européen. D’autre part, de Gaulle veut modifier l’équilibre des forces au sein du bloc occidental, en phase avec le reste de sa diplomatie. Le reste du livre, tout aussi passionnant, permet de saisir ce qui a survécu de ces éléments de doctrine tout au long de la Ve, posant à nouveau la question de l’héritage gaullien.
Ludivine Bantigny, 1968. De grands soirs en petits matins, Paris, Éditions du Seuil, 2018
Il est impossible de revenir sur l’historiographie et la mémoire du gaullisme sans revenir sur le moment 1968, trop souvent limité au mois de mai. En réalité, le Président de la République n’est pas un personnage central de l’œuvre magistrale que Ludivine Bantigny a consacrée aux luttes qui traversent la France, dix ans après la chute de la IVe République et l’avènement de la Ve.
L’histoire jette une lumière différente sur les années « critiques » qui suivent la fin de la guerre d’Algérie, soulignant les limites de la prospérité souvent vantée lorsque sont évoquées les années 1960. Elle remet également en question la tripartition traditionnellement utilisée lorsqu’est donné le récit des évènements : « d’abord, les étudiants ; ensuite, les salariés ; enfin, le pouvoir et l’Élysée » (p. 45).
En s’efforçant de rendre compte de la totalité des courants, des rencontres et des oppositions qui traversent la France en 1968, Ludivine Bantigny évoque la réaction du pouvoir et des droites dans la deuxième partie — alors que le livre en compte quatre —, comme pour souligner que le « retour à l’ordre », après la manifestation du 30 mai 1968, est largement fictif.
Consacré aux oppositions à la contestation, le chapitre 7 est à cet égard tout à fait passionnant puisqu’il décrit les hésitations des différents groupes d’extrême droite, qui n’ont pardonné ni la condamnation du maréchal Pétain, ni l’indépendance de l’Algérie, quant à une situation insurrectionnelle qui menace le régime honni, mais risque de porter l’extrême gauche au pouvoir.
Michel Debré, Pierre Mendès-France, Le Grand Débat : la transcription d’un débat historique entre Michel Debré et Pierre Mendès France, Paris, Les éditions de l’histoire, 2022
L’anecdote est répétée à chaque élection présidentielle : le premier débat entre deux candidats eut lieu en 1974 lorsque François Mitterrand et Valéry Giscard d’Estaing s’opposèrent entre les deux tours. Ce face à face, qui marque la naissance d’un véritable mythe médiatique de la Ve République, aurait été inspiré par les pratiques américaines.
Mais un peu moins de dix ans plus tôt, les élections présidentielles de 1965 — les premières à se dérouler au suffrage universel — avaient suscité un autre type de débat : à trois reprises, Michel Debré et Pierre Mendès-France s’étaient affronté à la radio.
Entre l’ancien Premier ministre du général de Gaulle et l’un des hommes forts de la IVe République, il s’agit de discuter de la forme du régime, et plus généralement des institutions que demandait le pays. Cet échange fascinant, qui témoigne d’une forme antérieure du débat politique et médiatique, a été intégralement transcrit et récemment publié aux Éditions de l’histoire.
Arnaud Teyssier, Philippe Séguin, Paris, Perrin, 2017
Comment être gaulliste lorsque l’on est né en 1943, et que l’on arrive à la politique au milieu des années 1970 ?
C’est l’une des questions qui traversent la longue biographie qu’Arnaud Teyssier a consacrée au plus célèbre des gaullistes sociaux, Philippe Séguin.
Dans ce livre riche et informé, il raconte une certaine histoire de la Ve République et du gaullisme, à une époque où le mouvement est pris entre son ancrage social à droite, les évolutions du contexte international — de la construction européenne à l’effondrement du bloc soviétique —, et les luttes, souvent terribles, que se livrent ceux qui revendiquent l’héritage du général de Gaulle.
Bref, Arnaud Teyssier fait le récit du gaullisme après 1970, par le prisme de l’une de ses figures les plus respectées.
Maurice Agulhon, De Gaulle. Histoire, symbole, mythe, Paris, Plon, 2000
De son propre aveu, Maurice Agulhon, républicain venu de la gauche, avait entretenu une relation empreinte de méfiance quant à l’action et à la mémoire de Charles de Gaulle : l’exception, nécessaire, à la norme qu’avait représentée le 18 juin lui semblait être devenue une règle dans sa pratique politique après la Seconde Guerre mondiale. Bref, pendant longtemps, Agulhon s’était tenu à l’écart du fondateur de la Ve République.
Deux événements distincts l’amenèrent finalement vagabonder dans ce territoire de la mémoire du XXe siècle français : son éditeur choisit d’illustrer la couverture de sa synthèse La République : de Jules Ferry à François Mitterrand, 1880 à nos jours (Hachette, 1997) d’une photo de de Gaulle, ce qui lui fut reproché par certains de ses proches ; au détour d’un voyage en Champagne, il passa par Colombey-les-Deux-Églises, qui lui fit forte impression.
C’est du reste cette rencontre posthume avec le fondateur de la Ve République qui constitue le point de départ d’un essai passionnant : en plus de réfléchir à la place qu’occupe de Gaulle dans les mythologies françaises, qu’elles soient nationale ou républicaine, il tente de saisir quelle était la pensée, forcément évolutive, de ce dernier sur la Révolution et la République. C’est sans doute le passage le plus riche et le plus stimulant, notamment en ce qu’il permet de saisir où se situent les ruptures entre le gaullisme et les autres courants qui organisent les droites françaises depuis la Seconde Guerre mondiale.
Sudhir Hazareesingh, Le mythe gaullien, Paris, Gallimard, 2010
Spécialiste des usages de l’histoire et de la mémoire dans les champs politique et médiatique français, Sudhir Hazareesingh s’attaque à l’un des mythes — si ce n’est le mythe — les plus écrasants de la France contemporaine.
Comme Maurice Agulhon, il part d’une rencontre fortuite avec la légende gaullienne : l’hommage rendu à Maurice Druon en 2009, pendant lequel résonne le Chant des partisans. La force de cette cérémonie le pousse à s’interroger sur la part qu’occupe le mythe gaullien dans la France contemporaine, à la fois figure paternelle et figure de sauveur. Cinq ans après la parution d’un livre sur La Légende de Napoléon (Tallandier, 2005), il compare aussi la mythologie du fondateur de la Ve République avec la légende napoléonienne : ce faisant, il s’agit de saisir comment un mythe politique de cet ampleur a pu être inventé dans la deuxième moitié du XXe siècle, dans une démarche qui n’est pas sans rappeler celle d’Ernst Cassirer, cinquante ans plus tôt. En l’occurrence, la figure du général de Gaulle est un prétexte pour interroger les reconfigurations contemporaines du mythe républicain, tout en mesurant comment il s’articule à son histoire depuis la fin du XVIIIe siècle.
André Malraux, Les chênes qu’on abat, Paris, Gallimard, 1971 et Alain Peyrefitte, C’était De Gaulle, Paris, Éditions de Fallois – Fayard, 1994-2000
Cette sélection aurait été incomplète si elle n’avait pas inclus quelques-uns des textes publiés par d’anciens compagnons ou proches du général.
Tour à tour apologétique, élégiaque et héroïque, ces ouvrages constituent un sous-genre à part entière, dont la fonction est double : d’un côté, il s’agit d’apporter sa pierre — si possible la plus importante — à l’édifice de la légende gaullienne ; de l’autre, il faut rappeler, avec finesse, que l’on a occupé un rôle dans cette épopée française (la dernière ?). Malraux et Peyreffite ont été décisifs dans l’élaboration de ce monument de papier à la mémoire de Charles de Gaulle : tandis que le premier choisissait le patronage hugolien pour évoquer sa dernière conversation — largement imaginée — avec le général, le second se faisait compilateur en croquant les propos et les anecdotes qu’il avait collectées pendant ses années au gouvernement.
Cinquante-trois ans après la mort du premier Président de la Ve, ils constituent encore des références pour tous les gaullistes autoproclamés qui y puisent la matière de leur nostalgie. Les lire, c’est saisir quelque chose d’un imaginaire encore actif dans le champ politique et médiatique.