Nous rencontrons Toni Negri debout, sirotant un café, dans le siège parisien de l’université Columbia. Ses premiers gestes, les traits de son visage, le ton de sa voix, au premier abord, pourraient faire penser à une espèce de transformation de la figure élancée et compliquée du personnage de la Montagne magique, Leo Naphta. Pourtant immédiatement, il nous présente une forme de gentillesse et d’écoute spontanée, quelque chose qui finit par le faire paraître comme le double du personnage, Ludovico Settembrini.
Dans votre livre Empire, vous reprenez à Deleuze et Guattari la stratégie d’accélération du processus de la mondialisation, de façon à constituer une « contre-mondialisation ». Pourtant il est indéniable, déjà pour Deleuze et Guattari, que le processus de déterritorialisation de la mondialisation s’accompagne d’une « reterritorialisation » qui, tout en changeant d’échelle, fait ressurgir un certain archaïsme (l’identité basque, irlandaise, la territorialité des cités, peut-être même la question Daesh). Peut-on séparer le processus révolutionnaire des archaïsmes ?
Nous avons écrit Empire en 1995, il nous semblait en effet à ce moment que des concepts comme celui d’État-nation étaient devenus obsolètes. C’était il y a vingt ans. Aujourd’hui l’histoire a montré une résurgence du nationalisme.
Dans votre livre le concept d’Empire est clairement orienté vers la destruction de l’État-nation, est-ce que cette histoire n’est pas à réviser ?
Il faut comprendre ce qu’est l’État-nation, c’est d’ailleurs précisément en cette direction que se dirige mon travail actuel. Il faut reconnaître en effet qu’aujourd’hui l’effervescence nationale est un fait, surtout quand elle s’accompagne du populisme. C’est une évidence politique incontestable aujourd’hui, la nation existe dans l’opinion.
Nous proposons une analyse géopolitique de ce phénomène. Il s’agit de voir comment la référence à la nation ne se situe pas du tout dans une continuité historique avec les nationalismes passés. Les représentations géographiques du FN ne correspondent aucunement aux représentations du nationalisme classique français : on ne va pas vouloir “tuer le boche”, ni prendre l’Angleterre pour l’ennemi. Même on peut remarquer dans ce nationalisme une forme d’internationalisation : les tactiques sont partagées.
Dans toutes les formes de populisme on retrouve une envie de renouveler l’ancien. Il faut comprendre ce qu’il y a de pathétique dans cette tentative. C’est le grotesque de la répétition bâclée. En Italie en particulier, le lepenisme est interprété aujourd’hui par des gens qui jusqu’à hier étaient régionalistes ou qui jouaient le sud contre le nord. Cela doit donner la mesure de la solidité de cette position, sa capacité à changer de référent ou à ne pas en avoir véritablement doit être comprise.