Washington. Le 2 février 2019, la décision américaine de sortir du traité sur les forces nucléaires intermédiaires (FNI), annoncée le 20 octobre 2018, a été confirmée, ce qui ne manque pas de susciter des réactions contrastées. D’une part, les avocats de la maîtrise des armements soulignent le caractère dangereux et irrationnel d’une décision qui met fin au premier accord de désarmement nucléaire et conventionnel de l’histoire, négocié pendant six ans de 1981 à 1987, et enfin signé par le président américain Ronald Reagan et le premier secrétaire soviétique Mikhail Gorbatchev. Un accord qui se veut historique à un double titre. D’un point de vue militaire, il prévoit l’élimination de tous les missiles américains et soviétiques – puis russes – d’une portée comprise entre 500 et 5 500 km, outre l’engagement à ne pas produire, tester et déployer ces mêmes systèmes, ainsi que leurs lanceurs et les équipements permettant leur emploi (1). D’un point de vue symbolique, il est réputé avoir sonné la cloche de la fin de la guerre froide. D’autre part, les sceptiques estiment qu’aucun accord n’a de raison de continuer à exister s’il est systématiquement violé par l’une des deux parties. La Russie de Poutine est en effet accusée d’avoir produit, testé et déployé un missile de portée intermédiaire, le 9M729 (SSC-8 selon la terminologie de l’OTAN) (4). La décision américaine deviendra effective en août et la Russie a déjà annoncé que cet acte ne l’obligera plus à s’en tenir aux clauses du traité. Nombre d’experts envisagent déjà une période de fortes tensions qui se répercuteront dans deux domaines : les relations transatlantiques et la présence américaine en Asie.
Le traité sur les FNI est né en Europe et il est le fruit, ou plutôt la conclusion, de la crise des Euromissiles : d’où la conviction que sa fin ne sera pas sans conséquences sur la difficile relation euro-américaine du temps de la présidence de Donald Trump. Le Pentagone pourrait se trouver renforcé dans son intention de déployer de nouveaux SLBM (Sea Launched Ballistic Missiles) de faible charge. Il semble en revanche refuser le déploiement des systèmes GLBM (Ground Launched Ballistic Missiles), lequel, à ses yeux comme à ceux de plusieurs Alliés européens, pourrait susciter une dynamique escalatoire inutile – rejoignant la ligne prudente prévalant notamment en France et en Allemagne, qui redoutent tout jeu mimétique avec la stratégie russe.
La Russie a de son côté annoncé le développement de plusieurs types de missiles sol-sol correspondants, les déclarations officielles restant floues à l’heure actuelle quant à la nature de ces projets (moderniser un système existant pour qu’il puisse remplir de nouvelles missions, missiles de croisière ou balistique, hypersonique ou non, à charge nucléaire ou conventionnelle ?). De ces questions dépendront les termes du débat euro-atlantique sur d’éventuelles mesures à prendre en termes de déploiement d’armes offensives, de défenses anti-missiles, et de réforme des arrangements nucléaires, à la fois au sein de l’OTAN et entre Européens, notamment dans l’hypothèse d’un volontarisme franco-allemand sur la question.
Au-delà de la seule Europe, les Américains, tout en accusant les Russes de violer un traité initialement prévu pour limiter la menace russe sur le Vieux Continent, semblent plutôt viser un autre théâtre stratégique, beaucoup plus à l’Est : l’Asie (2). Ce n’est d’ailleurs pas seulement Washington qui s’inquiète de l’accroissement du potentiel de missiles chinois, mais aussi la Russie, et ici la fin du traité sur les FNI libère les deux parties dans leur réponse au défi chinois. Les Américains se donnent donc la possibilité de déployer des missiles de portée intermédiaire dans la région, mais la question est de savoir quels alliés pourraient offrir aux Américains des sites de stationnement pour des missiles sol-sol. Si on prend le cas du Japon, pays sous parapluie nucléaire américain et concerné au premier degré par les changements stratégiques dans la région, on peut constater que le pays garde pour l’heure une posture prudente et discrète vis-à-vis de la décision américaine (2). La fin du traité FNI semble ainsi vouée à contribuer à la course aux armements déjà bien entamée en Asie Pacifique.
Perspectives :
- À court terme : les Etats-Unis seront scrutés par leurs alliés et leurs ennemis afin de comprendre si et comment Washington voudra profiter de sa sortie du traité FNI. La question résumant les différents scénarios possibles semble être : les États-Unis s’apprêtent-ils à relancer la course aux armements, par des systèmes de type FNI ou autre ?
- À long terme : la sortie des États-Unis du traité sur les FNI appelle à une réévaluation de l’architecture du système de maîtrise des armements tel qu’il a été hérité de la Guerre froide. Le traité New START arrive à échéance en 2021 et les chances de sa prolongation s’affaiblissent au vu du mépris américain envers les traités de maîtrise des armements ; une attitude qui trouve son porte-parole dans l’actuel conseiller à la sécurité nationale, John Bolton. L’échéance 2021 appelle donc à s’interroger sur le bien fondé du système de maîtrise des armements, sur l’efficacité de son architecture actuelle et invite surtout à se poser l’inévitable question de son adaptation au nouveau contexte stratégique, qui semble nous placer dans une époque post-post-Guerre froide (3).
Sources :
- LEGGET Jeremy K. et LEWIS Patricia M., « Verifying a START agreement : Impact of INF precedents », Survival, 30-5, septembre 1988, p. 409‑428.
- NIQUET Valérie, « Le retrait américain du traité FNI : quelles conséquences pour la Chine ? », Fondation pour la Recherche Stratégique, Observatoire de la dissuasion, janvier 2019.
- TERTRAIS Bruno, « La mort annoncée du traité FNI ou la fin de l’après-Guerre froide », Fondation pour la Recherche Stratégique, note 02/19, 1er février 2019.
- WOOLF Amy F., “Russian Compliance with the Intermediate Range Nuclear Forces (INF) Treaty : Background and Issues for Congress”, Congressional Research Service, Janvier 2019 (dernière mise à jour).
Ilaria Parisi