Washington. Issue comme le FMI de la conférence de Bretton Woods en 1944, la Banque Mondiale était née dans l’objectif de servir de prêteur de dernier ressort aux pays incapables d’accéder aux marchés financiers traditionnels. Même si le premier récipiendaire d’un prêt de la Banque Mondiale fut la France en 1945, l’institution s’est très vite concentrée sur les pays en développement. Elle a un rôle clé dans l’histoire économique de ces pays : d’abord car ses prêts ont été, et sont toujours dans beaucoup de cas, nécessaires à leur bon fonctionnement et surtout car ils n’ont jamais été sans conditions.

Par l’intermédiaire de sa politique de prêt, la Banque Mondiale a souvent défendu des positions économiques critiquables : ce fut le cas par exemple lorsqu’elle défendit des politiques d’ajustement structurel dans les années 80. Elle n’a jamais été tout à fait neutre non plus : elle refusé d’aider le régime d’Allende au Chili dans les années 70.

Ensuite, le pilotage des prêts accordés à ses récipiendaires a permis la formation de générations d’économistes du développement (dont beaucoup sont issus de ces même pays et ont occupé des postes politiques ensuite) et la Banque Mondiale a servi de laboratoire à de nombreux programmes qui ont été ensuite reproduits dans le monde. En ce sens, la Banque mondiale est l’institution multilatérale par excellence et a eu une influence non négligeable sur la vie quotidienne de milliards de personnes.

C’est probablement donc un signe des temps que sa gouvernance soit en crise aujourd’hui. D’abord, son président en exercice, Jim Yong Kim, a démissionné pour aller travailler dans le privé après plusieurs scandales internes (1). Ensuite, le candidat américain censé le remplacer, David Malpass, est loin de faire l’unanimité (2). L’échec de sa candidature serait pourtant une petite révolution.

Par un arrangement tacite, le président de la Banque Mondiale (élu pour un mandat de 5 ans par les différents actionnaires de la banque) a toujours été un Américain. James Wolfensohn, le président de 1995 à 2005, a même été naturalisé américain (il était originellement australien) juste avant sa nomination pour respecter la tradition.

Justin Sandefur, du Center for Global Development, a cependant appelé les autres pays à contester cette nomination : “Ils ont le choix. C’est un simple vote à la majorité, les États-Unis n’ont pas de veto dans cette élection et il y a beaucoup de meilleurs candidat”. Dani Rodrik, éminent économiste, est allé dans le même sens dans un tweet.

C’est que David Malpass, précédemment haut responsable du Trésor Américain (avant d’avoir été le Chef Économiste à la banque Bear Stearns qui a depuis fait faillite), est un fervent critique du fonctionnement de la Banque Mondiale (3) : en substance, il considère, l’institution comme une machine inutile et coûteuse.

David Malpass est donc le renard dans le poulailler. Il milite depuis plusieurs années pour la réduction des activités et prérogative de la Banque notamment par la limitation de ses prêts aux pays en développement les moins défavorisés. Il semble donc souhaiter plus largement remettre en cause la distinction entre pays en développement et pays développés qui est à la base du fonctionnement de l’institution et permet à certains pays d’avoir des conditions d’emprunt plus avantageuses.

Si David Malpass venait à ne pas être élu, ce serait la conséquence d’une alliance inédite entre les principaux actionnaires secondaires de la Banque : la Chine, le Japon, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni. L’identité du concurrent potentiel au candidat américain reste également un mystère.

Sur ce dernier point, Pascal Lamy, interrogé par la Lettre du Lundi, a une opinion très claire : “La tradition veut qu’il y ait un américain à la tête de la Banque Mondiale et un européen au FMI. Malpass n’est de toute évidence pas le bon candidat : il remet en cause l’utilité de la Banque Mondiale même. Les Européens auraient tout intérêt à soutenir une candidature africaine telle que celle de Donald Kaberuka ou de Ngozi Okonjo.”

Perspectives :

  • Le candidat de Donald Trump à la présidence de la Banque Mondiale ne fait pas l’unanimité : une opposition inédite pourrait se former contre lui.
  • Le simple fait que ce soit une possibilité indique une brèche profonde dans l’édifice multilatéraliste issu de Bretton Woods. L’alternative sera-t-elle multipolaire ?

Sources :

  1. EDWARDS Sophie, As Jim Kim steps down, a tumultuous World Bank presidency comes to an end, devex.com, 4 février 2019.
  2. LAWDER David, Trump to choose Treasury’s Malpass to lead World Bank : sources, Reuters, 05 février 2019.
  3. LYNCH David J., Trump pick for World Bank chief spent years criticizing its mission, Washington Post, 05 février 2019.

Cyprien Batut