Ankara. Recep Tayyip Erdoğan, Emmanuel Macron. Ankara, Paris. Jusqu’ici, les analogies sont faciles et évidentes. Mais quel est le rapport entre le mouvement des gilets jaunes, et celui dit du parc Gezi de 2013 ? À première vue il n’y en a pas. Pourtant, depuis quelques jours, en Turquie et dans la communauté franco-turque, les comparaisons fleurissent et se multiplient, le tout au sein d’une communication rondement menée par l’exécutif turc.

Une communication officielle lancée le 26 novembre dernier, après la deuxième semaine d’action des gilets jaunes en France, au cours de laquelle le président Erdoğan comparait implicitement les agissements des manifestants à du terrorisme, avant d’enchaîner sur la couverture médiatique défectueuse des événements dans la capitale française. « La presse internationale a constamment relayé les événements de Gezi, n’est-ce pas ? Il y a actuellement des actes terroristes à Paris, la presse internationale est cette fois absente. Le monde est silencieux, il ne voit pas ce qui se passe à Paris. Pourquoi ? Parce qu’ils ne veulent pas les entacher. Que vous le vouliez ou non, le monde entier suit les événements qui s’y déroulent » (5).

Oui, le monde entier suit la situation en France, et les scènes parisiennes de charges de police et de dispersion à coup de gaz lacrymogènes ont rappelé à de nombreux internautes turcs celles des alentours du parc Gezi en 2013. Sur Twitter et Facebook, on essaye de trouver des similarités entre les deux mouvements, arguant qu’ils ont débuté par la contestation de mesures symboliques avant de se propager rapidement. Dans les milieux pro-gouvernementaux, suivant les paroles du président, on s’indigne du double standard appliqué par les médias occidentaux lorsqu’il s’agit de couvrir les événements français. Le journaliste Ahmet Hamdi Sisman (TRT Allemagne) pointe ainsi la distinction que fait France 24 entre les « émeutiers » de Paris et les « manifestants pacifiques » présents à Gezi (4).

À Ankara, ce mouvement des gilets jaunes a donné des ailes au gouvernement, qui après la brèche provoquée par l’affaire Khashoggi, s’est engouffrée dans celle ouverte par les manifestations françaises, dans le double but de se faire entendre à l’international, mais surtout de communiquer avec son électorat. Alors que très tôt, dès l’acte II du mouvement, le ministère turc des Affaires étrangères appelait à la retenue des forces de l’ordre françaises contre les manifestants, mettant en garde les citoyens turcs résidant en France (3), Recep Tayyip Erdoğan s’est lui chargé ce week-end, en très bon communiquant, de rappeler une nouvelle fois que l’Europe avait abandonné la Turquie lors de la tentative de coup d’Etat de juillet 2016, et de pointer du doigt les faillites européennes.

« Ces scènes des manifestations des gilets jaunes ont révélé que l’Europe a échoué en matière de démocratie, de droits de l’homme et de liberté […] Regardez ce que font les policiers de ceux qui diffamaient nos forces de l’ordre et les accusaient de torture. Notre police est juste […] Vous voyez maintenant la situation de ceux qui sont restés silencieux envers ceux qui ont essayé de faire couler le sang dans nos rues et de les brûler. Les rues de nombreuses villes européennes, notamment Paris, sont enflammées » (1).

À quatre mois des prochaines élections locales, les plus gros titres de la presse turque ont abondamment repris cette rhétorique, la présence de sympathisants de partis turcs d’extrême gauche dans les cortèges français leur permettant de justifier le qualificatif de « terroristes » employé par Recep Tayyip Erdoğan. Des tags du TKP-ML, (parti communiste marxiste-léniniste) ont en effet été observés boulevard Haussmann, tandis que des drapeaux du PKK et du DHKP-C (organisation marxiste d’extrême gauche) auraient été repéré dans la foule (2).

Perspectives :

  • Tant que le mouvement affaiblira Emmanuel Macron sur le plan interne, il y a fort à parier que le gouvernement turc et Recep Tayyip Erdoğan continueront d’en tirer parti, que ce soit pour flatter leur opinion publique, ou afin de se replacer au centre du jeu international.

Sources :

  1. DINÇ Şüheda, Erdoğan : Nous suivons avec inquiétude les événements qui se déroulent dans les rues européennes, Anadolu Ajansı, 8 décembre 2018.
  2. Geziciler Paris sokaklarında, Güneş, 4 décembre 2018.
  3. Ministère turc des Affaires étrangères, Statement of the Spokesperson of the Ministry of Foreign Affairs Hami Aksoy in Response to a Question Regarding the Street Demonstrations in France, 25 novembre 2018.
  4. SISMAN Ahmet Hamdi, Compte Twitter, 3 décembre 2018.
  5. La presse internationale est silencieuse lorsqu’il est question de Paris, TRT, 26 novembre 2018.