Cette photographie de l’équipe Trump à Mar-a-Lago, prise à l’occasion des frappes américaines sur la Syrie et retouchée “pour des raisons de sécurité”, permet de rassembler sur une même image nombre de grands noms de l’administration. Ce n’est cependant pas tant l’assemblée que la composition de l’image, à la façon d’un tableau, qui nous semble intrigante, car elle révèle un certain nombre de rapports d’influence au sein de la Maison Blanche.
La structure du tableau est marquée par une diagonale, suivant une ligne partant du soldat adossé à la porte et courant le long de la table/ Trump s’y situe, tout comme il se situe à l’intersection de deux lignes de personnages, l’une de son gendre et conseiller Jared Kushner à Trump, l’autre de Gary Cohn à Trump en passant par Rex Tillerson.
Comme venant “chapeauter” la pyramide ainsi formée, Sean Spicer à l’arrière plan, directeur de la communication de la Maison Blanche, attire immanquablement le regard et le détourne presque de Trump, semblant nous dire à demi-mot que le sommet de l’édifice trumpien est la communication – une idée que ni la photo “retouchée”, ni l’addiction à twitter du 45e président des Etats-Unis ne viendront contredire.
Trump cependant, bien qu’il soit supplanté par Spicer au sommet de notre pyramide, reste éminemment central dans la composition. La plupart des lignes de structure de l’image mènent à lui. Les lignes diagonales (celles de la table, celles des lignes d’appareils de brouillage électronique) comme les lignes verticales (encadrement de la porte, silhouette du soldat, reliefs de mur). et certaines à Kushner (encadrement de structure de mur, orthogonalité par rapport à la table). Le président, “Potus”, est placé au centre donc de cette composition, mais il semble étonnamment écrasé par l’événement, perdu entre les différents personnages. Il est certes entouré – par le militaire debout derrière lui, symbole de la souveraineté, par Spicer, la voix de la Maison Blanche, par Tillerson, sa diplomatie, etc. – mais semble presque prostré.
Fait marquant, et surtout opposition parfaite de ce repli, Jared Kushner est incroyablement dégagé dans l’image. Lui aussi est entouré de lignes de structures (celles du relief de mur derrière lui), mais autour de lui se dessine sur l’image un certain espace, là où Trump est très étroitement serré par ses voisins. Portant une cravate fine et noire, par opposition au quatuor autour du président portant le rouge, Kushner, en plus d’être le seul personnage se dégageant du groupe, semble aussi avoir une préoccupation autre que le sujet du moment. Là où tous dans la pièce regardent en direction de l’écran, sur lequel on doit pouvoir suivre l’opération en cours, Kushner regarde dans la direction opposée : il regarde Trump, et le pouvoir, ou peut-être regarde-t-il, nous allons y venir, Steve Bannon.
Présenté comme l’une des influences majeures derrière le revirement de Trump concernant la Syrie et le non-interventionnisme, Kushner se dégage donc comme l’une des figures fortes de cette image. A son opposé, relégué hors de la table sur ce que nous appellerons le “divan des seconds couteaux”, Steve Bannon, grand perdant de ce revirement – il a d’ailleurs été évincé du conseil de sécurité nationale. Bannon est le personnage le plus éloigné de l’écran, et semble même un peu à l’écart au sein du groupe assis sur le divan. Il demeure néanmoins l’autre personne (avec Kushner) faisant un certain vide autour de lui, deuxième “special advisor” de Trump et adversaire de Jared Kushner dans la bataille pour la plus grande influence auprès du président.
A sa gauche, Stephen Miller, un de ses proches, autre opposant à l’interventionnisme militaire, et lui aussi apparemment “relégué”, il est d’ailleurs partiellement masqué par M. Anton et D. Powell, deux conseillers en sécurité nationale. Bannon cependant est mis en avant, et isolé encore davantage, par un élément surprenant : il est le seul placé sous un élément de mobilier, une lampe, qui semble venir le “coiffer”. Savoureux détail, elle peut évoquer soit une épée de Damoclès, soit un bonnet d’âne, un couvre-chef adapté à un Bannon, ennemi de l’interventionnisme défait par l’influence de Kushner, qui se trouve à présent, par la force des choses, “au coin”.