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L’année qui vient de s’achever a été intense et difficile. La pandémie et la crise ont mis à l’épreuve les capacités de réaction et de planification des institutions nationales et multilatérales. Beaucoup a été fait, même en tirant les leçons des erreurs initiales, et beaucoup reste à faire. Il est encore trop tôt pour dire si nous avons réussi à éviter le pire, et il est encore plus difficile de juger si nous avons réussi à jeter les bases pour résoudre les vulnérabilités que cette crise a mises en évidence et pour faire face à la grande urgence climatique qui est sous nos yeux. 

Avec sa présidence du G20 et sa coprésidence de la COP26, l’Italie a joué un rôle de premier plan dans l’arène multilatérale pour dégager le consensus nécessaire à la recherche de solutions partagées, efficaces, durables et équitables aux défis sanitaires et économiques. Nos efforts ont été guidés par la conviction que la coopération multilatérale soit la clé pour aborder les transitions – numérique, écologique, démographique – qui définissent et définiront de plus en plus le bien-être de la planète. Planète, peuple et prospérité ont été les mots clés de notre présidence du G20. Ils sont également les éléments clés du concept de développement durable – un thème et une préoccupation que nous avons fortement souhaité placer au cœur de l’agenda du G20.

Les conséquences de la crise actuelle sur les pays en développement sont en effet très lourdes et malheureusement à long terme. Nous pouvons déjà observer des signes de retard sur plusieurs fronts en ce qui concerne les indicateurs de développement humain, causés par la crise économique et les conséquences des mesures visant à contenir la pandémie : l’aggravation de la pauvreté et de l’insécurité alimentaire, l’inégalité entre les sexes et l’abandon scolaire, avec de graves implications en termes de niveaux d’éducation, en particulier pour les femmes. De plus, ces cicatrices risquent d’accroître le mécontentement et la frustration des citoyens – qui existaient avant le Covid-19 – et d’en faire des facteurs encore plus déstabilisants. 

La priorité reste d’arrêter le virus et ses variants, de distribuer et de rendre le vaccin accessible et acceptable pour tous (moins de 14 % de la population africaine a reçu au moins une dose de vaccin et moins de 9 % en a reçu deux 1), et d’atténuer les conséquences socio-économiques de la crise, notamment par des mesures exceptionnelles pour fournir des liquidités aux pays en développement (PED). Ceci sans perdre de vue d’autres défis mondiaux tels que la protection de l’environnement et la lutte contre le changement climatique. La crise que nous traversons renforce la nécessité de repenser et de construire de nouveaux modèles de développement, plus justes et plus durables.

La crise que nous traversons renforce la nécessité de repenser et de construire de nouveaux modèles de développement, plus justes et plus durables.

Marina Sereni

Répondre à ces défis est une tâche ardue, tant au niveau de sa mise en œuvre que de sa formulation préalable. Que faire ? Ne pas répondre à la crise et au monde à venir par l’unilatéralisme, mais par une coopération multilatérale renouvelée, fondée sur le dialogue et des règles communes. 

Crise alimentaire

En tant que présidence italienne du G20, nous nous sommes efforcés de répondre à la crise de la manière la plus efficace, inclusive et innovante possible. Un premier scénario inquiétant sur lequel nous sommes tous appelés à collaborer et qui a été sérieusement aggravé par la crise est celui de l’insécurité alimentaire. À l’échelle mondiale, le nombre de personnes souffrant de la faim augmente depuis 2014, et le nombre total de personnes sous-alimentées devrait dépasser 850 millions d’ici 2030. La pandémie pourrait ajouter plus de 100 millions de personnes à ce chiffre. C’est pourquoi nous avons décidé de consacrer la réunion conjointe des ministres des affaires étrangères et du développement, qui s’est tenu  à Matera le 29 juin 2021, à la question de l’insécurité alimentaire. À cette occasion, nous avons fait valoir l’importance de renouveler l’élan politique nécessaire pour faire face aux crises alimentaires émergentes et atteindre l’objectif « Faim zéro » d’ici 2030. 

J’ai constaté un large consensus au sein du G20 pour parvenir à ce résultat important. Les pays du G20 peuvent non seulement montrer l’exemple, mais doivent le faire en renforçant le système commercial international, en veillant à ce que nos politiques soient cohérentes avec les objectifs de développement durable (ODD) et les accords de Paris sur le climat, et en valorisant les organisations internationales qui jouent un rôle central dans la question agroalimentaire, notamment celles qui ont leur siège à Rome (FAO, PAM, FIDA).

À Matera, nous avons approuvé une déclaration sur la sécurité alimentaire, la nutrition et les systèmes alimentaires. Il s’agit d’une réalisation majeure, car le G20 n’avait jamais auparavant adopté une position aussi forte et spécifique sur la sécurité alimentaire mondiale par rapport à la communauté internationale dans son ensemble. La Déclaration de Matera contient également une invitation à rejoindre la Coalition alimentaire, une initiative promue par l’Italie, au sein de la FAO, afin de contrer les répercussions que la pandémie a sur la sécurité alimentaire mondiale. Avec le soutien du G20 et de ses partenaires, la coalition alimentaire pourrait effectivement devenir une alliance mondiale pour une action coordonnée en matière de sécurité alimentaire. L’importance d’une approche coordonnée devient encore plus grande à la lumière de la flambée des prix des denrées alimentaires. L’indice FAO a atteint un niveau jamais vu depuis 2011, lorsque la crise des prix alimentaires a fait passer plus de 40 millions de personnes sous le seuil de pauvreté extrême, selon la Banque mondiale.

Financement du développement durable

La crise a encore exacerbé le problème du financement du développement pour les pays en développement. Confrontés à la nécessité de dépenser davantage, ces pays ont vu leurs ressources intérieures diminuer, ainsi que celles liées aux exportations, aux investissements étrangers, aux envois de fonds des migrants et à l’aide au développement. Le résultat a été une augmentation de la dette et un risque de défaut de paiement. 

Sur le plan du financement, le G20 s’est efforcé de garantir des liquidités suffisantes pour les pays les plus vulnérables. La prolongation de l’initiative de suspension du service de la dette jusqu’à la fin de 2021 est une décision positive, bien que malheureusement insuffisante, car elle ne s’applique qu’aux pays à faible revenu, à l’exclusion des pays à revenu intermédiaire vulnérables. En outre, une grande partie de la dette n’est plus détenue par des pays créanciers membres du Club de Paris ou par des créanciers officiels tels que les banques multilatérales, mais par des pays émergents et/ou des créanciers privés. Cet objectif est atteint grâce à un traitement comparatif et à une répartition équitable des charges entre les créanciers publics et privés. À ce jour, 39 pays au total ont bénéficié de la DSSI, dont 26 pays africains, bien que l’engagement du secteur privé dans cette initiative n’ait pas encore répondu aux attentes.  

Dans tous les cas, il ne suffit pas de reporter le paiement des intérêts de la dette. En Afrique, par exemple, la croissance des dépenses d’intérêt sur la dette extérieure a absorbé près des deux tiers de l’augmentation des recettes fiscales réalisée au cours de la décennie précédant la pandémie. La crise actuelle et la hausse probable des taux d’intérêt vont exacerber la situation. Les pays en développement ont besoin de nouvelles ressources pour investir dans leur propre développement et d’une approche systémique de la question de la dette.

La prolongation de l’initiative de suspension du service de la dette jusqu’à la fin de 2021 est une décision positive, bien que malheureusement insuffisante, car elle ne s’applique qu’aux pays à faible revenu, à l’exclusion des pays à revenu intermédiaire vulnérables.

Marina Sereni

Sur le premier aspect, le soutien du G20 à la création de 650 milliards de dollars de droits de tirage spéciaux (DTS) par le Fonds monétaire international (FMI) a été décisif, et leur éventuelle réaffectation partielle sur une base volontaire au profit des pays en difficulté constitue une nouvelle avancée. 

Bien sûr, il y a encore beaucoup à faire. Il est urgent de trouver des solutions et des instruments novateurs pour aider à élargir la marge de manœuvre budgétaire des pays partenaires. Le G20 s’est engagé à accélérer le refinancement de l’Association internationale de développement – (AID) et à travailler à une reconstitution ambitieuse du Fonds africain de développement en 2022. L’accord conclu en décembre a permis à la Banque mondiale de réunir un montant record pour l’AID, afin d’aider les 74 pays les plus pauvres.  Dans le même temps, les défis sont d’une telle ampleur – même dans les pays à revenu intermédiaire – qu’ils nécessitent des solutions innovantes pour catalyser d’autres sources de financement.  Nous devons étendre l’utilisation des garanties et des financements mixtes, en encourageant nos banques de développement à travailler avec les banques de développement publiques des pays en développement, en investissant dans le renforcement des marchés de capitaux locaux et de la capacité à améliorer la collecte et la gestion des impôts. 

À cet égard, le groupe de travail du G20 sur le développement (Development Working Group) s’est concentré sur trois questions clés afin d’accroître la mobilisation et l’utilisation des ressources pour le financement du développement durable. La présidence italienne a travaillé de manière ouverte et inclusive, en impliquant dans le débat la société civile, les représentants des institutions internationales et les pays en développement, afin de fournir une image plus complète aux ministres du développement et aux dirigeants du G20 sur ces trois questions.

Tout d’abord, nous avons considéré la nécessité de soutenir les stratégies de financement nationales qui permettent aux gouvernements des pays en développement de maximiser les synergies entre les ressources nationales et internationales afin qu’elles puissent être utilisées de la manière la plus efficace. À cet égard, nous avons décidé de soutenir les cadres nationaux de financement intégrés (CNFI), un outil que plus de 70 pays pilotent et qui constitue un mécanisme précieux pour améliorer la coordination entre les donateurs, les banques multilatérales de développement et les gouvernements nationaux en aidant à aligner les ressources financières sur les dépenses publiques. 

Deuxièmement, nous nous sommes efforcés de promouvoir l’utilisation par les pays en développement d’instruments financiers liés à la durabilité, tels que les obligations « vertes » ou « sociales ». Ces instruments qui sont de plus en plus populaires dans les pays avancés, présentent néanmoins un certain nombre de problèmes : non seulement en ce qui concerne leur plus grande diffusion au niveau mondial, mais aussi pour éviter le « greenwashing », en veillant à ce que les fonds collectés soient réellement utilisés pour financer des projets de développement durable.

Enfin, nous avons travaillé à l’élaboration d’une vision commune du G20 sur la manière de collaborer avec les pays en développement afin de garantir que les ressources fiscales soient alignées de manière appropriée sur les ODD, pour que le financement fourni par les pays du G20 aux pays en développement ait un impact maximal sur la reprise et la réalisation. Il s’agit d’un objectif ambitieux et sans doute complexe, mais qui a trouvé une réponse très positive dans les pays en développement, notamment en Afrique, où la Commission économique des Nations unies a indiqué sa volonté de lancer des projets pilotes. 

Dans ce contexte, une coopération multilatérale renouvelée devient de plus en plus nécessaire. Par exemple, dans le domaine de la coopération au développement, la communauté des donateurs ne peut espérer pouvoir résoudre la crise mondiale à elle seule. Il est nécessaire d’écouter pleinement et d’engager un dialogue constructif et égalitaire avec les autres, en renforçant la coopération avec les pays en développement et, plus généralement, avec les économies émergentes. Par exemple, les progrès réalisés en matière de fiscalité des entreprises multinationales ont été possibles grâce à la création d’un cadre inclusif, qui a été construit au sein de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), avec près de 140 pays pour définir ensemble les nouvelles règles. 

Les villes intermédiaires : une priorité du G20

Parmi les priorités du G20 sous la présidence italienne, nous avons voulu mettre en avant le rôle fondamental des villes – avant tout des villes intermédiaires – et l’urbanisation durable dans les pays en développement. Si nous parlons de l’Agenda 2030 et de la réalisation des ODD, nous ne pouvons pas nous permettre de négliger la dimension locale et le rôle transformateur des villes intermédiaires.  Ces derniers n’ont jusqu’à présent – étonnamment – pas reçu suffisamment d’attention au niveau mondial. Au contraire, les villes, en particulier les petites et moyennes, ont été en première ligne pour répondre aux besoins et aux urgences, jouant un rôle clé dans la réponse à la pandémie et s’avérant de plus en plus être des acteurs indispensables pour une reprise inclusive, résiliente et durable. Dans le communiqué de clôture de la réunion des ministres du développement du G20 en juin dernier, nous avons reconnu que « les villes intermédiaires offrent un potentiel important, mais souvent inexploité et sous-utilisé, pour atteindre les ODD au niveau local et […] peuvent jouer un rôle crucial, de concert avec les gouvernements nationaux, pour faire progresser un modèle de développement plus inclusif, résilient et durable ». 

Une coopération multilatérale renouvelée devient de plus en plus nécessaire. Par exemple, dans le domaine de la coopération au développement, la communauté des donateurs ne peut espérer pouvoir résoudre la crise mondiale à elle seule.

Marina Sereni

Les villes intermédiaires abritent actuellement 20 % de la population mondiale et un tiers de la population urbaine totale. L’OCDE et CGLU (Union des villes et gouvernements locaux) ont estimé que les investissements réalisés au niveau des autorités infranationales – c’est-à-dire des administrations publiques de taille moyenne – représentaient près de 60 % du total des investissements publics dans les pays à haut revenu à l’époque pré-pandémique. Ces chiffres montrent l’importance cruciale des autorités locales dans la mise en œuvre des politiques publiques. En revanche, dans les pays en développement, bien que les données disponibles soient moins détaillées, les investissements des collectivités locales ne représentent que 7 % des investissements publics. Le cas des villes intermédiaires peut donc constituer un exemple de bonne pratique, un modèle de développement qui peut évidemment être adapté aux différentes réalités dans lesquelles il serait appliqué. 

Villes intermédiaires dans les pays en développement

Alors, où en sont les villes intermédiaires dans les pays à revenu moyen et faible ? Tout simplement : leur croissance démographique est parmi les plus rapides. En Afrique, en particulier, la croissance urbaine la plus rapide de la planète se produit et continuera de se produire. Le rapport du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest intitulé « Dynamiques de l’urbanisation africaine 2020«  2 prévoit un doublement de la population africaine d’ici 2050, dont les deux tiers seront absorbés par les zones urbaines. Il faut noter la particularité du processus d’urbanisation en cours sur le continent africain : contrairement aux idées reçues, une grande partie de la population urbaine très jeune ne sera pas concentrée dans les grandes métropoles – par un exode rural massif – mais dans des petites et moyennes agglomérations – les villes intermédiaires (ce qui ne signifie pas que la croissance démographique des grandes métropoles ne connaîtra pas une croissance exponentielle). 

En outre, ces villes doivent encore construire une grande partie de leurs propres infrastructures : leurs choix d’investissement dans les réseaux d’énergie et de transport auront un impact important en termes de durabilité, de protection des terres et de la biodiversité, de transformation numérique et de réponse au changement climatique.  Malgré leurs fonctions essentielles, les villes intermédiaires des pays en développement sont confrontées à une situation encore plus grave dans la perspective de la reprise post-Covid-19. Ils sont souvent négligés dans les stratégies nationales et les programmes de coopération internationale et sont confrontés à d’énormes contraintes pour réaliser leur potentiel de développement. Par exemple, le rapport “Dynamiques du développement en Afrique 2021” 3, réalisé par le Centre de développement de l’OCDE et l’Union africaine, montre le potentiel mais aussi les difficultés auxquelles ces villes sont confrontées dans le cadre de la transformation numérique et de la création d’emplois. Ces éléments nous ont fait prendre conscience de l’urgence d’accorder plus d’attention aux autorités locales et aux villes intermédiaires et c’est pourquoi nous avons inclus, pour la première fois, ce que l’on appelle dans le jargon technique la « localisation et la territorialisation » des ODD dans l’agenda du G20. 

La plateforme sur la localisation des ODD et les villes intermédiaires

Grâce aux travaux du groupe de travail sur le développement, le G20 a mis en place une plateforme sur la localisation des ODD et les villes intermédiaires, un espace ouvert et inclusif pour le dialogue politique afin d’aider à maximiser les synergies entre les initiatives existantes et à combler certaines des principales lacunes auxquelles ces villes sont confrontées dans la réalisation de leur potentiel de développement. Nous avons également approuvé les 10 principes de haut niveau du G20 à Rome pour les partenariats de ville à ville visant à atteindre les ODD, en soulignant certains domaines clés pour progresser dans leur localisation. Sur la base de ces principes, qui tiennent compte de l’hétérogénéité des villes intermédiaires du G20 et des pays en développement, la plateforme du G20 vise à préparer un recueil de bonnes pratiques sur les partenariats entre villes pour la localisation des ODD, grâce auquel le G20 pourra favoriser la création de projets pilotes ou de nouveaux partenariats entre les villes intermédiaires et les territoires du G20 et des pays partenaires.

L’Italie : un modèle à suivre ?

Dans ce contexte, l’Italie, pays de villes petites et moyennes dans lesquelles des liens forts existent et ont été construits entre les entreprises et le territoire, entre le troisième secteur et les institutions, a l’opportunité de jouer un rôle de premier plan dans cette initiative, en contribuant de manière substantielle à un nouvel agenda international pour le développement local. En effet, notre pays a traditionnellement joué un rôle de premier plan dans le débat sur les politiques de développement territorial au niveau international, notamment au sein de l’OCDE, et la contribution de nos autorités locales à la mise en œuvre de projets de coopération internationale au développement est largement reconnue. Ce dernier constitue un patrimoine original d’expériences, résultat de la capacité des Régions et des Municipalités à mobiliser les différents acteurs et ressources des territoires, afin de construire des relations et des partenariats pour le développement durable. 

L’Italie et l’Afrique : prolégomènes pour un multilatéralisme renouvelé

Comme nous l’avons vu à propos des villes intermédiaires, l’Afrique devient de plus en plus un chapitre crucial de l’agenda international, et l’une des priorités de la politique étrangère italienne. Le renforcement du dialogue et des relations avec les pays et les institutions africaines est appelé à devenir de plus en plus important – pour des raisons évidentes de nature stratégique, historique, géographique, économique et culturelle – tout en incluant progressivement la société civile du continent. L’idée est de promouvoir un véritable partenariat d’égal à égal, axé sur le développement partagé et la résolution conjointe des nombreux défis mondiaux. C’est pourquoi, en décembre dernier, la Farnesina a présenté un document stratégique, le « Partenariat avec l’Afrique« , dans lequel ce type de relation « de personne à personne » apparaît clairement et se traduit par de multiples initiatives.

Dans les années à venir, le continent africain connaîtra une croissance de plus en plus rapide – la moitié de la population a désormais moins de 19 ans – et sera au centre de dynamiques sociales et économiques multiples et complexes. Dans ce scénario, et comme le souligne le document stratégique susmentionné, le processus d’intégration économique continentale offrira d’énormes opportunités pour la transformation productive des économies africaines et, potentiellement, pour une plus grande présence des entreprises italiennes – petites, moyennes et grandes – sur le continent.

l’Afrique devient de plus en plus un chapitre crucial de l’agenda international, et l’une des priorités de la politique étrangère italienne. L’idée est de promouvoir un véritable partenariat d’égal à égal, axé sur le développement partagé et la résolution conjointe des nombreux défis mondiaux.

Marina Sereni

Notre position au centre de la Méditerranée rend non seulement opportune mais aussi nécessaire une action de politique étrangère cohérente et inclusive, articulée en fonction des multiples dynamiques – présentes et futures – auxquelles le continent africain est soumis. Le développement économique durable du continent est une priorité partagée, qui appelle une promotion encore plus déterminée des investissements et de la coopération en termes financiers, scientifiques, technologiques et culturels. Mais le développement ne sera pas durable sans une action convaincue et conjointe pour lutter contre le changement climatique, pour garantir l’énergie (et l’énergie propre) à la population qui en est actuellement dépourvue, pour assurer la paix et la sécurité, et pour promouvoir une gouvernance efficace et inclusive qui renforce la qualité des institutions et promeut les droits des citoyens, en particulier pour les groupes vulnérables tels que les femmes, les enfants, les personnes âgées et les personnes handicapées.

Ces considérations stratégiques sont aussi, sinon surtout, le résultat de la présence intense de l’Italie en Afrique et de l’Afrique en Italie, comme en témoignent les nombreuses initiatives de la coopération au développement et des entreprises italiennes et l’expérience profondément enracinée de nos ONG, de nos organisations religieuses et de nos volontaires ; mais aussi le dynamisme de la diaspora africaine, qui possède un énorme potentiel pour promouvoir des partenariats et des activités commerciales sur le continent, en aidant notre pays à interpréter plus correctement les changements rapides que connaît le continent africain.

Ce n’est pas un hasard si l’Afrique est le principal partenaire de la coopération italienne au développement : sur les 20 pays prioritaires identifiés dans notre document de planification triennale et de pilotage 2021-2023, 11 sont africains (Égypte, Tunisie, Éthiopie, Kenya, Somalie, Soudan, Burkina Faso, Mozambique, Mali, Niger et Sénégal).

Notre fort engagement envers le continent africain est également attesté par le montant des subventions allouées aux pays africains. En effet, en 2020, un total de plus de 438 millions d’euros d’aide publique au développement a été fourni par l’Italie au continent africain (dont plus de 120 millions par la Coopération italienne).

Ces ressources se traduisent concrètement par des projets mis en œuvre par les organisations internationales et les organisations de la société civile (OSC) présentes sur le territoire visant à réaliser des priorités et des objectifs d’action qui s’inscrivent dans une vision à l’horizon 2030 et qui contribuent à la réalisation des ODD.

Les priorités sectorielles et thématiques qui guident notre action en Afrique sont : l’environnement et le climat, la santé, la sécurité alimentaire, l’éducation et la formation, et la protection des groupes les plus fragiles, notamment les femmes, les enfants, les personnes déplacées et les réfugiés.  C’est autour de ces axes que se développe la stratégie d’intervention de la Coopération italienne au développement sur le continent africain. Je tiens également à souligner que la réalisation de la pleine égalité des sexes et l’autonomisation des femmes sont des thèmes transversaux dans toutes nos interventions de coopération. En outre, la coopération est également orientée en fonction de priorités géographiques, ainsi que sectorielles. Ils sont principalement divisés en trois zones, au nord et au sud du Sahara : l’Afrique du Nord, le Sahel et la Corne de l’Afrique. 

Priorités géographiques

Le Sahel

Le Sahel est sans aucun doute une région d’importance croissante pour nous, dans laquelle le Niger, le Burkina Faso et le Mali (à partir de 2022) sont des pays prioritaires, et où nous avons alloué au cours de la période quadriennale 2018-2021 quelque 120 millions d’euros, pour des projets de développement et d’urgence concernant le développement rural, la sécurité alimentaire, l’adaptation au changement climatique, la protection des groupes les plus vulnérables, tels que les réfugiés, les personnes déplacées à l’intérieur du pays et les rapatriés, et le développement du secteur privé. 

L’effort financier de la communauté internationale au Sahel a donc été très important ces dernières années. L’Italie y a contribué dans le cadre d’une politique de renforcement global de notre présence dans la zone, qui s’est traduite par l’ouverture de quatre ambassades (au Niger, en Guinée, au Burkina Faso et au Mali) un engagement important sur le front de la sécurité, une attention aux questions de migration mais aussi aux besoins humanitaires de la population, notamment en termes de sécurité alimentaire. Les dimensions humanitaire-développement-paix, vertueusement liées dans l’approche Nexus, sont déjà inhérentes à notre action, qui peut être rendue plus efficace et productive. La détérioration de la situation générale dans la région, et en particulier la crise sociale et politique dans certains pays, appelle une réflexion sur l’efficacité des initiatives de la communauté internationale, à laquelle nous nous associons avec nos partenaires européens. 

Afrique du Nord

Pour des raisons de proximité géographique et de liens historico-culturels, nous sommes également très impliqués en Afrique méditerranéenne, où nous finançons de nombreuses initiatives de développement visant à stabiliser et démocratiser les pays d’Afrique du Nord, à promouvoir la protection des droits de l’homme et à faciliter la création de nouvelles opportunités d’emploi. En fait, l’Afrique du Nord est un partenaire naturel pour l’Italie et les pays euro-méditerranéens. Pour cette raison, l’Italie soutient la nécessité d’une relance stratégique du partenariat euro-méditerranéen sur la base d’un nouveau paradigme de gestion conjointe des « biens communs euro-méditerranéens » (intensification de la coopération sur le climat, l’environnement, la numérisation, la sécurité). 

Nous contribuons également à la réponse humanitaire internationale, en accordant une attention particulière à la Libye et à la crise des réfugiés sahraouis en Algérie. Cette année, nous sommes également intervenus à plusieurs reprises pour aider nos amis tunisiens et libyens dans la lutte contre le COVID-19, avec des fournitures de matériel et d’oxygène pour alléger la pression de la pandémie sur les structures de ces pays.

La Corne de l’Afrique

Notre zone d’intervention traditionnelle est également la Corne de l’Afrique, où nous avons toujours travaillé dans les secteurs du développement agricole et agro-industriel, notamment par le biais de projets soutenant les chaînes de production et la santé. Aujourd’hui, la région est en proie à une instabilité croissante et inquiétante, compte tenu du conflit en Éthiopie, de la difficile transition démocratique au Soudan et de la fragilité chronique en Somalie. L’effondrement d’une zone hautement peuplée et stratégique doit être évité en trouvant un équilibre difficile entre la volonté de ne pas pénaliser la population et l’utilisation des leviers dont dispose la communauté internationale pour exercer une pression plus efficace sur les autorités. 

À ce stade, dans les deux pays, sur le plan du développement, nous envisageons, en fonction de l’évolution des événements, de maintenir les initiatives qui bénéficient directement à la population (je pense aux services de santé, à la sécurité alimentaire) et de geler temporairement les autres. Sur le plan humanitaire, nous poursuivons nos activités pour tenter, avec nos partenaires internationaux, de répondre aux besoins essentiels des personnes dans le besoin, et en particulier des victimes du conflit du Tigré, qui s’est maintenant étendu à d’autres régions de l’Éthiopie.

L’Italie et le multilatéralisme en Afrique

C’est le scénario dans lequel l’Italie est impliquée dans la coopération en Afrique. Il faut maintenant considérer la contribution donnée par les différents contextes internationaux et les tables multilatérales, en premier lieu les Nations unies et l’Union africaine (par rapport à laquelle l’Italie est le seul pays de l’UE à avoir, depuis 2018, son propre représentant permanent dédié, en tant qu’observateur). Toujours sur le plan multilatéral, l’Italie soutient ardemment l’action des organisations régionales africaines et les processus d’intégration qu’elles ont initié. Nous considérons les forums régionaux africains comme une plateforme de dialogue privilégiée et ce n’est pas un hasard si nous travaillons en étroite collaboration avec l’IGAD (Autorité intergouvernementale pour le développement) et la CEA (Commission économique pour l’Afrique) en Afrique de l’Est et au Sahel. 

En outre, compte tenu des spécificités démographiques et politiques des sociétés africaines, le dialogue et la coopération avec celles-ci – fondés sur un partenariat d’égal à égal et une plus grande coordination des actions dans les forums multilatéraux – sont indissociables d’un renforcement et d’une plus grande inclusion de la société civile, des particuliers et des organisations non gouvernementales sur le continent lui-même. 

Priorités thématiques du partenariat avec l’Afrique

Sécurité alimentaire

En ce qui concerne plus particulièrement la question de la sécurité alimentaire, qui est un pilier de longue date de la coopération italienne, je tiens à souligner que nous nous efforçons de rendre l’agriculture, principale composante de l’économie de nombreux pays africains, et l’agro-industrie, plus efficaces et écologiquement durables, en accompagnant l’expansion du nombre de petites et moyennes entreprises actives, et en encourageant la participation des femmes et des jeunes à l’entrepreneuriat dans ces secteurs. Ces efforts s’inscrivent dans une approche territoriale plus large visant à promouvoir le développement rural et le renforcement des liens entre les zones urbaines et rurales, notamment par des investissements dans les villes intermédiaires. Une attention significative est également accordée à ce secteur dans le cadre de nos initiatives humanitaires, où nous soutenons les principales organisations impliquées dans l’assistance alimentaire dans les contextes d’urgence.

Au Sahel, nous finançons de nombreux projets dans le but d’assurer la sécurité alimentaire à long terme des pays de la région. Par exemple, avec une contribution de 2,8 millions d’euros, nous soutenons un projet d’irrigation à petite échelle pour le développement de la production agroalimentaire au Niger ; toujours au Niger, nous avons refinancé avec une contribution de 2 millions d’euros la deuxième phase du projet ANADIA II, qui vise à contribuer au développement d’une agriculture durable et résiliente au changement climatique afin de soutenir la sécurité alimentaire du pays. Enfin, je voudrais mentionner l’initiative Agrinovia 3.0, d’un montant total de 2,1 millions d’euros, qui vise à renforcer la capacité d’innovation dans le secteur rural au Burkina Faso par le biais d’un programme de formation professionnelle, mis en œuvre en collaboration avec l’université de Roma Tre. 

Paix et sécurité

Un thème prioritaire du partenariat avec l’Afrique est la paix et la sécurité. La prolifération des cellules terroristes et les conflits internes constituent un facteur de déstabilisation qui risque de contrecarrer les efforts déployés pour atteindre les objectifs de l’Agenda 2063 de l’Union africaine. L’action italienne s’articule sur plusieurs fronts, allant des activités de coopération au développement à la formation des forces de sécurité et au soutien aux missions de maintien de la paix des Nations unies. L’Italie entend renforcer encore son soutien aux activités de médiation, de prévention des conflits et de stabilisation post-conflit menées par les Nations unies, avec une attention particulière pour l’Afrique du Nord, la Libye, le Sahel et la Corne de l’Afrique. C’est pourquoi l’Italie contribue à plusieurs missions de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) de l’UE, tant en fournissant du personnel qu’en participant à la définition des mandats individuels et des orientations générales de la PSDC. 

En ce qui concerne l’Afrique du Nord, l’engagement de l’Italie en faveur de la stabilisation de la Libye reste une priorité, car il s’agit d’une condition indispensable pour contrer efficacement la menace terroriste, prévenir les flux migratoires irréguliers et le trafic d’êtres humains, d’armes et de substances illicites, ainsi que pour protéger les intérêts énergétiques et, plus généralement, économiques et commerciaux. Convaincus qu’il ne peut y avoir de raccourci militaire, nous soutenons fermement les efforts déployés par les Nations unies dans le cadre du « processus de Berlin » en vue d’une solution politique à la crise libyenne qui favorise une paix totale et un retour à la normale dans le pays. La présence de notre ambassade à Tripoli rend notre action dans le pays particulièrement profilée. 

À la suite de la crise libyenne, la région du Sahel est devenue de plus en plus la frontière méridionale de l’Europe. Comme déjà mentionné, elle est devenue l’une des zones prioritaires de l’Italie et a acquis une valeur stratégique en termes de sécurité et de trafic, entre autres. Dans la zone sahélienne, déjà caractérisée historiquement par la précarité socio-économique, la vulnérabilité environnementale, la fragmentation communautaire et la difficulté d’accès aux institutions étatiques dans les territoires les plus périphériques, au fil des ans, d’autres facteurs d’instabilité se sont ajoutés, découlant du changement climatique, de l’expansion démographique, de la volatilité économique mondiale et de la progression de l’extrémisme djihadiste. Comme mentionné ci-dessus, nous avons l’intention de renforcer nos relations bilatérales avec les pays d’Afrique de l’Ouest, ce qui s’accompagnera d’une intensification du programme de visites politiques et d’un approfondissement du partenariat avec le G5 Sahel.

En ce qui concerne la Corne de l’Afrique, l’Italie est appelée à jouer un rôle central, tant dans le cadre européen que dans le respect des intérêts nationaux, c’est-à-dire à maintenir l’attention maximale de l’Union sur la Corne tout en assumant un rôle de leadership croissant pour garantir la stabilité, la paix et le développement des pays de la région. En ce sens, le soutien au multilatéralisme et au renforcement fonctionnel des organismes régionaux tels que l’UA et l’IGAD doit être confirmé par le maintien d’un effort financier visant à soutenir leur efficacité décisionnelle et leur prestige dans les situations de crise politique et d’urgence, par le biais de canaux financiers éprouvés, tels que le décret sur les missions. Il conviendra alors de maintenir un rôle de premier plan en Somalie, afin de soutenir le processus de reconstruction institutionnelle, de surmonter les dynamiques intertribales et interclaniques et de lutter contre Al Shabaab et Daesh, notamment en termes de présences de premier plan dans les missions de l’UE et les opérations PSDC. Dans ce cadre, il sera important de continuer à accorder une attention particulière au processus d’intégration économique régionale, par le biais d’initiatives politiques, économiques, financières et culturelles appropriées qui ont pour plus petit dénominateur commun le thème de l’éducation, un domaine où l’Italie est internationalement reconnue pour sa capacité à interpréter les désirs locaux et à adapter son offre de manière inclusive et interculturelle.

Flux migratoires

Les flux migratoires de l’Afrique vers l’Europe et la tragédie des nombreux – trop nombreux – décès en Méditerranée ont catalysé l’attention ces dernières années. Il est important de comprendre les causes de ces flux – souvent liés à l’instabilité et à la violence, mais aussi une conséquence naturelle du développement économique. Contrairement à ce que beaucoup pensent, le développement économique des pays moins développés augmente les possibilités d’émigration, ne les diminue pas.  Malgré le récit souvent erroné qui s’est construit ces dernières années, la gestion du phénomène migratoire reste un aspect essentiel de notre relation avec le continent africain – ainsi que pour maintenir l’équilibre de notre politique intérieure, tant au niveau national qu’européen. L’Italie a mis en place une stratégie à plusieurs niveaux pour la gestion du phénomène migratoire – articulée en une série d’interventions : action sur les causes profondes des flux, assistance sur place aux migrants dans les pays de transit, activités de renforcement des capacités pour lutter contre les trafiquants d’êtres humains. Cette stratégie repose sur le renforcement du partenariat avec les pays africains d’origine et de transit, avec la collaboration indispensable des agences des Nations unies travaillant sur le terrain (en particulier l’OIM et le HCR). Afin de soutenir financièrement ce plan d’action ambitieux, depuis 2017, un « Fond Afrique » est actif dans le budget du ministère des Affaires étrangères pour des projets à réaliser dans les pays africains les plus importants en matière de migration. La loi de finances 2020 a transformé le « Fond Afrique » en « Fonds pour les migrations », élargissant son champ d’application géographique aux pays non africains.  De toute évidence, pour une gestion efficace du phénomène migratoire, dont la révision du mécanisme de Dublin est une condition préalable fondamentale, il est crucial de mettre en œuvre une coordination de plus en plus étroite entre l’UE et ses États membres. J’espère que l’Italie et l’Union européenne poursuivront sur la voie déjà empruntée, en faisant en sorte que le dossier « migration » soit transversal à toutes les initiatives en Afrique.

Contrairement à ce que beaucoup pensent, le développement économique des pays moins développés augmente les possibilités d’émigration, ne les diminue pas. Malgré le récit souvent erroné qui s’est construit ces dernières années, la gestion du phénomène migratoire reste un aspect essentiel de notre relation avec le continent africain.

Marina Sereni

Le continent africain présente un caractère exceptionnel et une énorme opportunité pour l’Italie et l’Europe. Il s’agit d’un scénario complexe, difficile, en pleine expansion et doté d’un potentiel incroyable, un futur vecteur de changement – tant au niveau du développement à l’échelle mondiale qu’au niveau des futurs équilibres géopolitiques mondiaux. Un scénario qui nécessite des solutions et des approches à moyen et long terme, et non les solutions immédiates auxquelles nous sommes habitués. C’est pourquoi notre politique étrangère et de coopération doit, avec conviction, se concentrer et créer sa propre ligne indépendante dans les relations avec l’Afrique, ses pays et ses institutions. Cela permettra non seulement de coopérer et de contribuer au développement du continent africain, mais aussi à celui de notre continent européen, qui cherche depuis trop longtemps une identité et une autonomie nouvelles et plus solides.

Sources
  1. Les données pour l’Afrique (tirées de « Notre monde en chiffres ») datent du 25 décembre et incluent les pays d’Afrique du Nord (dont le taux de vaccination moyen est beaucoup plus élevé que celui des pays subsahariens).
  2. https://www.oecd.org/fr/regional/dynamiques-de-l-urbanisation-africaine-2020-481c7f49-fr.htm# :~:text=D’ici%202050%2C%20l’,les%20petites%20et%20moyennes%20agglom%C3%A9rations.
  3. https://www.oecd-ilibrary.org/development/dynamiques-du-developpement-en-afrique-2021_cd08eac8-fr