Berlin. Face à une flotte d’avions de combat vieillissante, le ministère de la Défense allemand a fait le choix de remplacer 80 Tornados acquis dans les années 1980 par 90 nouveaux avions de combat (3). Malgré un réaménagement régulier, la maintenance des Tornado est devenue trop coûteuse pour qu’ils soient prolongés après 2030. Il faut donc que la Luftwaffe puisse disposer de nouveaux avions à partir de 2025. Concomitamment au ILA Berlin Air Show en avril 2018, les concurrents avaient dévoilé leur proposition (5) pour répondre à l’appel d’offre.
Bien qu’une partie du ministère de la Défense allemand souhaitait acquérir des F-35A de Lockheed Martin (1) pour des raisons de performances et de rapprochement avec les États-Unis, c’est l’offre du Typhoon qui est publiquement défendue. Outre la question du prix élevé de l’avion américain, l’Eurofighter met à l’honneur une industrie nationale et la coopération européenne. À l’instar du Tornado, le Typhoon est le fruit d’une coopération multinationale, entre l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et le Royaume-Uni. La Luftwaffe en opère déjà 145 et souhaite en obtenir une version améliorée pour répondre aux exigences capacitaires.
Si le rejet du F-35 ouvre la voie à une coopération industrielle européenne accrue, l’une des raisons évoquées est de ne pas gêner le moteur franco-allemand. Il semble que Paris, par la voix de Dirk Hoke, président d’Airbus Defence and Space, ait estimé que « dès que l’Allemagne deviendra une nation F-35, la coopération avec la France sur tous les sujets d’avion de combat sera morte » (4). Au centre de cette coopération franco-allemande, le projet du système de combat aérien futur (SCAF), qui doit remplacer le Typhoon et le Rafale à l’horizon 2040, pâtirait d’une armée allemande opérant l’avion américain de cinquième génération.
Une partie de la flotte de Tornado allemands dispose d’une capacité d’emport d’un armement atomique, notamment celui de la bombe B61 américaine. Au titre de la politique de partage nucléaire de l’OTAN datant de la guerre froide, l’Allemagne doit pouvoir transporter et lâcher une bombe atomique, avec le principe de la double clé, en cas de guerre sur le continent. En effet, le principe de la double clé stipule que l’Allemagne opère l’armement nucléaire cédé mais que la décision de tir échoit aux Américains. À cet égard, la base aérienne de Büchel dispose d’une vingtaine de B61, pour lesquelles le Tornado est certifié par les États-Unis.
Il est avancé que le F-35 doit obtenir une telle certification pour le début des années 2020, et que le F-18 de Boeing l’a déjà. Reste que l’Eurofighter n’est pas certifié. Berlin en a fait la demande auprès de Washington en avril 2018 (2), et il lui a été répondu qu’il faudrait cinq à dix ans, ce qui mettrait en péril le programme de renouvellement. Contrainte sur la question de ses obligations vis-à-vis de l’Alliance, l’Allemagne a émis l’idée d’un compromis, une commande dissociée entre Typhoon et F-18.
Perspectives :
- Bien que le F-35 ait été écarté pour des questions de préférences européennes, l’option américaine par le F-18 est toujours sur la table, du fait des obligations de partage nucléaire avec l’Alliance. Si l’Allemagne n’a pas entravé le projet franco-allemand SCAF, elle risque de difficilement pouvoir défendre l’option Eurofighter. Cela soulève la question de la dépendance de l’Allemagne à la dissuasion nucléaire américaine et de la difficulté à y trouver une alternative dans le cadre d’une défense européenne.
Sources :
- GOURE Dan, Nuclear burden-sharing dictates that Germany acquire the F-35, Defense News, 8 mars 2018.
- LAGNEAU Laurent, Otan : Berlin demande au Pentagone s’il est possible de certifier les Eurofighter Typhoon pour les missions nucléaires, Zone Militaire Opex360, 23 juin 2018.
- SHALAL Andrea, Germany drops F-35 from fighter tender ; Boeing F/A-18 and Eurofighter to battle on, Reuters, 31 janvier 2019.
- SPRENGER Sebastian, Lockheed, US Air Force mount F-35 sales pitch at Berlin Air Show, Defense News, 23 avril 2018.
- SPRENGER Sebastian, Germany’s fighter jet race could start dropping bidders this summer, Defense News, 21 juin 2018.
Florent Corneau