Ce texte s’inscrit dans une série d’entretiens consacrés aux partis verts en Europe, co-publié avec le Green European Journal.
Quels sont les principaux enjeux de la politique lituanienne en 2021 ?
Au printemps de cette année, la Lituanie a été confrontée à un deuxième confinement qui a provoqué un stress majeur parmi la société. Le pays a connu plusieurs pics de l’épidémie en 2020, mais dans l’ensemble, celle-ci a été maîtrisée, et les conséquences sur l’économie ont été contenues, résultant par l’une des plus faibles baisses du PIB en Europe.
Depuis les élections d’automne dernier, l’Union lituanienne agraire et des verts n’est plus au gouvernement, et constitue le principal parti d’opposition. Le gouvernement actuel a tenté de nous faire porter le chapeau de la deuxième vague de 2021, en affirmant que nous étions trop modérés et pas assez stricts dans nos restrictions, juste avant les élections. Cette année, il a réagi en introduisant des mesures encore plus sévères, notamment une interdiction de voyager entre les villes du pays pendant plusieurs mois — bien que la plupart de ces mesures aient été levées.
Notre approche n’a jamais été de s’opposer aux restrictions sanitaires. Au sein du gouvernement, nous avons introduit plusieurs règles strictes : depuis des règles de quarantaine obligatoire plutôt efficaces jusqu’à des tentatives moins réussies de limiter le nombre d’acheteurs dans les supermarchés, via des restrictions sur les places de parking. Cependant, notre approche consistait à chercher des moyens de limiter au maximum les dégâts causés à l’économie et au moral, en garantissant par exemple les conditions de bon fonctionnement des petites entreprises, en particulier celles qui ne peuvent pas ouvrir une boutique en ligne, et jusqu’à l’initiative pan-balte dite de la « bulle de voyage » — une politique que la nouvelle collation de droite et d’ultra-droite n’a pas réussi à répéter.
Si l’on fait abstraction de la pandémie, quelles sont les autres questions qui façonnent la politique lituanienne ?
Pour notre parti, les questions sociales et le dépassement du fossé très important entre les riches et les pauvres sont essentiels. Les inégalités étaient très élevées avant notre arrivée au gouvernement mais, en cinq ans, elles ont commencé à se réduire grâce aux mesures que nous avons prises — comme l’aide universelle aux enfants, les réformes fiscales, et de multiples initiatives sectorielles ciblées. Les années à partir de 2015 ont été parmi les plus fructueuses que la Lituanie ait connues : les salaires ont augmenté de 43 % — malgré une charge fiscale moyenne qui a diminué de 5 % — le PIB du pays a progressé de près d’un quart, et les inégalités ont commencé à se réduire. En conséquence, l’écart de richesse entre les plus riches et les plus pauvres est passé d’un ratio de 7 à 6 ; les taux de suicide et de dépression ont également diminué ; même les tendances migratoires négatives, qui prévalaient depuis 1992, se sont inversées et, à partir de 2018, nous avons commencé à enregistrer une croissance démographique modérée. Bien sûr, je suis prêt à être accusé de partialité — nos adversaires politiques ne seront pas loin de la vérité en soulignant que beaucoup de ces problèmes sont toujours là. Cependant, la raison principale pour laquelle nous sommes toujours soutenus par une part importante des citoyens lituaniens est que nous avons réussi à lancer des programmes sociaux ambitieux, et à réduire les principaux problèmes sociaux ainsi que le fossé entre les plus riches et les plus pauvres, tout en maintenant et même en améliorant l’un des climats les plus favorables aux affaires, tant dans l’UE que dans le monde entier — le passage de la 20e place en 2016 à la 11e place dans l’indice Doing Business 2019 donne une idée de la portée des progrès réalisés.
Bien sûr, nous n’avons pas gagné en 2020, même si nous sommes passés tout près, et les partis de droite ont désormais une très faible majorité au Parlement. La raison pour laquelle nous avons obtenu des résultats inférieurs à ce que nous visions est, à mon avis, un manque de préparation pour coordonner certaines ambitions politiques, la communication ainsi que les responsabilités pour diriger un pays. Nous avons manqué d’expérience en politique internationale, et nous avons essentiellement cédé ce domaine à des partenaires de coalition plus expérimentés. Sur le plan intérieur, nous avons pris quelques combats que nous aurions dû éviter. Notre position ferme sur la publicité pour l’alcool et la circulation des drogues a provoqué des frictions importantes avec les lobbies industriels et les grands médias, qui bénéficient d’une liberté presque totale concernant ces publicités pour l’alcool. Certains affrontements sont même allés jusqu’à la Cour constitutionnelle.
Cependant, juste après les élections de 2020 — qui ont fait de nous le parti d’opposition le plus important — le « choc culturel émergent » sur les questions de droits de l’homme a donné lieu à une nouvelle situation préoccupante.
Deux petits partis libéraux, qui sont les jeunes partenaires de la nouvelle coalition de droite, adoptent une position ferme sur des questions qui sont encore assez controversées dans la société lituanienne, à savoir les unions entre personnes de même sexe et l’identité de genre. Bien qu’aucune de ces questions ne représente un problème majeur, puisque la discrimination fondée sur le genre et l’orientation sexuelle est bien interdite par la législation nationale, la société reste très divisée sur ces sujets. Les politiques identitaires polarisent assez aisément la société et provoquent des tensions sociales, ce que l’on peut également observer dans le débat sur la Convention d’Istanbul. Toutefois, le plus préoccupant est le manque de sensibilisation du public à la portée totale des droits de l’homme : son universalité et le choc entre modernité et tradition. Je crains que ces « guerres culturelles » ne façonnent notre débat national pendant de nombreuses années.
Ce que vous décrivez semble relativement commun à l’échelle européenne. Par exemple, la France est divisée sur sa relation avec l’Islam, et les divisions autour des questions de LGBT et de genre sont importantes en Pologne. Le climat politique polonais a-t-il une influence sur la Lituanie ?
J’ai des raisons de craindre que la Lituanie ne soit en train de développer ce que vous appelez le « climat polonais », c’est-à-dire le moment où les divisions autour des questions LGBT et de genre ne sont plus un objet de discussion argumentée, mais de manifestations dans les rues et de volonté politique mise en œuvre avec force. Cependant, la situation n’en est pas encore là, pas du tout. Les affrontements sur les droits de l’homme n’ont vraiment commencé que cette année. Pendant notre mandat, le débat public sur ce sujet était plutôt modéré et l’espace politique était rarement infesté par les discours de haine, du moins de la part de ceux qui ont le pouvoir de décision. Les tensions sont récemment devenues plus fortes, et je dirais dans une certaine mesure, que cela peut être attribué à l’autre approche du compromis politique prônée par l’actuelle coalition de droite.
Dans le même temps, nous avons étudié en profondeur une autre forme de « climat polonais » — la politique sociale. Nous avons modifié et mis en œuvre avec succès certaines des idées sur lesquelles la Pologne était pionnière — à commencer par l’augmentation des dépenses publiques pour les familles, les personnes handicapées, les pensions, ainsi que l’innovation politique dans ces domaines. Et bien sûr, nous ne les avons en aucun cas copiées en ce qui concerne leurs politiques relatives aux tribunaux ou aux minorités.
Cependant, depuis le changement de gouvernement, l’Union lituanienne agraire et des verts en tant que parti politique devient plus conservateur. Je n’aime pas ce glissement qui reflète l’image d’une société de plus en plus polarisée, et une diminution de la possibilité de définir et de défendre l’intérêt général. Pour l’instant, je ne pense pas que la Lituanie connaîtra un jour des problèmes similaires à ceux de notre voisin du sud, mais une possibilité, aussi minime soit-elle, demeure.
En ce qui concerne les questions environnementales, quelles sont celles qui gagnent en popularité en Lituanie, et comment vous positionnez-vous à leur égard ?
L’agenda vert prend de l’ampleur, mais il ne constitue pas un élément majeur du débat politique. Il y a de nombreuses raisons à cela, parmi lesquelles les indicateurs environnementaux plutôt bons — à commencer par la qualité de l’eau, des forêts, de l’air dans la plupart des petites villes.
En tête de la liste de nos priorités environnementales, je placerais la protection des forêts. Les Lituaniens tiennent beaucoup à ces dernières et à la protection de l’environnement. Au cours des dernières années, les activistes locaux et les ONG ont réussi à mobiliser la société contre une gestion forestière et des politiques d’arboriculture urbaine qui ne sont pas particulièrement équitables. Ces groupes ont exercé une grande influence, notamment dans les régions les plus reculées. Il convient également de noter que deux de nos ministres ont été limogés en raison d’accusations de mauvaise gestion forestière. D’autres questions, telles que la pollution et les droits des animaux, reçoivent moins d’attention, mais c’est au cours de notre mandat que les principaux pollueurs industriels clandestins ont été révélés, punis, et ont commencé à faire montre de signes d’amélioration.
Bien sûr, comme pour tout pays qui l’entoure, la mer Baltique reste une préoccupation majeure. La pêche excessive, les décharges sous-marines de munitions chimiques de la Seconde Guerre mondiale qui rouillent, la construction de gazoducs russes sont autant d’éléments qui ne sont pas de bonnes nouvelles pour cette mer presque intérieure à l’UE. La récente crise économique en Russie et au Belarus, les politiques environnementales peu transparentes de ces pays, leur réticence à partager des informations et l’interprétation parfois inconsidérée des obligations environnementales internationales constituent une autre source de préoccupation. La construction d’une centrale nucléaire bélarussienne à 40 kilomètres à peine de Vilnius faisant fi des conventions internationales illustre parfaitement le fait que la législation environnementale de l’UE s’arrête souvent à ses frontières — ce qui n’est pas le cas des problèmes écologiques. Cette affaire constitue également une occasion manquée pour l’UE de se montrer comme un acteur majeur des relations internationales, défendant certaines de ses valeurs fondamentales, comme un environnement propre et sûr.
Je recommande aux nouveaux ministres de l’environnement de se concentrer encore davantage sur les forêts et sur les animaux sauvages rares, tels que les loups. Bien faire ces choses les aidera à rester en poste. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’autres problèmes comme les espaces urbains verts, la dépendance excessive des Lituaniens à l’égard de la voiture, et les transports publics qui doivent encore être améliorés. Mais ces problèmes sont à peine politiques — ils relèvent davantage des capacités administratives municipales ou régionales. Le fait que les gens sont stressés et mal à l’aise n’a rien à voir avec la politique. Mais les forêts ? Toujours !
Quid du changement climatique ?
Dans l’agenda politique national, le changement climatique en tant que concept n’est pas encore très présent. Nous avons une blague en Lituanie qui consiste à dire que sept mois par an dans le pays sont froids, tandis que le reste de l’année est un hiver — le réchauffement climatique peut donc sembler être une bonne idée après tout. Cependant, si l’on parle plus sérieusement, nous ressentons effectivement les effets du changement climatique. Si cela peut sembler être une bonne nouvelle pour l’agriculture, certaines régions de Lituanie sont également exposées à un grand risque de sécheresse — un phénomène presque inconnu dans un pays comme le nôtre, qui possède un réseau dense de rivières, de lacs et de nappes phréatiques. Ce problème pose de sérieux défis aux agriculteurs ainsi qu’aux gouvernements locaux, et nous sommes à la recherche d’une réponse durable.
Pendant notre mandat, en tant que gouvernement, nous avons pris certaines mesures telles que l’introduction d’une taxe sur les voitures, qui n’avait jamais existé auparavant. Si je ne me trompe pas, nous avons été les derniers dans l’UE à introduire une telle taxe. Bien sûr, la réception d’une telle mesure dans la société n’a pas été particulièrement accueillante. L’opposition disposait d’un outil supplémentaire pour nous blâmer, mais après avoir accédé au pouvoir, elle a rapidement oublié ses promesses d’abolir cette taxe.
Aujourd’hui, avec le recul, je peux dire avec fierté que nous avons fait un bon pas en avant en faisant de la voiture à moteur à combustion interne un moyen de déplacement moins désiré et, bien sûr, en assurant une source de revenus supplémentaire pour les politiques environnementales.
Quel rôle joue l’Europe dans la politique intérieure lituanienne ?
La Lituanie a toujours été l’un des pays les plus enthousiastes à l’égard de l’intégration européenne. Dans les sondages Eurobaromètre, les chiffres sont toujours élevés. Nous sommes satisfaits de l’Europe, du fonctionnement de la démocratie en Europe, et de l’impact de l’intégration européenne sur la Lituanie.
Toutefois, lorsqu’on va plus loin et qu’on entre dans des débats spécifiques, certaines zones d’ombre apparaissent. L’intensification des « guerres culturelles » a également une dimension européenne, car certains groupes plutôt radicaux de la société, qui défendent ce qu’ils appellent les « valeurs familiales traditionnelles », considèrent souvent l’Europe comme une menace. Il s’agit d’une situation nouvelle qui pourrait rompre avec le consensus établi sur l’Europe en Lituanie. Prenons un exemple : si vous allez dans la rue et demandez à quelqu’un : « Les valeurs européennes sont-elles vos valeurs ou des valeurs étrangères ? » 7 personnes sur 10 répondent que le compromis sur la définition de la famille, actuellement accepté dans la plupart des pays européens, n’est pas tellement partagé ici. Le soutien à l’Europe est-il compatible avec l’idée suggérée par Bruxelles d’étendre certains concepts clés, comme ceux de la famille et du mariage ? La société lituanienne y travaille, mais à un rythme un peu plus lent que dans certains pays d’Europe occidentale.
Il y a des débats au sein du parti, mais au final, nous ne franchirons pas la ligne. Nous protégerons les valeurs européennes, et pas seulement familiales ou nationales. Les principes de notre parti sont la décentralisation, le progrès vert, la transparence du gouvernement, l’égalité sociale et la protection de la famille dans le respect des droits de l’homme. C’est la ligne sur laquelle nous nous sommes mis d’accord.
Quelle est la place de la Lituanie sur la scène politique européenne au sens large ?
J’aime à voir la Lituanie comme un « bon Européen », et j’espère que cette idée est partagée par nos compatriotes et par nos partenaires dans toute l’UE, et en dehors de ses frontières. L’un des rôles les plus importants de la Lituanie en Europe est la promotion d’une approche fondée sur des valeurs envers les voisins de l’Est. La stratégie choisie par la Lituanie consiste à être très active vis-à-vis de la Russie, de l’Ukraine, du Caucase du Sud, de la Moldavie et du Belarus. L’histoire partagée de la Lituanie avec la zone géographique large et diverse définie comme « l’espace post-soviétique » nous permet de promouvoir une approche claire et réaliste du passé soviétique, et des tentatives actuelles de le réanimer.
L’appartenance à l’Union européenne est un élément important de cette stratégie, et l’adhésion à l’OTAN joue un rôle crucial. La plupart des politiciens lituaniens — sinon tous — soutiennent l’OTAN en tant qu’élément clé de la sécurité de l’Europe et de l’Atlantique Nord, ainsi que la nécessité de renforcer les liens transatlantiques.
Alors qu’une politique de sécurité forte de l’Union européenne doit encore émerger, la Lituanie s’est engagée dans cette direction, et les dépenses militaires supérieures à 2 % du PIB font l’objet d’un consensus. Depuis l’invasion de la Crimée par le régime de Poutine, le renforcement de la sécurité nationale est une priorité absolue. La question de savoir s’il faut donner la priorité aux dépenses de santé ou à l’armée ne fait pas débat. Certains disent : « Il faut d’abord renforcer l’armée, puis penser au reste ». En ce qui concerne la politique lituanienne sous notre gouvernement, je peux dire que nous avons réussi à acheter suffisamment d’armes, à former suffisamment de personnes pour tirer avec celles-ci, tout en veillant à ce que la vie civile ne souffre pas le moins du monde.
Le comportement agressif de la Russie en Géorgie et en Ukraine nous a aidés à sortir des idées idéalistes du début des années 2000, selon lesquelles des dépenses inférieures à 1 % du PIB et une adhésion formelle à l’OTAN constituaient une garantie suffisante de sécurité. Nous avons également fait de notre mieux pour aider le reste de l’Europe à sortir de ce rêve, et je suis heureux de constater que notre message sur ce qui se passe aux frontières orientales de l’UE a été entendu et écouté, à la fois par l’UE et par l’OTAN.
Quel est le point de vue de votre parti sur le rôle que l’Europe doit jouer dans le monde, et sur l’avenir de l’Europe en général ?
Nous maintenons l’idée que l’Europe est un organisme en évolution, et que le débat sur son rôle est donc un processus continu. C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles notre parti n’a pas de position très claire sur l’avenir de l’Europe, ou sur sa position dans le monde. Nous sommes un parti pro-européen, ce qui signifie également que nous sommes impatients de participer à la création et au façonnement de l’Europe elle-même.
Je vois au moins deux domaines dans lesquels l’UE peut bénéficier du passé récent de la Lituanie. L’un d’eux est la réduction de ses dépendances extérieures. Au début des années 1990, la quasi-totalité de notre commerce extérieur et, bien sûr, tous nos approvisionnements en énergie dépendaient d’un seul pays : la Russie. Il nous a fallu du temps, des efforts et encore plus de sagesse politique pour diversifier notre commerce extérieur. Aujourd’hui, la Lituanie est l’une des économies les plus ouvertes du monde et aucun partenaire commercial — sans parler des partenaires moins fiables — ne domine nos importations. En outre, l’économie s’est avérée suffisamment résiliente et résistante pour supporter les fluctuations du commerce mondial. Je pense que c’est l’approche que l’UE doit maintenir dans ses relations, au moins avec la Russie et la Chine.
Une autre suggestion consisterait à utiliser le pouvoir « not so soft » de l’UE, comme le commerce, afin de rendre l’économie mondiale plus verte et socialement plus responsable. La restriction progressive des importations de biens ou de marchandises non durables sur le plan environnemental, produits dans le non-respect des normes en matière de santé et de sécurité humaines, d’environnement et de droits de l’homme, ainsi qu’une assistance ciblée pour tous ceux qui souhaitent devenir plus durables pourraient devenir un axe majeur de la politique de l’UE.
Personnellement, je pense que l’Europe rate également l’occasion de devenir une Europe plus sociale. Même si la Lituanie a des positions conservatrices sur les questions culturelles, elle serait probablement favorable à un impôt commun sur les sociétés, par exemple. Cependant, nous n’allons pas mener cet agenda en tant que pays de 3 millions d’habitants. Au Conseil européen, la Lituanie a toujours signalé qu’elle ne serait pas hostile à une plus grande intégration sur les questions sociales, et j’ai souvent été déçu que des pays progressistes comme la Suède ne se fassent pas davantage entendre. Comme le gouvernement polonais, au cours des dix dernières années, nous avons mis en place des politiques visant à aboutir à un progrès social au niveau national. Mais pourquoi ne pas essayer ces politiques au niveau européen ? Où est le leadership ?
Quelles sont les priorités organisationnelles de votre parti pour les années à venir ?
Les tendances actuelles sont inquiétantes. Le cabinet en poste envisage les mesures les plus susceptibles de restreindre le choix des citoyens : suppression des élections présidentielles directes, réforme du système des élections parlementaires en supprimant les circonscriptions régionales (l’Union lituanienne agraire et des verts est naturellement forte au niveau régional, soit dit en passant), pour ne citer que quelques initiatives. Nous considérons ces efforts du gouvernement comme une tentative de diminuer l’importance de la dimension régionale dans la politique nationale, et de centraliser le pays et le pouvoir. Je suis profondément convaincu que nous devons maintenir un système équilibré et éprouvé par le temps, et que nous devrons donc obtenir de bons résultats aux prochaines élections municipales de 2023 et aux trois élections de 2024 (les élections générales, présidentielles et européennes).
Les élections municipales auront lieu dans deux ans, et il existe deux stratégies principales. La première consiste à rester le parti de gauche le plus influent. Cela semble prometteur, si l’on considère que les sociaux-démocrates lituaniens semblent être en profonde crise de leadership et d’idées. En Lituanie, la gauche est synonyme d’orientation sociale, de politiques économiques libérales et de soutien aux droits de l’homme, tout en étant culturellement assez conservatrice.
L’autre stratégie consiste à attirer davantage de membres pour contrer les manœuvres de l’actuel gouvernement de droite visant à changer les règles du jeu. Cela signifierait devenir un parti de type un peu plus « attrape-tout », allant bien au-delà de notre programme actuel, mais cela permettrait également d’équilibrer ce que certains considèrent comme une tentative d’établir une domination à long terme du parti de droite.
Vous avez récemment publié un livre qui tente de modifier les récits culturels et politiques dominants en Lituanie. Pouvez-vous nous en parler ?
Le livre traite des mythes politiques qui s’immiscent dans la tête des gens et de la manière de les aborder, son titre est « Un livre pas pour les enfants ». J’ai essayé de montrer que certaines idées — du moins dans notre société — sont souvent appréhendées avec un enthousiasme enfantin, souvent dénué d’une bonne pincée de scepticisme constructif. Le livre s’articule autour de 9 mythes de la politique lituanienne contemporaine. Ces mythes sont la construction d’un véritable État-providence, la justice sociale et le progrès, la confiance sans précédent du public dans le marché libre, le manque d’éducation humaniste des adultes, et enfin un type particulier de néolibéralisme post-soviétique.
Je soutiens que la Lituanie, comme de nombreux pays en voie de transformation, a eu trop confiance dans le marché libéral comme unique réponse aux défis. Elle a également beaucoup souffert de cette foi — l’émigration massive et continue de 1992 à 2018, ainsi que les énormes disparités dans la répartition des richesses en sont les exemples les plus visibles. Je montre ce qui a été fait et ce qui pourrait être fait pour contrecarrer le pouvoir et l’influence exercée par les grandes entreprises, et pour donner réellement du pouvoir aux gens. J’aborde également la question de la place et du rôle des valeurs ainsi que des droits de l’homme dans la vie quotidienne, et je plaide en faveur d’une distinction claire entre ce qui doit faire l’objet d’un débat politique — le concept de nation, les priorités du développement économique et social, la démocratie, certains aspects de la propriété — et ce qui ne doit pas être débattu, et doit être considéré comme un ensemble de valeurs communes — les droits des minorités, les droits politiques, la santé, la protection de la vie. Il s’agit d’une tentative d’expliquer pourquoi la question des minorités ne devrait pas dominer le débat politique en raison de l’importance de ces droits pour le long héritage démocratique de l’Europe. Le livre s’oppose également au mythe néolibéral selon lequel l’aide sociale rend automatiquement les gens paresseux, et s’appuie sur des statistiques ainsi que sur des preuves pour montrer comment et de quelle manière l’aide aux personnes fonctionne réellement. Il défend également la valeur de l’agenda du développement durable pour la Lituanie, et met en valeur la richesse de la Lituanie en termes de potentiel d’énergie renouvelable et de forêts.
Le dernier mythe auquel je m’attaque concerne l’histoire. La plupart des héros historiques de la Lituanie sont des dictateurs ou, du moins, des dirigeants non élus — depuis les ducs et les rois médiévaux jusqu’à Antanas Smetona, un dictateur de l’entre-deux-guerres qui a pris le pouvoir après un coup d’État militaire, puis s’est arrogé le titre de « leader de la nation », mais n’a pas utilisé sa puissance face à une réelle menace militaire. Cette mosaïque pose un problème lorsqu’il s’agit de construire une conscience politique démocratique. Le livre comble cette lacune et raconte l’histoire de démocrates importants dans l’histoire de la Lituanie.
Je pense que les Lituaniens, comme toute autre nation, ne devraient pas se contenter de considérer les dirigeants non élus du passé comme des héros uniques, mais plutôt de prendre les démocrates comme modèles. Il convient également de noter que le Parti des agriculteurs lituaniens, notre prédécesseur, était dirigé par certaines des personnalités démocratiques les plus éminentes de leur époque.