Quito. Le 11 décembre, l’Assemblée Nationale Équatorienne a élu avec 94 voix son troisième vice-président en dix-neuf mois, Otto Sonnenholzner, parmi les trois options proposées par le président Lenin Moreno. Ses deux prédécesseurs, Jorge Glas (le 3 janvier 2018) puis María Alejandra Vicuña (le 4 décembre), ont tous deux été démis de leurs fonctions après avoir été accusés de corruption1 . Le lendemain en Argentine, Amado Boudou (ancien vice-président de Cristina Kirchner) a été remis en liberté après quatre mois et demi de prison préventive pour des faits de corruption dans le cas Ciccone (la tentative controversée d’acheter une entreprise imprimant des billets de banque alors qu’il était ministre de l’Économie). La détention à domicile lui a été accordée à la condition de porter un bracelet électronique2 . Cette liste n’est pas exhaustive et ne fait état que des évènements les plus récents. En effet, en 2015 a éclaté le scandale d’Odebrecht, qui a dévoilé le versement de pots-de-vin pour près de 780 millions de dollars, entre 2001 et 2016 par le géant brésilien dans le but d’obtenir des contrats de construction. Ce scandale a éclaboussé 12 pays de la région, une centaine de politiciens au Brésil, et entraîné la démission du président Kuczynski au Pérou le 21 mars dernier3 .

En Amérique latine le fléau de la corruption gangrène toutes les sphères de pouvoir, secteurs public comme privé. Selon Global Financial Integrity, plus de 3 % du PIB latino-américain aurait été disséminé dans la corruption entre 2003 et 2012. Cette réalité est la conséquence de la structure économique régionale, principalement basée sur la rente de l’exportation de matières premières, qui conduit à la concentration des pouvoirs économique et politique par une même élite. Ainsi, la corruption prend principalement les formes d’évasion fiscale, d’utilisation des ressources publiques pour des fins privées, d’extorsion de fonctionnaires et de spoliation de ressources naturelles. Ces pratiques, une fois intégrées dans la culture “bananière”, typique des pays en voie de développement et dont l’économie repose sur un monopole, sont difficiles à changer4 .

Néanmoins, leur persistance révèle les failles de la lutte anti-corruption : même si elle a été au centre des propositions politiques de beaucoup d’hommes politiques de droite dans la région (comme Macri en Argentine, Moreno en Equateur et Bolsonaro au Brésil), son manque d’efficacité est évident : au lieu de s’attaquer à ses racines systémiques, celle-ci a été utilisée ad personam, comme un instrument politique orienté à décrédibiliser les gouvernements de gauche5 . Mais ces hommes politiques n’en sont point exempts : en témoignent la démission de Vicuña en Équateur et la révélation de la réception de meubles par le biais d’une entreprise offshore par Moreno alors qu’il était le représentant de l’Équateur auprès de l’ONU à Genève6 , la publication des enregistrements de conversations de Michel Temer où il donne son accord pour acheter le silence d’un élu7 , ou encore la découverte du nom de Mauricio Macri dans la liste des Panamá Papers8 .

Ainsi, on peut suspecter les nouveaux gouvernements de droite d’avoir utilisé la lutte anti-corruption comme instrument facilitant l’accession au pouvoir. En Équateur, le vice-président élu Jorge Glas, dernier élément corréiste du gouvernement Moreno, a dû quitter ses fonctions après avoir été incarcéré sans pourtant que la justice ait retrouvé sur ses comptes la réception des 13,5 millions de dollars de pots-de-vins d’Odebrecht. Glas a par ailleurs dénoncé sa qualité de prisonnier politique en faisant une grève de la faim pendant 52 jours, qu’il vient tout juste de terminer mercredi dernier, mais sans parvenir à ses fins de retourner à la prison de Quito où il était initialement incarcéré. En septembre, Cristina Kirchner a également subi des perquisitions à son domicile, après avoir été accusée par un juge fédéral d’avoir été à la tête d’un système de pots de vins avec son mari Nestor Kirchner, connus sous le nom de “cahiers de la corruption”. Pourtant, les perquisitions n’ont pas porté leurs fruits, et l’ex présidente affirme elle aussi être persécutée pour des raisons politiques – elle bénéficie encore de son immunité parlementaire en tant que sénatrice, ce qui ralentit toute procédure9 . Encore, au Brésil, Dilma Rousseff, destituée pour une infraction aux normes budgétaires, a été acquittée en juin 2017 de ce délit par le Tribunal Supérieur Électoral. Or, sa destitution a, entre-temps tout de même permis à son vice-président, issu d’une coalition entre le Parti des Travailleurs et le Mouvement Démocratique Brésilien, Michel Temer d’accéder à la présidence. L’emprisonnement de son prédécesseur Lula, qui aurait reçu un appartement à Guaruja en contrepartie de l’octroi de contrats d’ouvrages publics entre OAS et Petrobras, montre aussi un caractère politique : le juge qui est à l’origine de cette accusation, Sergio Moro, a été nommé Ministre de la Justice par le nouveau président Bolsonaro le 1er janvier10 .

Perspectives :

  • Ni la gauche ni la droite ne sont parvenues à empêcher la corruption en Amérique latine. Fléau structurel et endémique, indépendant des alternances politiques, la corruption est à l’origine de graves problèmes d’instabilité politique dans la région.
  • L’arme de lutte contre la corruption est cycliquement brandie par la droite afin de discréditer l’opposition et les secteurs publics et ainsi de prôner un agenda de privatisation comme solution. Historiquement, les gouvernements nationaux et populaires ont également été accusés de corruption par les médias et les partis politiques de droite. Résultat : le retour du néolibéralisme sans nécessairement passer par le scrutin public.

Anne-Dominique Correa

Sources
  1. Asume el primer vicepresidente de Ecuador en once años sin vínculos con Correa, EFE, 11 décembre 2018.
  2. Amado Boudou, Perfil, janvier 2019.
  3. SALAR ORONO Amilcar, GARCIA SOJO Giordana, ¿A quién conviene la corrupción en América Latina ?, CELAG, 27 juin 2018.
  4. SALAR ORONO Amilcar, GARCIA SOJO Giordana, ¿A quién conviene la corrupción en América Latina ?, CELAG, 27 juin 2018.
  5. SALAR ORONO Amilcar, GARCIA SOJO Giordana, ¿A quién conviene la corrupción en América Latina ?, CELAG, 27 juin 2018.
  6. Ginebra, El Universo, 27 novembre 2018.
  7. GREENWALD Glenn, POUGY Victor, Au Brésil, la fabrique des démagogues, Le Monde Diplomatique, octobre 2018.
  8. SALAR ORONO Amilcar, GARCIA SOJO Giordana, ¿A quién conviene la corrupción en América Latina ?, CELAG, 27 juin 2018.
  9. PARDO Daniel, ¿Qué busca la justicia de Argentina en los allanamientos de las casas de Cristina Kirchner ?, BBC Mundo, 23 aout 2018.
  10. GREENWALD Glenn, POUGY Victor, Au Brésil, la fabrique des démagogues, Le Monde Diplomatique, octobre 2018.