Bloc-Notes
Petit manuel de fillonisme Pas de secret, pas de détour : l’arme principale de notre analyse est le programme, le “projet pour la France” de François Fillon. De la publication originale (et quelque peu indigeste) avant les primaires, sont restés une centaine de pages, 80 en déduisant les chiffrages. Ici pour le télécharger.
Cannes 2017 S’ouvrant sur le constat que décidément tout va quand même vraiment très très mal, et qu’on va faire ce qui n’a jamais été essayé auparavant, la vidéo de campagne de François Fillon met en avant bon nombre de tendances structurantes – retrouvez en Perspectives sur l’Actualité nos analyses.
Perspectives sur l’actualité
Géopolitique intérieure
Ah ça ira, ça ira, ça ira François Fillon, sur le plan intérieur, ne bouleverse pas franchement l’organisation politique existante – après tout il est le candidat le mieux en point parmi les partis historiques, et porte avec lui un important appareil de parlementaires qu’il convient de contenter. Il possède cependant un ancrage régional bien spécifique, suivant la répartition de groupes socio-culturels qui constituent son coeur de cible. Trônant au sein de son clip de campagne, l’image de la cellule familiale est présentée comme colonne vertébrale de la patrie : “la France unie passe par la famille”. Ce positionnement, ainsi que l’influence dans sa campagne de groupements défendant une certaine idée de la société, recoupe, en plus de celui des catholiques traditionnels, le système de valeurs d’un groupe théorisé par Todd, celui des “catholiques-zombie”, les régions les plus fillonistes lors de la primaire de la droite correspondant aux régions les plus tardivement “déchristianisées”, et la carte des pourcentages de Fillon ressemblant étrangement à une mise en avant des régions de la Chouannerie et de la guerre de Vendée entre 1792 et 1796.
Géopolitique européenne
Un vocabulaire fleuri “Une Europe souveraine qui respecte pleinement les nations”. Le lexique se rapproche ici de “l’Europe des Nations” des Le Pen et Dupont-Aignan. Flirtant avec le souverainisme, François Fillon évoque une “Europe indépendante et puissante” qui “défend notre civilisation et notre histoire”. Par ailleurs et dans sa vidéo de campagne, il plaint les Français, “qui n’en peuvent plus du poids de la bureaucratie, des taxes et des réglementations”, dans un élan verbal et une iconographie de la paperasse qui ne sont pas sans rappeler les plus beaux moments de Brexit, the Movie. Le terme de “concurrence déloyale” (p.77 du projet), employé également par le Front National, sert à invoquer le refus du TIPP et de la directive sur les travailleurs détachés, dont il faudra “suspendre l’application en France si la [re]négociation n’a pas abouti avant la fin de 2017“. Si par ailleurs le but affiché est de “renforcer la gouvernance de la zone Euro” (p.77), il est assez net que l’heure n’est pas à l’ouverture heureuse, ni à la confiance : Bruxelles est, chez Fillon aussi, objet de suspicion. Pour autant, l’Europe est “souveraine” : elle doit renforcer sa coopération en matière de défense et soutenir son industrie d’armement, afin de “peser militairement sur la scène internationale”. Ce développement se fait cependant par un moyen précis : en augmentant les “efforts militaires et financiers de chaque pays” / et pas de l’Europe.
L’ami héréditaire François Fillon s’est longtemps fait une gloire de sa connaissance d’Angela Merkel, gage de sérieux pour sa candidature. L’Allemagne est très présente dans son programme : on évoque une “nouvelle dynamique” dans les relations avec elle, un “écosystème franco-allemand” de l’innovation, on parle de conforter l’enseignement de l’Allemand et même de cofinancer avec l’Allemagne certaines initiatives de défense. “Gaulliste, je sais qu’[un sursaut européen] n’aura lieu que si la France et l’Allemagne redeviennent le moteur de la construction européenne” (p.76 du document) : le “tandem” franco-allemand revient au coeur des préoccupations. Cependant, ombre au tableau, ce pas de deux n’efface pas l’obsession première et la fierté nationale qui transpirent à travers les ambitions du projet Fillon, se retrouvant à la fois dans son programme et ses vidéos de campagne : reprendre à l’Allemagne le leadership de l’Europe.
Géopolitique internationale
La France, et pas n’importe laquelle Il est question de “rang qui revient [à la France]” (p.74) dans le programme de M. Fillon. En ligne avec les déclarations concernant la colonisation et le roman national, la posture géopolitique globale du candidat des Républicains cherche à trouver un équilibre pour ne pas se diluer dans “le grand bain de la mondialisation porteur d’uniformisation”. Puissance d’équilibre et d’entraînement, la France serait liée à son “message universel” (p.75). La volonté de renouer avec la francophonie (p.75) va dans ce sens, ainsi que le terme de “diplomatie maritime”. Le Sud du pourtour méditerranéen, l’Afrique semblent appelés dans l’idée fillonienne à devenir l’objet de la projection de l’influence d’une France se rapprochant, dans un monde post-colonial, de l’idéologie du colonialisme libre-échangiste, marqué par les idées de mise en valeur des anciennes colonies et d’entreprises mutuelles, sans intégration culturelle pour autant – on remarquera sur ce registre la volonté de conditionner l’aide au développement française à la coopération des pays d’émigration pour le “retour de leurs ressortissants” (p.75).
Cette influence retrouvée et assumée ne peut se faire que dans le cadre d’une “diplomatie indépendante”. François Fillon déclare “Je jugerai la nouvelle administration américaine sur ses décisions et établirai un dialogue exigeant avec elle” (p.74). Si la prudence vis-à-vis de l’administration Trump peut sembler relever d’un certain pragmatisme, l’association de cette position avec la volonté franche de lever les sanctions russes et de “renouer un dialogue et des relations de confiance” avec la Russie (une relation qu’on peut difficilement qualifier comme telle depuis 1917) semble bien indiquer un éloignement de l’atlantisme. Sous le signe d’une politique moyen-orientale tournée vers la stabilité et la réduction du terrorisme, Fillon fait le choix d’accepter Poutine (lui aussi un grand ennemi du terrorisme) et à demi-mot Assad, bien que le programme officiel date du 13 mars, soit avant l’attaque chimique et les frappes américaines en Syrie. Dans l’ultime émission de campagne 15 minutes pour convaincre, cette position est revenue, quoique défendue sous un angle bien différent, avançant que refuser le maintien d’Assad et l’influence russe dans la région mèneraient à un conflit avec la Russie – conflit que personne ne souhaite.
La contrainte comme moteur ou comme prétexte Au fond, nous n’aurions tout simplement pas le choix. Le même souci de stabilisation et le même impératif guident la relation turque, un acteur dont “la position ne peut être ignorée” (p.75), ainsi que l’Iran, qualifié de “puissance régionale incontournable”. L’évidence, et l’obligation, semblent venir justifier la géopolitique fillonienne, là où c’est précisément cette contrainte et cette obligation qui pour lui viennent entraver la France. Aveu des limites de ce rang naturel de la France (celui “qui lui revient”), ou manière de déguiser un tournant géopolitique déterminé : on notera bien que sur les 100 pages du programme, le terme OTAN figure un total de 0 fois.
Pièce de doctrine
Notre route est droite, mais la pente est forte “La politique, c’est un long chemin”, “une campagne qui se termine sur les chapeaux de roues”, puis, dans une référence plus explicite encore à la route et à son sport, “Au début de la course des 24 Heures du Mans 1969, Jacky Ickx part le dernier… Et le dimanche à 16 heures, il franchit la ligne d’arrivée le premier”, tirant de là sans doute l’enseignement que lui, “mister nobody”, lui que personne n’attendait lors de la primaire de la droite, sortirait vainqueur de cette présidentielle. Fillon le conducteur s’est construit une image de Monsieur rigueur, d’un guide qui de sa main ferme saura mener la France à bon port, le long d’une route semée d’embûches et de privations.
Fillon aime apparemment casquer… La passion de François, c’est l’automobile (ceux de nos lecteurs qui songeraient plutôt au textile sont invités à réfréner leurs tendances goguenardes). Il aime conduire, son frère est d’ailleurs directeur du club automobile de l’Ouest, l’ACO, et président du championnat du monde d’endurance de la FIA, il dirige donc l’organisation des 24h du Mans dans le fief sarthois du candidat. Pour marquer son soutien renouvelé à François Fillon dans les dernières semaines de cette houleuse campagne présidentielle, Brice Hortefeux lui a d’ailleurs offert un volant de voiture – lui signifiant par là qu’il s’en remettait au pilote Fillon pour conduire les Républicains à bon port, en plus de faire un geste de réconciliation après les doutes, nombreux, sur la fidélité des Sarkozystes lors de la campagne. Nul doute que ce volant ira à merveille avec le casque ci-dessus, un couvre-chef des plus seyants.
… mais pas pour les autres Comme nous le montre cet article du toujours très sobre Closer, François Fillon peut être quelque peu cavalier, en plus d’être pilote. Son manque d’affection pour les journalistes peut servir sans doute d’explication à une certaine fermeté. Comme le montre si bien l’image qui suit, François Fillon peut en effet se montrer d’une rigueur toute martiale :
Dans la tempête, mais sans pédalo Associée à cette image de rigueur, à des discours aux accents parfois dramatiques – on se souviendra du fameux “la France est en faillite” du premier ministre Fillon – la mythologie du conducteur fait, malgré sa démesure, émerger une stature. Fillon le pilote est loin du “capitaine de pédalo dans la tempête”, selon le bon mot de Jean-Luc Mélenchon sur Hollande. Fillon est la fermeté, l’austérité parfois, mais surtout la raison, l’efficacité sans fioritures. Il est “le seul” à proposer une vraie alternance crédible, avec une expérience et une stature d’homme d’Etat. Il n’est peut-être pas le plus sexy, le plus bruyant, mais il est le plus sérieux – c’est au moins l’image qu’il semblait devoir réussir à véhiculer jusqu’à l’intervention d’un certain journal satirique paraissant le mercredi – jusque dans sa posture de débat : régulièrement en retard dans le temps de parole, il semblait vouloir se placer au-dessus du débat, ou en quelque sorte, comme diraient les Anglais, “in the driver’s seat”.
Conduire la France, locomotive de l’Europe ? Avant qu’Emmanuel Macron et Benoît Hamon ne se voient accorder le même honneur, François Fillon a longtemps pu, comme gage de sérieux, brandir son entrevue exclusive en tant que candidat avec Angela Merkel, en plus de leurs multiples rencontres alors qu’il était premier ministre. Son image d’homme d’Etat, tenant de sa main ferme le volant qui mène la France, s’étend en effet à l’Europe : comme nous le voyions tout à l’heure, le programme de François Fillon vise à faire de la France la “première puissance européenne” d’ici dix ans, dans de multiples secteurs, de l’éducation et la recherche à l’économie. Certes, le couple franco-allemand, auquel il accorde une très large place dans son programme et dans son choix d’image, mettant en avant sa relation avec Mme Merkel, est omniprésent – la France doit cependant, brisant l’unité du couple, être la première. L’Europe, quelle que soit sa forme, Fillon veut la conduire.