La Super Ligue européenne a été l’événement marquant de ce début de semaine. Pourtant, ce projet de compétition fermée, portée par 12 des plus puissants clubs de football européens 1, a disparu aussi vite qu’il est arrivé. Entre frondes des supporters, réactions des organisations du football (UEFA, FIFA) et mobilisations des principaux acteurs (joueurs, entraîneurs, dirigeants), les critiques ont été si virulentes que la plupart des équipes « sécessionnistes » ont jeté l’éponge. Après cet énorme fiasco, la Super Ligue n’est plus mais les équilibres du football européen n’en demeurent pas moins fragiles. Voici 6 enseignements à tirer de cette crise.

  • La Super Ligue n’était pas un projet nouveau

Annoncé le dimanche 18 avril dernier, le projet Super Ligue a surpris. Pourtant les réflexions autour de la création d’une compétition fermée ne datent pas d’hier. C’est un véritable serpent de mer auquel les clubs les plus riches d’Europe réfléchissent depuis quelques années. C’est en 1998 qu’un premier projet est proposé par Media Partners, une société spécialisée dans les droits TV. L’idée est alors de répartir 36 clubs européens en 3 poules de 12, sans possibilité de descente, et de reprendre le modèle de la NBA aux États-Unis. Bien que cette compétition n’ait pas vu pas le jour, le lobbying des meilleurs clubs européens s’est poursuivi afin de mieux protéger l’une de leurs principales sources de revenus, les droits télévisés dérivés de leur participation aux coupes européennes. Cette question est devenue de plus en plus cruciale à mesure que les investissements de structure des clubs et le coût des transferts ont augmenté au cours des deux dernières décennies. En 2016, finalement, l’UEFA laisse plus de place aux grands championnats en Ligue des Champions, au détriment des championnats moins médiatiques. Depuis, la dynamique s’accélère, un phénomène  renforcé par les conséquences économiques liées à la pandémie de la Covid-19 qui ont privé tous les clubs des importantes ressources qu’ils tiraient de la billetterie.

  • Une compétition fermée comme moyen de pression sur l’UEFA

La Ligue des Champions : c’est elle qui est au centre de l’ensemble des tractations de ces derniers jours. Elle n’est ni plus ni moins que la compétition phare du football européen, générant pas loin de 2 milliards d’euros de recettes par an en mettant en lumière les principales équipes d’Europe partout dans le monde. Mais les meilleurs clubs en veulent plus, estimant que c’est grâce à eux que le modèle économique du football tient. Voilà pourquoi ils veulent deux choses :  une part du gâteau plus importante et la capacité de gérer directement les droits commerciaux et financiers de la compétition. C’est à ce dernier point que l’UEFA s’est toujours opposée. En 2019 néanmoins, un nouveau projet de Ligue des Champions est mis sur la table. À la clé, un format plus favorable aux clubs les plus puissants, une compétition plus fermée et surtout un nombre plus important de matchs pour faire gonfler les recettes de la Ligue des Champions. Cette nouvelle mouture est jugée peu satisfaisante par les plus gros clubs. Le vote de cette nouvelle réforme devait intervenir le lundi 19 avril. Symboliquement, l’annonce de la création de la Super Ligue par les 12 clubs rebelles est intervenue la veille. Une annonce choc dans un timing serré pour faire pression sur l’UEFA et sa Ligue des Champions.

  • Une ligue sans soutien public ou financier

Malgré une annonce en fanfare, la Super Ligue se payait d’illusions. L’aveuglement des principaux protagonistes (Florentino Perez, président du Real Madrid, Andrea Agnelli, président de la Juventus de Turin et Joel Glazer, président de Manchester United) leur a laissé penser que les supporters étaient demandeurs d’une ligue composée des meilleurs clubs. Un sondage commandé par les clubs fondateurs révèle que 66 % des fans de football seraient pour la Super Ligue. Le format de la compétition est dans un communiqué, une ligue de 20 équipes avec des matchs le mercredi (jour de la Ligue des Champions) pour permettre aux équipes présentes de toujours concourir dans leurs ligues nationales le week-end, et sans doute une manière ainsi de ne pas froisser les fédérations nationales. Voilà qui démontre que cette Super Ligue visait avant tout l’UEFA. Pour créer cette compétition, la banque JP Morgan aurait garanti un montant de 6 milliards d’euros pour le lancement. Des chiffres « rassurants » qui ne résisteront pas au choc de la réalité. Le monde du football gronde, et c’est dans la « terre du football », en Angleterre, que les réactions seront les plus virulentes, notamment de la part des supporters, de la Premier League et du Premier Ministre Boris Johnson, qui menace d’intervenir pour empêcher les six clubs anglais de rejoindre ce projet. Face à cette pression politique et populaire, ces derniers sont les premiers à renoncer. 

  • La Super Ligue est morte, pas le projet de réforme de la Ligue des Champions

Les six clubs anglais se sont retirés de la Super Ligue 48 heures après l’annonce de la création du projet. Suivent ensuite l’Inter Milan, le Milan AC et que le FC Barcelone. Face à ces décisions, de nombreuses réactions semblait la victoire du « vrai football ». Pourtant la réalité est toute autre. Le nouveau projet de Ligue des Champions, voté ce lundi 19 avril, tend de plus en plus vers un format de compétition fermée. Plus de clubs (36 au lieu 32), plus de matchs, plus de revenus générés mais tout cela au profit des clubs les plus puissants d’Europe qui seront favorisés dans le processus de sélection. Face à l’annonce de la Super Ligue, l’UEFA, malgré le ton ferme de son Président Aleksander Čeferin face aux douze frondeurs, communique dans la foulée  qu’elle travaille avec un fonds d’investissement britannique pour proposer une nouvelle Ligue des Champions qui aurait un budget de départ avoisinant 4,5 milliards d’euros mais pouvant monter jusqu’à 7 milliards. C’est une manière de répondre aux demandes des meilleurs clubs mais aussi d’éviter que d’autres puissantes équipes rejoignent un nouveau projet Super Ligue. Désormais sans public, sans clubs historiques, sans nom clinquant, et même sans diffuseur après la défection d’Amazon, pressenti un temps comme le diffuseur privilégié de cette nouvelle compétition, la future ligue fermée n’a plus rien pour séduire. Entre rester dans une Ligue des Champions prestigieuse tout en gagnant plus d’argent ou partir dans un projet de Super Ligue décrié de tous, le choix des clubs a été vite fait. 

  • L’UEFA, grande perdante de cette crise

En apparence, tout va bien pour l’UEFA qui a repoussé le projet de Super Ligue et sauvé sa compétition phare, la Ligue des Champions. En réalité, elle ressort affaibli de cette crise. Son président Aleksander Čeferin est monté au créneau, mais il lui aura fallu tout l’appui de Gianni Infantino, Président de la FIFA, ou encore de Nasser Al-Khelaïfi, président du PSG, pour maintenir une telle pression. L’abandon du projet est aussi à mettre sur le compte du départ des 6 clubs anglais, qui ne voulaient pas se mettre à dos leurs supporters, la Premier League (ligue nationale la plus prestigieuse du monde) et le gouvernement britannique. L’UEFA n’a que finalement peu pesé sur l’avenir de la Super Ligue. Cette crise serait peut-être intervenue à cause du président de la FIFA lui-même, Gianni Infantino, pourtant officiellement opposé au projet 2. Ce bluff est loin d’être surprenant, tant Ceferin et Infantino sont vus comme des meilleurs ennemis. La FIFA pousse en effet depuis plusieurs années pour avoir une autre grande compétition, à l’image de la Coupe du Monde, mais entre clubs. Pour ce faire l’organisation mondiale du football a programmé sa prochaine Coupe du Monde des clubs en Chine avec un format élargi, capable d’attirer les meilleurs clubs européens et, ainsi, de concurrencer la Ligue des Champions. La FIFA reste évidemment contre des projets de ligues fermées, pour ne se pas mettre en difficulté avec ses fédérations membres, mais elle n’en demeure pas moins attentive à l’évolution de la plus puissante des fédérations continentales, l’UEFA. Qui a finalement courbé l’échine face à l’offensive de ses principaux clubs.

  • Un grand gagnant : le Paris Saint-Germain

Le Paris Saint-Germain est sans doute le grand gagnant de cette crise. Bien qu’elle ait contactée par les clubs à l’origine de la Super Ligue, l’équipe de la capitale n’a pas répondu favorablement, se donnant le temps de voir comment la situation évoluerait. Nasser al-Khelaïfi, Président du PSG, a en effet estimé qu’il avait plus à perdre qu’à y gagner dans cette histoire. Il faut dire que l’objectif affiché du club, depuis son rachat par un fonds souverain qatari en 2011, est de gagner la Ligue des Champions. Finaliste l’année dernière, toujours en course cette année, le Qatar a peut-être une chance de voir son projet aboutir. Outre ces questions sportives, le PSG et le Qatar ne pouvaient pas entrer en guerre avec l’UEFA, et surtout avec la FIFA, à un an de la Coupe du Monde 2022 qui a lieu dans l’émirat. Sa stratégie sportive s’est construite depuis de nombreuses années, et le Qatar n’allait pas fragiliser son modèle pour quelques millions d’euros de plus. D’autant que le groupe de média sportif, BeIN Sports, est l’un des diffuseurs de la Ligue des Champions. Par ailleurs le PSG, en étant fermement opposé au projet de Super Ligue, a pu être vu comme une institution qui défendait une certaine conception romantique du football, un changement d’image bienvenu pour un club régulièrement brocardé comme une compagnie de mercenaires. Tout cela est de bon augure pour les intérêts qataris, qui cherche à se dépêtrer des révélations du Guardian en février dernier sur le nombre de morts sur les chantiers de constructions du Mondial 2022. Nasser al-Khelaïfi de son côté a pris du galon au sein du football européen, puisque la crise lui a permis de devenir le président de l’ECA, l’Association européenne des clubs, un poste stratégique qui était jusque-là occupé par Andrea Agnelli, chef des rebelles et président de la Juventus de Turin.

Le projet Super Ligue ne restera pas lettre morte car derrière la situation économique difficile des meilleurs clubs européens, il y a les «  autres  » qui eux pourraient être véritablement amenés à disparaître. Le temps de la refonte de l’économie du football est sans doute venu pour développer un modèle qui permettrait aux plus «  grands  » de se développer, tout en améliorant la situation des «  autres  ». C’est la condition pour que le sport le plus populaire du monde puisse retrouver une certaine équité.

Sources
  1. 3 clubs espagnols : Real Madrid, FC Barcelone, Atletico Madrid ; 3 clubs italiens : Juventus Turin, Inter Milan, Milan AC ; 6 clubs anglais Arsenal, Chelsea, Liverpool, Manchester City, Manchester United, Tottenham.
  2. https://www.lemonde.fr/sport/article/2021/04/23/super-ligue-le-role-du-president-de-la-fifa-suscite-des-interrogations-au-sein-de-l-uefa_6077763_3242.html