MAGA contre les femmes : la « Grande Féminisation » selon la trumpiste Helen Andrews
La néo-réaction est violemment misogyne — et elle fait porter son discours par des femmes.
D’Erika Kirk aux tradwives, les conservatrices américaines appellent à enrayer la « Grande Féminisation » qui frapperait les États-Unis.
Rana Foroohar décrypte le discours viral de l’une de ces figures, Helen Andrews.
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- Rana Foroohar •
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Les conférences NatCon (diminutif de « National Conservatism ») sont devenues en moins de six ans l’effort d’institutionnalisation le plus visible du mouvement national-conservateur américain — et certainement le plus attendu par de nombreux universitaires, commentateurs, journalistes et théologiens ayant contribué à fournir au trumpisme un socle idéologique.
Comme le rappelait Marlène Laruelle dans nos pages, « si des institutions comme le Claremont Institute et son journal, la Claremont Review of Books, ont contribué à consolider doctrinalement le trumpisme dès le premier mandat, la NatCon a su se positionner comme une institution-événement au croisement des différents courants du conservatisme américain et, dans une moindre mesure, européen ; elle fait le lien avec des courants plus radicaux d’extrême droite comme la American Renaissance de Jared Taylor et ses théories sur la suprématie blanche. »
L’un des thèmes transversaux de la NatCon de cette année fut la famille américaine 1. Le président de la Heritage Foundation et père du Projet 2025 Kevin Roberts a ainsi pu plaider pour un renouveau démographique national ; le 3 septembre, un panel entier était dédié au « renversement » d’Obergefell v. Hodges, un arrêt de la Cour suprême de 2015 qui garantit le mariage homosexuel à l’échelle fédérale comme relevant d’un droit constitutionnel 2.
Mais l’intervention la plus remarquée sur le sujet fut celle de l’essayiste Helen Andrews, ancienne éditrice de The American Conservative.
Lors d’un discours prononcé le 2 septembre, elle soutient que la « Grande Féminisation » qu’auraient connu les États-Unis depuis 1970 — entendre par là : l’accession d’un nombre croissant de femmes à des professions auparavant masculines — serait la raison principale de l’essoufflement du modèle américain.
Le « wokisme » qui gangrènerait la société aurait une origine : l’attention excessive que les femmes portent aux sentiments des autres.
Cet excès de sensibilité aurait été porté à l’agenda public dès lors que les femmes auraient pris le contrôle des institutions.
Aujourd’hui, le risque serait existentiel : selon Andrews, « la féminisation n’est pas seulement une nouvelle évolution intéressante qui présente des avantages et des inconvénients ; dans certains cas, elle est si néfaste qu’elle menace de provoquer la fin de la civilisation. »
Cette explication connaît un grand succès chez une partie de l’extrême droite et le bloc évangélique chrétien.
Exploitant les difficultés de l’électorat masculin sur le marché de l’emploi en en redirigeant la colère, elle sert un agenda viscéralement antiféministe et misogyne.
L’économiste libertarien Tyler Cowen a un jour rédigé un article de blog dans lequel il décrit toutes les révolutions auxquelles il a assisté au cours de sa vie, de l’alunissage lorsqu’il était enfant à l’avènement de l’IA aujourd’hui.
Seules sept révolutions figuraient sur cette liste, car il s’agissait uniquement des plus importantes et des plus bouleversantes. Entre la chute du communisme et l’invention d’Internet, il incluait un phénomène appelé la « Grande Féminisation ».
Cette expression est peu connue aux États-Unis ; les historiens du futur pourraient cependant considérer cette révolution comme plus importante que presque toutes les autres de cette liste.
La Grande Féminisation est très facile à définir.
Elle fait référence à la représentation croissante des femmes dans toutes les institutions de notre société. Si sa définition est simple, il est toutefois très difficile pour ceux d’entre nous qui se trouvent de l’autre côté de cette révolution d’en saisir pleinement la signification.
La première chose que la plupart des gens ne comprennent pas à son sujet, c’est à quel point elle est sans précédent dans l’histoire de l’humanité.
De nombreuses sociétés ont été féministes à des degrés divers — dans lesquelles les femmes étaient reines, possédaient des entreprises et occupaient des postes d’autorité qui leur valaient le respect des hommes. Mais il n’y a jamais eu de société dans laquelle les femmes détenaient autant de pouvoir politique qu’aujourd’hui. Pensez à tous les parlements qui ont jamais existé, à toutes les assemblées législatives de tous les pays de tous les siècles. Aucun d’entre eux n’était comme le nôtre, composé pour un tiers de femmes.
L’idée d’une femme à la tête de la police aurait semblé très étrange — même à de nombreuses féministes des débuts du mouvement. Et pourtant, aujourd’hui, le département de police est dirigé par une femme dans la plus grande ville d’Amérique, et dans la ville où nous nous trouvons actuellement.
Les facultés de droit comptent aujourd’hui une majorité de femmes ; les cabinets d’avocats comptent une majorité de femmes ; les facultés de médecine comptent une majorité de femmes ; les femmes obtiennent la majorité des licences et des doctorats. Le corps enseignant des universités est majoritairement féminin. Les femmes représentent 46 % des cadres aux États-Unis. Et parmi les cols blancs, les travailleurs diplômés de l’université, la majorité sont des femmes.
Il s’agit dans de nombreux cas d’évolutions très récentes, le point de basculement n’ayant eu lieu qu’au cours des cinq à dix dernières années.
Or c’est là l’autre idée reçue concernant la Grande Féminisation.
Les gens ont tendance à considérer le féminisme comme un phénomène des années 1970, mais il a fallu plusieurs décennies pour passer d’une représentation symbolique à une parité approximative entre les sexes. La première femme à la Cour suprême a été nommée en 1981, et cette année-là, les femmes représentaient 5 % des juges aux États-Unis. Aujourd’hui, il y a quatre femmes à la Cour ; il n’en faudrait qu’une de plus pour atteindre la majorité absolue ; les femmes représentent 30 % des juges aux États-Unis, 40 % en Californie et 63 % de ceux nommés par le président Joe Biden. Il faudra donc probablement environ 50 ans pour passer de la première femme à la Cour suprême à une majorité de femmes parmi les juges de cette institution.
On observe exactement la même trajectoire sur la même période dans de nombreuses autres professions. Il y a eu une génération pionnière dans les années 1970, où une femme était souvent la seule journaliste d’une rédaction ou la seule professeure d’un département. Puis, au cours des années 1980 et 1990, la représentation des femmes a augmenté jusqu’à atteindre un niveau satisfaisant d’environ 20 à 30 % au tournant du siècle.
Aujourd’hui, vingt-cinq ans plus tard, dans bon nombre de ces domaines, les femmes représentent 40 % des effectifs ou la parité hommes-femmes est atteinte. Ce phénomène pourrait ne pas s’arrêter ; aussi féminisés que nous soyons, nous pourrions le devenir encore davantage.
Prenons l’exemple de la profession de psychologue.
Il y a encore 25 ans, la psychologie était une profession à prédominance masculine, avec jusqu’à 70 % d’hommes. Aujourd’hui, la cohorte la plus jeune de psychologues qui viennent d’entrer dans la profession compte 20 % d’hommes. Les hommes ont déserté la profession de psychologue, et il est facile de comprendre pourquoi. C’est parce que la psychologie s’est féminisée. À mesure que les femmes ont accru leur représentation dans la profession, elles l’ont réorientée pour la rendre plus conforme à leurs idées et à leurs préférences, en la centrant sur la bienveillance, l’empathie et l’absence de jugement. Ainsi, un homme qui voulait devenir psychologue parce qu’il aimait juger les autres allait naturellement choisir une autre profession.
La même chose s’est produite dans la fiction littéraire. Certains d’entre vous ont peut-être lu au cours des douze derniers mois l’un des nombreux articles du New York Times sur le fait que les hommes ne lisent plus de romans. L’explication qui me semble très évidente — même si elle ne l’est pas pour le New York Times — est que l’industrie de l’édition est majoritairement féminine, avec près de 80 % de femmes. Les hommes aiment toujours lire des romans. Ils n’aiment simplement pas le type de romans produits aujourd’hui par l’industrie de l’édition.
Certains domaines sont plus susceptibles que d’autres de se féminiser. Il n’y a pas grand-chose à faire pour féminiser les mathématiques ou l’ingénierie.
Mais à mesure que les femmes sont de plus en plus nombreuses à intégrer un domaine, il faut s’attendre à ce que tout domaine susceptible d’être féminisé le sera ; la dynamique se déroulera exactement comme en psychologie. Il se peut qu’une répartition 50-50 entre les sexes ne soit pas un équilibre stable.
Depuis le début de cette intervention, j’ai fait référence à plusieurs reprises à la féminisation sans la définir.
J’aurai beaucoup à dire à ce sujet dans un instant, mais si on voulait résumer les choses en une seule phrase, on pourrait dire que la féminisation équivaut à être woke.
Tout ce que vous considérez comme woke n’est qu’un épiphénomène de la féminisation démographique. Pensez à tout ce que signifie le wokisme : privilégier l’empathie plutôt que la rationalité, la sécurité plutôt que le risque, la conformité et la cohésion plutôt que la compétition et la hiérarchie. Toutes ces choses privilégient le féminin plutôt que le masculin.
Rana Foroohar Dans le dictionnaire Merriem-Webster, l’adjectif « woke » est défini comme : « conscient et attentif aux faits et questions sociétaux importants (en particulier les questions de justice raciale et sociale) ». Le mot n’est donc pas particulièrement lié aux questions de genre. Cette association est cependant devenue commune dans le discours conservateur, le « wokisme » étant présenté comme l’un des effets pervers de l’attention que les femmes portent aux sentiments des autres.
Si vous vous êtes déjà demandé pourquoi le wokisme est apparu de nulle part à ce moment-là, voici mon hypothèse : toutes les institutions qui ont commencé à admettre des femmes dans les années 1970 ont fini par en avoir suffisamment pour que celles-ci puissent les réorienter. Par exemple, les femmes sont systématiquement moins favorables à la liberté d’expression que les hommes. Dans les sondages qui demandent ce qui est le plus important entre protéger la liberté d’expression ou préserver une société inclusive, environ deux tiers des hommes répondent la liberté d’expression — et environ deux tiers des femmes répondent une société inclusive.
Dans le raisonnement moral, la façon traditionnelle de formuler la différence entre les hommes et les femmes est de dire que les femmes ont une éthique de la bienveillance et les hommes une éthique de la justice.
Pour porter un jugement moral, les hommes se demandent quelles sont les règles et quels sont les faits.
Les femmes ont tendance à s’intéresser davantage au contexte et aux relations. On peut qualifier cela d’attitude woke.
Lorsque James Damore a rédigé sa célèbre, ou plutôt tristement célèbre, note de service pour Google, dans laquelle il affirmait que la sous-représentation des femmes dans les sciences exactes n’était peut-être pas le résultat de préjugés et de discriminations, personne n’a même tenté de contester ce qu’il disait. Il a été licencié parce que ce qu’il avait écrit pouvait blesser ses collègues féminines.
Prenons l’exemple des audiences Kavanaugh. La position masculine était de dire que quelque chose de grave vous était peut-être arrivé, mais que si vous n’aviez pas de preuves, nous ne pouvions pas vous permettre de ruiner la vie et la carrière d’un homme pour cette raison. La position féminine était de dire : « Comment pouvez-vous parler de règles de preuve ? Ne voyez-vous pas qu’elle est en train de pleurer ? »
Soyons clairs : de nombreuses femmes ont été révoltées par le déroulement des audiences de Brett Kavanaugh. Le meilleur livre sur les audiences de Kavanaugh a d’ailleurs été écrit par deux femmes, Mollie Hemingway et Carrie Severino. Mais un système politique dans lequel les hommes prédominent aura tendance à fonctionner selon des règles de faits et d’objectivité ; un système dans lequel les femmes prédominent aura tendance à fonctionner selon les règles de l’émotion et des faits subjectifs, même s’il existe des hommes et des femmes qui se retrouvent bien davantage dans la position du sexe opposé. Il y aurait beaucoup plus à dire sur les différences entre les sexes et le wokisme.
Je vais maintenant aborder la partie controversée de mon argumentation — car croyez-le ou non, rien de ce que j’ai dit jusqu’à présent n’était particulièrement controversé.
J’ai fait deux affirmations jusqu’à présent.
Premièrement, les hommes et les femmes sont différents.
Deuxièmement, à mesure que les institutions deviennent plus féminines, elles changent de manière prévisible en raison de ces différences.
Je pense que même la plupart des gens de gauche seraient d’accord avec cela.
La féminisation est un excellent exemple de ce que Michael Anton appelle la « parallaxe de la célébration », un terme sophistiqué qui désigne tout ce que l’on n’est autorisé à remarquer que si l’on pense que c’est une bonne chose. Il existe littéralement des milliers d’articles affirmant qu’il est formidable que nous ayons désormais davantage de femmes juges, car les femmes sont plus empathiques. Ou qu’il est bon d’avoir davantage de femmes dans les conseils d’administration, car cela rendra le capitalisme plus humain. Ce n’est que lorsque vous affirmez que les femmes sont en train de changer fondamentalement les institutions fondamentales de notre société, et que cela pourrait être néfaste, que vous commencez à avoir des problèmes.
J’ajouterais aujourd’hui deux affirmations controversées — et voici la première : la féminisation n’est pas seulement une nouvelle évolution intéressante qui présente des avantages et des inconvénients ; dans le cas de nombreuses institutions importantes, c’est une mauvaise chose. Dans certains cas, elle est si néfaste qu’elle menace de provoquer la fin de la civilisation.
L’État de droit, par exemple, est une chose très importante. Il est également très fragile. Il exige un engagement profond en faveur de l’objectivité et de règles claires, même lorsque ces règles aboutissent à un résultat désagréable. Je ne veux pas de juges qui s’intéressent davantage au contexte et aux relations qu’à ce que dit la loi.
Le monde universitaire est la seule partie de notre société qui est censée rechercher et transmettre la vérité. S’il commence à censurer les idées dangereuses ou menaçantes, il ne remplit plus son rôle dans le monde.
Si la seule façon de progresser dans une entreprise est de suivre la politique des ressources humaines à la lettre, cela va exclure et décourager les personnes les plus susceptibles de devenir des leaders et des innovateurs.
Rana Foroohar Comme pour beaucoup de choses dont Trump tire profit, le masculinisme prégnant d’une partie des républicains exploite les difficultés de l’électorat sur le marché de l’emploi. Lors du China Shock, de nombreux hommes ont perdu leur travail ; dans la Rust Belt en particulier 3, la délocalisation les a touchés de manière disproportionnée.
Face à ces difficultés, une partie des républicains les ont expliquées par des causes ad hoc, attribuant à la féminisation des professions les raisons des difficultés que rencontrent les hommes sur le marché du travail.
Je pense que la question politique la plus importante aux États-Unis aujourd’hui est l’immigration. Or c’est un exemple parfait d’une question politique où le consensus de l’élite est très féminisé. Nous avons toutes ces lois sur la citoyenneté et les frontières, mais nous ne sommes pas autorisés à les appliquer si cela risque d’offenser quelqu’un.
En résumé, sans des éléments comme l’État de droit, la recherche de la vérité, les frontières, l’innovation, une civilisation complètement féminisée se dirigera vers l’effondrement. Je le dis sans exagérer.
Ma première affirmation est donc la suivante : la féminisation est dans de nombreux cas une chose néfaste et menaçante.
La deuxième affirmation découle d’une question très importante.
Pouvons-nous avoir une féminisation démographique au sens littéral sans féminiser les contenus — ce que je considère comme très dangereux ? Autrement dit, pouvons-nous avoir plus de femmes avocats, juges et universitaires tout en conservant les anciennes normes ?
En théorie, on peut bien sûr imaginer une telle chose.
Il y a certainement beaucoup de femmes qui ont le talent et la disposition nécessaires pour répondre aux anciennes normes. Beaucoup de femmes sont d’excellentes juges. Je connais beaucoup de femmes journalistes qui sont tout aussi intransigeantes et inflexibles que leurs homologues masculins. Il y a certainement des femmes comme cela. Mais je ne suis pas certaine qu’elles soient assez nombreuses ; car la question n’est pas de savoir si certaines femmes peuvent être d’excellentes professeures. La question est de savoir si un milieu universitaire majoritairement féminin peut être aussi soucieux de poursuivre, sans entraves, la découverte de vérités dérangeantes — comme le faisait l’ancien milieu universitaire à prédominance masculine.
Or je pense que la réponse est non.
J’estime que la féminisation démographique conduit inévitablement à une féminisation des contenus. C’est une réalité difficile à accepter, mais je crois sincèrement que c’est le cas.
Qu’est-ce que cela implique ? Que faudrait-il faire à ce sujet ? Je tiens à préciser que je ne propose pas d’interdire aux femmes d’accéder à certaines professions, ni même de les décourager de poursuivre leurs objectifs dans la mesure de leurs talents et de leurs ambitions. Nous les acceptons. Je ne pense pas que nous devions prendre des mesures aussi extrêmes.
Rana Foroohar En ne faisant pas l’apologie du retour des femmes au foyer, Helen Andrews s’écarte du narratif des tradwives.
Face aux pressions économiques pesant sur les foyers américains, plusieurs récits d’un « âge d’or » perdu se sont en effet développés. Le revers de la médaille des hommes qui idéalisent une époque où ils avaient moins de concurrence sur le marché du travail est en effet une idéalisation, par certaines femmes, d’une époque où celles-ci pouvaient rester à la maison et s’occuper des enfants. Ce discours passe pourtant sous silence la dépendance économique qu’entraîne une telle situation.
En réalité, le modèle économique réel des tradwives n’est que rarement celui qu’elles promeuvent : beaucoup de personnes défendant cette idée sur Instagram ont tendance à être mariées à des hommes riches ou entreprennent des activités secondaires pour subvenir à leurs besoins ; de nombreuses jeunes influenceuses sur Instagram, soutenant le mode de vie de la femme traditionnelle gagnent en fait leur vie grâce à la publicité.
La seule chose que je propose, et qui me semble nécessaire pour résoudre le problème, c’est de ne plus influencer la balance.
En effet, celle-ci est actuellement biaisée en faveur des femmes, d’une manière dont beaucoup de gens ne prennent pas vraiment la mesure.
L’exemple le plus important est bien sûr la loi anti-discrimination. Il est illégal d’employer trop peu de femmes dans une entreprise. Si les femmes sont statistiquement sous-représentées dans une institution, celle-ci risque un procès. Les entreprises et les institutions offrent donc aux femmes des emplois qu’elles n’auraient pas obtenus autrement, leur accordent des promotions qu’elles n’auraient pas obtenues autrement et créent même des emplois qui n’avaient pas besoin d’exister avec des présentations PowerPoint juste pour augmenter leurs chiffres. C’est la raison pour laquelle les départements des ressources humaines existent et c’est pourquoi ils promeuvent si assidûment la diversité de genre ; non pas parce qu’ils sont des idéologues — même s’ils le sont bien sûr — mais parce qu’ils protègent leur entreprise contre les poursuites judiciaires.
La loi anti-discrimination impose également que la culture de chaque lieu de travail soit féminisée. En effet, si l’atmosphère de votre lieu de travail est trop brutale, compétitive ou combative, cela peut également donner lieu à des poursuites judiciaires, car cela indique qu’il n’est pas suffisamment accueillant pour les femmes. C’est pour cette raison que les services des ressources humaines sont si zélés lorsqu’il s’agit de contrôler chaque interaction et chaque communication, afin de s’assurer qu’aucune d’entre elles ne présente d’aspérités.
C’est donc le premier point à l’ordre du jour : débarrassez-vous de toutes les femmes des ressources humaines. Qui est d’accord avec moi ? Virez-les, et nous verrons bien ce que cela donnera. Si votre entreprise compte trop peu de femmes, cela peut indiquer un problème dans le processus de recrutement ; mais ce n’est pas forcément le cas. Quoi qu’il en soit, nous n’allons pas envoyer une équipe d’avocats à vos trousses pour contester vos décisions.
C’est drôle, les services des ressources humaines veillent toujours à ce que l’atmosphère sur le lieu de travail soit accueillante pour les femmes. Je me demande s’ils ont déjà envisagé que leur atmosphère gentille et agréable, qui évite les conflits, pourrait ne pas être accueillante pour les hommes.
L’autre biais qui fausse notre balance est évidemment le piège du double revenu.
Les femmes poursuivent une carrière parce qu’elles doivent le faire pour que leur famille atteigne le niveau de vie de la classe moyenne.
Si nous abordons cette question à travers diverses autres politiques permettant aux familles qui le souhaitent d’avoir une seule personne pour subvenir à leurs besoins, je pense que le problème de la féminisation s’atténuera de lui-même, car les individus feront des choix différents en fonction de ce qui est le mieux pour leur propre famille. Ce n’est que ma prédiction. Je me trompe peut-être. Supprimons le piège du double revenu, donnons le choix aux gens et voyons ce qui se passe.
Rana Foroohar Une partie de l’extrême droite et du bloc évangélique chrétien, qui constitue une base électorale solide pour les républicains, réagit aux pressions économiques en prônant un retour à un modèle familial plus traditionnel. Ceux-ci soulignent les pressions intenses de la vie américaine — la nécessité d’avoir deux salaires pour subvenir aux besoins d’une famille, le congé maternité limité à six semaines, le manque de soutien social — et proposent de résoudre ces problèmes en rétablissant le paradigme familial traditionnel.
Le China Shock est aussi responsable de cette nostalgie. La perte pour de nombreux hommes de leur emploi a contribué à l’effondrement des structures familiales dans les bassins industriels : baisse du taux de mariage, augmentation du nombre de femmes qui se battent pour élever seules leurs enfants et, dans les cas les plus extrêmes, phénomène de « morts de désespoir » 4 similaire à celui observé dans certains États post-soviétiques.
Fournir des emplois aux hommes et leur garantir une place dans la société est donc une question dont doivent se saisir les partis républicain et démocrate.
Les discours de Charlie et Erica Kirk s’inscrivent dans ce mouvement : l’homme est le chef de famille, la femme reste à la maison pour s’occuper des enfants.
Cette rhétorique transfère commodément la responsabilité des problèmes structurels de l’État vers les individus. À gauche, des personnalités comme Zohran Mamdani souhaitent offrir davantage d’aide à la garde d’enfants. Les républicains, quant à eux, suggèrent de revenir à une structure familiale où les femmes ne travaillent pas et où un seul revenu peut subvenir aux besoins de la famille — ce qui semble intenable d’un point de vue économique. Malgré ses discours, Erica Kirk elle-même avait deux emplois.
En conclusion, la féminisation est un sujet sensible.
Je suis très consciente de cette sensibilité, car je suis moi-même une femme.
J’aime beaucoup être écrivain et je ne voudrais jamais décourager une autre femme de suivre la voie que j’ai empruntée.
Rana Foroohar Il existe une longue tradition aux États-Unis de femmes conservatrices qui ont fait une grande carrière politique en disant aux autres femmes de ne pas faire carrière. C’était le cas de Phyllis Schlafly dans les années 1960 et 1970 ; celle-ci s’était opposée à l’Equal Rights Amendment 5 en arguant qu’il saperait le rôle traditionnel des femmes.
D’un autre côté, j’ai aussi beaucoup d’opinions qui déplaisent. Si la société devient plus conformiste et moins ouverte aux idées controversées ou impopulaires, les choses seront difficiles pour moi. Il est important de se rappeler qu’il ne s’agit pas de ce qui est le mieux pour moi personnellement, mais de ce qui est le mieux pour la société dans laquelle je vis et celle dans laquelle mes enfants grandiront.
Mon dernier conseil à vous tous est celui-ci : nous devrions tous réfléchir de manière désintéressée à cette question difficile ; non pas du point de vue de ce qui est avantageux pour nous individuellement, mais du point de vue de ce qui est le mieux pour nous tous.
Sources
- La majorité des speakers étaient des hommes : ceux-ci représentent cette année 89 % des intervenants contre seulement 11 % pour les femmes. L’équilibre était sensiblement similaire en 2024 (90 % d’hommes pour 10 % de femmes).
- Katy Faust, fondatrice et présidente de « Them Before Us », un groupe qui défend « le droit des enfants à avoir leurs parents biologiques », figurait notamment au sein du panel ; elle avait déclaré au média en ligne conservateur The Federalist : « Dans le monde post-Obergefell, ce n’est pas seulement le mariage qui a été redéfini. C’est aussi la parentalité, l’infertilité et les relations familiales naturelles. »
- La « Ceinture de rouille » ; auparavant appelée Steel Belt ou Factory Belt, cette région du Nord-Est des États-Unis était de la fin du XIXe siècle à celle du XXe siècle le centre industriel du pays.
- Morts par suicide ou dues à la consommation de drogue ou d’alcool ; durant les deux dernières décennies, celles-ci ont grandement augmenté au sein de la classe ouvrière blanche aux États-Unis. Voir Angus Deaton, Anne Case, Morts de désespoir. L’Avenir du capitalisme, trad. Laurent Bury, Paris, PUF, 2021.
- Projet d’amendement à la Constitution américaine garantissant l’égalité des droits entre les sexes, il fut approuvé par le Congrès en 1971 et par le Sénat en 1972, puis soumis à ratification par les États. Phyllis Schlafly démarra sa campagne contre l’ERA en 1972, alors que 28 États l’avaient ratifié, 38 étant nécessaires pour clôre le processus. L’amendement n’est depuis jamais entré dans la Constitution, seuls 35 États l’ayant ratifié avant la date-butoir.