Président de la très influente Heritage Foundation — qui, depuis Reagan, se fixe pour mission de définir l’agenda des transitions présidentielles conservatrices — Kevin Roberts est le père du Projet 2025, que Donald Trump a commencé à mettre en œuvre dès le premier jour de son entrée en fonction et qu’il a depuis continué à pousser, finissant par adopter la moitié des mesures de ce programme.

Personnage influent du milieu conservateur à Washington, Roberts est idéologiquement plus proche des conservateurs catholiques comme Patrick J. Deneen, Rod Dreher ou encore Gladden Pappin. 1

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Un an après l’élection de Donald Trump, considérez-vous avoir atteint les objectifs du Projet 2025 — avez-vous réussi à transformer les États-Unis ?

Ce n’est pas à nous d’en juger. La grande réussite est que le peuple américain est à nouveau optimiste quant à l’avenir de ce pays — ce qui n’était malheureusement pas le cas sous la présidence de Joe Biden 2

Le président Trump et le vice-président Vance dirigent le pays avec une grande clarté morale, mais aussi avec un sentiment d’urgence politique que les administrations conservatrices précédentes n’avaient pas su combiner. Même notre héros, Ronald Reagan, n’avait pas agi avec la rapidité que nous avons vue à l’œuvre dans l’administration Trump. 

Récemment, un ami du mouvement conservateur me rappelait un point très important, que j’ai parfois tendance à oublier : cela ne fait que neuf mois. 

Cette administration a accompli tellement de choses… Le peuple américain observe la situation et se dit : « C’est pour cela que nous avons voté ». 

Notre priorité absolue est que l’administration actuelle et la prochaine accélèrent le démantèlement de l’État.

Kevin Roberts

Nous faisons totalement confiance au président Trump pour toutes ces politiques, y compris celles mises en œuvre pendant le shutdown. Le mouvement conservateur a proposé une série d’options, sachant que le président, fort de son expertise, choisirait celles qu’il souhaitait mettre en œuvre. 

Tout cela conduit à ce sentiment d’optimisme que je ressens — pour la première fois depuis plusieurs années — lorsque je voyage à travers le pays pour rendre visite à des Américains ordinaires.

Il est perceptible même à Washington, D.C., y compris chez les personnes qui pourraient dire que Donald Trump n’est pas leur tasse de thé —  ce qui n’est pas mon cas. Je pense que Trump est formidable à tous points de vue. Nous avons quelqu’un au pouvoir qui se bat pour l’Américain ordinaire. Et si tel peut continuer à être le cas, alors cela permettra finalement de tenir la promesse sur laquelle nous travaillons à la Heritage Foundation : mettre en œuvre des politiques publiques pour l’Américain ordinaire.

Pour satisfaire votre agenda, que resterait-il à Trump à accomplir dans les mois à venir ? 

C’est une bonne question. 

Depuis 1980, chaque jour, nous travaillons sur le prochain projet de transition présidentielle. Nous travaillons déjà, ces jours-ci sur un mandat pour le leadership du prochain cycle. Nous y travaillons sans interruption depuis 45 ans.

Je dirais que notre priorité absolue est que l’administration actuelle et la prochaine accélèrent le démantèlement de l’État. 

Nous voulons économiser des dizaines de milliards de dollars et renvoyer des dizaines de milliers de fonctionnaires fédéraux qui, espérons-le, trouveront un emploi rémunérateur et productif en dehors de l’administration — et nous leur souhaitons bonne chance en tant que compatriotes américains. 

L’administration doit être plus petite et moins intrusive. L’équipe Trump n’a eu que neuf mois pour entamer ce processus mais les choses suivent leur cours.

Deuxièmement, la sécurité opérationnelle est désormais assurée à la frontière sud. Au cours des deux dernières semaines, il y a eu quelques jours où personne n’a tenté de franchir illégalement la frontière. Nous devons maintenant obtenir le même niveau de réussite avec l’application de la loi à l’intérieur du pays. 

Que voulez-vous dire ?

Nous devons mettre fin et éliminer complètement les villes et comtés dits « sanctuaires ». C’est là que se trouve un nombre disproportionné des 268 000 criminels qui ont pu résider sous la protection illégitime des politiques de « sanctuarisation » 3.

Enfin — et ce ne sera pas une surprise si vous connaissez mon parcours d’éducateur — nous devons mener à bien la suppression totale du ministère de l’Éducation afin que les enfants, les enseignants et les parents américains — quelle que soit leur opinion politique — puissent être responsables de leur éducation.

Vous l’avez répété : la mission que s’est fixée la Heritage Foundation est de toujours préparer la prochaine élection présidentielle. J’imagine que vous réfléchissez donc déjà à 2028. À la dernière NatCon de Washington, nombre de discussions ont porté sur ce qui se passerait au cas où les démocrates revenaient au pouvoir. Comment la Heritage Foundation tente-t-elle de garantir son influence à long terme ? Au-delà du sujet de la victoire électorale, je pense à la question clef de la survie et de la pérennisation de votre agenda en cas de défaite.

C’est une question très pertinente. Permettez-moi d’y répondre en deux temps.

Du point de vue politique et intellectuel, nous organisons la quasi-totalité de notre travail autour de ce que nous appelons les quatre piliers, quatre questions. 

Premièrement : qu’est-ce qui est le mieux pour la famille américaine ? 

Deuxièmement : quel est l’avenir de la libre entreprise et comment préserver la dignité du travail ? Nous avons regroupé ces deux questions sous un seul pilier, car elles sont étroitement liées.

Troisièmement, qu’est-ce qui est le mieux pour les Américains en matière de sécurité nationale et de politique étrangère ? Comment pouvons-nous donner la priorité aux Américains dans nos capacités de défense létales mais modérées ? 

Et quatrièmement, que signifie être américain ? C’est ce que nous appelons notre pilier de la citoyenneté. 

La raison pour laquelle nous essayons de simplifier au moins le cadre de notre travail — tout notre travail se poursuivra selon des méthodes politiques très spécifiques — est de mettre l’accent sur ce que nous disent les Américains ordinaires. Ils nous disent que Washington est trop compliqué, trop grand, trop intrusif et que nous avons besoin d’hommes et de femmes élus, à tous les niveaux, qui voient le monde comme nous le voyons. Ce sont là le genre de questions que se posent les Américains ordinaires, parfaitement intelligents mais très occupés par leur vie quotidienne. 

Nous invitons également le mouvement conservateur à participer à ce travail.

Quels que soient les livrables politiques que nous porterons, qu’il s’agisse de livres blancs discrets et individuels ou de mandats pour les dirigeants, ils refléteront ces thèmes. Sur le plan plus politique et populaire, en tant que président de Heritage Action notre branche plus axée sur les campagnes de sensibilisation — nous sommes très investis en ce moment dans les élections en Virginie et dans le New Jersey — ce qu’on appelle les « élections hors cycle ».

Ceci est un changement de régime — un changement de régime par rapport au totalitarisme d’Obama et de Biden.

Kevin Roberts

Voilà pour les principes. Maintenant, pour répondre plus précisément à votre question, l’interrogation est au fond la suivante : les nouveaux électeurs que Trump a amenés dans la coalition conservatrice continueront-ils à faire partie de cette coalition après la fin de son deuxième mandat ?

Je pense que la réponse à cette question est clairement : oui — mais avec une réserve. 

Ceux d’entre nous qui sont à l’extérieur mais à proximité de l’administration doivent mener un travail de communication efficace pour faire comprendre aux gens qu’il ne s’agit pas d’un simple compromis.

S’ils veulent voir le rêve américain devenir encore plus réel pour eux-mêmes, leurs enfants et leurs petits-enfants, ils doivent faire partie de ce que j’aime appeler le Nouveau mouvement conservateur 4. Cela les place eux au centre du mouvement — plutôt que Washington et l’État administratif. C’est ce que nous faisons avec Heritage Action. Nous prévoyons de nous impliquer dans quatre, cinq ou six États très importants, l’année prochaine lors des élections de mi-mandat, qui nous mèneront jusqu’en 2028.

Revenons à ce que vous avez énoncé au début de notre conversation comme votre priorité absolue : le démantèlement de l’État fédéral. Pourquoi le DOGE a-t-il échoué ?

Je comprends pourquoi vous posez cette question, légitime, de cette manière — en suggérant qu’il aurait peut-être échoué — mais vous ne serez pas surprise de m’entendre commencer par vous répondre l’inverse : le DOGE a remporté un succès éclatant.

Jamais auparavant dans l’histoire moderne des États-Unis une telle chose ne s’était produite.

Tout d’abord, le DOGE a changé le son de cloche à Washington sur le budget de l’État et les dépenses. Un tel mouvement ne pouvait pas venir de l’intérieur : il fallait une telle dynamique externe.

Dans le même temps, compte tenu de tous les intérêts commerciaux d’Elon Musk, son implication dans le DOGE était de toute façon vouée à être de courte durée. Le fait que Musk ne soit plus là aujourd’hui ne doit pas conduire à conclure que le DOGE aurait échoué. 

J’ajouterais même que le DOGE est bien vivant — non seulement à Washington, mais aussi au niveau des États.

Au cours de ce shutdown, notre grand ami, mon ancien collègue de Heritage Action, Russell Vought, aujourd’hui chargé de la gestion et du budget, a ainsi mené des efforts considérables de réduction drastique des effectifs 5. C’est quelque chose que les conservateurs théorisent depuis des décennies, mais ils y croient désormais et Russ considère qu’il bénéficie du soutien populaire suffisant pour le faire — en grande partie parce qu’il est porté par la vague du DOGE.

Enfin, je pense à mon grand ami et ancien collègue au Texas, Jerome Greener, qui vient d’être nommé à la tête de la Commission DOGE au Texas. Même dans cet État profondément conservateur — plus conservateur sur le plan fiscal que la plupart des autres — les dépenses sont encore trop importantes. Or le DOGE est présent dans des endroits comme le Texas, l’Oklahoma et la Caroline du Sud. Espérons que nous le verrons également en Virginie.

Je crois beaucoup à ces déclinaisons du DOGE à l’échelle des États fédérés.

Aux États-Unis, on a l’impression que le trumpisme est en train d’aller au-delà de la simple opposition politique entre conservateurs et progressistes. Vu d’Europe, on a plutôt l’impression que cette administration est en train de s’éloigner de la vision des pères fondateurs et d’opérer un véritable changement de régime vers l’autoritarisme. Est-ce le cas ?

Oui. Ceci est un changement de régime — un changement de régime par rapport au totalitarisme d’Obama et de Biden. Ce sont eux les grands violateurs de la tradition américaine que les Européens croient à tort que Trump est en train de changer. 

L’administration Trump est un correctif à l’emprise excessive des totalitaires intellectuels qui contrôlent notre gouvernement fédéral, ainsi que bon nombre de nos gouvernements d’État et presque toutes les institutions d’enseignement supérieur — y compris la vôtre 6.

Que Dieu bénisse Donald J. Trump et J. D. Vance d’avoir eu le courage de s’opposer à ce qui a été explicitement un projet anti-américain qui voulait faire passer les élites de Washington, New York et Bruxelles avant les Américains ordinaires.

Vous décrivez une sorte d’inversion qu’il est pourtant assez difficile de percevoir depuis l’Europe. Pourriez-vous préciser ce point ?

Notre échange est sérieux — mais il me permet aussi de me moquer un peu des élites européennes. 

Comme je me rends souvent en Europe, je comprends pourquoi une personne bien intentionnée occupant un poste d’élite serait d’accord avec la formulation de votre question sur le changement de régime. Les médias des élites européennes présentent les choses ainsi.

C’est pourquoi il est si important pour ceux d’entre nous qui sont proches de l’administration, qui ont des amis au sein de l’administration et qui savent ce qui se passe réellement, mais surtout qui ont été victimes des excès des années Obama-Biden, de corriger cette image auprès de nos amis européens 7.

Une question profonde divise en ce moment le mouvement conservateur : que faire de l’IA ? Certains théoriciens clefs de votre mouvement la voient comme une menace existentielle alors que Donald Trump l’a mise au cœur de son agenda.

À bien des égards, c’est l’une des questions les plus importantes pour l’avenir à court et à long terme — non seulement pour le conservatisme et l’Amérique, mais aussi pour ce que signifie être un être humain. 

L’une des grandes questions que nous nous posons concerne la dignité du travail et de l’être humain. Nous trouvons une partie de notre dignité dans le travail. Et je serai très clair : la coalition politique qui comprenait les grandes entreprises technologiques l’année dernière et qui a conduit à la victoire de Donald Trump est utile dans une certaine mesure. Elle est pratique. Mais elle est marquée par de très sérieuses divergences d’opinion sur le rôle de l’IA et de l’immigration, notamment. Ces deux questions constituent aujourd’hui, c’est incontestable, des sources de division au sein de cette coalition. 

À la Heritage Foundation, nous pensons que l’intelligence artificielle est un excellent exemple de l’innovation américaine et, plus largement, occidentale. J’inclus également nos amis européens dans cette catégorie. Cependant, trop de personnes dans le secteur des Big Tech pensent généralement que l’IA serait presque une fin en soi. En d’autres termes, le plus nous la développerions rapidement, le plus nous pourrions l’utiliser et le mieux nous nous porterions tous. 

Nous rejetons catégoriquement cette vision des choses.

Pour autant, même si certains d’entre nous — dont moi-même — avons tendance à être des paléoconservateurs qui seraient parfaitement heureux dans un monde sans IA, nous comprenons également qu’elle peut être un outil utile. Ce que nous essayons de faire, notamment à travers les recommandations politiques que nous adressons au Congrès et à la Maison-Blanche, c’est de proposer un modèle conservateur de réglementation de l’IA afin qu’elle ne devienne pas une fin en soi et qu’elle ne porte pas atteinte à la dignité de la personne humaine. 

Nous ajoutons toutefois que nous sommes profondément préoccupés par le nombre croissant de personnes issues des grandes entreprises technologiques pas toutes, heureusement — qui adhèrent au transhumanisme. Elles pensent que le transhumanisme améliorera la vie humaine. Or il n’est même pas nécessaire d’avoir la foi religieuse que beaucoup d’entre nous avons pour rejeter cette idée, simplement sur la base du droit naturel. Nous travaillons sans relâche pour concilier ces questions, non seulement pour des raisons politiques, mais surtout pour des raisons stratégiques, car c’est là que les Américains seront vraiment impactés 8.

L’IA et l’immigration constituent aujourd’hui, c’est incontestable, des sources de division au sein de cette coalition qui a élu Trump.

Kevin Roberts

Pensez-vous que la question de la foi soit une ligne de fracture à l’intérieur du mouvement conservateur aujourd’hui aux États-Unis ?

Il n’est pas nécessaire d’aller à l’église chaque semaine pour comprendre le potentiel destructeur du transhumanisme et de l’IA sans limites. 

Mais il nous incombe à nous, croyants, d’en parler en ces termes.

Je ne suis pas timoré lorsqu’il s’agit d’évoquer notre religion — mais j’invite particulièrement nos amis européens qui ne veulent pas entendre d’arguments religieux à comprendre que nous pouvons faire cause commune pour défendre une politique responsable en matière d’IA — que nous allions à l’église ou non.

La guerre culturelle est-elle plus importante pour vous que le démantèlement de l’État fédéral ?

Il serait impossible de choisir entre les deux. Je définirais notre travail de manière plus ouverte : nous défendons les intérêts des Américains ordinaires pour qu’ils puissent réaliser le rêve américain. 

Dans un contexte plus global ou européen, tout notre travail vise à permettre aux gens de se gouverner et de s’épanouir en tant qu’êtres humains. Nous voulons que tout le monde, à gauche, à droite ou au centre de l’échiquier politique, puisse y parvenir. 

C’est un début de réponse à votre question : s’attaquer à la bureaucratie est important — mais ce n’est pas une fin en soi.

La baisse des impôts n’est pas une fin en soi ; la guerre culturelle, beaucoup plus. 

Car la gauche a redéfini l’être humain lui-même 9. Nous essayons d’être plus explicites, plus intentionnels dans l’explication de notre travail et de ce que nous défendons, à savoir que nous puissions un jour vivre dans un monde, espérons-le au cours de notre vie, où, dans notre cas, une grande majorité d’Américains déclarent qu’ils sont autonomes et qu’ils en sont réellement capables. Cela signifie que les institutions que nous avons construites autour d’eux favorisent l’autonomie et la croyance en l’épanouissement du rêve américain d’une génération à l’autre.

Concevez-vous aussi votre mission de manière globale, au-delà des États-Unis ? Cherchez-vous à faire advenir un monde post-libéral ?

Absolument — et catégoriquement. 

Mais, premièrement, l’essentiel de notre travail sera toujours axé sur l’Amérique pour les Américains. C’est notre obligation morale telle que nous la concevons. 

Deuxièmement, notre échange de tout à l’heure et votre excellente question sur la façon dont je définirais notre travail ont révélé qu’il s’agit de ce que signifie être humain, être libre, ressentir ce que Dieu — ou la nature, si vous préférez — a imprimé dans nos âmes, nous a programmés pour être — c’est-à-dire faire ce que nous devons faire.

Cela ne signifie pas pour autant que la Heritage Foundation souhaite activement participer à un quelconque changement de régime dans un autre pays.

Nous avons été très clairs à ce sujet ces dernières années 10.

Pour autant, nous voulons que cette liberté soit accessible à tous dans le monde. Si nous pouvons voyager à travers le monde, nouer des amitiés et former des coalitions en dehors du domaine politique, nous laisserons les élections et la politique à nos amis dans ces pays. Mais nous continuerons notre travail intellectuel — car nous pensons que tout le monde a le droit de pouvoir en bénéficier.

La baisse des impôts n’est pas une fin en soi ; la guerre culturelle, beaucoup plus.

Kevin Roberts

Considérez-vous les conservateurs européens qui ont émergé en France, en Hongrie, en Pologne — peut-être aussi en Italie avec Meloni — comme un exemple à suivre ? Il y a bien sûr eu des liens entre la Heritage Foundation et certaines institutions hongroises, par exemple. Comment qualifieriez-vous cette relation ?

Tous ceux que vous avez cités, ainsi que d’autres, sont nos amis en Europe et nous encouragent beaucoup.

Nous travaillons avec tous les partis politiques. 

Votre question sous-entend qu’il existerait au moins deux courants parmi les conservateurs en Europe.

D’un côté ceux qui sont prêts à travailler dans le cadre de l’Union européenne — et donc à composer avec le statu quo.

Et d’autres, comme Nigel Farage — notre grand ami à la tête du parti Reform — qui sera probablement le prochain Premier ministre du Royaume-Uni ; mon grand ami Santiago Abascal, chef du parti VOX en Espagne ; nos amis en Pologne ; nos amis en Hongrie. Ce sont des membres individuels du Parlement européen qui comprennent que quelque chose doit changer dans la centralisation excessive de l’organisation supranationale connue sous le nom d’Union européenne. C’est avec eux que nous faisons cause commune.

Bien que nous puissions offrir des conseils politiques intellectuels, nous leur laissons le soin de s’occuper de la politique.

Ce qui est formidable, c’est que les conservateurs que j’ai mentionnés et d’autres en Europe comprennent que le populisme — un mot qui, d’après ce que je comprends, a une connotation légèrement différente en Europe et aux États-Unis — et le conservatisme ne s’excluent pas mutuellement, mais qu’ils se sont toujours influencés l’un l’autre. 

Je comprends que cela soit plus facile à accepter pour les Américains, compte tenu de notre histoire, où ces deux courants ont été liés sur le plan intellectuel, et je comprends que parfois, le populisme dans certaines régions d’Europe ait pris au fil des ans une forme différente. 

Mais lorsque j’utilise le terme « populisme », c’est par référence au contexte américain, c’est-à-dire que le peuple se gouverne lui-même, que la société civile élit son gouvernement et que ce dernier n’a pas le droit de bafouer ses droits.

Nous adhérons pleinement à cette conception.

Pour beaucoup de conservateurs européens, qui souhaitent approfondir leurs relations avec l’administration Trump, il y a la crainte que même si l’Europe devenait plus conservatrice, cela ne renforcerait pas nécessairement le lien transatlantique. Les États-Unis de Trump seraient-ils plus « intéressés » par les relations transatlantiques si l’Europe elle-même devenait plus conservatrice ? C’est une question qui se pose car les conservateurs européens utilisent cet argument pour dire : « Vous avez peur d’une Europe sans les États-Unis. Eh bien, si vous étiez plus conservateurs, vous avez plus de chances de maintenir les États-Unis sur le continent. » Est-ce vrai ?

Je dis cela en tant que grand conservateur à la fois pro-Europe pro-America First, ce qui peut sembler paradoxal à certains lecteurs européens. Je comprends d’ailleurs pourquoi : si vous consommez certains médias américains, vous pouvez penser que se décrire comme un conservateur pro-America First signifie que vous ne voulez rien avoir à faire avec l’Europe, même avec nos alliés. Les grossières déformations des intentions du vice-président Vance dans son discours à Munich attisent, je pense, ces tensions 11

La Chine est la plus grande menace civilisationnelle pour les États-Unis et l’Occident depuis notre  fondation en 1776.

Kevin Roberts

Je tiens à remercier mes amis européens de centre-droit qui m’ont encouragé au cours de l’année dernière à rappeler au public américain que nous devons être très précis lorsque nous nous adressons à nos amis européens. Que, notamment, lorsque nous parlons de « l’Amérique d’abord » (America First), lorsque nous disons que les pays européens doivent assumer leur part du fardeau en matière de dépenses de défense en particulier — afin que le contribuable américain n’ait pas à financer le programme de protection sociale allemand, par exemple 12 — nous devons également être explicites et fermes, car nous avons non seulement besoin, mais aussi envie d’avoir des alliés solides, en particulier en Europe.

C’est ce que nous avons essayé de faire à notre échelle au cours de l’année dernière, de la même manière que nous dirons à nos amis européens qu’ils ont, en effet, tout intérêt à être plus conservateurs pour eux-mêmes — mais aussi parce que le conservatisme est en plein essor aux États-Unis.

Nous encouragerons aussi les décideurs politiques américains à ne pas abandonner l’Europe — et je ne pense pas que ce sera le cas. Les conservateurs en Europe et les conservateurs en Amérique ont tout intérêt à se concentrer avec zèle sur la santé de leurs États-nations. Je suis vraiment optimiste quant à l’avenir des interactions entre l’Europe et les États-Unis ?

Pourquoi ?

Pour deux raisons.

Premièrement, l’ascendant apparent d’un conservatisme plus populiste sur le continent européen. 

Deuxièmement, Donald Trump a exigé que les alliés européens, en particulier au sein de l’OTAN, prennent leur part. Il suffit de penser à la conversation sur le pourcentage du PIB consacré à la défense, qui a évolué si rapidement. Cela ne se serait pas produit sans le président Trump 13.

De nombreux progrès ont été réalisés au cours des dernières années. C’est encourageant.

Une dernière question géopolitique : considérez-vous la Chine comme un rival stratégique ou comme un ennemi civilisationnel ?

La Chine est la plus grande menace civilisationnelle pour les États-Unis et l’Occident depuis notre  fondation en 1776.

Elle est plus peuplée que l’Union soviétique, qui représentait une menace considérable pour l’Europe, pour les États-Unis et pour les peuples libres. 

Mais elle représente une menace encore plus grande en raison de sa puissance économique.

L’une des raisons pour lesquelles nous essayons d’être l’interlocuteur informel entre nos amis conservateurs européens et nos amis conservateurs américains est aussi de veiller à ce que le Parti communiste chinois ne puisse pas s’implanter encore plus fortement qu’il ne l’est en Europe.

De nombreux décideurs européens ont d’ailleurs mené d’excellentes politiques, très courageuses, envers la Chine. Nous les encourageons à poursuivre dans cette voie, tout comme nous encourageons notre propre président et notre vice-président à poursuivre leurs efforts.

Car si nous ne parvenions pas à vaincre la Chine sur le plan économique, nous devrions tous nous unir pour la vaincre sur le plan militaire.

Or si cette guerre commençait aujourd’hui, son issue serait très incertaine.

Sources
  1. Depuis deux jours, il est au cœur d’une polémique, qui précède cet échange. Dans une vidéo postée sur ses réseaux sociaux, il défend l’animateur star des conservateurs Tucker Carlson dans son choix d’interviewer Nick Fuentes, influenceur réactionnaire antisémite — entre autres — et banni de la plupart des plateformes pour cette raison, qui représente un courant significatif du trumpisme. Carlson ayant été très critiqué pour avoir ouvert sa tribune à une personnalité incitant à la haine des Juifs, Roberts a pris ouvertement sa défense.
  2. Si les sondages sont légèrement meilleurs sur les perceptions des perspectives économiques, l’optimisme n’a pas augmenté de manière significative aux États-Unis, contrairement à ce qu’affirme Roberts. Il a même plutôt baissé dans certaines franges de la population.
  3. Kevin Roberts fait ici référence à certaines municipalités qui choisissent de limiter leur coopération avec les autorités de lutte contre l’immigration clandestine pour protéger des populations réfugiées. Il n’est pas du tout établi, contrairement à ce qui est affirmé ici, que ces politiques localisées aient permis de protéger systématiquement « 268 000 criminels ».
  4. Sous couvert d’un discours de haut niveau sur les politiques publiques et la liberté des citoyens, Kevin Roberts appelle de facto dans ce développement à un mouvement d’adhésion et d’alignement sur les valeurs de la Heritage Foundation.
  5. Contrairement aux précédents shutdowns, celui qui touche les États-Unis depuis le début du mois d’octobre 2025 est exploité par la Maison-Blanche. En la personne de Russell Vought, l’administration Trump considère ouvertement qu’il pourrait servir ses intérêts en procédant à des licenciements massifs de fonctionnaires fédéraux.
  6. L’autrice de l’entretien enseigne à l’université George Washington.
  7. Kevin Roberts se livre ici à une argumentation fondée sur l’inversion accusatoire et une lecture révisionniste de l’histoire récente des États-Unis, similaire à celle tenue par le néoréactionnaire Curtis Yarvin par exemple.
  8. S’il n’est pas nommé, le point aveugle de ce paragraphe est évidemment Peter Thiel, soutien historique de Donald Trump, qui exerce sur l’administration actuelle et l’État fédéral une influence de plus en plus importante, notamment via Palantir, mais qui tente d’être un point de jonction avec le national-conservatisme et la droite chrétienne américaine — en agitant depuis la Silicon Valley la peur de l’Antéchrist.
  9. Ce passage illustre la manière par laquelle la rhétorique de la frange du mouvement conservateur américain à laquelle appartient Roberts a recours à la déshumanisation de l’adversaire.
  10. La Heritage Foundation travaille étroitement avec plusieurs think tanks européens, notamment en Hongrie et en Pologne, dont le but revendiqué est de subvertir l’Union européenne.
  11. La stratégie antagoniste de l’administration Trump vis-à-vis de l’Union européenne est bien documentée — des nombreux discours de J. D. Vance aux messages officiels du Département d’État en passant par les échanges de textos échangés par les membres de l’administration qui avouaient leur « dégoût » de l’Europe.
  12. Cet exemple saugrenu s’inscrit dans un raisonnement qui présente une vision inversée de la réalité : tant le communiqué du dernier sommet de l’OTAN que les négociations commerciales avec l’Union prévoient de fait d’entériner une situation déséquilibrée en faveur des États-Unis — passant notamment par des promesses d’investissement et d’achat d’armements à des entreprises américaines. C’est ce qu’Henry Farrell et Abraham Newman ont appelé dans nos pages « l’Enshittification de l’Empire américain ».
  13. Si le montant de 5 % était une demande de l’administration Trump, de nombreux pays européens avaient prévu d’augmenter leurs dépenses de défense depuis 2022.