Avec quatre tours de scrutin, soit le même nombre que pour Benoît XVI, l’élection du pape Léon XIV se situe dans la norme des élections rapides, n’étant battue que par celle de Pie XII (trois tours de scrutin) dans un contexte de pré-guerre mondiale.
- Âgé de 69 ans, il est relativement jeune pour un pape, mais il est tout à fait proche de la moyenne d’âge du Collège cardinalice (70 ans), assez rajeuni par François.
- Lors de son élection, Robert Prevost était cardinal depuis moins de deux ans, ce qui est plus rare : Jorge Bergoglio l’était depuis 12 ans et Joseph Ratzinger depuis près de 28 ans.
- Léon XIV est également le premier pape depuis l’éphémère Jean-Paul Ier (1978) à avoir été créé cardinal par son prédécesseur immédiat, et non par son anté-prédécesseur.
À l’ère contemporaine, l’idée se répand qu’un pape élu âgé serait nécessairement un pape de transition, qui se contenterait de gérer les affaires courantes dans la continuité de son prédécesseur, sans enclencher de réforme d’ampleur. Tel était le cas de Jean XXIII, un homme d’expérience, élu pape à l’âge de 76 ans en 1958, après le long pontificat de Pie XII (1939-1958).
- C’est pourtant le même Jean XXIII qui a convoqué le concile Vatican II (1962-1965), la plus importante réforme de l’Église catholique depuis le concile de Trente au XVIe siècle.
- En 2005, le choix de Benoît XVI, âgé de 78 ans, indiquait clairement la volonté d’un pontificat de transition et de continuité, après les presque 27 ans de pontificat de Jean-Paul II (le deuxième plus long de l’histoire de l’Église catholique).
- Si sa jeunesse (il avait 58 ans lors de son élection) et sa forme physique athlétique avaient beaucoup séduit les fidèles au début de son pontificat, par la suite, ses infirmités et sa santé déclinante à partir des années 1990 avaient suscité de nombreuses critiques. On reprochait notamment à l’Église catholique de rester un système monarchique, avec un pape élu à vie, sans aucune limite d’âge.
Dans le prolongement du concile Vatican II, Paul VI (1963-1978) avait tenté de réformer et de rajeunir le gouvernement de l’Église, un processus également perceptible dans ses nominations cardinalices. En 1966, il avait notamment instauré la règle, toujours en vigueur, selon laquelle tout évêque diocésain est tenu de présenter sa démission au pape le jour de ses 75 ans. Si celle-ci n’est pas acceptée immédiatement, sa charge pastorale peut être un peu prolongée, mais guère plus d’un ou deux ans.
- Cette limite d’âge a été étendue aux préfets de dicastère, les « ministres » de la Curie romaine. Un seul évêque diocésain n’est pas soumis à cette règle : le pape, évêque de Rome.
- En 1975, Paul VI a également fixé l’âge limite de 80 ans au-delà duquel un cardinal ne peut plus prendre part au conclave, séparant ainsi les cardinaux électeurs des non-électeurs. Cette limite formelle du droit de vote actif était également conçue comme une limite informelle d’éligibilité : même si, en théorie, les cardinaux électeurs peuvent choisir un autre cardinal de plus de 80 ans (ou un clerc non cardinal), dans la pratique, cette éventualité est peu envisageable.
En restant pape jusqu’à son tout dernier souffle, et malgré un état de santé très dégradé, Jean-Paul II a démontré qu’il n’entendait pas modifier la conception du pouvoir pontifical.
- Les difficultés de la fin de son pontificat sont toutefois apparues de plus en plus criantes, même à son entourage proche, y compris à Joseph Ratzinger, son bras droit et préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Ce dernier, devenu pape à un âge déjà avancé (78 ans), desservi par une santé fragile et des forces qui s’amenuisaient, a décidé de renoncer à la charge pontificale à l’âge de 85 ans, en 2013.
- Si tous les canonistes reconnaissent au pape le droit de renoncer à sa charge, une telle renonciation volontaire, sans pression apparente, est inédite dans l’histoire de l’Église, de même que le titre de « pape émérite » qu’il a assumé jusqu’à sa mort fin 2022 à l’âge de 95 ans. Ce titre a été critiqué par certaines voix qui auraient jugé plus convenable le titre « d’évêque émérite de Rome », afin de ne pas créer de confusion avec son successeur.
- Et de fait, la figure du pape émérite a été instrumentalisée nolens volens, par l’opposition conservatrice à François.
Si le pape François, âgé de 76 ans lors de son élection, a d’abord semblé en bonne santé, il a été rattrapé à partir de 2020 par d’importants problèmes de motricité, qui se sont ajoutés à sa fragilité pulmonaire préexistante.
- Certains s’attendaient à ce qu’il annonce, lui aussi, sa démission à l’âge de 85 ans, en 2021, ou une fois Benoît XVI décédé, en 2023, ce qui aurait été une manière de rendre le gouvernement de l’Église plus synodal.
- Mais François a démontré une conception très personnelle du pouvoir, qui le rapproche de Jean-Paul II : déléguer le moins possible, ménager très peu ses forces et être plus que rétif au repos conseillé par les médecins.
- La fin de son pontificat en a été d’autant plus difficile qu’il a été hospitalisé pendant plusieurs mois au début de l’année 2025.
On peut donc déduire de ce qui précède que l’âge relativement jeune du cardinal Prévost, ainsi que sa bonne santé — il fréquentait régulièrement une salle de sport à Rome —, ont joué en sa faveur lors de son élection : le Collège cardinalice ne souhaite pas vivre des agonies papales trop fréquentes, synonymes de difficultés de gouvernement et de turbulences.
- Avec l’élection de Léon XIV, il a clairement écarté la figure du pape de transition, malgré les signes de continuité avec François.
- Cela signifie également que les cardinaux ont de nouveau accepté l’éventualité d’un long pontificat, malgré ses inconvénients : preuve que les critiques de l’ère Jean-Paul II sont oubliées.
- La moyenne d’âge de l’ensemble des cardinaux, électeurs et non-électeurs, est spécialement élevée (78 ans), et les cardinaux retraités sont aujourd’hui très nombreux (148), ce qui a des incidences sur le gouvernement de l’Église.
- Si l’on a récemment proposé de relever l’âge de la retraite des évêques de 75 à 78 ans (car beaucoup d’évêques émérites, en Occident, se retrouvent sans affectation alors qu’ils sont encore en bonne santé, et qu’un prêtre ne prend habituellement sa retraite qu’à 80 ans), en sens inverse, des catholiques réformateurs ont plaidé pour que le pape renonce automatiquement à sa charge à l’âge de 85 ans, transformant ainsi en règle stricte le « précédent Benoît XVI ».
- Du fait de la hausse de l’espérance de vie, particulièrement marquée dans les pays occidentaux, il est probable que l’âge des papes lors de leur élection augmente, de même que la durée de leur pontificat.
- Dans un système électif à vie, cela augmente également la probabilité de crises de gouvernance autour de papes très âgés qui refuseraient de démissionner, ou qui, pire encore, seraient dans l’incapacité de le faire.