Doctrines de la Russie de Poutine

L’immortalité de Vladimir Poutine et le fantasme de l’Extrême-Orient

De retour de Chine où il avait plaisanté avec Xi Jinping sur la possibilité de devenir immortel, Vladimir Poutine a prononcé à Vladivostok un discours fleuve.

Son annonce : faire de l’Extrême-Orient russe — un territoire de 7 millions de kilomètres carrés au PIB équivalent à celui de la Bretagne — un nouvel espace de prospérité économique.

Dans un pays miné par l’inflation, il s’adressait surtout aux oligarques.

Auteur
Guillaume Lancereau
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© Alexander Kazakov

Vladimir Poutine se rêve immortel. C’est l’idée qui ressort d’une conversation récente avec Xi Jinping, dans laquelle les deux dirigeants ont évoqué l’accroissement de l’espérance de vie, la transplantation d’organes et la possibilité de vivre éternellement. 

Elle vaut d’être lue en intégralité. 

« À l’époque [de la Seconde Guerre mondiale], les gens vivaient rarement jusqu’à 70 ans. Mais aujourd’hui, à 70 ans, vous êtes un enfant », déclare Xi. Tout de go, Poutine lui répond : « Avec le développement des biotechnologies, les organes humains peuvent être continûment transplantés. Les gens peuvent vivre de plus en plus vieux et même atteindre l’immortalité. » Et le président chinois conclut : « Les prédictions disent qu’au cours de notre siècle, il y a des chances qu’on vive jusqu’à 150 ans. »

Au-delà de ses conversations privées, la politique concrète de Vladimir Poutine semble directement inspirée par ce fantasme. 

Lancé dans une guerre éternelle, le chef d’État russe vient d’ordonner à son gouvernement, en conclusion de son discours du 5 septembre au Forum économique oriental, de planifier le développement de l’Extrême-Orient russe jusqu’à l’horizon 2036 — l’actuel président russe aurait alors 83 ans.

Lors de la séance plénière du Forum, à laquelle participaient également le Premier ministre du Laos, Sonexay Siphandone, celui de Mongolie, Gombojavyn Zandanshatar, et le vice-président du Comité permanent de l’Assemblée populaire nationale de Chine, Li Hongzhong, le discours de Vladimir Poutine a confirmé que la vision du pouvoir russe s’inscrivait dans le temps long. Les perspectives de développement démographique, industriel et logistique de la région de l’Extrême-Orient, tendant à l’ériger en poumon économique alternatif du pays, demanderont de longues années avant de se réaliser — si toutefois la corruption systématique n’a pas raison, d’ici-là, de toutes les initiatives publiques allant en ce sens.

Au sortir de cette allocution-fleuve au cours de laquelle ont été successivement évoqués le futur corridor de transport transarctique, les facilités offertes aux entreprises de la région et les mesures de soutien à ses habitants, le solde migratoire et le développement technologique, la question qui demeure ouverte est bien celle par laquelle la modératrice des échanges, Maria Rybakova, a donné la parole au président russe : que répondre aux Russes ordinaires qui vont faire leurs courses chaque jour et constatent une hausse constante des prix ?

C’est ici que réside la contradiction essentielle de tous les discours d’avenir de Vladimir Poutine.

Soucieux avant tout de garantir des opportunités économiques aux oligarques du pays, à commencer par certains membres de son cercle proche, le président russe multiplie les promesses à l’attention de sa population, qui ne récolte, pour l’heure, qu’une inflation inquiétante.

La Russie et Vladivostok accueillent une fois de plus les participants et les invités du Forum économique oriental, venus de plus de soixante-dix pays du monde.

L’édition de cette année marque les dix ans du Forum. Je rappelle que l’idée d’organiser cet événement s’est imposée au moment même où nous inaugurions une nouvelle phase de développement de l’Extrême-Orient, où nous entreprenions un travail considérable de création d’opportunités pour nos citoyens, notre jeunesse, mais aussi et avant tout pour les entreprises, afin de mettre en valeur les ressources, le potentiel industriel et les capacités logistiques de cette région hautement stratégique, tout en améliorant la qualité de vie de ses habitants.

Les dix ans du Forum économique oriental ne doivent pas être seulement l’occasion de dresser le bilan de l’action concertée des autorités, des entrepreneurs et des organisations de la société civile. Nous entendons en même temps indiquer les étapes futures, les plans de développement à long terme de l’Extrême-Orient par lesquels nous entendons renforcer son rôle dans l’économie nationale et le système des relations internationales, à commencer par la région Asie-Pacifique, actuellement en plein essor.

Vous ne l’ignorez pas : le développement de l’Extrême-Orient et de la Sibérie a reçu le statut de priorité nationale de la Russie pour l’ensemble du XXIe siècle, comme cela a été annoncé dès l’allocution présidentielle de 2013 devant l’Assemblée fédérale. La base réglementaire de ce développement a été progressivement dessinée et mise en œuvre, avec un ensemble d’instruments de soutien aux entreprises, dont les « territoires de développement prioritaire », le statut de port-franc de Vladivostok, le régime préférentiel dans les îles Kouriles et la Zone administrative spéciale sur l’île Rousski. Nous avons déployé des plans ambitieux de renforcement des infrastructures de transport, d’énergie et de services publics, tout en soutenant la création de logements, la rénovation et la création d’équipements sociaux : écoles, crèches, dispensaires et hôpitaux, complexes sportifs.

Tous ces efforts sont désormais réunis dans un vaste programme qui définit les ambitions de l’État en matière de développement des régions extrême-orientales de la Fédération de Russie, de croissance économique et technologique et d’amélioration du bien-être de leurs habitants.

Un premier bilan de la politique extrême-orientale

Ces efforts n’ont pas été sans produire de résultats. D’après une série d’indicateurs clefs, avant tout d’ordre économique, l’Extrême-Orient est depuis plusieurs années une région pionnière à l’échelle de la Fédération, avec des chiffres bien supérieurs à la moyenne nationale. C’est ainsi que le produit régional brut de l’Extrême-Orient a été multiplié par plus de 2,5 en dix ans, passant de 4 trillions de roubles à 11 trillions.

Ce chiffre, qui équivaut à environ 115 milliards d’euros, se veut impressionnant. Concrètement, les 7 millions de kilomètres carrés de l’Extrême-Orient russe totalisent un PIB inférieur à celui de la Bretagne.

Au cours de cette période, le capital fixe des entreprises extrême-orientales a reçu 20 trillions de roubles d’investissements, dont le quart était consacré à des projets bénéficiant d’un soutien de l’État dans des secteurs tels que l’exploitation minière, la pétrochimie et la gazochimie ou encore la construction.

Parmi ces régions pionnières en matière d’investissements, il faut citer la Iakoutie (4,5 trillions de roubles), la région de l’Amour (4 trillions) et celle de Sakhaline (2,6 trillions). À elles seules, ces trois régions totalisent plus de la moitié, 55 % précisément, de l’ensemble des investissements réalisés dans le district fédéral de l’Extrême-Orient.

La dynamique des investissements dans ces régions est telle qu’au cours de la seule année passée leur volume était le double, en valeur réelle, de celui d’il y a dix ans. Par comparaison, le volume d’investissements de la Russie tout entière n’a été multiplié que par 1,5 en dix ans, ce qui est un excellent résultat, mais malgré tout en deçà de l’Extrême-Orient. Rapporté au nombre d’habitants, on investit aujourd’hui deux fois plus de ressources en Extrême-Orient qu’à l’échelle de la Fédération.

Qu’est-ce que cela signifie  ? Cela signifie que nous assistons à la formation d’une base industrielle moderne et, plus fondamentalement encore, à une reconfiguration de la carte industrielle de la région. Sur cette carte, des milliers de points de croissance ont déjà fait leur apparition, avec des entreprises de rang mondial comme le complexe minier de la Tchoukotka, le « Cuivre d’Oudokan » dans la Transbaïkalie, l’usine gazochimique et de traitement de gaz dans la région de l’Amour, l’usine d’engrais minéraux de Nakhodka, le chantier naval Zvezda dans le kraï du Primorié, le complexe hydro-métallurgique dans celui de Khabarovsk et bien d’autres établissements.

La croissance de l’activité économique, la persévérance des entreprises dans leurs efforts, la mise en valeur du potentiel de l’Extrême-Orient, sont le pilier du développement futur de la région. Il faut désormais maintenir une dynamique stable dans les secteurs traditionnels de cette région, soutenir les transformations déjà en cours, mais aussi développer les liaisons de transport et d’infrastructures, assurer un approvisionnement fiable en ressources ainsi qu’en énergie accessible et propre.

La mise en valeur de l’Extrême-Orient

La base extractive de l’Extrême-Orient, c’est-à-dire l’extraction de ressources minérales dans la région, est en pleine expansion. L’extraction de charbon et d’or a été multipliée par 1,7 environ au cours de la décennie passée. Ce résultat est notamment l’effet du principe déclaratif d’octroi de licences pour l’exploitation des ressources du sous-sol, qui a permis d’attirer à un rythme plus soutenu les capitaux privés dans le secteur de la prospection géologique. De nouveaux gisements ont ainsi pu être découverts, dont certains très importants, comme celui d’or et de cuivre de Lougokan en Transbaïkalie et celui d’or et d’argent de Roman en Iakoutie.

La question des terres rares constitue un enjeu à part : les métaux rares qu’on en extrait sont utilisés dans les industries de haute technologie, dans la construction d’instruments de pointe, dans la technologie nucléaire, dans la radioélectronique et bien d’autres domaines. Il n’est pas rare, y compris en Extrême-Orient, que ces ressources s’accumulent également dans les terrils créés par l’exploitation des gisements de minerai. Nous avons dressé un inventaire de ces réserves, qui pourront être extraites et mises à profit d’autant plus efficacement avec le développement à venir des techniques associées, comme je l’ai déjà évoqué au mois de juin lors du Forum économique de Saint-Pétersbourg. Nous avons convenu il y a six mois de cela d’élaborer un plan de développement industriel à long terme de ces terres rares : je demande au Gouvernement de la Fédération de Russie de le finaliser d’ici novembre prochain.

À la veille de la séance plénière du Forum économique oriental s’est tenue une réunion spécialement consacrée aux enjeux énergétiques dans l’Extrême-Orient. Vous avez été nombreux à le remarquer, à y prêter attention. Il est évident que la demande en électricité ne fera qu’augmenter à mesure du développement économique et social de la région. Aussi devons-nous planifier dès maintenant les moyens de répondre aux besoins croissants des entreprises, des villes, des villages, de la population dans son ensemble, en encourageant la production gazière, la production charbonnière dans des conditions modernes et l’usage de l’énorme potentiel d’hydro-énergie de la région. 

Les fleuves de l’Extrême-Orient accueillent déjà des centrales électriques, qui sont appelées à se multiplier pour fournir de l’énergie propre, écologiquement parlant. L’essor de ce secteur nécessite des solutions d’ingénierie et de technologie modernes. La principale entreprise nationale, RusHydro, dispose de cette expérience et de ces atouts, mais il n’en reste pas moins évident que l’essor de l’hydro-électricité demandera encore d’importants efforts financiers. Des instructions ont été données et je compte sur le gouvernement et sur nos collègues des régions concernées pour continuer à accorder une attention toute particulière au développement des petites comme des grandes centrales hydroélectriques. J’insiste sur le fait que l’enjeu n’est pas exclusivement économique : une part essentielle du développement de l’hydro-énergie repose sur l’usage responsable des eaux, la gestion des débits pluriannuels, la prévention des inondations, autant de dimensions qui ont un impact direct sur l’écologie, l’agriculture et la sécurité des villes et des villages.

Bien sûr, ces mêmes fleuves de l’Extrême-Orient sont aussi des artères naturelles de transport qui relient les territoires entre eux et fournissent leurs villes dans le cadre du programme d’approvisionnement du Nord. 

Dans cette perspective, la logistique constitue une question à part. Depuis plusieurs années, le système de transport de l’Extrême-Orient se trouve toujours davantage sous pression, en lien notamment avec le renforcement des liens de la région avec l’étranger. Ces nouvelles dynamiques exigent une modernisation des principales routes et des liaisons ferroviaires, un agrandissement des terminaux maritimes, la création de nœuds de transport modernes avec des entrepôts automatisés et un traitement numérique des marchandises.

Pour son discours en plénière, Poutine parle devant un écran géant censé représenter les possibilités offertes par l’Extrême-Orient russe. © Vladimir Smirnov

La modernisation du réseau oriental des chemins de fer, qui comprend la Magistrale Baïkal-Amour et le Transsibérien, poursuit son cours. D’ici sept ans, en 2032, leur capacité de transport doit être multipliée par 1,5 par rapport au début de l’année 2025. Une autre direction concerne l’élargissement des accès ferroviaires aux ports maritimes de l’Extrême-Orient, qui connaissent un développement particulièrement dynamique, soutenu par d’importants investissements privés. Les capacités portuaires de la région ont pratiquement doublé en dix ans, pour atteindre aujourd’hui les 380 millions de tonnes de fret par an. Conformément aux objectifs du projet fédéral, elles doivent augmenter de 115 millions de tonnes de fret par an entre aujourd’hui et 2030. 

On voit mal comment cette croissance de 30 % environ en cinq à six ans serait réaliste, à moins que l’État ne soit décidé à investir des sommes considérables — d’autant plus considérables quand on connaît la déperdition d’argent dans le cadre de ces investissements publics qui subissent des détournements à tous les échelons — dont il ne dispose pas tant qu’il fait la guerre.

Plusieurs ponts de transport vers la Chine ont déjà vu le jour, reliant notamment Nijneleninskoe à Tongjiang et Blagovechtchensk à Heihe  ; d’autres sont également prévus, et ce dès l’année prochaine, avec le pont vers la République populaire démocratique de Corée via le fleuve Tumen. Il faut maintenant développer activement les centres logistiques dans les zones concernées afin d’exploiter au mieux les capacités de ces ponts.

Enfin, une modernisation des postes frontières et des aéroports de l’Extrême-Orient s’impose. Les aéroports de la région sont déjà fréquentés par plus de 14 millions de passagers par an, y compris un nombre croissant de touristes, curieux de visiter ces espaces remarquables, ces territoires splendides. Je tiens à souligner à ce propos l’initiative de l’entreprise VEB.RF. 

Il n’est pas étonnant que Vladimir Poutine souligne le rôle de VEB.RF ou Vnesheconombank, dont il préside le conseil de surveillance. 

Il a placé à la tête de cette banque d’investissement Sergueï Gorkov, ancien du FSB, de Ioukos et de Sberbank. L’entreprise a été le premier investisseur dans le cadre des Jeux Olympiques de Sotchi en 2014 — un pillage en règle des ressources nationales, notamment au profit de Poutine et de son cercle proche. Au sein de ce cercle, le milliardaire Arkadi Rotenberg a également accru sa fortune grâce à des projets financés par la Vnesheconombank.

Des plans de développement de douze nouvelles stations de villégiature ont été établis dans le Primorié, à Sakhaline et au Kamtchatka, avec pour objectif de doubler, en l’espace de dix ans, le nombre de touristes venant visiter ces régions tout au long de l’année.

J’en profite pour signaler, parmi les derniers événements marquants en date, la reprise, après la pandémie de COVID, des vols entre Vladivostok et Pyongyang, ainsi que l’inauguration d’une liaison aérienne directe entre les capitales de la Russie et de la République populaire démocratique de Corée. Le premier vol sur cette ligne a eu lieu un mois après la reprise des trains directs entre Moscou et Pyongyang. Je ne doute pas que ces dispositifs contribueront à rapprocher encore nos deux pays et à renforcer les liens qui les unissent.

L’enjeu du Corridor transarctique 

Naturellement, le développement du Corridor de transport transarctique qui passe de Saint-Pétersbourg à Vladivostok par Mourmansk, Arkhangelsk et la route maritime du Nord, est un enjeu primordial à la fois pour la région de l’Extrême-Orient, pour notre pays et pour le continent eurasiatique dans son ensemble.

Nous avons bien conscience de l’intérêt que représente cet itinéraire aux yeux des entreprises russes actives dans l’Arctique comme des transporteurs étrangers, et nous comptons bien développer ce Corridor transarctique. Vous aurez remarqué que, là où on parle généralement de la « route maritime du Nord », j’ai bien parlé d’un « Corridor transarctique ». C’est que nous sommes parvenus à la conclusion qu’il fallait raisonner à une échelle plus vaste et faire fonctionner cette artère avec l’ensemble des territoires adjacents à la route du Nord.

L’objectif consiste à mettre en place un système multimodal réunissant le transport maritime, ferroviaire et routier. Ce système permettra d’utiliser au maximum le potentiel de nos plus grands fleuves, comme l’Ob, l’Ienisseï et la Lena. 

Tout cela doit fonctionner de concert, à l’échelle d’un système unifié. Pour cela, il nous faut non seulement tracer des routes maritimes fiables et sûres dans l’Arctique et parvenir à les faire fonctionner en toute saison, mais aussi travailler, si je puis dire, « à terre », en développant les moyens de communication et de navigation, les systèmes de maintenance des navires et les infrastructures de secours, sans parler de la modernisation nécessaire des ports maritimes de l’Arctique et de l’Extrême-Orient.

Ici même, pas plus tard qu’hier, dans le kraï de Primorié, le complexe multimodal Artiom vient d’être inauguré. Il a vocation à traiter des conteneurs venus à la fois de l’étranger et des autres régions de la Fédération, tout en consolidant le système d’approvisionnement du Nord. 

Le Corridor transarctique doit être mis en œuvre dans l’intérêt de l’économie nationale et de nos régions d’Extrême-Orient, de Sibérie, de l’Arctique, favoriser la coopération entre ces régions et créer de nouvelles opportunités pour les entreprises. 

Enfin, je souligne deux orientations potentiellement importantes : premièrement, la création de centres modernes de construction navale, qui doivent être en mesure de produire toute la gamme des navires destinés à cet itinéraire (des remorqueurs aux navires de ravitaillement en passant par les vraquiers, les méthaniers de classe glace et les brise-glaces surpuissants)  ; deuxièmement, l’ouverture d’un accès direct des marchandises de la Sibérie et de l’Oural aux routes maritimes de l’Arctique pour accroître l’efficacité et la stabilité du Corridor transarctique.

Vladimir Poutine est ici fondé à parler de navires « surpuissants » : la Russie est le seul pays au monde à disposer d’une flotte de brise-glaces à propulsion nucléaire.

Le chantier naval Zvezda évoqué plus tôt dans son discours construit depuis 2020 un nouveau modèle, le brise-glace Rossiya — nommé d’après un navire soviétique de classe Arktika, en service de 1985 à 2014 —, équipé de deux réacteurs nucléaires à eau pressurisée RITM-400 conçus par Rosatomflot. Ce navire, dont la livraison est prévue pour 2030, permettra de briser des couches de glace d’une épaisseur de 4 mètres et, potentiellement, d’emprunter la route maritime du Nord toute l’année. 

Enfin, en nous appuyant sur les résultats obtenus dans l’industrie extractive comme manufacturière et sur la trame d’infrastructures de la région, nous devons inaugurer une nouvelle étape de développement de l’Extrême-Orient, inventer l’économie de l’avenir. Cela suppose à la fois une amélioration radicale des conditions de vie dans les villes et les villages, la formation de cadres professionnellement qualifiés et le lancement de projets de haute technologie. Ce dernier point est au cœur de la nouvelle étape qui nous attend. Il faut faire de tout l’Extrême-Orient un territoire d’accueil des hautes technologies.

Une telle percée ne saurait avoir lieu sans s’appuyer sur des mesures audacieuses en matière de régulation et de conditions juridiques offertes aux entreprises. Les règles en vigueur doivent donner le « feu vert » aux innovations, stimuler l’adoption de stratégies de rupture et leur mise en œuvre dans la production, d’abord à titre expérimental, puis dans la production en série et dans la sphère sociale, dans la vie de tous les jours.

Sakhaline bénéficie déjà d’un régime juridique expérimental qui permet de tester à un rythme accéléré les « technologies sans pilote ». Je demande instamment au gouvernement de créer les conditions permettant leur utilisation sur les terres agricoles, dans les domaines de la protection de la nature et de l’utilisation des ressources naturelles, ainsi que sur les sites productifs et logistiques. Pourquoi ne pas profiter de ces vastes étendues pour développer les technologies sans pilote  ? Les risques qu’il peut y avoir dans les régions les plus densément peuplées du pays sont absolument absents ici. Les nécessités de la vie elle-même exigent l’usage de ces technologies. Mettons, par exemple, que des feux de forêt se déclarent à plusieurs centaines de kilomètres des centres où il est possible d’apporter une réponse rapide : les engins sans pilote se révèleront parfaitement adaptés à des cas de cette nature.

Dans cette perspective, j’estime qu’il est possible d’étendre le régime juridique expérimental en matière de systèmes sans pilote à toutes les régions extrême-orientales, en priorité dans des domaines tels que l’utilisation des plateformes numériques, l’intelligence artificielle et les flux de données.

D’ici 2030, au moins cent parcs d’activités, d’industrie et de technologie doivent être fondés à travers toute la Fédération de Russie, avec les terrains et les infrastructures de communication dédiés. Il est prévu qu’au moins dix de ces parcs voient le jour en Extrême-Orient et dans les régions arctiques du pays. Je suis convaincu que l’infrastructure moderne et les possibilités offertes par ces installations seront très demandées par les entreprises en phase de lancement de leurs projets, celles qui mettent en œuvre les initiatives les plus prometteuses, notamment en vue de substituer des productions nationales aux analogues étrangers dans les secteurs de la construction, des équipements médicaux ou du matériel de transport. 

Toutes ces considérations nous amènent à une question fondamentale, mais distincte : celle du financement des idées innovantes et des nouveaux projets technologiques. Il est évident que l’effort financier ne peut reposer intégralement sur l’État et qu’il faudra attirer les investisseurs privés, le capital-risque. Un bon exemple en la matière est le Fonds Voskhod, qui a déjà apporté son soutien à une quarantaine d’entreprises dans la robotique, la médecine et les technologies spatiales. Je demande à nos collègues du gouvernement d’étudier attentivement l’expérience de ce fonds et d’aider à l’élargissement de son activité aux projets capables de porter le leadership technologique du pays.

Dans l’ensemble, je pense qu’il est absolument capital de développer en Extrême-Orient un écosystème financier transparent, moderne et efficace. Nous disposons déjà d’une Bourse de l’Est, qui fonctionne de fait comme un centre boursier extrême-oriental. Je propose que nous travaillions à son développement en étudiant toutes les possibilités sur le plan des canaux financiers, de la base réglementaire et des incitations à l’émission d’actions.

Vivre dans l’Extrême-Orient russe

Le développement de l’Extrême-Orient, de l’Arctique, la construction de l’économie de l’avenir doivent conduire à l’amélioration des conditions de vie des habitants, à une hausse des revenus, à une transformation structurelle du marché de l’emploi en faveur de professions qualifiées et bien rémunérées. Telle est la logique de fond qui anime notre stratégie dans ces régions, comme dans le reste du pays. Je le répète : l’économie russe doit devenir celle d’un pays à hauts salaires. Ce ne sont pas des paroles en l’air, ce n’est pas du populisme : il y a là une vraie logique économique.

Au cours des dix années passées, le salaire moyen en Extrême-Orient a été multiplié par 2,5 pour dépasser les 100 000 roubles par mois, en valeur nominale, à la fin de l’année 2024. Au cours de la même période, le taux de chômage est passé de 7 à 2,4 %. Le taux de pauvreté n’a cessé de chuter dans toutes les régions de l’Extrême-Orient. S’il reste supérieur à la moyenne russe, suggérant qu’il reste encore un travail de fond à réaliser sur ce plan, je maintiens que la dynamique est positive. En moyenne, à l’échelle nationale, le taux de pauvreté est passé de 11,3 % à 7,2 % entre 2014 et 2024, avec des niveaux de pauvreté inférieurs à la moyenne nationale dans certaines régions extrême-orientales comme Sakhaline (-5,3 %), l’oblast de Magadan (-5,9 %) ou en Tchoukotka (-4,4 %).

Nous n’avons pas oublié les dernières années du siècle dernier lorsque, sur fond de difficultés économiques et de problèmes sociaux, les habitants ont commencé à quitter en masse l’Extrême-Orient. Cette tendance était réellement menaçante  ; il semblait impossible de l’inverser. C’est enfin le cas aujourd’hui. Progressivement, la tendance s’inverse.

Pour citer quelques chiffres parlants : entre 2014 et 2019, l’exode migratoire de la région a représenté environ 211 000 départs, pour se stabiliser à 109 000 personnes au cours des cinq années suivantes. Ce n’est pas rien, je vous l’accorde, mais nous parlons tout de même d’une diminution de près de la moitié du solde. En 2024, on a même enregistré pour la première fois un afflux migratoire, certes modéré, mais tout de même positif, de 24 000 personnes. Ce n’est pas énorme, mais le simple fait d’avoir renversé la tendance est déjà une victoire.

Un autre fait est plus notable encore : des jeunes gens de toutes les régions du pays viennent aujourd’hui s’installer en Extrême-Orient. Au cours de neuf années consécutives, depuis 2015, on observe un afflux de jeunes entre 20 et 24 ans : rien que l’année dernière, les arrivées ont plus que doublé par rapport à l’année précédente.

Qu’est-ce que cela nous dit  ? Cela confirme qu’il est possible de trouver ici un emploi intéressant et rémunérateur, de s’installer correctement, de résoudre ses problèmes de logement, de fonder une famille et d’élever ses enfants. C’est précisément en Extrême-Orient que se construit l’avenir de notre pays, et notre jeunesse le voit, elle le sent et sait agir en conséquence.

Dans ce cadre, nous poursuivons le développement du système d’enseignement secondaire et supérieur de la région, en cherchant à l’adapter constamment aux besoins des entreprises et des organisations, d’après les pronostics disponibles sur le marché du travail, en cette période où se multiplient les opportunités économiques prometteuses.

Nous avons déjà convenu d’établir des campus universitaires à Ioujno-Sakhalinsk et à Petropavlovsk-Kamtchatski, à Iakoutsk et à Khabarovsk, à Blagovechtchensk, à Oulan-Oude et à Tchita,  de construire la seconde partie du campus de l’Université fédérale d’Extrême-Orient [réparti entre Vladivostok et l’île Rousski qui lui fait face] ainsi que des campus de rang mondial dans l’Arctique, à Mourmansk et Arkhangelsk. En un mot, nous posons tous les jalons nécessaires à l’acquisition d’un savoir moderne, de pointe. 

Tout en apportant notre soutien à celles et ceux qui envisagent de s’établir dans la région, nous devons aussi aider la population qui y est née, qui y vit, y travaille : celles et ceux qui, à la sueur de leur front, rendent l’Extrême-Orient — et donc la Russie tout entière — plus fort et plus prospère.

Une question clef, absolument fondamentale, celle qui constitue le socle de l’économie de demain, est celle de la qualité de vie des habitants de la région de l’Extrême-Orient et de leurs familles. En matière d’accès au logement, d’état de l’environnement urbain, d’écologie et de services sociaux, ces régions doivent atteindre un niveau supérieur à la moyenne nationale d’ici une décennie. Comme vous le savez, nous avons établi à cette fin des plans d’orientation pour 22 villes et agglomérations d’Extrême-Orient, comprenant à la fois des objectifs de développement économique et des projets de rénovation de l’infrastructure de logement et de services publics, l’aménagement des espaces publics, des parcs, des boulevards, des aires de jeux et des équipements sportifs, en vue de créer un environnement moderne, un véritable confort de vie. Certains volets de ces dossiers sont déjà mis en œuvre : à ce jour, plus de 160 équipements ont été créés dans ce cadre, comme une promenade et un technoparc pour enfants à Komsomolsk-sur-l’Amour, un stade à Oulan-Oude et une patinoire couverte à Nakhodka. La ville de Iakoutsk a vu une modernisation de son chantier naval et l’aménagement d’une promenade et d’un square. L’hôpital régional du Kamtchatka [à Petropavlovsk-Kamtchatski] est désormais achevé. Le schéma directeur pour l’Extrême-Orient et l’Arctique prévoit au total plus de 600 autres établissements d’ici la fin de la décennie en cours. 

Pour les financer, nous avons décidé d’inclure dans les projets nationaux des sections spécifiquement consacrées à l’Extrême-Orient et à l’Arctique, ainsi que de diriger 5 % des dépenses liées aux programmes étatiques dans les domaines sociaux, d’infrastructures, etc., vers les projets prévus par ce schéma-directeur.

À l’occasion du précédent Forum, j’avais donné instruction de réserver une partie des crédits d’infrastructures du Trésor aux plans directeurs des villes d’Extrême-Orient et de l’Arctique : d’ici 2030, 100 milliards de roubles doivent y être attribués à travers divers fonds. Ces initiatives contribuent directement au développement de la construction de logements tout en facilitant l’accès des familles locales au parc immobilier.

Là où 2,9 millions de mètres carrés de logements avaient été créés dans la région en 2015, ce chiffre a atteint les 4,7 millions l’année dernière. Ici, le mécanisme du « quartier extrême-oriental » a joué un rôle sensible, avec une série d’avantages aux promoteurs immobiliers. De même pour le programme d’hypothèque pour l’Extrême-Orient et l’Arctique, avec un taux réduit à 2 %, visant les jeunes familles, les familles avec enfants et les participants à divers programmes [de mise en valeur des régions peu peuplées], comme « l’Hectare d’Extrême-Orient » ou « l’Hectare Arctique ».

Plus de 165 000 prêts ont déjà été accordés par le biais de ce dispositif hypothécaire, que nous avons donc décidé de prolonger jusqu’en 2030 tout en l’étendant aux participants de l’opération militaire spéciale, aux employés du complexe militaro-industriel, aux médecins et aux travailleurs du secteur éducatif, avec certaines restrictions d’âge. 

La question du logement est en effet l’un des principaux leviers permettant d’inverser la tendance démographique. En Extrême-Orient, nous avons majoré la prime accordée à la naissance du troisième enfant dans une famille : elle s’élève donc à un million de roubles, au lieu de 450 000 roubles comme dans le reste du pays. Cette mesure est tout à fait justifiée : c’est ainsi que l’on génère les résultats que j’évoquais plus tôt, l’afflux des jeunes gens.

Chers collègues, l’Extrême-Orient russe, la région Asie-Pacifique dans son intégralité, sont un territoire dynamique, en pleine transformation, animé d’un développement fulgurant. Nous devons maintenir ces changements à un rythme soutenu, consolider la structure de l’économie nationale, accroître le niveau technologique de l’ensemble des sphères de l’existence, utiliser au mieux le potentiel de cette région et du pays tout entier en matière de ressources, d’industrie, de logistique et de recherche. À cette fin, il nous faut expérimenter en tous sens, tenter des solutions audacieuses, novatrices. Cette résolution doit se traduire sans retard au niveau de la base réglementaire et législative, dans le cadre de fonctionnement des entreprises, dans la manière dont nous affrontons les problèmes qui affectent la qualité de vie de nos concitoyens.

Cette approche a déjà fait ses preuves ici-même, en Extrême-Orient, en Arctique. Nous poursuivrons sur cette voie, adaptant toujours notre démarche aux besoins des populations, des entreprises et des régions, ainsi que, plus largement, à la garantie des intérêts du pays.

Notre approche doit avoir un caractère systématique et global, cela ne fait aucun doute : elle doit nous permettre de regarder vers l’avenir, de dessiner de nouvelles perspectives, de fixer des objectifs ambitieux et de se donner les meilleurs moyens de les atteindre. C’est pourquoi, en conclusion de ce Forum, je demande au gouvernement d’approuver une Stratégie de développement à long terme du district fédéral de l’Extrême-Orient jusqu’en 2036. Cette stratégie doit être élaborée d’ici la fin de l’année.

Les tâches qui nous attendent ici, dans l’Extrême-Orient et dans l’Arctique, sont immenses et s’annoncent plus considérables encore dans un avenir proche. En conclusion, je tiens à souligner, en m’adressant tout particulièrement à nos amis étrangers, que nous sommes, chers collègues, ouverts à tous ceux qui voudraient y prendre part. 

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