Une semaine après la visite de Volodymyr Zelensky à Washington, où en sont les négociations ?

Une nouvelle dynamique et un nouvel élan se dessinent, qui ne reposent pas uniquement sur des discours, mais aussi sur des actions concrètes. 

La délégation européenne qui a accompagné le président Zelensky à Washington a envoyé un signal fort de soutien et a montré la grande coordination des Européens avant même la tenue de la réunion. L’accent mis sur les garanties de sécurité et le suivi immédiat des modalités opérationnelles ont donné un nouvel élan aux négociations et au règlement de paix qui pourrait en découler.

Les États-Unis et l’Europe, conjointement avec l’Ukraine, ont sanctuarisé la nécessité de mettre fin aux tueries et de contenir la Russie, car il est clair que ce régime ne changera pas son comportement.

Il n’y a aucune confiance à avoir en Poutine et il n’y aura pas de nouveau Yalta — l’Ukraine n’acceptera jamais d’être incluse dans une nouvelle sphère d’influence. La seule façon de sortir de cette situation est de veiller à limiter la capacité de la Russie à poursuivre la guerre : cela implique de réduire ses ressources financières.

Les commentaires de Donald Trump critiquant l’approche du président Biden selon laquelle l’Ukraine resterait principalement sur la défensive suggèrent que sa réticence à fournir certaines armes à l’Ukraine pourrait s’estomper 1 — surtout si la Russie continue de montrer qu’elle n’est pas intéressée par des négociations de paix sérieuses.

Il s’agit là d’un message très important.

Pourtant, les États-Unis se sont abstenus d’imposer de nouvelles sanctions à la Russie, même après que le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a totalement contredit le principe des garanties de sécurité occidentales et laissé entendre qu’une réunion bilatérale n’aurait pas lieu de sitôt

Le régime russe s’intéresse à ces négociations pour une raison simple : la dimension économique. La situation intérieure du pays se détériore et l’économie est en piteux état. Le Kremlin considère ces pourparlers comme une occasion d’établir une nouvelle forme de coopération économique avec les États-Unis. Dans le même temps, les Russes continuent de présenter des exigences totalement irréalistes, notamment territoriales, dont ils savent qu’elles ne sont pas acceptables pour entamer des négociations.

Le fait que le président Trump n’ait pas imposé de nouvelles sanctions ne signifie pas qu’il ne le fera pas à l’avenir.

Beaucoup dépendra de la volonté réelle de la Russie d’engager de véritables négociations de paix. Or les exigences qu’elle met pour l’instant sur la table, notamment en matière de garanties de sécurité, qui visent essentiellement à bloquer toute garantie réelle, rendent très difficiles la tenue de vraies discussions.

En ce qui nous concerne, nous avons répété à plusieurs reprises que nous étions prêts à organiser cette réunion et à mettre fin aux tueries. Mais pour y parvenir, nous avons besoin de garanties de sécurité.

En combinant l’expérience opérationnelle de l’Ukraine au combat, notre capacité à produire des armes innovantes et les ressources financières de l’Europe, nous pouvons créer une force à laquelle la Russie ne pourra pas faire face.

Vsevolod Chentsov

De nombreuses idées circulent sur la structure de ces garanties. Le gouvernement italien a appelé par exemple des garanties de type « OTAN sans l’OTAN », tandis que la France et le Royaume-Uni ont montré leur préférence pour des garanties s’articulant autour de la coalition des volontaires soutenue par les États-Unis. À quoi devraient ressembler pour vous les garanties de sécurité à l’Ukraine ?

C’est assez simple : nous devons comprendre comment l’Ukraine sera protégée contre toute agression future. C’est le facteur le plus important. Il me semble juste — je dirais même logique — de clarifier ce point avant d’aborder toute autre question.

Il me semble prématuré de parler à ce stade de la forme exacte que cela pourrait prendre en termes de structure, car des discussions sont en cours entre les différents partenaires, y compris les États-Unis.

Nous avons mis sur pied une armée très forte et avons considérablement développé notre industrie militaire depuis le début de l’invasion à grande échelle. Il est important pour l’Ukraine de maintenir et de renforcer ses capacités militaires à l’avenir. Notre armée, notre industrie de défense et notre peuple sont la pierre angulaire des garanties de sécurité. Le reste doit venir compléter ces capacités fondamentales. Cela signifie : des armes pour l’Ukraine, des investissements et un soutien à la mise en place d’une dissuasion collective. 

Le langage de la force est le seul que la Russie comprenne. Elle ne s’arrêtera que si elle voit une armée forte sur le champ de bataille. 

Une armée ukrainienne forte serait également bénéfique pour l’Europe : nous sommes prêts à construire un rempart contre une menace commune.

En combinant l’expérience opérationnelle de l’Ukraine au combat, notre capacité à produire des armes innovantes — il suffit de regarder notre industrie des drones — et les ressources financières que l’Europe a à sa disposition pour augmenter sa production — ce qu’elle devra finir par faire —, nous pouvons créer une force à laquelle la Russie ne pourra pas faire face. 

Vous dites qu’une armée ukrainienne forte est au cœur de votre stratégie. Comment des propositions telles que « l’OTAN sans l’OTAN » s’inscriraient-elles dans cette stratégie ? 

Je ne veux pas spéculer sur la signification de ce type de formule ou de garanties.

Mais soyons clairs : lorsqu’on parle de garanties similaires à celles de l’OTAN, nous entendons un système proche de l’article 5, un accord de défense collective.

Si telle est la définition, alors oui : il devrait y avoir un accord entre l’Ukraine et ses alliés pour établir un nouvel accord de défense comparable à l’article 5. 

Ces discussions peuvent avoir lieu de manière bilatérale avec les membres de l’OTAN ou collectivement avec un groupe plus large de pays. Ce qui importe, c’est que nos partenaires montrent un engagement sérieux et définissent clairement le type d’aide qu’ils fournissent maintenant et qu’ils seront prêts à fournir à l’avenir.

Le président Zelensky a suggéré que l’Ukraine aura besoin des États-Unis « à ses côtés » pour obtenir des garanties sérieuses. Tout accord de défense futur devrait-il d’abord être soutenu par Washington ? 

Les États-Unis sont un partenaire important et nous souhaitons qu’ils participent à cet effort commun. Nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls : nos partenaires européens ont également indiqué qu’ils souhaitaient que les États-Unis jouent un rôle de force de soutien. 

Avec Poutine, nous avons affaire à une puissance nucléaire agressive. Cela nécessitera la dissuasion la plus forte possible : l’implication des États-Unis aux côtés de nos partenaires européens est la meilleure garantie d’y parvenir — en la combinant avec la force de notre armée.

Les États-Unis ont laissé entendre que l’Ukraine pourrait devoir céder une partie de son territoire pour parvenir à la paix. Est-ce une hypothèse que vous pouvez accepter ou est-ce une demande impossible pour le gouvernement ukrainien ?

Je suis toujours étonné de voir à quel point il est facile pour les autres de parler de cession de territoires tant qu’il ne s’agit pas des leurs. 

Pour nous, toute reconnaissance juridique visant à contraindre l’Ukraine à accepter des modifications territoriales qui compromettent notre souveraineté est inacceptable.

Le gouvernement ukrainien a fait savoir à ses partenaires que toute discussion visant à mettre fin au conflit devait partir des lignes actuelles. Négocier des territoires avant de connaître les garanties et avant même que des pourparlers de paix sérieux aient commencé, n’est pas une bonne approche. 

Entamer des négociations en demandant à l’Ukraine de céder des territoires ne fera que légitimer les revendications de la Russie. 

Il n’existe aucun soutien en Ukraine pour céder des territoires ou pour appuyer l’idée que les Ukrainiens russophones auraient besoin de la « protection » de la Russie pour parvenir à la paix. 

Quel que soit le scénario, cette question ne peut pas être traitée à la légère : des Ukrainiens sont morts en défendant leur terre et cela doit être reconnu.

Nous voulons mettre fin à la guerre et aux tueries, mais légitimer l’agression de la Russie en cours de route serait inacceptable.

Pour mettre fin à la guerre, le président Zelensky devra rencontrer Vladimir Poutine en personne. Or les Russes n’ont donné aucun signe d’assouplissement de leurs exigences. Sans garanties de sécurité clairement établies, ne craignez-vous pas de tomber dans un piège ? 

Nous devons saisir toutes les occasions qui se présentent pour mettre fin à la guerre. Mais toute discussion avec la Russie représente un danger si les conditions adéquates ne sont pas réunies pour l’Ukraine. Nous devons négocier en position de force. Et nous en avons la possibilité. 

Nous avons une armée forte : ce n’est pas parce que nous endurons beaucoup de souffrances que nous sommes faibles.

À Washington, le président Zelensky a expliqué quelle est la situation réelle sur le terrain : l’idée que la Russie disposerait d’une armée largement supérieure est un mythe, de même l’idée reçue selon laquelle la Russie avancerait désormais rapidement. Nous avons repoussé les tentatives des Russes de percer nos lignes de défense au cours des dernières semaines : il n’y a pas d’avancée russe imminente sur le front.

Entamer des négociations en demandant à l’Ukraine de céder des territoires ne fera que légitimer les revendications de la Russie. 

Vsevolod Chentsov

Le président Trump, pour employer son langage, a beaucoup de cartes en main.

Nos partenaires européens peuvent également faire pression sur Moscou en imposant de nouvelles sanctions.

En d’autres termes, soit la Russie s’arrête maintenant, soit les dommages causés par la poursuite de la guerre seront bien plus importants. 

Les Russes le comprennent-ils ? Après tout, ils ont été accueillis en grande pompe en Alaska. Vladimir Poutine a été reçu comme n’importe quel autre chef d’État…

Ces images ont été douloureuses pour les Ukrainiens. 

Mais elles s’inscrivent dans une séquence plus large qu’il est important de considérer dans son ensemble.

Notons que, dans une démonstration de force, les Américains ont également fait survoler des avions de chasse au-dessus de Poutine en Alaska.

Ils ont indiqué que les pays bénéficiant du pétrole russe bon marché seraient soumis à des droits de douane élevés et le président Zelensky a été reçu aux côtés des Européens à la Maison Blanche immédiatement après. Il faut regarder au-delà des apparences et nous concentrer sur l’opportunité que ces visites peuvent offrir pour parvenir à une paix équitable et mettre fin à la guerre. 

Le président Trump a offert à Poutine la possibilité d’engager des discussions sérieuses.

Ce ne serait pas la première fois que la Russie rejette une offre diplomatique : si elle rejetait celle-ci, ce serait un manque d’irrespect envers le président Trump personnellement et envers les efforts des États-Unis pour mettre fin à la guerre.

Et je suis sûr que la Maison Blanche prendra les décisions qui s’imposent si les États-Unis sont méprisés par un nouveau refus après avoir donné à la Russie, l’État agresseur, l’occasion devant le monde entier d’engager de véritables négociations. 

Parallèlement aux négociations, se pose également la question de l’adhésion à l’Union. Pourquoi est-elle toujours aussi cruciale ?

L’adhésion à l’Union européenne est l’entreprise la plus transformatrice et la plus aboutie qu’un pays européen puisse entreprendre.

Pour nous, c’est une priorité absolue. C’est notre aspiration politique la plus importante. 

Nous sommes un grand pays, nous disposons de nombreux leviers stratégiques — de l’énergie à l’agriculture en passant par les minerais rares. Nous avons contenu la menace russe : nous sommes un garant de la sécurité dans notre région. 

Si nous affirmons que l’adhésion est également une garantie de sécurité pour l’Ukraine et à la lumière de la réunion de Washington, il serait illogique de ne pas œuvrer en ce sens. Nous avons l’occasion d’ouvrir la première série de « clusters » de négociation et de faire avancer rapidement les discussions techniques. Une fois cela accompli, la question de l’adhésion à part entière de l’Ukraine deviendra un choix intellectuel et politique pour l’Union. C’est à ce moment-là que la décision devra être prise.

Telle est la bonne séquence pour la discussion et la prise de décision. Cela nécessitera un consensus, nous en sommes bien conscients, mais il s’agit également de décisions politiques auxquelles il faut donner une chance d’aboutir.

Nous avons une armée forte : ce n’est pas parce que nous endurons beaucoup de souffrances que nous sommes faibles.

Vsevolod Chentsov

Les discussions sur l’adhésion à l’Union ont été perturbées par la tentative du pouvoir exécutif de reprendre le contrôle de deux organismes de lutte contre la corruption — une mesure qui a depuis été annulée — et par les craintes que la candidature ukrainienne ne soit dissociée de celle de la Moldavie, ouvrant la possibilité que Chisinau avance plus rapidement que Kyiv.

Au-delà de la guerre, nous sommes confrontés à de nombreux défis. Nous avons à surmonter le lourd héritage historique des pratiques soviétiques et à mettre en place de nouveaux systèmes. Chaque pays rencontre des obstacles en cours de route. Il est naturel, voire normal, de procéder à des ajustements et de corriger le cap si nécessaire.

Cela ne concerne d’ailleurs pas uniquement l’Ukraine. Il y a des pays qui, même après avoir adhéré à l’Union, rencontrent des difficultés en matière de réforme de la justice et de questions liées à l’État de droit.  L’important est que l’Ukraine reste sur la bonne voie.

Nous n’avons pas cessé de travailler en étroite collaboration avec la Commission européenne et les États membres. Nous avons écouté leurs préoccupations, suivi leurs conseils et agi en conséquence. En ce qui concerne la réforme des organismes de lutte contre la corruption, cette question a été traitée. Le sujet, désormais, est clos.

Craignez-vous que la candidature de l’Ukraine soit dissociée de celle de la Moldavie ?

Nous ne sommes pas en concurrence avec la Moldavie.

En tant qu’ambassadeur d’Ukraine, il est naturel que je souhaite voir mon pays avancer le mieux et le plus rapidement possible. C’est tout à fait normal. Mais il convient également de noter que c’est l’Ukraine qui a relancé le processus d’élargissement, en lui donnant un nouvel élan et un nouveau sens.

À certains moments, il peut sembler que la Moldavie est dans une meilleure situation et peut avancer un peu plus vite que l’Ukraine. Je dirais que c’est comme dans le sport : quand on travaille en équipe, on se pousse mutuellement vers l’avant et on se soutient les uns les autres. 

C’est pourquoi je recommande vivement à la Moldavie de continuer à courir aux côtés de l’Ukraine.

Que voulez-vous dire ? 

L’Ukraine a déposé sa demande d’adhésion le 28 février, quatre jours après le début de l’invasion à grande échelle. Elle a montré au monde entier qu’un pays en guerre, dans les circonstances les plus difficiles, voyait dans l’Union européenne un symbole d’espoir. Et nous avons redoublé d’efforts depuis. 

La Moldavie a déposé sa candidature quelques jours plus tard, sur la base du même principe. Je ne veux pas parler au nom de la Moldavie, mais je pense qu’il est juste de dire qu’elle considère l’adhésion de l’Ukraine comme bénéfique pour elle aussi.

L’ouverture simultanée des négociations sur la première série de « clusters » pour l’Ukraine et la Moldavie constitue une étape cruciale pour une paix durable en Europe. Les deux pays doivent rester unis. L’Ukraine est déterminée à aller de l’avant aux côtés des autres pays candidats avancés à l’adhésion.

Sources
  1. Selon des sources officielles citées par le Wall Street Journal dans un article du 23 août, une procédure d’approbation de haut niveau du département de la Défense, qui n’avait pas été rendue publique jusqu’alors, interdit à l’Ukraine d’utiliser des systèmes de missiles tactiques à longue portée de fabrication américaine contre des cibles en Russie depuis ce printemps.