S’il s’est déclaré ouvert à la discussion quant au choix des jours à supprimer parmi les 11 reconnus en France comme fériés 1, le Premier ministre français François Bayrou a indiqué que sa préférence allait à la suppression du caractère férié du 8 mai et du lundi de Pâques.
Le 8 mai, qui commémore la fin de la Seconde Guerre mondiale pour la France par la capitulation sans condition de l’Allemagne nazie, est une date politiquement inflammable.
- Ce jour férié, instauré en 1953, a déjà été supprimé sous la présidence de Charles de Gaulle en 1959, le président Giscard d’Estaing allant même jusqu’à abolir la commémoration officielle de la Victoire du 8 mai à partir de 1975, au profit d’une « journée de l’Europe » axée sur la réconciliation franco-allemande.
- En 1981, François Mitterrand rétablit à la fois la commémoration de la Victoire de 1945, et le caractère férié du 8 mai. Jusqu’à ce jour, il tient aussi lieu de journée d’hommage à tous les morts pour la France.
L’importance liturgique de Pâques
En ce qui concerne le choix du lundi de Pâques, François Bayrou s’est justifié en expliquant que cette journée n’avait « aucune signification religieuse » 2. Cette dernière expression peut être nuancée et discutée.
- Fête la plus importante du calendrier chrétien, dont la date de célébration fit l’objet d’intenses débats au sein des Églises des premiers siècles, elle a été fixée par le concile œcuménique de Nicée (325) au dimanche qui suit la première pleine lune après l’équinoxe de printemps.
- Pâques est donc une fête mobile, qui prend racine dans le calendrier liturgique hébraïque, lunisolaire ; sa date détermine la plus grande partie du cycle liturgique du calendrier catholique des dimanches 3 (l’autre étant déterminée par la date fixe de Noël) : le Carême commence 40 jours avant Pâques (mercredi des Cendres), la fête de l’Ascension a lieu 40 jours après (donc toujours un jeudi), et le dimanche de Pentecôte, 50 jours après, pour citer deux autres fêtes liturgiques qui donnent lieu en France à des jours fériés.
Le lundi férié : un souvenir de l’octave de Pâques
Le lundi de Pâque est en réalité un vestige de l’octave de Pâques, une pratique de solennisation des fêtes liturgiques les plus importantes apparue dans l’Église romaine de l’Antiquité tardive, qui se manifestait par le fait de prolonger la célébration d’une grande fête huit jours durant.
- Aujourd’hui, seules Noël et Pâques bénéficient d’une octave dans le calendrier liturgique catholique, mais avant les réformes liturgiques des années 1950-1960, elles étaient bien plus nombreuses, avec jusqu’à 11 octaves dans le calendrier romain (notamment celles de Pentecôte et de l’Épiphanie, mais aussi celles de l’Assomption, du Sacré-Cœur, de la Nativité de la Vierge, de Saint-Jean-Baptiste, etc.).
- Sous l’Ancien Régime, la plupart des octaves étaient aussi des fêtes chômées, qui correspondaient peu ou prou à des jours fériés. Globalement, et malgré une tendance à la réduction des fêtes à partir du XVIIe siècle pour soutenir l’activité économique, l’Ancien Régime comptait bien plus de fêtes chômées (jusqu’à plus d’une centaine par an) que les actuels jours fériés, avec certes de grandes variations d’une province à l’autre.
- La Révolution fit sentir le besoin de nouveaux jours fériés, entre la loi Le Chapelier (1791) qui supprimait toutes les anciennes barrières corporatives à l’activité économique, et un nouveau calendrier révolutionnaire déchristianisé qui, s’il n’ignorait pas la notion de fête, peina à s’imposer dans la population.
Le lundi de Pâques au XIXe siècle
À la suite du concordat de 1801 entre Bonaparte et le Saint-Siège, les fêtes catholiques hors-dimanche donnant lieu à un jour férié furent fixées par l’indult pour la France du cardinal Caprara, légat du pape Pie VII — et par ailleurs seule personnalité ecclésiastique inhumée dans la crypte du Panthéon — le 9 février 1802 ; suivant ce texte, repris par un arrêté d’avril 1802, les fêtes catholiques de précepte 4, donnant donc lieu à des jours fériés légaux pour permettre aux catholiques français de satisfaire aux obligations de leur culte, étaient réduites au nombre de 4 : Noël (25 décembre), la Toussaint (1er novembre), l’Assomption de la Vierge (15 août) et l’Ascension (seule cette dernière étant une fête mobile).
Il est à noter que dans d’autres pays de tradition catholique, des fêtes liturgiques importantes ont pu donner lieu à d’autres jours fériés, comme l’Épiphanie (6 janvier) et l’Immaculée Conception (8 décembre), en Italie ou en Espagne, même s’il n’existe aucun grand pays 5 où les 10 fêtes de précepte indiquées dans l’actuel droit canonique ne donnent toutes lieu à 10 jours fériés équivalents 6.
- Il n’était alors pas question de chômer les lundis de Pâques et de Pentecôte : ces derniers sont réintroduits comme jours fériés par loi du 8 mars 1886, à l’instigation du gouvernement républicain opportuniste de Charles de Freycinet.
- Il s’agit à la fois de solenniser ces deux importantes fêtes liturgiques en réintégrant ces vestiges de leurs deux octaves chômées, et d’offrir à cette occasion deux jours de repos consécutifs aux travailleurs.
- Pour autant, il faut rappeler qu’au XIXe siècle, les fêtes légales sont encore loin d’être obligatoirement des jours chômés pour tous, et que le repos dominical hebdomadaire n’est imposé que par une loi de 1906 7.
Les lundis de Pâques et de Pentecôte au XXe siècle
Avec les modifications du calendrier liturgique de la seconde moitié du XXe siècle, le sens des octaves, plus guère suivies sauf dans le cadre monastique, se perd dans la population catholique : l’octave de Pentecôte est supprimée par la réforme liturgique de 1969, comme l’avait été la vigile de la fête en 1955, amoindrissant sa solennité.
- Dès lors, le maintien du caractère férié de son lundi n’est plus guère compris, et sera le premier à tomber : à la suite de la canicule de 2003 et de la surmortalité parmi les personnes âgées qu’elle suscite, le lundi de Pentecôte, par décision du gouvernement Raffarin, devient en 2004 une Journée de solidarité envers les personnes âgées et handicapées, perdant son caractère chômé — qu’il regagne cependant en partie en 2008, la quotité supplémentaire travaillée pouvant désormais être répartie ailleurs durant l’année.
- La proposition de François Bayrou en 2025 ressemble fort à celle de Raffarin en 2004 (un autre homme politique imprégné de la tradition démocrate chrétienne), dans ses motifs allégués (le jour n’est pas en lui-même celui de la grande fête catholique) comme dans ses buts (financer la protection sociale).
- Elle risque aussi de se heurter aux mêmes critiques et aux mêmes obstacles. En 2018, le pape François a certes instauré, chaque lundi de Pentecôte, une fête liturgique de Marie, mère de l’Église (fête qui n’est pas d’obligation), mais cela vient aussi entériner la disparition de l’octave, même en cadre catholique.
- Le lundi de Pâques est quant à lui liturgiquement préservé comme premier jour de l’octave de la plus grande fête de l’année.
L’organisation actuelle des jours fériés en France, qui fait coexister ceux issus d’une tradition religieuse exclusivement chrétienne, et des fêtes civiles ou sociales républicaines, est désormais elle-même l’objet de critiques.
- Certains objectent que dans une société sécularisée, le maintien des seuls jours fériés catholiques n’aurait plus guère de sens ; on propose alors, soit d’intégrer de nouveaux jours fériés issus d’autres religions, au premier chef le judaïsme et l’islam, soit, de manière plus radicale, de supprimer tous les jours fériés d’origine chrétienne au profit d’une quotité équivalente de jours fériés librement distribuables dans l’année, que les travailleurs pourraient prendre en fonction de leurs convictions religieuses ou philosophiques, mais aussi de leurs préférences personnelles.
- Il s’en faut cependant de beaucoup que les fêtes civiles, souvent décrites comme des liturgies civiques, soient absolument dégagées de tout référentiel religieux implicite : du 1er janvier, ancienne fête de la Circoncision et octave de Noël, au 11 novembre, jour de la Saint-Martin, patron des Gaules (une coïncidence que bien des poilus n’ont pas manqué de relever) en passant par le 1er mai, fête de Saint-Joseph, ouvrier (instaurée précisément en 1955 pour christianiser la fête du Travail), et la messe de la Fête de la Fédération (1790), dont le 14 juillet fait mémoire, il n’est pas facile de faire un trop strict départ entre ce qui relèverait purement de la fête civique et ce qui ferait signe vers une fête liturgique en tout point religieuse.
- C’est pourquoi l’affirmation du Premier Ministre français sur le caractère « non-religieux » du lundi de Pâques est ambiguë.
Sources
- Soit le Nouvel An (1er janvier, depuis 1810), la fête du Travail (1er mai, seul jour obligatoirement chômé et payé, depuis 1919), le 8 mai (victoire de 1945), le 14 juillet (Fête nationale depuis 1880), le 11 novembre (armistice de 1918), pour les jours fériés civils. Pour les jours fériés à origine religieuse, il s’agit de Noël, l’Ascension, l’Assomption, la Toussaint, les lundis de Pâques et de Pentecôte.
- Certes, on ne fera pas grief au Premier Ministre, catholique pratiquant, tout à la fois attaché à la laïcité, et héritier revendiqué du courant démocrate-chrétien en politique, d’ignorer que le jour de Pâques à proprement parler tombe toujours un dimanche, en mémoire de la résurrection de Jésus-Christ qu’il commémore, celle-ci étant censée avoir eu lieu « le premier jour de la semaine » (donc le dimanche, en contexte juif où le shabbat du samedi est le jour chômé) et coïncider avec la fête de la Pâque juive, qui faisait mémoire de la sortie d’Égypte.
- Ou temporal, calendrier mobile qui fait annuellement mémoire de la vie du Christ et de la Vierge, l’autre partie du calendrier liturgique étant le sanctoral, calendrier des fêtes fixes de commémoration des saints (pour la plupart, le jour de leur mort).
- On désigne ainsi les jours de fêtes liturgiques où l’assistance à la messe est en principe obligatoire pour tout baptisé, comme elle l’est déjà tous les dimanches.
- Hormis, bien sûr, le Vatican, et le canton du Tessin, en Suisse, qui comporte même des jours fériés supplémentaires d’origine catholique (comme la Saint-Etienne ou le mercredi des Cendres).
- L’Alsace-Moselle, quant à elle compte deux jours fériés supplémentaires (la Saint-Étienne, le 26 décembre, et le Vendredi Saint, l’avant-veille de Pâques, ceci du fait, non du Concordat, mais du droit local d’inspiration allemande), et la Guadeloupe, trois (le jeudi de la mi-carême).
- La Restauration l’avait certes consacré auparavant par une loi de 1814, mais elle ne fut guère appliquée après 1830, et carrément supprimée en 1880.