Hier, mardi 10 juin, le nouveau directeur des National Institutes of Health (NIH) — une agence rattachée au département de la Santé qui supervise la recherche en santé publique —, Jay Bhattacharya, a été entendu par la sous-commission du Sénat chargée du budget alloué pour le travail, la santé, les services sociaux et l’éducation. Il s’agissait de la première fois que Bhattacharya témoignait devant le Congrès depuis sa confirmation le 25 mars.
- L’audition s’est tenue dans le cadre de l’examen du projet de loi budgétaire de l’administration Trump, actuellement étudié par le Sénat après avoir passé la Chambre des représentants le 22 mai.
- Afin de réduire les dépenses publiques et compenser les coûts que représentent les réductions d’impôts que Trump souhaite prolonger, la Maison-Blanche veut réduire le budget des NIH de 18 milliards de dollars par rapport à l’année fiscale 2025, soit une baisse de 40 % 1.
- Cette proposition a été critiquée par les élus démocrates de la sous-commission, mais également par sa présidente républicaine Shelley Moore Capito, qui a manifesté son inquiétude quant à l’impact de cette baisse sur le leadership des États-Unis en matière d’innovation biomédicale 2.
Les NIH sont à l’origine d’une vaste partie des fonds alloués à des laboratoires. Or, depuis le retour au pouvoir de Trump le 20 janvier, l’agence a mis fin à près de 1 400 subventions et reporté le versement de fonds à plus de 1 000 autres projets 3. L’administration républicaine ne vise pas seulement les universités de l’Ivy League, avec lesquelles elle s’est engagée dans un affrontement à propos des étudiants internationaux et dont les chercheurs sont considérés comme des sympathisants démocrates trop idéologiques, mais perturbe également des projets portant sur des sujets « non-controversés » : la recherche sur le cancer, la toxicomanie ou la maladie d’Alzheimer.
- La proposition de budget de l’administration Trump s’inscrit dans une réduction plus large des financements octroyés à la recherche scientifique. Sous la direction de Robert F. Kennedy Jr., le département de la Santé s’est fixé comme priorité de mettre l’accent sur les additifs alimentaires et les maladies chroniques — au détriment de la recherche sur les maladies infectieuses.
- Les programmes de vaccination figurent parmi les domaines les plus impactés. La Maison-Blanche propose notamment de supprimer les budgets des CDC (Centres pour le contrôle et la prévention des maladies) alloués à ses programmes de lutte contre la poliomyélite et la rougeole — alors que les États-Unis font face à une recrudescence des cas recensés sur son territoire.
Bhattacharya s’est construit une renommée nationale au sein des cercles républicains durant la pandémie de coronavirus. En octobre 2020, il signait aux côtés de Martin Kulldorff et Sunetra Gupta la « Déclaration de Great Barrington », une lettre ouverte critiquant les impacts du confinement sur la santé publique dans laquelle il appelait à développer une immunité grégaire par le biais d’une stratégie d’infection de masse 4.
- L’année suivante, Bhattacharya déplorait lors d’une conférence organisée par le Brownstone Institute que la santé publique était devenue un « outil au service du pouvoir autoritaire » visant à imposer un « État biosécuritaire ».
- La Déclaration de Great Barrington a été vivement critiquée par la communauté scientifique américaine dans une contre-tribune publiée dans la revue The Lancet.
- Appelé le Mémorandum de John Snow, cette lettre qualifiait l’idée d’une immunité collective comme « dangereuse » et susceptible d’entraîner des épidémies récurrentes 5.
Bhattacharya n’est pas opposé à tous les vaccins, mais s’est montré très critique vis-à-vis de la gestion du Covid. Il partage toutefois une approche techno-solutionniste de la recherche biomédicale, prônée notamment par Peter Thiel, qui consiste à « exploiter la puissance de l’intelligence artificielle et de l’apprentissage automatique » afin de réaliser des percées scientifiques 6. Dans le cadre de cette approche, les financements autrefois destinés aux chercheurs sont redirigés vers la construction de centres de données et l’apprentissage des LLM.
- Thiel considère que la science moderne est essoufflée, qu’elle ne parvient plus à réaliser des découvertes majeures car son ambition aurait été « battue en brèche » — en opposition aux cosmistes soviétiques du début du XXe siècle, qui cherchaient à « ressusciter physiquement tous les morts à l’aide de la science ».
- Afin d’accélérer l’innovation médicale, le libertarien souhaite depuis le premier mandat de Trump mettre fin aux nombreuses exigences et tests requis par la FDA pour la mise sur le marché de nouveaux médicaments.
- Depuis la pandémie de coronavirus, Thiel a également développé une approche reposant sur les données collectées et les logiciels vendus par Palantir pour « contribuer à renforcer la recherche scientifique » 7.
- Thiel et Bhattacharya sont proches depuis les années 1980, après s’être rencontrés à Stanford lorsqu’ils étaient étudiants. Les deux hommes ont également travaillé ensemble au sein de la Stanford Review, qui a vu passer d’autres conservateurs comme Josh Hawley ou David Sacks, le « tsar » des cryptos de Trump.
Avec sa plateforme Foundry, Palantir propose désormais de « soutenir la recherche clinique visant à découvrir de nouveaux médicaments, à améliorer les soins aux patients et à développer des solutions de médecine numérique pour la recherche en matière de santé ». C’est cette même plateforme qui sera utilisée pour construire un « méga API » permettant de partager les milliards de données détenues par l’Internal Revenue Service (IRS), l’agence en charge de la collecte de l’impôt, avec d’autres branches du gouvernement.
- Foundry est aujourd’hui utilisé par au moins quatre agences fédérales, dont le département de la Santé.
- En 2023, Palantir a également remporté un contrat de près de 400 millions d’euros pour installer son logiciel « de manière permanente » au sein du National Health Service, le système britannique de santé publique.
- Depuis quelques semaines, les données des citoyens américains détenues par les National Institutes of Health, dirigés par Bhattacharya, ainsi que des CDC, sont toutes fusionnées sur Foundry.
- L’entreprise serait en discussion avec au moins deux autres agences pour l’acquisition de ses logiciels 8.
Palantir se trouve à l’intersection de l’effort mené par l’administration Trump visant à compiler et regrouper dans une seule base de données des milliers de points d’informations sur les citoyens américains, notamment médicales. Celle-ci pourrait aussi servir à la Maison-Blanche pour localiser et déporter des personnes vivant en situation irrégulière aux États-Unis.
En addition de ces nouveaux contrats, Palantir reste impliqué au plus haut niveau dans le développement des nouvelles capacités de l’armée américaine.
- En mars 2024, l’administration Biden avait octroyé à Palantir un contrat d’une valeur de 180 millions de dollars pour livrer 10 unités de camions TITAN (Tactical Intelligence Targeting Access Node) au Pentagone. Ce nouveau programme, en partenariat avec Anduril Industries, Northrop Grumman et L3Harris Technologies, est présenté comme une « station mobile au sol pour les applications d’IA »
- Aux côtés d’Anduril, l’entreprise technologique de défense co-fondée par Palmer Luckey, Palantir assiste également le département de la Défense dans son intégration de l’Intelligence artificielle dans ses systèmes militaires.
- L’entreprise de Peter Thiel devrait aussi jouer un rôle central dans les travaux visant à développer un « Golden Dome » — un système de défense aérienne sur le modèle de l’Iron Dome israélien. SpaceX, l’entreprise spatiale d’Elon Musk, a ainsi fait appel à Palantir et Anduril pour former un partenariat qui travaillera à la concrétisation du projet lancé par Donald Trump, dans un décret signé le 27 janvier.
Sources
- Fiscal Year 2026 Discretionary Budget Request, Maison-Blanche, 2 mai 2025.
- Capito Opening Statement at Hearing to Review NIH Budget Request, 10 juin 2025.
- Irena Hwang, Jon Huang, Emily Anthes, Blacki Migliozzi et Benjamin Mueller, « The Disappearing Funds for Vaccine Research », The New York Times, 4 juin 2025.
- Great Barrington Declaration.
- ALWAN, Nisreen A., BURGESS, Rochelle Ann, ASHWORTH, Simon, et al, « Scientific consensus on the COVID-19 pandemic : we need to act now », The Lancet, 2020, vol. 396, n°10260, p. 71-72.
- Propos liminaires de Jay Bhattacharya devant la sous-commission du Sénat chargée du budget alloué pour le travail, la santé, les services sociaux et l’éducation, 10 juin 2025.
- Marjolein Lanzing, « Traveling technology and perverted logics : conceptualizing Palantir’s expansion into health as sphere transgression », Information, Communication & Society, 2024, vol. 27, n°15, p. 2617-2633.
- Sheera Frenkel et Aaron Krolik, « Trump Taps Palantir to Compile Data on Americans », The New York Times, 30 mai 2025.