Les Polonais votaient hier dans le cadre du premier tour de l’élection présidentielle. Au total, 67,3 % du corps électoral se sont exprimés, soit 2,8 points de plus qu’en 2020. Les résultats définitifs confirment les sondages de sortie des urnes.

  • À la première place, les Polonais ont placé Rafał Trzaskowski, actuel maire de Varsovie et candidat de la Coalition civique (KO), de centre-droit, dont est membre le Premier ministre Donald Tusk. Trzaskowski a obtenu 31,4 % des voix.
  • Le maire de Varsovie affrontera au second tour Karol Nawrocki, historien jusqu’alors directeur de l’Institut de la mémoire nationale, adoubé par le parti national-conservateur Droit et justice (PiS), qui a obtenu 29,5 % des voix, soit 1 ou 2 points de plus que ce que les derniers sondages annonçaient.
  • Suivent dans l’ordre deux candidats d’extrême-droite : Sławomir Mentzen (14,8 %), candidat du regroupement d’extrême-droite Confédération et Grzegorz Braun (6,3 %), leader de la Confédération de la couronne polonaise, antisémite notoire. L’arrivée de ce dernier dans le quatuor final a été la principale surprise de la soirée électorale.
  • Ensuite, on retrouve Szymon Hołownia (5,0 %), président de la Diète et co-leader de l’alliance de centre-droit Troisième voie, puis Adrian Zandberg de la formation de gauche radicale Ensemble (4,9 %), et Magdalena Biejat, sociale-démocrate de La Gauche (4,2 %).

Si le match annoncé pour le second tour entre Trzaskowski et Nawrocki était attendu, l’écart est finalement très faible entre les deux candidats. Lors de son discours de remerciements, le maire de Varsovie a reconnu sa victoire, mais a également témoigné de certaines inquiétudes quant au second tour. L’enjeu est double pour chaque candidat : mobiliser sa base et espérer de substantiels reports de voix.

  • Parmi les partenaires de la majorité présidentielle, Hołownia (centre) a appelé clairement dès hier soir à voter pour Trzaskowski, tandis que Biejat (centre-gauche) a indiqué qu’elle s’entretiendrait rapidement avec le maire de Varsovie, certainement pour obtenir quelques garanties, mais elle devrait appeler à voter pour lui.
  • Le candidat de la gauche, Adrian Zandberg, a refusé de donner une consigne de vote. Son parti, Razem (« Ensemble ») était d’ailleurs initialement membre de la coalition parlementaire de Tusk, avant de faire scission. Il y a toutefois de fortes chances qu’une part importante de son électorat se reporte, à contrecœur, sur Trzaskowski.

Ces trois candidats représentent toutefois moins de 15 % de l’électorat. Le véritable vivier de reports de voix pour les deux candidats se trouve à l’extrême droite. D’abord, les 6 % d’électeurs de Braun sont a priori très conservateurs et plus enclins à voter pour Nawrocki. Mais le simple fait que Braun ait obtenu un bon score pourrait mobiliser une partie de l’électorat libéral contre lui. C’est moins évident pour les 15 % de Mentzen. Certes, une grande partie de son électorat est aussi nationaliste et devrait préférer Nawrocki, d’autant que des rumeurs de pacte de non-agression entre le PiS et la Confédération ont circulé pendant la campagne, démenties par les deux camps. Toutefois, la Confédération cherche à incarner le leadership sur la droite conservatrice polonaise et n’a pas d’intérêt structurel à s’allier au PiS. De plus, Mentzen incarne l’aile libertarienne du groupe d’extrême droite, et une partie de son électorat peut être tentée par le libéral Trzaskowski, même s’il ne se reconnaît pas dans ses valeurs progressistes. Il y a donc fort à parier que Trzaskowski promeuve des mesures de liberté économique dans les prochains jours pour tenter de séduire cet électorat plutôt jeune, entrepreneur et omniprésent sur les réseaux sociaux.

Selon les derniers sondages pour le second tour publiés la semaine dernière, Trzaskowski devrait l’emporter le 1er juin. Le dernier sondage en date publié hier soir donnait 46 % à Trzaskowski contre 44 % à Nawrocki (et 10 % d’indécis). Il n’existe aucun sondage crédible à ce jour qui donne Nawrocki gagnant. Pour autant, l’écart entre les deux protagonistes s’est fortement réduit, Nawrocki réussissant à accroître sa popularité dans toutes les régions de Pologne, même si un scandale l’a rattrapé dans les derniers jours, selon lequel il aurait acquis un appartement de façon relativement frauduleuse auprès d’une personne âgée dans le besoin. De son côté, Trzaskowski a misé tout au long de la campagne sur une sorte de force tranquille qui le plaçait triomphant, mais peut-être trop tranquille et justement un peu ennuyeuse. Sa popularité n’a cessé de baisser à mesure que le scrutin approchait.

Le président polonais est le chef de l’État mais n’a pas de rôle législatif direct et ne représente pas le pays dans les institutions internationales ; c’est le rôle du Premier ministre. En revanche, il dispose de plusieurs pouvoirs majeurs, encore plus pertinents en période de cohabitation. L’actuel président Andrzej Duda, proche du PiS, les a largement employés contre le gouvernement de Tusk depuis 2023. 

  • Le président dispose d’un droit de véto qu’il peut opposer à de nombreuses lois votées au Parlement. À ce jour Duda a bloqué des lois par exemple sur la pilule du lendemain ou la réforme de la justice.
  • Il peut également renvoyer certaines lois devant le Tribunal constitutionnel, lequel compte des « néo-juges » pro-PiS, ce que Duda a fait pour l’ensemble des lois de finance.
  • Le président est le chef des armées, dans un pays qui prévoit de consacrer 5 % de son PIB à la défense et a désormais plus de soldats que la France.
  • Il a aussi un rôle diplomatique pour lequel il dispose d’une certaine liberté ; Duda a par exemple rencontré Trump en février à la CPAC alors que le ministre des Affaires étrangères Radosław Sikorski était aussi à Washington.

Le résultat du second tour, prévu le dimanche 1er juin prochain, est donc crucial pour l’avenir du gouvernement Tusk. Le duel Trzaskowski-Nawrocki prolonge le duopole Coalition civique-Droit et justice qui structure la vie politique polonaise depuis vingt ans. Si Nawrocki est élu, celui-ci devrait s’inscrire dans la continuité de Duda, maintenir les vétos actuels et en user davantage dans le futur, tout en incarnant le maintien du PiS dans une branche de l’exécutif polonais. En revanche, si Trzaskowski l’emporte, ce serait une bonne nouvelle pour Tusk.

  • Le maire de Varsovie a annoncé à de nombreuses reprises qu’il lèverait le véto présidentiel sur les projets bloqués par Duda.
  • Trzaskowski dispose d’une stature internationale, a été eurodéputé, est polyglotte, tandis que Nawrocki souffre d’un déficit de notoriété, qu’il a pourtant cherché à combler en rencontrant plusieurs figures de du mouvement MAGA, mai aussi Donald Trump, Giorgia Meloni ou George Simion le candidat vaincu à l’élection présidentielle roumaine
  • Trzaskowski est un grand soutien de l’Ukraine et a rencontré Zelensky à plusieurs reprises, alors que Nawrocki a tenu un discours ambigu sur le sujet, refusant de soutenir l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN et l’Union en raison des différends historiques entre la Pologne et l’Ukraine sur les massacres de Volhynie, quitte à briser le relatif accord bipartisan PiS-KO sur le sujet. 
  • En fin de campagne, Duda a lui-même publiquement poussé Zelensky à « céder sur certains points » pour satisfaire Trump, ce qui est en contradiction avec son discours de 2024.

Il faut enfin noter que, même si Trzaskowski l’emporte dans deux semaines, le boulevard qui s’ouvrira pour Tusk restera semé d’embûches.

  • Depuis son arrivée au gouvernement en décembre 2023, Tusk pâtissait de l’opposition systématique de Duda à de nombreux projets clefs et pouvait publiquement lui reprocher ses choix. Désormais, en l’absence de verrou présidentiel, il devra assumer ses décisions ainsi que les retards dans l’application de son programme électoral pléthorique de 2023.
  • Pour l’appliquer, Tusk est lié par sa coalition parlementaire. Il n’a pas de majorité constitutionnelle (aux deux tiers) et, au-delà de sa Coalition civique, doit s’appuyer sur La Gauche et la Troisième Voie, cette dernière s’opposant à plusieurs réformes, par exemple sur l’avortement. Aucun projet de loi n’a pu être adopté à ce sujet pourtant très symbolique en Pologne.
  • Si le PiS disparaît de l’exécutif, il restera présent dans le système judiciaire, en raison de la refonte de l’État de droit mise en place pendant les huit ans de pouvoir du parti national-conservateur. 
  • Selon le Conseil de l’Europe, un tiers des 10 000 juges polonais encore en exercice ont été nommés de façon politique sous le PiS. Une réforme de la justice sera cependant plus simple pour Tusk, et son ministre de la justice Adam Bodnar, en l’absence de véto présidentiel.