Dans une tribune publiée en russe Xi Jinping affirme avoir le soutien total de Vladimir Poutine pour annexer Taïwan (traduction inédite)

Pour commémorer la fin de la Seconde Guerre mondiale, Xi Jinping et Vladimir Poutine préparent ce 9 mai une mise en scène impériale.

Mais la victoire qu’ils mettront en scène n’est pas tournée vers le passé.

Dans une tribune d’une brutalité inédite, le président chinois a fait sien le style révisionniste du maître du Kremlin en révélant pour la première fois d’une manière aussi explicite le soutien de la Russie à l’annexion de Taïwan par la Chine.

Nous le traduisons.

Xi Jinping est arrivé aujourd’hui, 7 mai à Moscou pour une visite d’État de quatre jours dont le point fort sera la cérémonie du 9 mai qui marquera le 80e anniversaire de la victoire de la Russie « dans la grande guerre patriotique ». 

Contrairement à certaines interprétations encore présentes dans les médias, l’opération du Kissinger inversé que l’administration Trump serait en train d’opérer apparaît chaque jour plus improbable. 

Depuis qu’il est au pouvoir, le président chinois a rencontré le maître du Kremlin environ une cinquantaine de fois, leur relation est donc consolidée et profonde. 

Lors du petit-déjeuner de demain, le gazoduc Power of Siberia 2 devrait être au cœur des discussions entre Xi et Poutine — mais une conversation plus profonde pourrait avoir lieu et porter sur l’ambition de plus en plus manifeste de la Chine d’annexer Taïwan dans un futur proche.

Dans sa tribune parue dans le journal officiel Rossiïskaïa Gazeta, Xi Jinping avance une thèse profondément révisionniste en affirmant que la « rétrocession » de Taïwan à la Chine après la Seconde Guerre mondiale est un fait historique et juridique « incontestable ». 

Il affirme également que la Russie « soutient fermement toutes les mesures prises par le gouvernement chinois et le peuple chinois pour réaliser la réunification nationale ». 

En rendant public, en russe, l’existence d’un axe sino-russe prêt à soutenir et justifier une annexion territoriale allant jusqu’à l’évocation d’une action militaire, le secrétaire général du PCC pose une question stratégique cruciale au reste du monde : qui souhaite encore arrêter ce processus ? Qui a les moyens de défendre une démocratie face à un empire ? 

On remarquera que c’est par ses thèses révisionnistes sur l’Ukraine que Vladimir Poutine a préparé et justifié la grande invasion de 2022 — comme Poutine, Xi Jinping nie l’existence politique de Taïwan et refuse d’envisager qu’elle puisse choisir son positionnement géopolitique d’une manière autonome ou indépendante. 

Le discours prononcé par Vladimir Poutine lors de la Conférence sur la sécurité de Munich en 2007 avait révélé l’ampleur du projet révisionniste du maître du Kremlin à tous ceux qui avaient pris le temps de l’entendre et de le prendre au sérieux.

Ce texte de Xi Jinping sur Taïwan s’inscrit explicitement dans cette lignée, théorisée par Vladislav Sourkov autour de la notion de Retranslatio imperii.

C’est pour cette raison que nous rendons disponible cette tribune, en la traduisant à chaud.

Dans le moment géopolitique qui se déploie, la prise de terres est devenue la matrice de la puissance géopolitique : dans la nouvelle ère impériale, toutes les grandes puissances se projettent dans un espace « sans frontières ».

Cette année marque le 80ᵉ anniversaire de la victoire de la Guerre de résistance du peuple chinois contre l’agression japonaise, de la Grande Guerre patriotique de l’Union soviétique et de la Guerre mondiale contre le fascisme. Elle marque également le 80ᵉ anniversaire de la fondation de l’Organisation des Nations unies (ONU). En cette saison où « pommiers et poiriers sont en fleurs », je me rendrai prochainement en visite d’État en Russie et participerai aux célébrations du 80ᵉ anniversaire de la victoire de la Grande Guerre patriotique de l’Union soviétique, afin de rendre hommage, aux côtés du vaillant peuple russe, à l’histoire et aux héros tombés.

Il y a dix ans, à peu près à la même époque, je m’étais rendu en Russie pour célébrer le 70ᵉ anniversaire de cette victoire. Lors de cette visite, j’avais tenu à organiser une rencontre avec 18 vétérans russes qui avaient affronté le feu et le sang sur les champs de bataille, tant au cours de la Grande Guerre patriotique soviétique que de la Guerre de résistance du peuple chinois contre l’agression japonaise. Leur volonté inébranlable et leur allure intrépide m’ont laissé une impression impérissable. Au cours des dernières années, le général Gareïev, le général de division Chcthoudlo, ainsi que d’autres vétérans, nous ont quittés. Je leur rends mon plus profond hommage, ainsi qu’à tous les anciens combattants — du général au simple soldat — pour leur service exceptionnel et les hauts faits héroïques de leur lutte contre le fascisme à travers le monde.

Nous ne les oublierons jamais. Les héros ne meurent jamais. Leur noble esprit vit pour toujours.

Au cours de la Guerre mondiale contre le fascisme, les peuples chinois et russe ont combattu côte à côte et se sont soutenus mutuellement. Dans les heures les plus sombres de la Guerre de résistance du peuple chinois contre l’agression japonaise, le Groupe de volontaires soviétiques, appartenant à l’armée de l’air soviétique, s’est rendu à Nankin, Wuhan et Chongqing pour combattre aux côtés du peuple chinois, affrontant courageusement les envahisseurs japonais dans les airs — nombre d’entre eux y sacrifiant leur vie. À un moment critique de la Grande Guerre patriotique soviétique, Yan Baohang, légendaire agent de renseignement du Parti communiste chinois (PCC), qu’on qualifie parfois de « Richard Sorge de l’Orient », fournit à l’Union soviétique des renseignements de première main. Dans ces années décisives, l’Union soviétique livra à la Chine de grandes quantités d’armes et de matériel. La Chine, de son côté, expédia à l’Union soviétique des ressources stratégiques vitales. Les deux pays établirent conjointement une ligne de ravitaillement traversant le dangereux désert de Gobi. Ce fut un soutien vital, essentiel à notre entraide dans la lutte contre le fascisme. La camaraderie solide entre nos deux nations, forgée dans le sang et le sacrifice, coule encore avec force — comme coulent le fleuve Jaune et la Volga. Elle est une source intarissable nourrissant notre amitié éternelle.

Richard Sorge (1895–1944) était un espion soviétique d’origine allemande, célèbre pour avoir mené des opérations difficiles au Japon pendant la Seconde Guerre mondiale. Sous une couverture de journaliste, il dirigeait un réseau d’espionnage fournissant à Moscou des renseignements cruciaux, notamment sur l’attaque allemande contre l’URSS et sur le fait que le Japon n’avait pas l’intention d’envahir la Sibérie. Capturé par les autorités japonaises en 1941, il fut exécuté en 1944 mais il est considéré comme l’un des grands maîtres espions du XXe siècle.

Il y a quatre-vingts ans, les forces de la justice du monde entier, dont la Chine et l’Union soviétique, s’unirent courageusement contre leurs ennemis communs et vainquirent les puissances fascistes arrogantes. 

Quatre-vingts ans plus tard, le monde est de nouveau gravement menacé par l’unilatéralisme, la tentation hégémonique, l’intimidation et la coercition. Une fois encore, l’humanité est à la croisée des chemins : unité ou division, dialogue ou confrontation, coopération gagnant-gagnant ou jeux à somme nulle. Dans Guerre et Paix, le grand écrivain Léon Tolstoï écrivait : « L’histoire est la vie des nations et de l’humanité. » De fait, la mémoire historique et la vérité ne s’effacent pas avec le temps. Elles sont des sources d’inspiration qui éclairent le présent et illuminent l’avenir. Nous devons tirer les leçons de l’histoire, surtout celles, particulièrement douloureuses, de la Seconde Guerre mondiale. Nous devons puiser la sagesse et la force dans la grande victoire de la Guerre mondiale contre le fascisme, et résister résolument à toutes les formes d’hégémonisme et de politique de puissance. Ensemble, construisons un avenir meilleur pour l’humanité.

— Nous devons préserver une juste perspective historique sur la Seconde Guerre mondiale. En Asie et en Europe, la Chine et l’Union soviétique ont été respectivement les principaux théâtres de cette guerre. Ces deux pays ont été les piliers de la résistance contre le militarisme japonais et le nazisme allemand, apportant une contribution décisive à la victoire de la Guerre mondiale contre le fascisme. La Guerre de résistance du peuple chinois contre l’agression japonaise fut la première à débuter et la plus longue. Unis sous la bannière du front uni chinois contre l’agression japonaise, promu et mis en place par le PCC, les Chinois ont mené une lutte acharnée contre les militaristes japonais et les ont vaincus. Par leur immense sacrifice, ils ont écrit une épopée immortelle de résistance héroïque et de victoire finale. Sur le théâtre européen, l’Armée rouge soviétique, avançant telle une marée de fer avec une ténacité et un courage indomptables, a brisé les ambitions de l’Allemagne nazie et libéré des millions de personnes de son occupation brutale, écrivant l’histoire d’une épopée victorieuse dans la Grande Guerre patriotique soviétique.

L’histoire nous enseigne que la lumière triomphera toujours des ténèbres et que la justice finira par l’emporter sur le mal. Le Tribunal militaire international de Nuremberg et le Tribunal militaire international pour l’Extrême-Orient ont condamné les criminels de guerre reconnus coupables à une infamie éternelle. Ces deux procès étaient porteurs de justice et d’intégrité : leur portée historique et leur pertinence actuelle sont indiscutables. Toute tentative de déformer la vérité historique de la Seconde Guerre mondiale, d’en nier les résultats ou de calomnier les contributions historiques de la Chine et de l’Union soviétique est vouée à l’échec. Aucun de nos deux pays ne tolérera que l’on tente de faire reculer le cours de l’histoire — pas plus que les peuples du monde entier.

— Nous devons défendre résolument l’ordre international d’après-guerre. La décision la plus importante prise par la communauté internationale à la fin de la Seconde Guerre mondiale fut la création de l’ONU. La Chine et l’Union soviétique furent parmi les premiers signataires de la Charte des Nations unies. Leur statut de membres permanents du Conseil de sécurité est un fait historique, acquis au prix du sang et du sacrifice. Plus la situation internationale devient complexe et agitée, plus il est nécessaire de défendre et de consolider l’autorité de l’ONU, de soutenir fermement le système international centré sur l’ONU, l’ordre international fondé sur le droit international, et les normes fondamentales des relations internationales fondées sur les buts et principes de la Charte des Nations unies, et de promouvoir de manière continue un monde multipolaire égalitaire et ordonné, ainsi qu’une mondialisation économique universellement bénéfique et inclusive.

Cette année marque aussi le 80ᵉ anniversaire de la rétrocession de Taïwan. Le retour de Taïwan à la Chine est un résultat victorieux de la Seconde Guerre mondiale et une composante essentielle de l’ordre international d’après-guerre. Une série d’instruments ayant valeur juridique en droit international, dont la Déclaration du Caire et la Proclamation de Potsdam, ont tous confirmé la souveraineté de la Chine sur Taïwan. Ce fait historique et juridique ne peut souffrir aucune contestation de même que ne souffre aucune contestation l’autorité de la Résolution 2758 de l’Assemblée générale des Nations unies. Quelle que soit l’évolution de la situation sur l’île de Taïwan ou les troubles induits par des forces extérieures, la tendance historique vers la réunification finale et inévitable de la Chine est irréversible.

Xi Jinping fait ici preuve d’un révisionnisme historique patent. Les déclarations du Caire et de Postdam n’ont pas de valeur contraignante en droit international ; pas plus que la rétrocession japonaise n’aurait eu pour effet de « rendre » Taïwan à la Chine. Quant à la résolution 2758, elle se borne à reconnaître que la République populaire de Chine est le représentant légitime de la Chine à l’ONU mais ne tranche pas la question du statut de l’île.

La Chine et la Russie se sont toujours soutenues mutuellement sur les questions touchant à leurs intérêts fondamentaux et préoccupations majeures. La Russie a réaffirmé à de nombreuses reprises qu’elle adhérait strictement au principe d’une seule Chine, que Taïwan était une partie inaliénable du territoire chinois, qu’elle s’opposait à toute forme d’« indépendance de Taïwan », et qu’elle soutenait fermement toutes les mesures prises par le gouvernement chinois et le peuple chinois pour parvenir à la réunification nationale. La Chine salue hautement la position constante de la Russie.

— Nous devons défendre fermement l’équité et la justice internationales. Aujourd’hui, les déficits mondiaux en matière de paix, de développement, de sécurité et de gouvernance ne cessent de s’aggraver. Pour y remédier, j’ai proposé de construire une communauté de destin pour l’humanité et présenté l’Initiative pour le développement mondial, l’Initiative pour la sécurité mondiale et l’Initiative pour la civilisation mondiale, afin d’orienter la réforme du système de gouvernance mondiale vers davantage d’équité et de justice.

Le monde a besoin de justice — pas d’hégémonie. L’histoire et les faits ont prouvé que, pour relever les défis mondiaux, il est essentiel d’adopter une vision de la gouvernance mondiale fondée sur la consultation étendue, la contribution conjointe et les bénéfices partagés. Il est aussi essentiel de privilégier le dialogue à la confrontation, de construire des partenariats plutôt que des alliances, et de rechercher une coopération gagnant-gagnant plutôt que des jeux à somme nulle. Il est tout aussi important de pratiquer un véritable multilatéralisme, de prendre en compte les préoccupations légitimes de toutes les parties et de préserver les normes et l’ordre internationaux. Nous croyons fermement que les peuples du monde choisiront de se placer du bon côté de l’histoire : du côté de l’équité et de la justice.

La Chine et la Russie sont deux grandes puissances d’influence mondiale. Elles sont des forces constructives pour le maintien de la stabilité stratégique mondiale et l’amélioration de la gouvernance mondiale. Notre relation bilatérale repose sur une logique historique claire, elle est portée par une dynamique interne puissante, et ancrée dans un héritage culturel profond. Notre relation n’est dirigée contre aucune tierce partie, ni influencée par elle. Ensemble, nous déjouerons toutes les manœuvres visant à perturber ou miner nos liens d’amitié et de confiance et ne nous laisserons pas troubler par des questions passagères ni déstabiliser par des défis redoutables. Nous devons mettre à profit la solidité et la résilience de notre partenariat de coordination stratégique pour accélérer conjointement la marche vers un monde multipolaire et construire une communauté de destin pour l’humanité.

La Chine et la Russie sont deux grandes nations aux civilisations brillantes. Les peuples chinois et russe sont deux grands peuples façonnés par un héritage héroïque. Il y a quatre-vingts ans, nos peuples remportèrent la guerre contre le fascisme par des luttes héroïques. Quatre-vingts ans plus tard, nous devons prendre toutes les mesures nécessaires pour préserver résolument notre souveraineté, notre sécurité et nos intérêts de développement. Nous devons être les gardiens de la mémoire historique, les partenaires du développement et du renouveau de nos nations, les défenseurs de l’équité et de la justice internationales. Et nous devons œuvrer ensemble à un avenir plus radieux pour l’humanité.

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