Après la ratification de l’accord par l’Union chrétienne-démocrate (CDU), l’Union chrétienne sociale bavaroise (CSU) et le Parti-social démocrate (SPD), on dispose désormais de la liste complète des ministres allemands pour les quatre années à venir.

Conformément à la pratique fixée dans les accords de coalition, il revient à chaque parti de désigner non seulement les dix-sept ministres de plein exercice, mais aussi les différents secrétaires d’État et ministres délégués (Staatsminister).

La nomination des ministres entraîne en outre des changements de tête au sein des appareils partisans et des groupes parlementaires. Après la révélation des ministres de la CDU/CSU dès le 28 avril, le SPD a dévoilé à son tour le 5 mai les noms de ses ministres. Le 30 avril, les adhérents du parti social-démocrate ont approuvé à 84 % l’accord de coalition, le taux d’approbation le plus élevé pour une grande coalition depuis 2013, même si la participation au vote en ligne des militants n’a été que de 56 %. 

Alors que les partenaires de la coalition ont signé officiellement à Berlin l’accord dévoilé il y a deux semaines, et que la prestation de serment a lieu ce mardi sur le fil au Bundestag, un aperçu de la liste des ministres révèle certains aspects intéressants.

Un gouvernement plus à l’Est que celui de Scholz

Avec un âge moyen de 54 ans, 8 femmes et 9 hommes — 11 juristes sur 17 et trois ministres originaires des Länder de l’Est qui représentent environ 20 % de la population allemande — le barycentre géographique du gouvernement de Friedrich Merz (en fonction du lieu de naissance) se situe plus à l’Est que celui du gouvernement Scholz :

Répondre à la demande de renouveau du personnel politique allemand

Avec des ministres en bonne partie venus des grandes entreprises, majoritairement du sud et de l’ouest de l’Allemagne, l’équipe issue de la CDU de Friedrich Merz a une coloration nettement rhénane et méridionale aux dépens de l’Allemagne de l’Est. 

S’il ne compte pas de véritable poids lourd de l’Union CDU/CSU, le cabinet du futur chancelier rassemble quelques personnalités expérimentées, mais aussi un certain nombre de nouveaux ministres qui n’ont pas participé précédemment à un gouvernement au niveau fédéral ou régional.

Par rapport au gouvernement précédent, l’équipe nommée par le SPD est également plus paritaire et plus jeune en combinant des personnalités bien connues avec des figures plus confidentielles. La plupart des ministres disposent cependant d’une expérience gouvernementale antérieure au niveau des Länder ou en tant que secrétaires d’État. La liste révélée ce lundi est le choix de Lars Klingbeil, qui a selon les médias allemands personnellement sélectionné les nouveaux ministres. Parmi les absences, on remarque celle, notable, de Saskia Esken, co-présidente du parti depuis 2019 mais critiquée en interne pour sa mauvaise performance pendant la campagne électorale.

Une parité en demi-teinte

Par le choix d’une répartition quasi paritaire des ministères — le futur chancelier a nommé quatre hommes et trois femmes à la tête des ministères qui reviennent à son parti — Friedrich Merz a répondu aux critiques adressées suite à la diffusion fin février d’une photo maladroite montrant le cercle dirigeant de l’Union composé uniquement d’hommes parmi les six participants.

Après la nomination de Julia Klöckner, 53 ans, au poste de présidente du Bundestag, la deuxième figure dans l’ordre protocolaire allemand, les partis de la coalition se sont en outre engagés à faire élire pour la première fois une femme comme présidente fédérale pour succéder à Frank-Walter Steinmeier en 2027. Du côté du SPD, avec six femmes et trois hommes, la représentativité est également assurée. Les quatre postes régaliens — Affaires étrangères, Intérieur, Défense et Finances — sont cependant tous tenus par des hommes.

La liste complète des ministres

La CDU nomme sept ministres de plein exercice :

  • Johann Wadephul, 62 ans, devient le ministre des Affaires étrangères (Bundesminister des Auswärtigen). Il s’agit de la première fois depuis Gerhard Schröder — homonyme sans lien de parenté avec le chancelier social-démocrate de 1998 à 2005 — que le portefeuille revient à la CDU/CSU. Élu dans le Schleswig-Holstein depuis 2009, il compte parmi les parlementaires les plus expérimentés de l’Union. En succédant à l’écologiste Annalena Baerbock, Wadephul sera néanmoins limité dans son action par la volonté nettement affichée par Friedrich Merz de centraliser la décision à la chancellerie. Annalena Baerbock a déjà félicité son successeur sur X.
  • Thorsten Frei, 51 ans, devient ministre avec attributions spéciales et chef de la chancellerie (Bundesminister für besondere Aufgaben und Chef des Bundeskanzleramtes), un poste clef pour la coordination du pouvoir, occupé notamment par Wolfgang Schäuble sous Helmut Kohl ou Frank-Walter Steinmeier sous Gerhard Schröder. Catholique venu du Bade-Württemberg et élu dans la Forêt Noire depuis 2013, Thorsten Frei est juriste et l’ancien maire de Donaueschingen. Ayant fait son service militaire dans la Brigade franco-allemande, il est décoré de l’ordre national du mérite et de la médaille de la défense nationale. Depuis 2021, il est le secrétaire général du groupe parlementaire CDU/CSU (Erster parlamentarischer Geschäftsführer), un poste central qui équivaut à celui de « chief whip » dans les systèmes politiques anglo-saxons, et ainsi un des plus proches collaborateurs du chef du groupe et de Friedrich Merz.
  • Karin Prien, 59 ans, est nommée ministre de l’éducation, de la famille, des séniors, des femmes et de la jeunesse (Bundesministerin für Bildung, Familie, Senioren, Frauen und Jugend). Elle est depuis 2017 ministre de l’éducation du Land de Schleswig Holstein, dirigé par une coalition entre la CDU et Bündnis 90/Die Grünen.
  • Katherina Reiche, 51 ans, devient ministre de l’économie et de l’énergie  (Bundesministerin für Wirtschaft und Energie). Originaire du Brandebourg et chimiste de formation, son parcours, à cheval entre la politique et l’économie, ressemble à celui de Friedrich Merz. Elle a ainsi été députée à la CDU de 1998 à 2015, et secrétaire d’État au ministère de l’environnement et de la sécurité nucléaire, puis au ministère des transports et du numérique. Katherina Reiche devient ensuite dirigeante d’entreprises. Depuis 2021, elle dirige Innogy Westenergy GmbH, une filiale du groupe énergétique E.ON. Partisane de la production d’énergie nucléaire, elle a été nommée présidente du « Conseil national de l’hydrogène » en 2020.
  • Patrick Schnieder, 57 ans, est nommé ministre des transports (Bundesminister für Verkehr), succède à Volker Wissing (FDP) dans un ministère en première ligne face aux problèmes du quotidien des allemands. Issu de Rhénanie-Palatinat et siégeant au Bundestag depuis 2009 pour la circonscription de Bitburg à la frontière avec le Luxembourg et la Belgique. Peu connu du grand public, il est par ailleurs membre de l’Assemblée parlementaire franco-allemande.
  • Nina Warken, 45 ans, est nommée ministre de la santé (Bundesministerin für Gesundheit). Originaire du Bade-Württemberg, cette juriste succède au médecin Karl Lauterbach (SPD) à la tête d’un ministère également très exposé depuis la crise de Covid-19 et devra faire face aux défis démographiques qui mettent à l’épreuve l’économie de la santé outre-Rhin.
  • Karsten Wildberger, 56 ans, sera le premier titulaire du ministère nouvellement créé du numérique et de la modernisation de l’État (Bundesminister für Digitalisierung und Staatsmodernisierung). Nouveau venu en politique, ce chef d’entreprise dirige actuellement la holding Media-Saturn GmbH qui exploite les chaînes de magasins d’électronique Media Markt et Saturn.

Par ailleurs, Jens Spahn, 44 ans, ancien ministre de la santé de 2018 à 2021, représentant de l’aile libéral-conservatrice du parti et candidat malheureux en 2018 à la présidence de la CDU, prend la tête du groupe parlementaire de l’Union à partir de la nomination de Friedrich Merz à la chancellerie.

Le parti frère bavarois de la CSU, qui dispose selon l’accord de coalition de trois ministères, a désigné ce lundi des personnalités parlementaires déjà bien implantées dans le paysage politique berlinois.

  • Alexander Dobrindt, 54 ans, est nommé ministre de l’Intérieur (Bundesminister des Inneren). Il a précédemment exercé comme ministre des transports et du numérique dans le cabinet Merkel III entre 2013 et 2017, avant de prendre la tête du groupe CSU au Bundestag.
  • Dorothee Bär, 47 ans, sera ministre de la recherche et de l’espace (Bundesministerin für Forschung und Raumfahrt). Après des études en sciences politiques, vice-présidente de la CSU. Auparavant, elle a été secrétaire d’État au ministère des transports et du numérique sous la direction d’Alexander Dobrindt de 2013 à 2018 puis chargée d’affaires auprès de la chancelière pour la numérisation.
  • Alois Rainer, 60 ans, devient ministre de l’agriculture et de l’alimentation (Bundesminister für Landwirtschaft und Ernährung). Charcutier de formation issu de de Basse-Bavière, il est élu au Bundestag depuis 2013. Peu connu du grand public, il préside la commission des finances du Bundestag depuis 2021. Historiquement, le ministère de l’agriculture est souvent attribué à la CSU.

Le SPD a quant à lui désigné les ministres suivants : 

  • Lars Klingbeil, 47 ans, devient ministre des Finances (Bundesminister der Finanzen) et vice-chancelier. Issu du Land de Basse-Saxe, il siège au Bundestag brièvement en 2005 puis de manière ininterrompue depuis 2009. Secrétaire général du parti de 2017 à 2021, puis co-président du SPD avec Saskia Esken depuis 2021, il est devenu, après la défaite électorale d’Olaf Scholz en février dernier, l’homme fort de la social-démocratie allemande, en prenant la tête du groupe parlementaire SPD ainsi que la responsabilité des négociations avec Friedrich Merz. Tenant d’une ligne centrale parmi les sensibilités du parti, Klingbeil devra démontrer la capacité du SPD à convaincre les électeurs, alors que son parti pâtit d’une impopularité toujours plus forte.
  • Boris Pistorius, 65 ans, conserve son poste de ministre de la Défense (Bundesminister der Verteidigung). Également originaire de Basse-Saxe, il est entré à 16 ans au SPD. Juriste de formation, il réalise sa carrière politique dans son Land, dont il est de 2013 à 2023 le ministre de l’intérieur. Appelé à Berlin pour prendre la suite de Christine Lambrecht au ministère de la défense en janvier 2023, il parvient contrairement à celle-ci à parler aux Allemands par une approche franche et sans ambages de la situation géopolitique. Alors qu’il affiche sa volonté de rendre l’Allemagne « apte à la guerre » (kriegstüchtig), il est régulièrement identifié par les sondages comme la personnalité politique préférée du pays. Son renoncement à briguer pour lui-même la chancellerie après la rupture de la coalition en décembre dernier a déçu une partie des militants, mais elle peut aussi être lue comme une volonté de préserver ses chances pour 2029. La concurrence sourde avec Lars Klingbeil à ce sujet pourrait être un des thèmes de la prochaine législature.
  • Bärbel Bas, 57 ans, devient ministre du travail et des affaires sociales (Bundesministerin für Arbeit und Soziales). Élue dans sa circonscription de Duisbourg, ville industrielle de Rhénanie du Nord Westphalie depuis 2009, et présidente du Bundestag durant la législature précédente, Bärbel Bas a une histoire rare d’ascension sociale. Disposant de l’équivalent d’un certificat d’études (Hauptschulabschluss), cette ancienne auxiliaire de bureau a patiemment gravi les échelons professionnels pour devenir cheffe de département dans une caisse d’assurance maladie. À la tête du parlement, jusqu’à la fin mars, elle a notamment été au centre du jeu institutionnel lors de l’adoption de la réforme constitutionnelle du frein à l’endettement. Au portefeuille du travail, elle succède à Hubertus Heil (SPD), titulaire du ministère depuis 2018.
  • Carsten Schneider, 49 ans, devient ministre de l’environnement et du climat (Bundesminister für Umwelt und Klimaschutz). Originaire de Thuringe, il est élu député au Bundestag depuis 1998. Membre du “Cercle de Seeheim” (Seeheimer Kreis), l’aile social-libérale du SPD, il était délégué du gouvernement pour les Länder de l’Est dans la coalition sortante.
  • Reem Alabali-Radovan, 35 ans, sera ministre de la coopération internationale et du développement (Bundesministerin für wirtschaftliche Zusammenarbeit und Entwicklung). Née de parents irakiens à Moscou où il faisaient des études d’ingénieur en 1990, Alalbali-Radovan est une politiste spécialiste du Proche Orient. Issue du Land du Mecklembourg Poméranie Occidentale, elle est proche de Manuela Schwesig, la ministre-présidente du Land. Depuis 2021, elle était déléguée du gouvernement pour les migrations, les réfugiés et l’intégration.
  • Stefanie Hubig, 56 ans, est nommée ministre de la justice et de la protection des consommateurs (Bundesministerin für Justiz und Verbraucherschutz). Issue de Rhénanie-Palatinat, où elle était ministre de l’éducation depuis 2016, cette juriste a également déjà exercé comme secrétaire d’État au ministère de la justice entre 2014 et 2016.
  • Verena Hubertz, 37 ans, devient ministre du logement, du développement urbain et de la construction (Bundesministerin für Wohnen, Stadtentwicklung und Bauwesen). Élue au Bundestag en Rhénanie-Palatinat, elle était jusqu’ici vice présidente du groupe parlementaire SPD.

Matthias Miersch, 56 ans, jusqu’ici secrétaire général du parti, devrait prendre la tête du groupe parlementaire SPD à la suite de l’accession de Lars Klingbeil au ministère des finances. 

Parmi les postes de secrétaire d’État, on notera la promotion de Nils Schmid, 51 ans, auprès de Boris Pistorius au ministère de la défense. Ancien ministre des finances et de l’économie du Bade-Wurtemberg, député au Bundestag depuis 2017, il est porte-parole du groupe parlementaire SPD pour la politique étrangère et coprésident de l’assemblée parlementaire franco-allemande, organe créé en 2018. La nomination d’un francophile est certainement un signe envoyé à Paris alors que les grands programmes d’armement, le système de combat aérien du futur (SCAF) et le char du futur (MGCS), font toujours l’objet d’âpres négociations.