Politique

« Nous sommes très impliqués dans cette affaire » : le vrai rôle des États-Unis dans la construction européenne

Contrairement à ce que pensent Donald Trump, Elon Musk ou J. D. Vance, la construction européenne a toujours bénéficié aux intérêts américains.

Quelques semaines seulement avant la déclaration du 9 mai 1950, le Secrétaire d’État américain Dean Acheson expliquait pourquoi à Robert Schuman dans une lettre visionnaire d’une grande clarté.

Michel Foucher et Philippe Etienne en proposent aujourd’hui un commentaire historique.

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Philippe Etienne, Michel Foucher
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Conférence des ministres des Affaires étrangères à Paris en 1949 : au centre, Dean Acheson © Archives LIFE Magazine

Lors de sa conférence de presse du 26 février 2025, interrogé sur le niveau des tarifs auquel il voulait frapper les Européens, le président des États-Unis Donald Trump avait eu une déclaration particulièrement brutale :  

« L’Union européenne a été créée dans le but de saboter les États-Unis. » 1

Si elle a pu nous choquer en Europe, elle conforte en fait un récit que l’on connaissait de son premier mandat, au cours duquel il avait déjà multiplié les déclarations hostiles à l’Union européenne. Au-delà du déficit commercial et des dépenses consenties par les Américains pour assurer la défense de l’Europe, il y a évidemment un fossé, au plan des idées, entre le partage des souverainetés inhérent depuis le début à l’intégration européenne et la vision du monde portée par le mouvement MAGA. Cette hostilité idéologique a été exprimée de façon particulièrement nette et articulée par le vice-président J. D.Vance lors de la Conférence de Sécurité de Munich. De manière assez typique, Trump rappelle d’ailleurs qu’il apprécie chacun des pays européens pris individuellement et que sa famille a ses racines sur notre continent.

Mais cette déclaration a quelque chose de différent. Elle ajoute une dimension historique — inhabituelle chez Trump — sur les prétendues origines de la construction européenne dont on pourrait dire qu’elle relève de « l’histoire alternative » et qui constitue une excellente occasion de rappeler certains faits historiques.

On pourrait passer rapidement sur les origines européennes des États-Unis : du fait peu connu que le toponyme « America » provient du géographe allemand Martin Waldseemüller, en 1507 2, et du prénom d’un navigateur né à Florence et mort à Séville, ou que l’esprit des Lumières qui a inspiré les rédacteurs de  la Déclaration d’Indépendance américaine a également largement irrigué les idées d’unification intellectuelle ou politique en Europe. 

Mais la déclaration du Président américain appelle surtout une réponse sur une période historique beaucoup plus récente.

Rappelons d’abord que Franklin D. Roosevelt et Harry S. Truman avaient pensé très tôt qu’après la victoire militaire contre l’Allemagne nazie et le Japon militariste, les États-Unis devraient rester durablement engagés dans les affaires mondiales et européennes, afin de ne pas répéter les erreurs consécutives à la première guerre mondiale  : la non-ratification du traité de Versailles par le Congrès éliminait l’accord de sécurité franco-américain qui y était inclus 3. Les forces militaires durent retraverser l’océan Atlantique deux décennies plus tard  ; elles sont toujours présentes en Europe occidentale, à hauteur de 85 000 militaires et leur avenir fait aujourd’hui l’objet d’interrogations sérieuses sur les intentions de l’administration américaine.

On peut retenir, de manière volontairement non exhaustive, deux étapes clefs de l’implication des États-Unis dans l’histoire de l’Europe occidentale à partir de la Deuxième guerre mondiale.

Dès janvier 1940 — bien avant Pearl Harbor, donc, et l’entrée en guerre des États-Unis — Cordell Hull, Secrétaire d’État américain, demande à son assistant spécial Leo Pasvolski de réfléchir à l’après-guerre 4.

Il réunit un comité consultatif sur les problèmes de politique étrangère qui ébauche une réflexion sur l’ordre international à imaginer aux plans économique et politique, l’espace d’étude étant réduit à l’Europe située à l’ouest de la frontière russe — « wherever that may be fixed ». Le point de départ est qu’il est dans l’intérêt des États-Unis de créer une organisation stable et pacifiée, sous forme d’une union politique précédant une union économique, dotée d’une haute autorité.

Les travaux se poursuivent dans un deuxième comité consultatif sur la politique extérieure d’après-guerre, après Pearl Harbour et la signature de la Charte de l’Atlantique. Son objectif est de penser un ordre international où les décisions ne seraient plus soumises aux intérêts des nations européennes. Il s’agit d’installer un système international strictement conforme aux intérêts américains. Les options pour l’Europe doivent s’y inscrire et les projets se multiplient après la proposition de Winston Churchill (mars 1943) de créer un Conseil de l’Europe. Le toponyme Europe dans cette occurrence exclut le Royaume-Uni et l’Union soviétique. Le comité veut encadrer les schémas d’unification européenne — union douanière, fédération, simple coopération informelle — dans le cadre des intérêts — essentiellement économiques — américains, qui exigent la diminution des barrières douanières, jugées par ailleurs comme une des causes du conflit. Aujourd’hui encore, l’existence d’une union douanière, puis d’un grand marché unique, si elle bénéficie d’abord à la croissance de l’économie européenne, apporte également des bénéfices non négligeables aux entreprises américaines. 

Le comité estime par ailleurs qu’une union européenne ne serait viable que sans hégémonie allemande. Mais le point central et fort pertinent de la vision américaine est qu’il faudrait cette fois-ci réintégrer les vaincus— Allemagne, Italie (et Japon) — pour éviter les erreurs de la politique des réparations après 1919. Nicholas Spykman, influent géopoliticien américain, soutient en 1942 une perspective audacieuse et visionnaire 5 : l’Allemagne, une fois vaincue, devrait servir de contrepoids stratégique face à une Russie ambitieuse. Il pense de même à propos du Japon, face à la Russie et à la Chine 6.

Si le comité évalue qu’une « unification » de l’Europe dans son ensemble serait contraire aux intérêts américains, il juge que les États-Unis doivent accueillir avec sympathie les initiatives de collaboration politique et économique plus étroites, procédant des Européens eux-mêmes. 

Rappelons que Jean Monnet, au début de la guerre, habite aux États-Unis, où il coopère à la livraison d’armes américaines à la France et au Royaume-Uni puis ensuite aux seuls Britanniques — c’est l’invention du programme « lend lease » et la contribution massive des États-Unis avant leur entrée en guerre comme « arsenal de la démocratie » 7.

L’approche élaborée à Washington pendant la guerre est confirmée par le courrier adressé par le Secrétaire d’État américain de l’époque, Dean Acheson, à son homologue français, Robert Schuman, invité à tendre la main à l’Allemagne pour la réintroduire dans la vie politique et économique de l’Europe dès que possible. Si la réintégration militaire ne viendrait que cinq ans plus tard, elle devait commencer à être discutée très rapidement avec le déclenchement de la guerre en Corée.

C’est ce document qui mérite aujourd’hui d’être relu de près et commenté.

Lettre de Dean Acheson à Robert Schuman (30 octobre 1949)

Cher Monsieur Schuman,

Le Traité de Londres de 1948 et les accords que vous-même, Monsieur Bevin et moi-même avons conclus en avril dernier, ont depuis lors abouti à la création du gouvernement de la République fédérale d’Allemagne.

À ce moment-là, il ne s’agit plus seulement d’éviter la répétition des erreurs faites après 1918. 

Déjà se profile la menace soviétique.

Les Américains — et les Britanniques — ont conscience qu’il faut à cet égard un leadership français mais que c’est à Paris que peuvent se trouver aussi les principaux obstacles, pour des raisons légitimes. Le courrier du ministre américain estime plus bas que  : « Ce ne sont pas seulement les Allemands mais également les puissances d’occupation qui détermineront si l’apport de l’Allemagne au monde libre sera positif ou négatif. La réponse dépendra en tout premier lieu du rôle que jouera la France. Notre propre responsabilité est aussi fortement engagée. Le temps est venu pour la France de prendre une initiative et d’assumer la direction des opérations appropriées en vue d’intégrer rapidement et définitivement la République fédérale d’Allemagne dans l’Europe occidentale ».

On connaît la suite donnée à cet appel avec la déclaration Schuman du 9 mai 1950, au lendemain du 8 mai, déjà fête de la Victoire et à la veille d’une importante réunion à Londres, précisément sur la question allemande, entre les ministres français, britannique et américain.

Quelques semaines d’expérience avec ce gouvernement nous ont permis de nous rendre compte de ses rapports avec la Haute Commission. Pendant ce temps, la marche des affaires internationales ne s’est pas ralentie. La création de la « République démocratique d’Allemagne », et de sa capitale Berlin, a introduit de nouveaux éléments politiques dans le problème allemand qui, bien que prévus, n’existaient pas et ne pouvaient dès lors pas être clairement définis au moment de nos décisions antérieures. Il s’agit maintenant de savoir non seulement comment les Allemands pourront renforcer leur position à l’avenir, mais encore quelle contribution nous pourrons apporter au développement d’une communauté de l’Europe occidentale dans laquelle les Allemands seront à même de jouer le rôle modéré d’une nation démocratique et pacifique.

Ce ne sont pas seulement les Allemands mais également les puissances d’occupation qui détermineront si l’apport de l’Allemagne au monde libre sera positif ou négatif. La réponse dépendra en tout premier lieu du rôle que jouera la France. Notre propre responsabilité est aussi fortement engagée. Le temps est venu pour la France de prendre une initiative et d’assumer la direction des opérations appropriées en vue d’intégrer rapidement et définitivement la République fédérale d’Allemagne dans l’Europe occidentale. Tout retard réduira les chances de succès.

Lors de nos entretiens d’avril dernier, nous avons, par nos accords sur le Military Security Board, sur les industries prohibées ou réglementées et sur l’Autorité internationale de la Ruhr, établi des barrières solides contre une agression militaire ou économique allemande, contre toute préparation d’une telle agression et contre toute velléité de la part de l’Allemagne ou de l’industrie allemande de dominer l’Europe. De plus, nous nous sommes réservé dans le statut d’occupation des pouvoirs très étendus quant au fonctionnement de la République fédérale d’Allemagne.

On a souvent oublié que, sur le chemin de la réunion de Londres, Dean Acheson était à Paris pour une journée d’entretiens bilatéraux relatifs à la préparation de cette réunion mais aussi aux questions internationales de l’heure comme la crise en Indochine ou l’avenir du Maroc. Le journal Le Monde rapporte ce qui suit  : « Notre ministre des affaires étrangères entend (…) aujourd’hui un langage net : les nations européennes, pense Washington, doivent assumer chacune des charges plus lourdes. Elles se tromperaient en croyant qu’il pourrait suffire d’une aide américaine accrue pour leur permettre de combler le fossé qui se creuse entre leurs disponibilités financières et les besoins de leur défense militaire. En d’autres termes : que l’Occident s’aide lui-même et l’Amérique l’aidera. » 8

Dean Acheson plaide pour l’intégration de l’Allemagne à l’Europe en formation mais pas au Pacte Atlantique à ce stade 9. Comme on le voit, aussi, dès le début, les Américains appellent les Européens à se prendre en charge  : de ce point de vue, les appels de Donald Trump ne sont pas totalement différents des autres administrations, même si leur style et leur contenu sont très particuliers.

Mais pouvons-nous nous contenter du cadre juridique que nous avons mis en place ? Je ne le pense pas.

Nous devons et nous allons exercer constamment une surveillance effective. Mais l’émergence en Allemagne d’une volonté réelle de participer au développement politique et économique de l’Europe occidentale ainsi que le développement d’une société allemande sincèrement démocratique et pacifique sont des garanties sérieuses et efficaces. Il s’agit pour nous de profiter du caractère de l’actuel Gouvernement allemand et d’un parti d’opposition attaché aux principes démocratiques. Je crois que, pour notre travail, nous ne rencontrerons plus jamais en Allemagne un climat aussi démocratique et aussi réceptif qu’actuellement. Si nous n’agissons pas rapidement, le climat politique se détériorera et nous aurons affaire, dans le Gouvernement allemand, à des personnalités plus difficiles et plus dangereuses. L’expérience des années 1920 nous montre que nous devons soutenir fermement et sans délai les éléments qui dirigent actuellement l’Allemagne si nous voulons qu’ils restent en place. Si ces partis et leurs sympathisants ne sont pas soutenus, des opinions extrémistes se feront jour et la fidélité aux principes démocratiques s’affaiblira. L’URSS encourage activement le développement de tendances antidémocratiques et agressives en Allemagne et se prépare à en tirer pleinement profit.

Un autre aspect de la situation nous fournit une occasion unique d’amener les Allemands à une coopération avec l’Europe occidentale. La rupture actuelle entre l’Est et l’Ouest sur le plan géopolitique est extrêmement dangereuse. Personne n’en doute. Mais la pression exercée par les Soviets sur les Allemands jette ceux-ci dans les bras de l’Europe occidentale. La haine et la peur du communisme et de l’Union soviétique incitent psychologiquement et politiquement les Allemands à préparer sincèrement leur intégration dans l’Europe occidentale. Si nous ne tirons pas avantage de cette opportunité politique, nous risquons de nous retrouver en face d’une Allemagne alignée sur l’Union soviétique ou pensant pouvoir faire monter les enchères.

Il est peu douteux que l’intégration européenne n’a pas été le fruit d’initiatives principalement américaines : ce sont d’abord les résistants et les survivants des camps qui ont décidé de réussir le « plus jamais ça » en empruntant la voie difficile de la réconciliation. Cette voie a été celle d’une proposition française, secrètement validée à Bonn par Konrad Adenauer puis partagée entre six pays fondateurs. Sans cette inébranlable volonté des fondateurs, puisée dans l’immédiat souvenir des horreurs vécues, jamais le plan charbon et acier ni les initiatives suivantes d’intégration n’auraient été acceptées.

Mais il est tout aussi incontestable que ces initiatives, comme il ressort clairement des lignes ci-dessus, ont bénéficié de l’appui américain — et que les États-Unis y ont vu leur intérêt stratégique et sans doute aussi économique dans la prolongation du plan Marshall. 

Il y a deux domaines dans lesquels nous pouvons et devrions agir en priorité. Dans les deux cas, il est essentiel que la France prenne la direction des opérations pour en assurer le succès.

Première puissance démocratique sur le continent, la France se doit de diriger les efforts tendant à obtenir du nouveau Gouvernement allemand sa participation rapide à tous les organismes internationaux, politiques, économiques et sociaux, pouvant être ouverts à l’Allemagne. Cette participation a été envisagée lors de notre récent entretien à Washington ; elle englobe aussi bien des organisations techniques, comme la F.A.O., que des organisations politiques, comme le Conseil de l’Europe. Cela contribuera beaucoup à persuader le peuple et le Gouvernement allemands de notre désir sincère de les voir partager pleinement les droits et les responsabilités de la communauté de l’Europe occidentale. L’autorité de la Haute Commission n’en sort aucunement diminuée. Des rapports plus étroits avec le monde occidental mettront fin à une loyauté chancelante de l’Allemagne face à ses obligations internationales et aux procédures démocratiques ; loyauté particulièrement déficiente durant la période de la domination nazie et de l’Occupation, parce que coupée des sources principales du développement des idées et des institutions qui fondent notre société.

Je pense d’autre part que nous devrions vouer toute notre attention à l’attitude qu’adopteront nos représentants en Allemagne face au Gouvernement allemand en ce qui concerne les affaires intérieures allemandes.

Ces problèmes difficiles touchent directement ou indirectement nos intérêts ainsi que les intérêts allemands ; dans la plupart des cas, nous avons pris l’habitude, au cours des quatre dernières années, de décider pour les Allemands ou d’imposer nos vues à l’Allemagne. Nous allons compromettre tout notre programme si nous ne choisissons pas délibérément de limiter nos pouvoirs dans ces domaines, aussi bien politiques qu’économiques, et si nous ne donnons pas au Gouvernement allemand à la fois matière à prendre des responsabilités dans ces domaines et la capacité d’expliquer au peuple allemand que son Gouvernement agit de sa propre initiative, dans l’intérêt du peuple de l’Allemagne et de l’Europe. Une attitude des plus néfastes va se développer rapidement en Allemagne si l’opinion publique devait se persuader, quoique à tort, que la Haute Commission impose constamment politique et pratiques au Gouvernement allemand.

Nous pourrions bien sûr prétendre, en nous fondant sur le statut d’occupation de l’Allemagne, à ce que les Allemands nous donnent une preuve claire et décisive d’un comportement conforme à notre attente. Mais pouvons-nous nous le permettre, compte tenu du peu de temps dont nous disposons encore ? Ne serait-il pas sage de faire le premier pas et de concéder aux Allemands un crédit politique anticipé, qu’ils n’ont pas encore totalement mérité ? De cette manière, nous pourrions être presque certains que l’Allemagne évoluera selon nos désirs, puisque notre action contribuera à y encourager les forces sur lesquelles nous devons nous appuyer, et rendra moins probable l’éclosion de groupes dont l’action serait, en toutes circonstances, défavorable à notre politique. Je pense qu’il serait sage de prouver notre bonne volonté aux Allemands compte tenu de la solidité du système de garanties que nous avons érigé et de notre capacité de faire usage des pouvoirs que nous nous sommes réservés. Même en nous appuyant sur ces pouvoirs, nous ne serons plus en droit d’espérer des Allemands une volonté de coopérer une fois que nous l’aurons condamnée à mourir d’inanition.

La communauté des pays démocratiques européens a bien été créée avec un fort encouragement américain (et britannique).

Il est tout à fait exact d’affirmer que Washington, ce faisant, n’a pas voulu d’une coalition des Européens en une union puissante — qui d’ailleurs n’aurait guère été envisageable dans l’après-guerre. Pourtant il y avait en germe, dès l’étape de la CECA, des éléments supranationaux — exécutif commun, Cour de justice — et des partages de souveraineté dans des domaines sensibles (charbon/acier). La mise en place de l’union douanière elle-même avait été envisagée par les Américains. L’Europe puissance, à l’issue d’un long processus de développement — élargissements, marché unique, monnaie unique, émergence d’un espace démocratique européen, Conseil européen clé de voûte du système politique — est aujourd’hui, dans un contexte international radicalement changé, à l’ordre du jour. Mais elle est elle aussi, au fond, dans l’intérêt des Etats-Unis, dès lors que ceux-ci souhaitent conserver notre alliance, alors que le poids de nos pays a tant diminué dans le monde. Et, dans le cas contraire, elle est encore plus une nécessité pour tous les Européens. 

C’est donc bien le défi de l’heure. Et, comme en 1949-1950, la France est en mesure d’inviter ses alliés européens à bâtir une coalition politico-militaire solide pour affronter les menaces des nouveaux Empires. Notre réponse exige de dérouler une stratégie de long terme adossée à un sens aigu de l’histoire réelle.

Je crois que notre politique allemande et que le développement d’un gouvernement allemand capable de trouver sa place dans l’Europe occidentale dépendent de l’engagement que votre pays assumera à la tête de l’Europe. Nous avons pris aux États-Unis toute une série d’engagements concernant l’avenir de l’Allemagne, et nous souhaitons vivement honorer les accords qui témoignent des progrès accomplis, et soutenir fermement les institutions mises en place pour les réaliser. Je répète que nous sommes très impliqués dans cette affaire.

Malgré la meilleure volonté du monde d’apporter notre aide et notre soutien, nous ne pouvons prendre ici, en Amérique, aucune initiative. Toute initiative doit venir de la France si nous voulons réussir dans cet effort commun.

Très sincèrement vôtre.
Dean Acheson
À Son Excellence
Monsieur Robert Schuman
Ministre des Affaires étrangères
30 octobre 1949.

Sources
  1.  Nous reproduisons ici la déclaration complète en version originale : 

    Question : Mr. President, on the EU tariffs.  Mr. President, have you made a decision on what level you will seek on tariffs on the European Union ?

    The President :  We have made a decision, and we’ll be announcing it very soon.  And it’ll be 25 percent, generally speaking, and that’ll be on cars and all other things. 

    And European Union is a different case than Canada — different kind of case.  They’ve really taken advantage of us in a different way.  They don’t accept our cars.  They don’t accept, essentially, our farm products.  They use all sorts of reasons why not.  And we accept everything of them, and we have about a $300 billion deficit with the European Union. 

    Now, I love the countries of Europe.  I guess I’m from there at some point, a long time ago, right ?  (Laughter.)  But indirectly — well, pretty directly, too, I guess.  But I love the countries of Europe.  I — I love all countries, frankly.  All different.

    But European Union has been — it was formed in order to screw the United States.  I mean, look, let’s be honest.  The European Union was formed in order to screw the United States.  That’s the purpose of it, and they’ve done a good job of it, but now I’m president.

    Question :    What will happen if these countries or the EU retaliate ?

    The President :  They can’t.  I mean, they can try, but they can’t. 

    Conférence de presse avant la première réunion de son cabinet, le 26 février 2025

     (Source  : Maison Blanche)

  2. Cartographe dans un atelier d’humanistes de Saint Dié des Vosges.
  3. Patrick Weil, Le Président est-il devenu fou  ?, Grasset, mars 2022.
  4. Veronika Heyde, Discussions américaines concernant l’Europe de l’après-guerre (1940-1944), Les cahiers Irice 2008/1 n°1
  5. Olivier Zajec, Nicholas John Spykman, l’invention de la géopolitique américaine, PUPS, 2016.
  6. America’s Strategy in World Politics, 1942.
  7. On voit encore la maison qu’il habita de 1941 à 1945 à Washington, Foxhall Road, tout près des ambassades d’Allemagne et de France. Ses promenades quotidiennes dans le parc Rock Creek tout proche ont sans doute nourri ses réflexions sur les projets d’unification européenne qu’il allait porter quelques années plus tard. Après avoir plaidé sans succès lors de la débâcle de 1940 pour une union franco-britannique, il confie à des journalistes américains, comme il le rappelle dans ses Mémoires, sa vision, pour traiter la question allemande, d’une « Union qui ait le pouvoir d’abaisser les barrières douanières, de créer un grand marché européen, et d’empêcher la reconstitution des nationalismes ». Il existe une proximité assez grande entre ses idées et les réflexions de l’administration américaine, dont il côtoyait alors plusieurs membres. Et Monnet jouera après la guerre, comme on sait, un rôle important dans leur mise en œuvre.
  8. « M. Dean Acheson et M. Robert Schuman confèrent toute la journée au quai d’Orsay », Le Monde, 9 mai 1950.
  9. Elle se produira après l’échec de la Communauté européenne de défense (CED) en 1954.
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