Depuis 2022, Poutine mène une guerre hybride contre l’Europe qui se manifeste par des tentatives d’assassinats, des opérations de sabotage et des incendies criminels qui visent à tester les infrastructures et défenses des pays de l’OTAN. Aux États-Unis, la campagne d’influence du Kremlin se concentre spécifiquement sur la désinformation et la promotion du récit russe via ce que le KGB appelait durant la guerre froide des « mesures actives » (активные меры).
- Pour mener ces opérations, les services russes s’appuient sur des individus capables d’exploiter des divisions pré-existantes au sein de la société américaine. Ainsi, après 2016, le Kremlin a recruté l’ancien policier américain désormais devenu l’un des principaux propagandistes du régime russe : John Mark Dougan.
- Dougan a joué un rôle de premier plan dans la campagne de désinformation Storm-1516, une opération lancée à l’été 2023 qui visait principalement le soutien américain à l’Ukraine, et qui a également cherché à nuire à Kamala Harris et Tim Walz au cours de la campagne présidentielle.
- L’opération russe Storm-1516 a atteint les plus hautes sphères du Parti républicain, le vice-président J.D. Vance (qui n’avait alors pas encore été choisi par Trump) ayant relayé en décembre 2023 une théorie du complot selon laquelle Volodymyr Zelensky aurait acheté des yachts avec l’argent de l’assistance américaine à l’Ukraine.
La victoire de Donald Trump a conduit à l’arrivée au sommet de l’État américain de personnes peu expérimentées, sensibles au récit de propagande russe et principalement tournées vers la satisfaction du président. Ainsi, la composition des équipes désignées par Trump et Poutine pose un constat clair : la délégation américaine, choisie pour sa loyauté envers le président, accuse un net déficit d’expérience en matière de négociation et de connaissance du dossier. Le président russe a quant à lui choisi des diplomates d’expérience, parfaits anglophones et habitués des élites américaines.
Vladimir Poutine a d’ores et déjà tiré profit de l’avantage offert par Donald Trump en obtenant, dès les premières semaines du deuxième mandat du républicain, des concessions majeures.
- Le 12 février, alors en déplacement à Bruxelles pour sa première réunion aux côtés des membres du Groupe de contact pour la défense de l’Ukraine, le secrétaire à la Défense américain Pete Hegseth posait les nouvelles lignes rouges américaines sur l’Ukraine : le retour aux frontières de 2014 est « irréaliste », et l’adhésion de Kiev à l’OTAN est exclue.
- Dans son discours, Hegseth abonde : les garanties de sécurité doivent être robustes, mais précise que cette responsabilité incombe principalement aux Européens. Il ajoute également que si une force de maintien de la paix doit être déployée, ce ne pourrait être qu’une mission hors de l’OTAN, sans application de l’article 5. Il écarte définitivement toute présence de troupes américaines en Ukraine.
- Trump soutient les positions exprimées à Bruxelles par Hegseth et répète régulièrement que l’Ukraine n’accédera pas à l’OTAN, tout en refusant de fournir des garanties de sécurité — mis à part via la prise d’intérêt par des acteurs américains dans des « actifs » ukrainiens (centrale nucléaire de Zaporijia, mines d’extraction de minéraux).
Il n’est pas clair à ce jour quelles concessions américaines ont fait l’objet de discussions préalables entre Trump et Poutine. En plus des deux appels officiels du 12 février puis du 18 mars, Trump a déclaré qu’il avait eu « d’autres appels » avec le président russe depuis son retour au pouvoir — qui n’ont pas fait l’objet de communiqués de la Maison-Blanche ni de déclarations 1.
Poutine anticipe que le président américain doit faire le premier pas car sa crédibilité repose en partie sur sa capacité à obtenir la paix en Ukraine — une des principales promesses de campagne.
- Fiona Hill, conseillère Russie de Trump de 2017 à 2019, a décrit en détail ces dernières années les interactions entre Trump et Poutine par téléphone et lors de rencontres en personne.
- Refusant de s’appuyer sur les notes préparées en amont par ses services et considérant ses proches conseillers et membres de son administration uniquement comme des subalternes, Trump tient à reposer uniquement sur ses aptitudes à « capter l’ambiance », allant jusqu’à ignorer ses propres interprètes 2.
- Lors de la conférence de presse ayant suivi le sommet d’Helsinki de juillet 2018, Trump s’est rangé du côté de Poutine en déclarant qu’il avait plus confiance en la parole du président russe qu’en celle de ses propres agences de renseignement quant à l’implication de Moscou dans la campagne électorale de 2016.
- Quelques mois plus tard, le rapport rédigé par le procureur spécial Robert Mueller établissait les preuves d’une opération d’influence politique russe contre les États-Unis.
Soucieux d’apparaître lui aussi comme un homme fort, Trump admire la capacité qu’à Poutine de « diriger la Russie comme s’il s’agissait de sa propre entreprise privée », et parle sur un ton laudateur de l’homme « le plus riche du monde », selon des rumeurs auxquelles le président américain aurait cru sur parole 3.
Lors de l’échange violent avec Zelensky dans le Bureau ovale en février, Trump a donné un aperçu de la perception qu’il avait de sa relation avec le président russe : « Poutine en a bavé avec moi. Il a traversé une fausse chasse aux sorcières où ils l’ont utilisé, ainsi que la Russie, la Russie, la Russie, la Russie. Vous avez déjà entendu parler de cette affaire ? C’était un mensonge […] Tout cela n’était qu’une escroquerie. Et il a dû supporter tout cela ».
Poutine et ses négociateurs patientent donc que Trump fasse, de lui-même, des concessions. Contrairement à Poutine, pour qui le temps n’est pas un obstacle, le président américain se doit de produire des résultats — rapidement.
- Michael McFaul, ancien ambassadeur américain à Moscou sous Obama et qui a pris part aux négociations avec la Russie sur le traité New START, considère que l’administration Trump a concédé à Poutine « plus que ce à quoi il s’attendait » 4.
- En déclarant que les protocoles d’Istanbul de début 2022 — fruit des négociations initiales entamées par la Russie et l’Ukraine dans les premiers mois de l’invasion — offraient des « repères » pour un futur accord de cessez-le-feu, l’envoyé spécial de Trump Steve Witkoff a signalé être favorable à une Ukraine dépossédée de ses moyens de défense.
- La version du « Traité sur la neutralité permanente et les garanties de sécurité pour l’Ukraine » du 15 avril 2022 dresse les contours d’une Ukraine en tant qu’État « neutre permanent » dont la Grande-Bretagne, la Chine, la Russie, les États-Unis et la France seraient les « garants de la sécurité » 5.
- Kiev renoncerait à son droit de rejoindre des alliances militaires (dont l’OTAN), de conclure des accords de sécurité avec d’autres pays et « d’accueillir du personnel militaire étranger » sur son sol — ce qui reviendrait à rendre inconstitutionnelle toute force européenne de maintien de la paix en Ukraine.
La stratégie de Poutine consiste à formuler des demandes maximalistes dans l’espoir que les États-Unis acceptent une version légèrement plus modérée de ces demandes, et contraignent par la suite l’Ukraine à les accepter. Selon des discussions à huis clos qu’aurait eu Poutine avec des hommes d’affaires russes avant l’appel du 18 mars avec Trump, les prochaines revendications de Poutine pourraient porter sur l’exigence de la reconnaissance des quatre oblasts ukrainiens partiellement occupés (Louhansk, Donetsk, Kherson et Zaporijia) comme faisant partie intégrante du territoire russe 6.
Sources
- Byron York, « Trump reveals he has been speaking to Putin for weeks as he hails energy and infrastructure ceasefire agreement », The Washington Examiner, 18 mars 2025.
- Dan Kurtz-Phelan, « What Does Trump See in Putin ? A Conversation With Fiona Hill », Foreign Affairs, 13 mars 2025.
- Fiona Hill, « The Kremlin’s Strange Victory. How Putin Exploits American Dysfunction and Fuels American Decline », Foreign Affairs, 27 septembre 2021.
- МАКФОЛ | заяви Трампа | надія росіян на “перезавантаження” | майбутнє підтримки України, YouTube, 23 février 2025.
- Treaty on Permanent Neutrality and Security Guarantees for Ukraine, Draft as of 4/15/2022 (12.15) Sent to the President of the Russian Federation on April 15, 2022.
- Andreï Kolesnikov, « Бюро побеждает зло. Как Владимир Путин и Александр Шохин на съезде РСПП противостояли всякому злу, в том числе и мировому », Коммерсантъ, 18 mars 2025.