Donald Trump est fondamentalement convaincu qu’un accord de cessez-le-feu est à portée de main, après avoir eu des « riches » conversations avec Vladimir Poutine et Volodymyr Zelensky au cours des derniers jours. Rejetant les motivations impérialistes russes ayant conduit à l’invasion de la Crimée en 2014 puis à l’invasion à grande échelle en 2022, le président américain considère que des accords économiques « favorables » — surtout — à la Russie mais également à l’Ukraine seraient suffisants pour parvenir à la paix.

Pour cela, Trump a exploré plusieurs stratégies, dont certaines semblent d’ores et déjà avoir été avortées.

  • L’accord sur les minéraux ukrainiens — notamment les terres rares —, dont la première version a été refusée par Kiev avant d’obtenir une deuxième version plus favorable à l’Ukraine, semble aujourd’hui abandonné. La porte-parole de la Maison-Blanche a fait savoir hier, mercredi 19 mars, que Washington a « dépassé le cadre de l’accord économique sur les minéraux » et se concentre désormais « sur un accord de paix à long terme » 1.
  • L’accord, qui semblait pourtant être au cœur de la stratégie de Trump, avait en partie conduit à l’échange explosif de la Maison-Blanche du 28 février dernier. Le président ukrainien, qui devait signer ce jour-là l’accord sur les minéraux, avait quitté Washington sans apposer sa signature sur le document.
  • Émanant d’une idée suggérée pour la première fois par le sénateur républicain et proche de Trump Lindsey Graham, lors d’un de ses voyages en Ukraine en 2024, l’accord devait générer « des milliers de milliards de dollars » et bénéficier mutuellement à l’Ukraine et aux États-Unis.
  • La mise en avant par Trump de ces chiffres avait surpris nombre d’experts, qui mentionnaient notamment les relevés géologiques datant de l’époque soviétique sur lesquels se basaient ces estimations. La mise en place d’infrastructures, notamment de mines permettant l’extraction de ces ressources, prendrait également plusieurs années voire une décennie.
  • Trump a également exprimé sa volonté de conclure un accord sur les terres rares avec la Russie. C’est Poutine qui a signalé pour la première fois fin février son ouverture à un potentiel « deal » avec Trump portant sur l’extraction de ressources minières en Russie, par ou en coopération avec des entreprises américaines. 
  • S’inspirant vraisemblablement de l’intérêt prononcé de Trump pour les minerais ukrainiens, le président russe a appliqué le playbook de son homologue américain en vantant ses « réserves massives » de terres rares. La stratégie, qui vise à détourner l’attention de Trump du conflit en se concentrant exclusivement sur les opportunités économiques post-guerre, semble avoir fonctionné.
  • Le 24 février, lors d’une conférence de presse à la Maison-Blanche aux côtés d’Emmanuel Macron, Trump déclarait : « [La Russie] est un très grand pays, en fait c’est le plus grand en termes de territoire, et ils ont des ressources très précieuses que nous pourrions utiliser. Et nous avons quelque chose qui pourrait leur être utile. Il serait bon que nous puissions établir une telle coopération ».
  • La Russie dispose d’un autre atout que Trump souhaite exploiter : son potentiel immobilier. Dans son premier entretien suivant l’appel avec Poutine du 18 mars, le président américain déclarait : « Ils [les Russes] possèdent des éléments très précieux pour nous, notamment des terres rares. Ils possèdent une grande part de potentiel immobilier [a big chunk of real estate], la plus grande au monde. Ils ont des choses que nous pourrions utiliser » 2.

Afin de traiter avec Trump, qui dispose grâce à l’assistance apportée à l’Ukraine (suspendue puis reprise) et les sanctions économiques sur la Russie (discrètement renforcées ces dernières semaines, notamment contre le secteur énergétique) d’une influence sur les deux belligérants, Zelensky et Poutine ont tous deux développé une approche « pro-business » visant à appâter le président américain, peu importe la faisabilité réelle des deals.

  • Ainsi, le négociateur russe Kirill Dmitriev a participé à des réunions secrètes avec la partie américaine sur la réouverture du gazoduc Nord Stream 2 (que Trump se vante pourtant en public d’avoir « totalement arrêté » 3).
  • Dimitriev a également signalé fin février via une vidéo publiée sur X l’engouement de la Russie vis-à-vis d’une coopération russo-américano-saoudienne en matière d’exploration spatiale, avec pour objectif la conquête de Mars dans une fusée SpaceX.
  • Dmitriev a aussi déclaré le 18 mars qu’une rencontre avec Elon Musk était prévue « pour bientôt ». Celle-ci devrait servir « de plateforme pour discuter des questions clés du développement technologique et de l’avenir de l’humanité », selon le négociateur russe 4.

L’approche de Trump pour mettre fin à la guerre a pour conséquence d’évacuer toute substance des discussions portant sur l’accord de cessez-le-feu — qui aura un impact direct sur la sécurité du continent européen. En-dehors de la sphère médiatique, Trump et ses négociateurs discutent également avec leurs homologues russes et ukrainiens de deals annexes qui ne concernent ni les garanties de sécurité qui seront apportées à l’Ukraine, ni la question des nouvelles « frontières » susceptibles d’émerger suite à la fin des combats. 

  • Pendant son appel avec Vladimir Poutine mardi 18 mars, le président américain a notamment discuté de l’organisation future de matchs de hockey russo-américains impliquant des jours de la NHL (la ligue nord-américaine, regroupant le Canada et les États-Unis) et de la KHL (la ligue eurasiatique).
  • Une autre idée suggérée par Trump pendant son appel avec Zelensky du 19 mars, reçue par une stupéfaction généralisée parmi les experts du conflit, consiste en l’exploitation par des entreprises américaines de la centrale nucléaire de Zaporijia, actuellement à l’arrêt.
  • L’idée, qui devait vraisemblablement être discutée avec Poutine la veille, selon Steve Witkoff, n’a pas été mentionnée dans le communiqué suivant l’appel avec le président russe. Reprenant l’argument mobilisé par Trump pour justifier l’accord sur les minéraux, la Maison-Blanche revendique que la prise d’intérêt par des acteurs américains dans des « actifs » ukrainiens serait suffisante pour dissuader la Russie d’attaquer Kiev à l’avenir.
  • La porte-parole de la Maison-Blanche, Karoline Leavitt, a ainsi déclaré : « Si les États-Unis en étaient propriétaires [de la centrale nucléaire de Zaporijia], cela offrirait la meilleure protection possible à cette infrastructure et permettrait de répondre aux besoins énergétiques de l’Ukraine ».
  • Or, la centrale de Zaporijia — la plus importante en Europe — est aujourd’hui sous contrôle de l’armée russe, et constitue un élément de pression majeur pour Moscou. Il est difficile pour l’heure d’imaginer pourquoi Poutine accepterait de se retirer de la centrale pour permettre à l’Ukraine d’en confier l’exploitation aux États-Unis.

Les minéraux, les infrastructures et les terres constituent pour Trump des « actifs » qu’il estime être en droit « de se répartir » entre la Russie et les États-Unis, selon des propos exprimés par le président américain dimanche 16 mars 5.