Les hommes de Georgescu : enquête sur le changement de régime en Roumanie

Dans l’après-midi de ce mercredi 26 février, Călin Georgescu, l’homme fort de l’extrême-droite roumaine a été arrêté puis libéré. C’était le moment le plus visible d’une enquête beaucoup plus large du Parquet roumain sur une organisation souterraine. Dans la journée, les autorités roumaines avaient mené 47 perquisitions dans les départements de Sibiu, Mureș, Timiș, Ilfov et Cluj, visant 27 individus et 4 entités juridiques.

Les autorités ont confisqués les éléments suivants :

Plus de 25 kilogrammes d’or sous forme de lingots
Plus de 3,3 millions de dollars
Plus de 700 000 lei
43 000 euros
13 000 dirhams
21 000 dinars serbes
Plus de 40 chargeurs pour armes létales de différents calibres
51 grenades militaires offensives et défensives
44 projectiles de lanceur
21 pistolets létaux, principalement de calibre 9×19 mm
7 pistolets/mitrailleuses létaux de calibres 7,62 mm et 7,65 mm
Plus de 20 boîtes de munitions létales
6 pièces d’armes
4 matériaux explosifs
2 lance-grenades
Un détonateur
Une lunette de visée. ¹

Călin Georgescu – donné à plus de 45 % dans les sondages – semble être à la tête d’un réseau décidé à démenteler l’ordre constitutionnel roumain en s’appuyant sur une organisation parallèle armée illégalement, disséminant la haine fasciste, raciste, xénophobe et antisémite grâce à des influencers et un accès privilégié à Facebook et TikTok.

Pour comprendre la couleur et la mesure du projet qui se déploie actuellement dans l’un des pays clefs de l’Europe centrale, avec le soutien proactif de la Maison-Blanche de Donald Trump, nous avons isolé les personnes clefs pour analyser leurs profils.

Ce nouvel épisode dans la séquence ouverte le 4 décembre par l’annulation de l’élection présidentielle du 24 novembre en raison d’ingérences russes a permis de faire la lumière sur un projet très structuré, organisé autour de plusieurs personnes clefs – fondamentalement inconnues en Europe.

1 — Horațiu Potra : le Prigojine franco-roumain

Proche de Călin Georgescu dont il est à la fois un associé, le garde du corps et l’homme de main, Horațiu Potra est l’une des figures clefs de l’enquête commencée ce mercredi à Bucarest. C’est chez lui que l’on a trouvé 900 000 euros en liasses de billets de 100 dollars dans une cache sous le parquet ².

Surnommé le Prigojine de Roumanie — il entretient une ressemblance physique avec le mercenaire russe — Horațiu Potra est à la tête d’un réseau paramilitaire international qui a déjà été associé aux intérêts du groupe Wagner et qui est désormais profondément installé en Roumanie grâce à une campagne de recrutement de centaines de membres des forces de l’ordre roumaines : gendarmes, policiers, militaires du ministère de la Défense (MApN), agents du renseignement (SRI) et officiers du Service de protection et de sécurité (SPP) ³.

Né en 1970 à Mediaș dans une petite ville de la transylvanie, Potra a servi dans la Légion étrangère française entre 1992 et 1997. Il est devenu par la suite garde du corps, d’abord de l’émir du Qatar, Hamad ben Khalifa Al Thani, par la suite du président Ange-Félix Patassé en République centrafricaine, avant de mettre en place un réseau de mercenaires en Afrique (RALF-ROLE ⁴) sous le pseudonyme « Lieutenant Henry », en se spécialisant dans le commerce de diamants et dans le trafic d’armes.

Les enquêtes de Turnul Sfatului et de Deutsche Welle en janvier 2023 l’ont associé aux intérêts du groupe Wagner en République démocratique du Congo ⁵.

Il est apparu pour la première fois dans l’espace public roumain en 2012, lorsqu’une enquête de Mihai Munteanu, alors reporter du RISE Project, a révélé les mécanismes par lesquels Potra blanchissait son argent via l’Église orthodoxe roumaine, en Roumanie et en Sierra Leone ⁶.

Potra a un passé judiciaire chargé, marqué par des affaires criminelles et des enquêtes pénales. En 2011, il a été arrêté par la police roumaine chargée du crime organisé pour trafic de drogue et condamné à 2 ans et 8 mois de prison avec sursis pour violation de la réglementation sur les armes et munitions. Dès 2012, des enquêtes ont révélé son implication dans plusieurs opérations militaires en Afrique, ainsi que dans le trafic d’armes et de diamants, avec des fonds blanchis via l’Église orthodoxe roumaine ⁷.

En 2020, il a menacé le directeur général l’entreprise publique roumaine spécialisée dans l’exploitation des hydrocarbures (SNGN Romgaz), affirmant qu’il serait enlevé et emmené en forêt s’il « oubliait qui l’avait placé là ». À cette époque, son employeur était Frank Timiș, un homme d’affaires roumano-australien spécialisé dans des projets de projets miniers et pétroliers en Afrique, qui négociait avec Romgaz un contrat visant à accroître la production de gaz ⁸. Selon des informations rapportées par G4Media.ro, Călin Georgescu aurait sollicité entre 20 et 35 millions de dollars auprès de Frank Timiș, par l’intermédiaire de Potra, pour financer  sa campagne électorale. En échange, une fois élu, Georgescu aurait promis à Timiș un accès aux ressources aurifères de la Roumanie ⁹ et aurait affirmé bénéficier du soutien d’Américains ayant travaillé sur la campagne de Trump et sur le Brexit. 

Entre 2015 et 2018, Potra a encaissé près de 8 millions de dollars pour protéger les intérêts économiques du Parti communiste chinois en Afrique, recevant ces fonds via une société offshore basée à Malte. Pendant cette période, lui et sa brigade ont sécurisé des mines et des infrastructures stratégiques en Sierra Leone pour le géant métallurgique chinois Shandong Steel. Une partie de ces revenus, plus de 3,5 millions de dollars, a été redistribuée à travers des circuits opaques : virements personnels, un autre compte offshore au Panama et une société ouest-africaine ¹⁰.

Introduit dans les cercles des grandes entreprises chinoises par Frank Timiș, connu pour le scandale de Roșia Montană, Potra a vu ses opérations offshore dévoilées à la suite d’un conflit avec l’un de ses hommes de paille. Ce différend a conduit à des litiges en Roumanie, exposant des documents financiers qui ont été récupérés par les journalistes de Captura et RISE Project.

2 — Marian Motocu : l’obsession du « complot juif »

« Embrassons notre passé, assumons notre histoire, assumons nos ancêtres. Le temps viendra où nous n’aurons qu’un seul livre d’histoire national, un pays à nous, un pays pour ceux d’entre nous qui suivent une lignée ancestrale, pour ceux qui comprennent ce qu’a signifié le sacrifice de nos ancêtres et qui savent que nous sommes ce que nous sommes et que nous ne serons que ce que nous sommes. Merci à tous ! » ¹¹

Călin Georgescu a prononcé ces mots apparemment patriotiques pour soutenir Marian Motocu après son interpellation le 18 décembre 2024 dans le cadre d’une enquête pour incitation à la haine et à la violence antisémite.

Marian Motocu est un homme de 53 ans originaire de Craiova, une ville située à mi-chemin entre les Carpates méridionales et le Danube, à 200 kilomètres à l’ouest de Bucarest. Sans emploi connu, il déclare subvenir à ses besoins par les dons de ses followers sur les réseaux sociaux, mais plusieurs sources ont laissé penser à des financements occultes. Se présentant comme le fondateur du mouvement nationaliste « Mișcarea 41 pentru România » (Mouvement 41 pour la Roumanie) — 1941 est la date de l’entrée en guerre de la Roumanie à côté du IIIe Reich et de la tentative de coup d’État des Gardes de Fer contre Antonescu —, il est particulièrement actif sur Facebook où il dirige les publications d’une série de comptes complotistes ¹² et sur TikTok, les deux principales plateformes numériques en Roumanie.

Selon l’enquête de la justice roumaine, entre le 10 mars 2022 et le 7 décembre 2024, il a publié vingt-neuf vidéos dénonçant un « complot juif », appelant à une mobilisation de masse pour purifier la Roumanie des influences étrangères et incitant en particulier ses partisans à la « haine et à la violence contre les Juifs ». 

Marian Motocu a fait du révisionnisme historique sa marque de fabrique. Dans ses vidéos et ses meetings il porte la croix de fer autour du cou ou des t-shirts faisant référence au Mouvement légionnaire — l’extrême droite historique en Roumanie, alliée au régime nazi et responsable de l’un des plus violents moments de la Shoah — tout en contribuant à la diffusion de plus en plus large de discours niant le génocide des Juifs en Europe. 

Dans l’une de ses vidéos TikTok, on peut le voir à côté d’un prêtre orthodoxe qui le bénit, avant de tenir ces paroles : « Chaque jour, au cours des 32 dernières années [date de la chute du régime de Ceaușescu], nous les avons laissés marcher sur nos têtes. Pendant ces 32 années, nous n’avons jamais eu de président roumain ; ce sont les Juifs qui nous ont gouvernés. Ce sont eux qui ont adopté des lois pour nous poursuivre, ce sont eux qui nous donnent des millions et des milliards d’amendes pour un seul objectif : que nous nous levions jamais pour être libres de leur joug » ¹³. 

Parmi ses publications  : des vidéos dans lesquelles il diffuse des théories du complot, nie l’Holocauste et utilise des symboles inspirés de la Garde de Fer, l’un des principaux mouvements fascistes roumains du XXe siècle. Il s’en est notamment pris au professeur Marcel Bartic, organisateur de la « Marche pour la démocratie », qu’il a menacé de torture physique et de meurtre.

Marian Motocu a été placé en garde à vue pour 24 heures et le parquet doit statuer sur une éventuelle mise en détention préventive. Son cas est mentionné dans le rapport 2023-2024 de l’Institut Elie Wiesel, qui souligne la virulence de son discours antisémite et ses tentatives d’organiser un mouvement d’extrême droite en Roumanie. Une perquisition à son domicile a permis de saisir du matériel en lien avec ses activités ainsi que des armes blanches.

3 – Mario Nawfal : X et la viralité d’Elon Musk

Né au Liban en 1994, Mario Nawfal a grandi en Australie et possède la nationalité australienne ainsi qu’un permis de séjour aux Émirats arabes unis. 

Spécialiste des cryptos, c’est un influenceur particulièrement présent sur X, où il incarne le type de figures qu’Elon Musk cherche à mettre en avant pour désintermédier les médias traditionnels (qu’il appelle « legacy media ») en façonnant un nouveau modèle d’information passant directement par les réseaux sociaux. Son show Roundtable se présente comme la principale émission de « journalisme citoyen » au monde et propose des entretiens vidéo avec des personnalités politiques et publiques, qui peuvent atteindre jusqu’à 35 millions de visualisations. Parmi ses invités, on trouve les figures de l’internationale réactionnaire propulsée par le Kremlin, de l’ancien président du Brésil, Jair Bolsonaro, à l’actuel président du gouvernement slovaque, Robert Fico ; du dictateur bélarusse Aleksandr Lukashenko — avec qui il vient de s’entretenir ce 27 février — à Călin Georgescu. 

C’est au compte de Nawfal que Georgescu confie les appels qu’il partage avec la communauté trumpiste sur X, comme celui-ci partagé après son arrestation par la justice roumaine : « J’ai un message important pour le président Trump et le vice-président Vance : nous reconnaissons les États-Unis comme le porte-drapeau de la démocratie. Car seul ce drapeau de la démocratie donne et reçoit le respect du monde entier. Ainsi, mon message, surtout à la lumière des événements d’hier, est le suivant : si, par accident ou non, la démocratie échoue dans n’importe quel pays, alors les États-Unis échouent aussi. Les États-Unis doivent protéger ce drapeau. C’est évident, c’est le point le plus important. L’Amérique est le véritable symbole de la démocratie, et tout le monde le reconnaît. Dans cet esprit, j’exhorte fermement le président Trump à prendre cette situation au sérieux et à comprendre qu’il ne s’agit pas d’un jeu. Nous, le peuple, faisons face à un État profond, et c’est le moment de forger un partenariat basé sur un seul mot : liberté. »

C’est grâce à lui que Georgescu parvient à mobiliser jusqu’au compte d’Elon Musk (219 millions d’abonnés), particulièrement présent dans son soutien ces derniers jours. L’homme le plus riche du monde a par exemple écrit cette semaine sur X : « Ils viennent d’arrêter la personne qui a remporté le plus de voix lors de l’élection présidentielle en Roumanie. C’est de la folie (This is messed up). ». Il avait auparavant qualifié de « tyran » le président du tribunal.

Le propriétaire de X avait également partagé un post sur la plateforme publié par l’un des influenceurs MAGA les plus vocaux, Jack Posobiec, mettant en scène un dialogue imaginaire à la suite du discours de J. D. Vance à Munich.

4 — George Mocanu : « dératiser la Roumanie »

Lors d’une conversation interceptée, Motocu discute avec Călin Georgescu d’un événement qu’il organise en février, tandis que ce dernier évoque un « plan » et une « stratégie » qu’il est le seul à connaître.

Georgescu lui recommande de rester « proche » de George Mocanu : « Et je dis simplement ceci : reste proche de cet homme, au-delà de toute autre opinion que tu pourrais avoir » ¹⁴. 

Ayant vécu 33 ans au Canada, il est un participant fréquent aux manifestations pro-Georgescu et a aidé à recueillir des signatures pour sa candidature à la présidence. Il nie tout rôle plus important dans le dispositif et déclare souhaiter que la Roumanie soit « dératisée des canailles, des poux, des oxyures, des amibes et des paramécies ».

Il a également fondé une ONG, Uniunea Patriocrată (« L’Union Patriocrate »), dont l’objectif est « le respect des valeurs nationales, des valeurs universelles de liberté et de dignité humaine, ainsi que des valeurs identitaires et traditionnelles du peuple roumain » ¹⁵.

5 — Andrew et Tristan Tate : au pays des « rois de la masculinité toxiques »

Andrew Tate, ancien kickboxeur britannique, se déclarant lui-même « misogyne » est l’une des figures de proue de la « manosphère » sur les réseaux sociaux.

Né en 1986 à Washington D.C. d’une famille aisée — son père est un champion d’échecs — Tate se fait connaître en remportant plusieurs championnats de kickboxing. Mais ce sont les controverses que suscitent ses prises de position radicales ouvertement sexistes et violentes sous couvert d’un discours « redpill » incitant les hommes à retrouver leur rôle de dominants. Il devient en quelques années l’un des figures les plus visibles et les plus extrêmes des cercles masculinistes. Depuis le 7 octobre 2023, Andrew Tate a également fait ouvertement l’apologie des attaques terroristes du Hamas, déclarant par exemple en octobre dernier qu’il aimerait mourir héroïquement comme Yahya Sinwar ¹⁶.

Son frère Tristan partage une trajectoire similaire. Ensemble, ils cultivent auprès de leur communauté une image — totalement fabriquée — d’hommes d’affaires à succès dans le but de monétiser leur visibilité.

En décembre 2022, les deux frères sont arrêtés par les autorités roumaines dans le cadre d’une enquête sur des accusations de traite d’êtres humains, d’agression sexuelle et de formation d’un groupe criminel organisé. Selon les autorités, ils auraient exploité des femmes en les contraignant à produire du contenu pornographique dans le cadre de leur entreprise en ligne. L’enquête révèle que les frères Tate auraient utilisé leur société pour manipuler, attirer et exploiter des jeunes femmes, leur promettant de l’argent en échange de leur participation à des vidéos. Andrew Tate a nié en bloc ces accusations, arguant qu’il était victime d’un complot et a affirmé qu’il s’agissait d’une tentative de le faire taire en raison de ses opinions controversées.

Le 27 février, lendemain de la vaste opération ayant conduit à l’arrestation de Georgescu, la Roumanie, cédant semble-t-il à la pression américaine, a levé soudainement l’interdiction de quitter le territoire contre les frères Tate — toujours suspectés des chefs d’accusation susmentionnés — qui sont arrivés aux États-Unis le jour même.

Les liens entre les Tate et le premier cercle Trump sont nombreux. En janvier, Elon Musk répondait sur X à une vidéo à propos de la possible candidature d’Andrew Tate comme Premier ministre britannique avec le commentaire : « il n’a pas tort ». C’est d’ailleurs Musk qui avait rétabli le compte de Tate sur ce réseau après que celui-ci en eut été banni. Tate a également rencontré l’influent fils du président américain Donald Trump Jr. à la Trump Tower de New York en 2017 et celui-ci lui a renouvelé son soutien en 2023.

Comme le rapportait le Financial Times ¹⁷, l’administration américaine semble avoir fait pression au plus haut niveau pour la libération des frères Tate, l’envoyé spécial de Trump Richard Grenell ayant directement évoqué ce sujet avec le ministre des Affaires étrangères roumain à la conférence de Munich sur la sécurité.

Au début du mois, Andrew Tate avait déclaré : « Les Tate seront libres, Trump est le président. Les beaux jours sont de retour. » (« The Tates will be free, Trump is the president. The good old days are back »)

Adulé des influenceurs conservateurs comme Tucker Carlson, la figure de Tate divise pourtant au sein de ce camp pour des raisons morales : même le sénateur trumpiste Josh Hawley, une figure particulièrement extrême dont nous avions fait le portrait dans ces pages, a critiqué sur X le retour des frères Tate aux États-Unis ¹⁸. 

6 — Cherchez la femme : Cristela Georgescu et les conseils bien-être

En 2006, Cristela Elena Georgescu, alors connue sous le nom de Moldoveanu, était l’une des cinq directrices générales adjointe de CitiBank Roumanie SA. Un an plus tard, selon les documents officiels de la banque, elle avait pris le nom de Georgescu.

Aujourd’hui, elle se présente comme « une praticienne et éducatrice holistique expérimentée, spécialisée en santé naturelle, nutrition intégrative, détoxification et régénération cellulaire, iridologie clinique et thérapies d’équilibrage énergétique » ¹⁹.

Elle a déclaré : « à 34 ans, on m’a dit qu’il ne me restait plus que trois mois à vivre. La médecine a haussé les épaules et m’a renvoyée chez moi. Un médecin ayant la foi en Dieu, qui n’était pas orthodoxe mais pour lequel j’ai reçu la bénédiction de mon père spirituel, m’a aidée à comprendre que lorsque l’on a la foi, on ne peut qu’en sortir vainqueur. J’ai traversé la vallée de l’ombre de la mort » ²⁰.

Sur son site, elle met en avant plusieurs diplômes.

On peut également y lire : « Cristela souhaite que les gens comprennent que la santé de chacun est entre leurs propres mains et que son maintien est plus important que la guérison. C’est pourquoi ses activités mettent l’accent sur la prévention, la seule forme de ‘médecine’ conforme au plan naturel. Et en cas de besoin, la guérison s’opère par la compréhension, le respect, la favorisation et la stimulation des processus curatifs déclenchés par l’organisme (qui est en réalité son propre médecin), en utilisant le pouvoir des plantes, des aliments biologiques naturels, des thérapies naturelles et des principes de vie qui respectent les Lois de la Nature » ²¹.

On peut comprendre certaines prises de parole complotistes de Călin Georgescu à la lumière du parcours de son épouse. 

Lors d’une conférence en 2017, celui-ci a notamment affirmé que la chimiothérapie n’avait aucun effet bénéfique et que les vaccins rendaient les enfants malades. 

• « Prenons le cancer. Le taux de mortalité des personnes atteintes de cancer dans le monde est d’environ 97 % avec le traitement utilisé par chimiothérapie. Qu’est-ce que la chimiothérapie ? Pourquoi ne pas se poser une question simple ? C’est un acide. Et si nous prenons le pH du sang, qui est de 7,3 ou 7,4, tout ce qui est alcalin est synonyme de vie, tout ce qui est acide est synonyme de mort ». « Alors comment puis-je croire que je peux introduire un acide dans mon corps et guérir ? C’est tout le contraire. Parce que tout est séparé de l’âme. Toute la médecine allopathique sépare tout de l’âme, et rien n’est compris. Car en réalité, chez Hippocrate, la médecine signifiait une compréhension profonde visant à remettre les choses en ordre ».  
• « Il en va de même pour le vaccin. Comment puis-je croire une telle chose ? D’un enfant en bonne santé, on fait un enfant malade, pour une raison très simple : la maladie apparaît lorsque le système immunitaire est affaibli. Or le vaccin ne renforce pas le système immunitaire, il l’affaiblit » ²².

7 — Dan Puric, Dan Grăjdeanu : la connexion orthodoxe

L’archevêque de Tomis, Teodosie Petrescu, a reçu une réprimande écrite du Saint-Synode ²³ après avoir décrit Călin Georgescu dans un entretien avec Le Figaro comme « davantage un homme de Dieu qu’un politicien. C’est un croyant, petit-fils et arrière-petit-fils de prêtre, qui défend les valeurs chrétiennes et s’intéresse à la vie quotidienne des Roumains ». Dans le même entretien, il a également salué le président russe Vladimir Poutine, le décrivant comme « un homme de réconciliation et un bâtisseur d’églises » ²⁴.

Les liens de Georgescu avec l’Église orthodoxe ont fait l’objet de plusieurs enquêtes dans la presse roumaine : il a bénéficié du soutien ouvert tout au long de la campagne de plusieurs prêtres, ce qui a conduit l’Église à publier après le vote du 24 novembre un communiqué déclarant : « Le Saint-Synode réitère le fait que l’Église orthodoxe roumaine ne recommande le soutien d’aucun parti ni d’aucune idéologie politique, mais encourage tous les citoyens à faire des choix selon des critères visant à assurer le bien du pays et à promouvoir les valeurs chrétiennes dans la société » ²⁵.

Deux noms relient Georgescu, l’Église orthodoxe et les groupuscules néo-légionnaires : Dan Puric et Dan Grăjdeanu.

Selon Adina Maricean, chercheuse à l’Institut Elie Wiesel d’études sur l’Holocauste en Roumanie, « Călin Georgescu entretient des liens avec diverses personnes qui se sont fait remarquer au fil du temps au sein de ces groupes néo-légionnaires, comme Dan Puric ou Dan Grăjdeanu, des individus ayant participé à plusieurs reprises à des événements néo-légionnaires, aux côtés de l’archevêque Teodosie ainsi que d’autres dignitaires ecclésiastiques ». Et encore : « Georgescu organisait, en collaboration avec la Frăția Ortodoxă, une organisation néo-légionnaire déjà bien connue, des camps de travail. Les camps de travail sont une pratique que les fraternités orthodoxes organisent depuis de nombreuses années. En 2021, Dan Grăjdeanu a invité des volontaires et des membres des fraternités orthodoxes de tout le pays à participer à un camp de travail à Petru Vodă, au monastère de Paltin, un monastère connu comme un foyer néo-légionnaire (…). Il est intéressant de noter que, dans ce camp de travail, Grăjdeanu affirme très clairement que le rassemblement a eu lieu à l’appel de Călin Georgescu » ²⁶.

85 % de la population du pays se déclare orthodoxe et les centaines de personnes rassemblées devant le parquet de Bucarest le 26 février pour protester contre l’arrêt de Georgescu, se sont mises à prier. Dans son message publié après le premier tour, le 24 novembre, Georgescu adoptait un ton messianique : « Je vous remercie pour tout ce que vous avez fait. Pour votre effort, votre dévouement et votre sacrifice. Ce fut grandiose. Ce fut la loi de la multiplication miraculeuse du Christ, celle des cinq pains et des deux poissons, qui se sont multipliés à 2 120 404. Nous remercions également ceux qui n’ont pas voté pour nous, mais que nous attendons à nos côtés, pour être ensemble, car ce qui nous unit en tant qu’êtres humains, c’est l’amour. Nous sommes tous d’un même esprit. Dieu. Car c’est lui qui nous unit et à qui nous avons donné notre vote, c’est notre lien. Et le peuple roumain, qui a vécu dans l’obscurité jusqu’à présent, a maintenant vu la grande lumière, car Dieu est avec nous ».

8 — Eugen Sechila et Elena Puiu : organiser une nouvelle Nuit de cristal en Roumanie

Parmi les partisans de Călin Georgescu, on trouve également des personnes ayant des sympathies légionnaires explicites et assumées.

Eugen Sechila et son épouse Elena Puiu en sont un exemple : ils apparaissent à plusieurs reprises à côté de Georgescu, y compris pour le lancement de l’association « Pâmântul Strămoșesc », une référence au journal qui circulait dans les groupes légionnaires pendant l’entre-deux-guerres.

Selon Adina Marincea, Sechila a combattu dans la Légion étrangère et il organise des camps d’endoctrinement légionnaire pour les enfants. Son épouse, Elena Puiu, est présidente de l’Association « Gogu Puiu și Haiducii Dobrogei » est la nièce du légionnaire du même nom ²⁷. L’association serait d’ailleurs, selon Europa Libera, une « organisation satellite » de la Fundaţia Ion Gavrilă Ogoranu, fondée en 2008, elle-même l’héritière du parti néo-légionnaire Partidul Totul pentru Țară/Partidul pentru Patrie créé en 1993 par un groupe d’anciens légionnaires (depuis interdit par la loi) qui avait repris le même nom que celui utilisé après la dissolution de la Garde de fer ²⁸.

Parmi les messages sur la page Facebook d’Elena Puiu on retrouve : « Le samedi 24 septembre (2022), nous commémorons la Nuit de cristal en Roumanie, lorsque, sur ordre du roi Carol II, plus de 250 légionnaires de premier plan ont été exécutés » ou bien : « Un Roumain absolu doit être un légionnaire » ²⁹. 

9 — George Simion : l’extrême droite ne trahit pas

Âgé de 38 ans, George Simion est un homme politique et militant engagé initialement en faveur de l’unification de la Roumanie et de la Moldavie. Il est né à Focșani, à l’est de la Roumanie. Après des études à l’Université de Bucarest et à l’Université Alexandru Ioan Cuza de Iași (situé dans la Moldavie Roumaine), il se lance dans des activités militantes et crée plusieurs organisations pour soutenir les droits des Moldaves roumanophones, lui valant des interdictions d’entrée en Moldavie.

Simion se lance en politique en 2019 en se présentant comme candidat indépendant aux élections européennes. Il prône un message « anti-parti » et s’engage à défendre les droits des minorités roumaines. Bien qu’il n’ait pas réussi à obtenir de siège, il fonde le 1er décembre 2019 l’Alliance pour l’unité des Roumains (AUR) qui, misant sur une stratégie tournée vers les réseaux sociaux accroît son soutien pendant la pandémie de Covid-19 et fait son entrée au Parlement lors des élections législatives de 2020 avec un message autour de « la protection de la famille, de la foi et de la patrie ». Il est considéré comme ultranationaliste et d’extrême droite, affiche des positions contre le mariage homosexuel et véhicule des théories complotistes, notamment sur les vaccins. Lors de la campagne pour la présidentielle de 2024, Simion qualifie son parti de « trumpiste » et s’engage à suspendre l’aide militaire à l’Ukraine. 

Ses liens avec Călin Georgescu remontent à la création du parti : en 2020 et à nouveau en 2021, il le propose comme candidat au poste de Premier ministre ³⁰. Simion prend toutefois ses distances avec Georgescu après ses propos faisant l’éloge d’Ion Antonescu et de Corneliu Zelea Codreanu. 

Georgescu, arrivé en tête du premier tour de l’élection présidentielle du 24 novembre 2024, bénéficie dans la foulée du soutien de Simion, qui arrive quatrième avec 13,86 % des voix. Ce dernier est devant le parquet le 26 février lorsque Georgescu est inculpé pour « fausses déclarations » sur les sources de financement de sa campagne électorale. En réponse à la question de savoir s’il soutient toujours la candidature de Călin Georgescu à l’élection présidentielle, George Simion a affirmé que l’AUR « ne trahit pas ». Il a ajouté que tant qu’il serait président du parti, « il ne retirerait aucun soutien à la démocratie et au vote du peuple roumain » ³¹. AUR est aujourd’hui le deuxième plus grand parti au Parlement avec 64 députés (+31 par rapport à la précédente législature).

10 — Andy Constantin Lupu et George Teșeleanu : au cœur des services, la connexion Moscou-Bucarest

Georgescu est fréquemment entouré de figures extrêmement controversées issues des services de renseignement, dont beaucoup ont des liens évidents avec les structures du régime russe.

Parmi elles, Andy Constantin Lupu, un jeune homme de 24 ans actif dans la direction du parti nationaliste LEU (Loi, Éducation, Unité) et propriétaire du domaine d’Izvorani, utilisé comme base pour les opérations électorales de Georgescu. Les liens de la famille Lupu avec des individus et des organisations associées à la Russie ont été révélés dans des enquêtes journalistiques.

Un autre est George Teșeleanu, qui affirme avoir travaillé pour des organisations en Russie et en Ukraine — il déclare avoir exercé à l’Académie des sciences naturelles de la Fédération de Russie et à l’Académie des sciences minières d’Ukraine.

11 — Bogdan Peschir : le « roi de TikTok »

Bogdan Peșchir, un développeur roumain de 36 ans, parfois surnommé « l’Elon Musk roumain », est devenu une figure centrale dans les enquêtes sur des campagnes d’influence ayant soutenu le candidat d’extrême droite Călin Georgescu.

Sous le pseudonyme « bogpr » sur TikTok ³², Peșchir aurait dépensé plus de 380 000 dollars entre le 24 octobre et le 24 novembre 2024 pour rémunérer divers utilisateurs de la plateforme afin de promouvoir des messages pro-Georgescu. Ces transactions se seraient poursuivies même après la fin officielle de la période électorale.

En décembre 2024, les autorités roumaines ont mené des perquisitions à son domicile à Brașov, saisissant plusieurs appareils électroniques et bloquant sept millions de dollars sur ses comptes. L’enquête porte sur des accusations potentielles de corruption électorale, blanchiment d’argent et fraude informatique ³³. 

Bien que Călin Georgescu ait déclaré « zéro » dépense officielle pour sa campagne électorale, les enquêteurs affirment que Peșchir aurait investi au moins un million d’euros pour promouvoir sa candidature sur TikTok. Les procureurs soutiennent que Georgescu était conscient du soutien financier offert par Peșchir ³⁴.

Bogdan Peșchir aurait fait fortune dans les cryptomonnaies et aurait été associé à BitXATM Technology, une entreprise spécialisée dans les distributeurs automatiques de cryptomonnaies. En 2016, la société a été impliquée dans un scandale concernant des distributeurs compromis et des fonds de clients volés.