Qu’est ce que le frein à l’endettement ?
Le premier gouvernement d’Angela Merkel, une grande coalition entre la CDU/CSU et le SPD, a adopté, par une réforme constitutionnelle en 2009, un « frein à l’endettement » (Schuldenbremse). Contenue dans les articles 109 et 115 de la Constitution, cette clause fixe des limites à l’action de l’État fédéral en matière de finances publiques.
- L’article 115-2 de la loi fondamentale prévoit en effet que « recettes et dépenses doivent être équilibrées, sans recettes provenant d’emprunts. Ce principe est satisfait si les recettes provenant d’emprunts ne dépassent pas 0,35 % du produit national brut nominal. De plus, en cas d’évolution de la conjoncture s’écartant de la situation normale, les effets sur le budget en période de croissance et de récession doivent être traités de façon symétrique ».
- Ce principe de politique budgétaire auto-imposé ne peut être contourné que par une autre clause constitutionnelle.
- La dernière modification en date à cet effet faisait suite au discours de la Zeitenwende du 27 février 2022 prononcé par le chancelier Scholz. Assurée du soutien du principal groupe d’opposition CDU/CSU, la coalition en feu tricolore avait alors proposé de modifier comme suit l’article 87.a de la Constitution : « Aux fins du renforcement de la capacité d’assumer des responsabilités au sein de l’Alliance atlantique et de la capacité de défense, l’État fédéral peut créer un fonds d’affectation spéciale et ayant l’autorisation d’émettre une fois des emprunts d’un montant maximal de 100 milliards d’euros. Les dispositions de l’article 109, alinéa 3 et de l’article 115, alinéa 2 ne s’appliquent pas à l’autorisation d’émettre des emprunts. Les modalités sont définies par une loi fédérale ».
- L’amendement de l’article 87.a de la Loi fondamentale a finalement été adopté le 3 juin 2022 par 567 voix pour, 96 voix contre et 20 abstentions 1. L’ensemble des députés Die Linke avait voté contre, et 19 députés de l’AfD, soit près d’un quart du groupe, s’étaient abstenus. Cependant, comme l’amendement n’est valable qu’une fois, Olaf Scholz et les Verts ont évoqué à plusieurs reprises depuis la possibilité de réitérer la manœuvre, de modifier, voire d’abroger entièrement le frein à l’endettement.
- C’est dans ce contexte que la politique budgétaire s’est hissée parmi les défis les plus cruciaux pour la coalition Scholz, marquée par le recours à des mécanismes hors budget pour contourner le frein à l’endettement. L’exemple le plus emblématique reste le Fonds pour le climat, jugé inconstitutionnel. Cette décision a précipité l’effondrement de la coalition gouvernementale sur le budget 2025, révélant les tensions croissantes autour de la politique budgétaire du pays.
Dans le nouveau Bundestag élu dimanche 23 février, Die Linke et l’AfD disposent désormais d’une minorité d’un tiers des sièges qui leur permet de s’opposer ensemble à toute nouvelle réforme de la Constitution dans le sens. Leurs positions sont toutefois différentes : Die Linke a en effet longtemps milité pour l’abrogation du frein à l’endettement. Le parti s’opposerait toutefois à tout changement qui viserait à financer uniquement des dépenses de défense.
Une majorité pour une réforme du frein à l’endettement se dessine-t-elle ?
En dehors du Bundestag, des voix de plus en plus nombreuses s’expriment pour réclamer un assouplissement généralisé de l’article 115 alinéa 2 afin de faciliter l’investissement. Le président de la Banque centrale allemande, Joachim Nagel, a aussi proposé une réforme du frein à l’endettement 2 et le Conseil allemand des experts économiques s’est aussi penché sur le sujet dans son rapport annuel de 2024 3. La mesure figurait dans les programmes des Verts et du SPD pour les élections fédérales.
- Lors de la conférence de presse post-électorale, les dirigeants des Verts ont proposé au SPD et à la CDU d’utiliser le peu de temps de la législature sortante pour voter une réforme constitutionnelle. Pour Annalena Baerbock, « la réforme du frein à l’endettement est en retard », et il est possible qu’un gouvernement gérant les affaires courantes puisse prendre des décisions.
[Qu’est-ce que la réforme du frein à l’endettement et pourquoi une majorité d’Allemands y sont favorables ? Lire notre étude]
- Cette proposition est toutefois soumise à une pression temporelle très forte : la nouvelle législature devra se constituer avant le 25 mars, trente jours après l’élection, et cela demanderait probablement une négociation supplémentaire avec Die Linke.
- Merz a d’abord indiqué lundi 24 dans sa propre conférence de presse post-électorale qu’il était prêt à discuter avec le SPD et les Verts pour une réforme express de la Constitution — sans donner d’accord définitif.
Friedrich Merz exclut une réforme du frein à l’endettement dans un futur proche
Mardi 25 février, à la sortie de la réunion constitutive du nouveau groupe parlementaire CDU/CSU à Berlin, Friedrich Merz a refermé la porte d’une réforme rapide en tirant profit de la majorité sortante.
- « Il est exclu que nous réformions le frein à l’endettement à court terme, si toutefois elle a lieu, cela demande un travail important et difficile. Je lis aussi qu’il y a déjà des spéculations sur la création d’un nouveau fonds spécial. Nous en discutons, mais il est bien trop tôt pour en parler. Je considère cela comme difficile à l’heure actuelle ».
Die Linke s’oppose à une réforme uniquement pour des investissements dans la défense
Le parti de gauche Die Linke, qui a obtenu 8,9 % des voix dimanche soir (soit 64 sièges), est contre le principe de l’équilibre budgétaire, mais reste opposé, comme lors du vote de 2022, à la mise en place d’un fonds spécial pour l’armement de la Bundeswehr.
- Pour la co-cheffe du groupe parlementaire, Heidi Reichinnek : « Nous ne soutiendrons une réforme ou une abrogation du frein à l’endettement que si elle permet des investissements dans l’avenir du pays. Mais si l’on essaie à nouveau, par un fonds spécial ou d’autres clauses, de donner plus de ressources à l’armement, alors Die Linke dira non : nous sommes contre le réarmement ».
Il est donc possible d’imaginer l’adoption d’un fonds spécial pour la défense dans la législature actuelle et une réforme du frein à l’endettement pour soutenir l’investissement dans le pays à moyen terme. Merz serait déjà en train de discuter avec le SPD d’un fond spécial de 200 milliards d’euros pour la défense 4.
Sources
- Grundgesetzänderung für das Sondervermögen beschlossen, Bundestag, 3 juin 2022.
- Olaf Storbeck et Patrick Jenkins, « Bundesbank chief calls for softer debt brake to increase investment », Financial Times, 4 décembre 2024.
- Versäumnisse Angehen, Entschlossen Modernisieren.
- Michael Nienaber, Kamil Kowalcze et Arne Delfs, « Germany Discussing €200 Billion for Emergency Defense Fund », Bloomberg, 24 février 2024.