Dans son discours à la Conférence de sécurité de Munich, dénonçant la « censure » des élites européennes, le laxisme en matière d’immigration et un prétendu mépris de la volonté populaire, le vice-président J. D. Vance a affiché son soutien à l’AfD dans le contexte de la campagne pour les élections du Bundestag du 23 février prochain.

La diatribe de JD Vance à Munich contre une Europe qui aurait perdu ses valeurs rappelle à certains égards le discours de Poutine dans le même forum en 2007. Elle représente le plus récent exemple de l’ingérence de Washington dans le processus électoral allemand.

  • Autre soutien de l’administration américaine au parti de droite nationaliste Alternative für Deutschland, le milliardaire Elon Musk avait soutenu explicitement la candidate à la chancellerie du parti d’extrême droite, Alice Weidel, en janvier dernier dans une conversation sur son réseau social X (ex-Twitter). Vance a critiqué le refus des organisateurs de la Conférence de Munich sur la sécurité d’inviter les députés du parti.
  • Le vice-président américain a également dénoncé explicitement le concept de Brandmauer (littéralement, « pare-feu »), le cordon sanitaire contre l’extrême droite au Bundestag et dans les parlements régionaux allemands. Il a indirectement fait allusion à la procédure en cours qui pourrait à terme conduire à une interdiction de l’AfD au niveau fédéral pour extrémisme de droite.

La CDU de Friedrich Merz

Le principal intéressé du discours de Vance était bien Friedrich Merz, présent au premier rang lors du discours et qui a rencontré le vice-président peu de temps auparavant, alors même que le chancelier actuel Olaf Scholz n’a pas eu l’honneur d’un pareil entretien. 

Le candidat de la CDU à la chancellerie a récemment accepté les voix de l’AfD au Bundestag pour tenter de faire passer, sans succès, une nouvelle loi sur l’immigration illégale. Vance, qui a sans doute bien saisi le sens du moment déclenché par la séquence parlementaire suite à l’attentat d’Aschaffenburg, a ainsi demandé aux Européens en général, et aux Allemands en particulier, « d’écouter [leurs] concitoyens » et de s’allier avec la droite populiste européenne, donc l’AfD. 

Dans un premier temps, Merz a semblé vouloir ignorer cette ingérence flagrante, et ne fait pas allusion à la politique intérieure dans son premier post sur X après son entretien en tête-à-tête avec le vice-président, posté cependant après le discours de Vance dans l’après-midi. Il s’en tient à des considérations générales sur la politique internationale, et fait une proposition inédite et surprenante de « cessez-le-feu en Ukraine » comme marque de bonne volonté avant d’éventuelles négociations, revenant sur son principe énoncé précédemment de ne pas négocier dans le dos des Ukrainiens.

  • « Au début de la conférence de Munich, j’ai rencontré le vice-président Vance. Nous voulons tous deux que la guerre d’agression russe contre l’Ukraine prenne rapidement fin. Nous sommes également d’accord sur le fait que le chemin vers une paix durable ne peut être le résultat que d’une étroite coordination entre l’Amérique et l’Europe. Dans notre discussion, j’ai proposé que, pour instaurer la confiance, un cessez-le-feu soit établi en Ukraine avant le début des négociations avec la Russie. Le vice-président Vance et moi-même avons souligné l’importance spécifique de la relation transatlantique. »
  • Dans la soirée, le favori pour la chancellerie a déclaré son irritation à propos de l’ingérence américaine, ainsi que de la remise en cause des institutions démocratiques et des garanties de sécurité. Qualifiant la journée d’« historique », Friedrich Merz a affirmé que les Américains n’avaient « pas à dicter comment les Allemands doivent défendre leurs institutions démocratiques ».

L’AfD d’Alice Weidel

L’AfD, dont aucun représentant n’était présent dans la salle, a cependant suivi de près le discours de soutien du vice-président américain.

  • Sa candidate Alice Weidel s’en est félicitée en reposant une vidéo intégrale sous-titrée très peu de temps après le discours. “Excellent discours ! « il n’y a pas d’espace pour les coupe feu ! » le discours impressionnant de JD Vance à Munich – naturellement sans aucun applaudissement de la CDU, de la CSU, du SPD et des Verts.”
  • Selon des informations de la chaîne de télévision allemande ZDF, JD Vance aurait rencontré la candidate de l’AfD à Munich suite à son départ de l’Hôtel Bayerischer Hof où se tient la conférence jusqu’à dimanche 1

Le SPD du Chancelier Olaf Scholz et de Boris Pistorius

La première réaction officielle au discours lui-même est venue du ministre de la défense dans le gouvernement sortant Boris Pistorius, qui a été un temps envisagé comme Spitzenkandidat des sociaux-démocrates pour l’élection, en novembre 2024, avant de se ranger derrière le chancelier Olaf Scholz.

  • En ouverture de son discours, le ministre allemand a opposé une rebuffade énergique aux propos du vice-président américain : “J’avais préparé un discours sur le thème de la conférence, dans lequel il devait être question de la sécurité en Europe. Mais, sincèrement, je ne peux pas commencer comme je l’avais prévu. Je suis un atlantiste convaincu et passionné, un grand ami de l’Amérique. Le rêve américain m’a très tôt fasciné et marqué, et c’est pourquoi je ne peux pas passer à l’ordre du jour, en laissant le discours du vice-président américain sans commentaire. “Nous nous battons pour que tu puisses être en désaccord avec nous”. Voilà le slogan de la Bundeswehr, qui représente aussi notre démocratie. Cette démocratie a été remise en question par le vice-président américain pour toute l’Europe. Il parle d’une “annulation de la démocratie”, et si je le comprends bien, il compare la situation dans certaines parties de l’Europe avec celle des régimes autoritaires. Mesdames et messieurs, ce n’est pas acceptable [applaudissements]. Ce n’est pas l’Europe, ni la démocratie dans laquelle je vis et je fais actuellement campagne. Dans cette démocratie, chaque opinion a sa place. Elle autorise un parti extrémiste comme l’AfD à faire campagne normalement, comme tout autre parti. Voilà ce qu’est la démocratie. Le vice-président, s’il avait allumé la télévision hier en arrivant, aurait vu la candidate de ce parti d’extrême droite en prime-time à la télévision. Dans nos conférences de presse, nous autorisons aussi des médias qui diffusent de la propagande russe, et les représentants du gouvernement doivent répondre à leurs questions. Personne n’est exclu parce qu’il ne partage pas notre “wording”. La démocratie ne signifie pas que la minorité bruyante a nécessairement raison et détermine la vérité. La démocratie doit se défendre contre les extrémistes qui veulent la détruire. qui l’attaquent. Je suis heureux, reconnaissant et fier de vivre dans une Europe qui défend la démocratie chaque jour, contre ses ennemis intérieurs et extérieurs. C’est pourquoi je réfute énergiquement l’impression évoquée par le vice-président Vance que dans nos démocraties, des minorités sont opprimées ou réduites au silence. Nous savons non seulement contre qui nous défendons notre pays, mais aussi pourquoi nous le faisons : pour la démocratie, la liberté d’expression, l’état de droit et la dignité de chacun, mesdames et messieurs. […]
  • Olaf Scholz avait en quelque sorte anticipé un discours de Vance sur la politique étrangère. Il avait en effet pris les devants en prononçant le 13 février un discours à Berlin qui appelait notamment les Américains à inclure les Européens dans les négociations autour d’une paix en Ukraine, et à une suspension du frein à la dette selon l’article 115-2 de la loi fondamentale qui permet au Bundestag de décréter une situation d’urgence. Absent de Munich aujourd’hui, le chancelier Scholz s’est finalement fendu d’une réaction plus laconique que son ministre dans la soirée du 14 février : Je rejette catégoriquement les propos du vice-président américain Vance à la conférence de sécurité de Munich. L’expérience du nazisme a légué aux partis démocratiques en Allemagne un consensus commun : c’est le cordon sanitaire contre les partis d’extrême droite.

Le discours du président fédéral Frank-Walter Steinmeier

Avant le discours de JD Vance, le président fédéral Frank-Walter Steinmeier a prononcé sa propre allocution, très critique, à l’encontre de la nouvelle politique étrangère du gouvernement américain.

Il a dénoncé « une politique qui n’a aucun égard pour les règles établies et les partenariats établis », avant de souligner que « l’absence de règles ne doit pas devenir le modèle pour réorganiser le monde ». Le président issu des rangs du SPD a également exprimé son inquiétude quant au fait qu’une « petite élite d’entrepreneurs puisse redéfinir les règles de la démocratie libérale » et que « certains membres de cette élite ne fassent pas mystère de leur mépris pour la démocratie » 2.

  • « Nous ne devons pas nous laisser paralyser par le flot d’annonces. Nous ne devons pas nous figer dans la peur ou, comme le dit l’expression anglaise, ne pas être des cerfs pris dans les phares. Il est clair que la nouvelle administration américaine a une vision du monde très différente de la nôtre. Une vision qui ne tient pas compte des règles établies, des partenariats qui se sont développés au fil du temps. »
  • Après l’appel du président italien Sergio Mattarella — contre « la vassalisation heureuse… il est temps d’agir » —, c’est un autre juriste de renom qui prend la parole avec fermeté.