Changement de régime : le discours intégral de J.D. Vance à Munich

À Munich, cet après-midi, le vice-président des États-Unis n’a pas vraiment parlé de sécurité — et n’a évoqué l’Ukraine, Poutine ou la Russie qu’en passant.

Persuadé que « la principale menace [pour l’Europe vienne] de l’intérieur », ciblant les élites politiques et souhaitant faire sauter les cordons sanitaires érigés contre l’extrême droite en Allemagne, J. D. Vance a articulé pour la première fois la vision maximaliste de la Maison-Blanche de Donald Trump pour le continent : un changement de régime.

Nous traduisons et commentons ce discours que tous les Européens devraient lire.

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Le Grand Continent
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© DTS News Agency Germany/Shutterstock

À la suite de l’appel téléphonique entre Vladimir Poutine et Donald Trump de ce mercredi et des déclarations de Pete Hegseth à Bruxelles, et alors que les négociations directes entre Washington et Moscou pour la fin de la guerre ont officiellement commencé en laissant totalement de côté les Européens, J.D. Vance aurait pu parler d’Ukraine. 

À la place, il a tenu un discours essentiellement identitaire et politique, confirmant implicitement une ligne qui se dégage de manière de plus en plus évidente : l’Europe — qui a pourtant dépensé nettement plus pour soutenir Kiev que les États-Unis — ne pourra pas avoir son mot à dire dans les discussions sur l’avenir de l’Ukraine.

Pendant vingt minutes, à l’une des tribunes les plus visibles de la diplomatie mondiale et dans un moment particulièrement critique, le vice-président des États-Unis a choisi de se focaliser sur ce qu’il considère comme une dérive des élites européennes : du cas d’un citoyen britannique condamné pour une prière silencieuse à côté d’un centre de soin pratiquant l’avortement à celui des élections en Roumanie, J.D. Vance n’a fait qu’effleurer les priorités stratégiques des États-Unis. Le cœur de son intervention s’est concentré sur la défense des « valeurs communes » qui seraient, selon le vice-président des États-Unis, bafouées par les Européens eux-mêmes.

Une ingérence qui paraît inédite tout en demeurant cohérente avec une tendance que nous analysons depuis plusieurs semaines : le tournant impérial trumpiste s’accompagne d’une tentative de vassalisation européenne.

À quelques jours à peine du scrutin en Allemagne qui se tiendra le 23 février, le vice-président américain a explicitement affirmé la volonté de la Maison-Blanche d’imposer sa ligne, au risque de compliquer les relations avec les gouvernements issus des partis traditionnels de droite et de gauche. Il a défendu à Munich les prises de position d’Elon Musk qui, malgré ses fonctions au sein du D.O.G.E et son omniprésence aux côtés de Trump à la Maison Blanche, n’a pas hésité à interférer directement dans l’élection allemande en offrant une plateforme à la leader de l’AfD Alice Weidel. Selon Vance, pour qui « exprimer ses opinions n’est pas une ingérence électorale, même lorsque les gens expriment des opinions en dehors de votre propre pays, et même lorsque ces personnes sont très influentes » il ne s’agit là que de l’usage de la liberté d’expression par un citoyen particulièrement influent : « si les Américains ont survécu à dix ans de Greta Thunberg, vous survivrez bien à quelques mois d’Elon Musk ».

Le vice-président des États-Unis est allé plus loin. En affirmant qu’il n’y avait « pas de place en démocratie pour les cordons sanitaires », il a clairement fait référence au contexte électoral allemand et à la possibilité d’une entrée de l’AfD au gouvernement avec la CDU — une union des droites qui semble peu probable au niveau fédéral mais qui aurait des conséquences pour tout le paysage politique allemand si elle se concrétisait au niveau des Länder. Sur X, Alice Weidel a salué le clin d’œil de J.D. Vance 1.

Dans un discours confrontationnel, aux accents éminemment identitaires, il s’en est pris à la principale menace pour l’Europe — le danger de l’intérieur — et critiqué comme « le problème le plus urgent de ce temps » la migration de masse, en faisant directement le lien entre celle-ci et l’attentat ayant eu lieu à Munich la veille de son discours. Du Royaume-Uni à la Suède en passant par l’Écosse, l’Allemagne et la Roumanie, le vice-président américain a attaqué ce qu’il considère comme une dérive systémique du continent : un recul prétendu de la liberté d’expression. Empruntant aux thèmes de ce que l’idéologue poutinien Alexandre Douguine a appelé le « wokisme de droite », il a fustigé une élite européenne considérée comme vieillissante — reprenant l’image d’une forteresse Davos déconnectée des citoyens — et s’appuyant sur « des mots hideux de l’ère soviétique tels que désinformation et mésinformation » — avant de qualifier les Commissaires européens de Commissars. Dans la droite ligne du mouvement MAGA qui a conduit à l’insurrection du 6 janvier 2021, Vance appelle les Européens à respecter leurs peuples et la « démocratie » — en précisant explicitement que celle-ci peut très bien se passer des « grandes institutions que nous avons construites ».

Merci à tous les délégués, sommités et professionnels des médias rassemblés, et merci tout particulièrement à notre hôte de la Conférence de Munich sur la sécurité d’avoir pu organiser un événement aussi incroyable. Nous sommes, bien sûr, ravis d’être ici.

L’une des choses dont je voulais parler aujourd’hui, ce sont bien sûr nos valeurs communes.

C’est formidable d’être de retour en Allemagne. Comme vous l’avez entendu tout à l’heure, j’étais ici l’année dernière en tant que sénateur des États-Unis. J’ai croisé le ministre britannique des Affaires étrangères David Lammy qui plaisantait en disant que nous avions tous les deux des postes différents l’année dernière de ceux que nous avons maintenant.

Mais il est désormais temps, dans nos pays, pour tous ceux qui ont eu la chance de se voir confier un pouvoir politique par nos peuples respectifs, de l’utiliser à bon escient pour améliorer leur vie. Et je tiens à dire que j’ai eu la chance, pendant mon séjour ici, de passer un peu de temps en dehors des murs de cette conférence au cours des dernières 24 heures. Et j’ai été très impressionné par l’hospitalité des gens alors qu’ils sont encore sous le choc de l’horrible attentat d’hier. La première fois que je suis venu à Munich, c’était avec ma femme, qui est ici avec moi aujourd’hui pour un voyage personnel. J’ai toujours aimé la ville de Munich et j’ai toujours aimé ses habitants.

Je tiens à dire que nous sommes très émus et que nos pensées et nos prières vont à Munich et à toutes les personnes touchées par le mal qui a été infligé à cette belle communauté. Nous pensons à vous, nous prions pour vous et il va de soi que nous vous soutiendrons dans les jours et les semaines à venir. 

(Applaudissements)

Notre correspondante présente dans la salle rapporte qu’il n’y a eu que deux salves d’applaudissements, brèves et très contenues. Le discours de J.D. Vance a laissé l’assemblée sans voix, suscitant bien moins d’adhésion que celle de la présidente de la Commission européenne qui l’a précédée.

Selon un officiel européen assis dans les premiers rangs, le discours a déçu la salle à la fois sur la forme et sur le fond : « le vice-président aux États-Unis s’est attelé à faire la leçons aux Européens — la semaine dans laquelle son gouvernement a parlé à Poutine, fait machine arrière sur l’OTAN et suggéré que la Russie rejoigne le G7 — tout en ne parvenant pas à articuler une seule idée à part attaquer ses alliés. »

J’espère que ce n’est pas la dernière salve d’applaudissements que je recevrai. Mais nous sommes réunis à cette conférence, bien sûr, pour discuter de sécurité.

La veille de l’ouverture de la Conférence de Munich sur la sécurité, jeudi 13 février, un conducteur a percuté volontairement un groupe de personnes dans la ville, faisant au moins une trentaine de blessés. Selon les autorités allemandes, l’auteur de l’attentat aurait été motivé par des revendications religieuses, criant « Allah Akhbar » à la suite de son arrestation.

Habituellement, nous parlons des menaces qui pèsent sur notre sécurité extérieure et je vois de nombreux haut gradés réunis ici aujourd’hui. Mais alors que l’administration Trump est très préoccupée par la sécurité européenne et croit que nous pouvons parvenir à un règlement raisonnable entre la Russie et l’Ukraine, nous pensons également qu’il est important que l’Europe prenne des mesures importantes dans les années à venir pour assurer sa propre défense. 

Car la menace qui m’inquiète le plus vis-à-vis de l’Europe n’est pas la Russie, ce n’est pas la Chine, ce n’est aucun autre acteur extérieur.

Et ce qui m’inquiète, c’est la menace de l’intérieur : le recul de l’Europe sur certaines de ses valeurs les plus fondamentales. Des valeurs partagées avec les États-Unis. 

Or j’ai été frappé qu’un ancien commissaire européen puisse récemment s’exprimer à la télévision pour se réjouir que le gouvernement roumain annule une élection présidentielle. Il a averti que si les choses ne se déroulaient pas comme prévu, la même chose pourrait se produire en Allemagne également.

Le 4 décembre, après avoir consulté des documents élaborés par les services roumains, la plus haute juridiction roumaine a annulé les résultats du premier tour de l’élection présidentielle, en déclarant que l’ensemble du processus devait être recommencé. 

Selon ces documents, auxquels la revue a eu accès, dès novembre 2024 « plus de 100 influenceurs (totalisant 8 millions d’abonnés) ont été manipulés et mobilisés pour promouvoir la figure de Georgescu ». Un financement illégal massif aurait également été mis en œuvre d’une manière systématique et occulte pour soutenir la campagne de Călin Georgescu. Le même document développe : « La Russie a inondé l’espace informationnel avec des récits divisifs et favorables à des vecteurs (personnes ou formations politiques) partageant des vues proches du Kremlin (extrémistes, nationalistes, populistes, figures politiques anti-système, etc.) »

Ces déclarations cavalières sont choquantes pour les oreilles américaines.

Pendant des années, on nous a dit que tout ce que nous financions et soutenions l’était au nom de nos valeurs démocratiques communes. Tout — de notre politique envers l’Ukraine au numérique — est présenté comme une défense de la démocratie.

Mais lorsque nous voyons des tribunaux européens annuler des élections et de hauts fonctionnaires menacer d’en annuler d’autres, nous devons nous demander si nous nous imposons des normes suffisamment élevées. Et je dis « nous » parce que je crois fondamentalement que nous sommes dans la même équipe. Nous devons faire plus que parler de valeurs démocratiques. Nous devons les vivre maintenant, dans la mémoire vivante de beaucoup d’entre vous dans cette salle.

Donald Trump, qui soutient à tort depuis plus de quatre ans que Joe Biden aurait « volé l’élection » présidentielle du 3 novembre 2020, a tenté de changer artificiellement les résultats du scrutin en Géorgie afin de s’attribuer la victoire. Deux mois plus tard, il a encouragé une foule de partisans à s’introduire de force dans le Capitole. L’objectif de celle-ci était d’annuler la certification des résultats du collège électoral, qui aurait officialisé la victoire de Joe Biden. 

Au cours d’un entretien publié en juin 2024, Vance déclarait : « Je pense que la contestation des élections et de leur légitimité fait partie du processus démocratique ».

La guerre froide a opposé les défenseurs de la démocratie à des forces beaucoup plus tyranniques sur ce continent. Considérez le camp dans ce combat qui a censuré les dissidents, qui a fermé les églises, qui a annulé les élections : étaient-ils les gentils ? Certainement pas. Et Dieu merci, ils ont perdu la Guerre froide. Ils ont perdu parce qu’ils n’ont ni apprécié ni respecté tous les bienfaits extraordinaires de la liberté. La liberté de surprendre, de faire des erreurs, d’inventer, de construire. Il s’avère que l’on ne peut pas imposer l’innovation ou la créativité, tout comme on ne peut pas forcer les gens à penser, à ressentir ou à croire. Et ces deux choses sont sans aucun doute liées. Malheureusement, quand je regarde l’Europe aujourd’hui, on ne sait pas toujours très bien ce qui est arrivé à certains des vainqueurs de la Guerre froide.

Je regarde Bruxelles, où des commissars européens avertissent les citoyens qu’ils ont l’intention de fermer les réseaux sociaux en période de troubles civils dès qu’ils repèrent ce qu’ils ont jugé être, je cite, du « contenu haineux ».

Le terme anglais commissar est la translittération du russe комисса́р (komissar) et signifie « commissaire ». Il désigne les commissaires politiques soviétiques ou les commissaires du peuple (ministres). Emprunté au français « commissaire », ce titre existe en Russie depuis Pierre le Grand. Ici le vice-président des États-Unis semble reprendre la rhétorique développée par Orbán et le PiS polonais qui voient dans Bruxelles la capitale d’une nouvelle Union soviétique et dans les commissaires européens de nouveaux agents impériaux.       

Ou bien dans ce pays même, où la police a mené des descentes contre des citoyens soupçonnés d’avoir posté des commentaires antiféministes en ligne dans le cadre, je cite toujours, de la lutte contre la misogynie sur Internet.

Je me tourne vers la Suède, où le gouvernement a condamné il y a deux semaines un activiste chrétien pour avoir participé à des incendies de Corans, qui ont entraîné le meurtre de son ami. Comme l’a fait remarquer de manière effrayante le juge dans son affaire, les lois suédoises, censées protéger la liberté d’expression, n’accordent pas, et je cite, « un laissez-passer » pour faire ou dire n’importe quoi sans risquer d’offenser le groupe qui détient cette croyance.

Peut-être plus inquiétant encore, je me tourne vers nos très chers amis du Royaume-Uni, où le recul des droits de conscience a mis en péril les libertés fondamentales des Britanniques, en particulier des croyants. Il y a un peu plus de deux ans, le gouvernement britannique a accusé Adam Smith Connor, un kinésithérapeute de 51 ans et ancien combattant, du crime odieux d’avoir prié en silence pendant trois minutes à 50 mètres d’une clinique d’avortement. Il n’a gêné personne, n’a interagi avec personne ; il a simplement prié en silence. Après que les forces de l’ordre britanniques l’eurent repéré et lui eurent demandé pour quelle raison il priait, Adam a répondu simplement qu’il priait pour le fils qu’il aurait pu avoir avec son ex-petite amie et qu’ils avaient fait avorter des années auparavant.

Les agents sont restés de marbre et Adam a été reconnu coupable d’avoir enfreint la nouvelle loi gouvernementale sur les « zones tampons », qui criminalise la prière silencieuse et d’autres actions susceptibles d’influencer la décision d’une personne dans un rayon de 200 mètres autour d’un centre d’avortement. Il a été condamné à payer des milliers de livres de frais de justice à l’accusation. 

J’aimerais pouvoir dire que c’était un hasard, un exemple unique et fou d’une loi mal écrite, promulguée contre une seule personne — mais non.

En octobre dernier, il y a quelques mois à peine, le gouvernement écossais a commencé à distribuer des lettres aux citoyens dont les maisons se trouvaient dans des zones dites « d’accès sécurisé », les avertissant que même la prière privée chez eux pouvait constituer une infraction à la loi. Naturellement, le gouvernement a exhorté les lecteurs à signaler tout citoyen soupçonné de crime d’opinion en Grande-Bretagne et dans toute l’Europe. 

La liberté d’expression, je le crains, est en recul.

Et dans un souci d’humour, chers amis, mais aussi dans un souci de vérité, je serai prêt à admettre que parfois, les voix les plus fortes en faveur de la censure ne viennent pas d’Europe mais de mon propre pays — où l’administration précédente a menacé et intimidé les réseaux sociaux pour qu’ils censurent ce qu’elle appelait la désinformation. La désinformation, comme par exemple l’idée que le coronavirus s’était probablement échappé d’un laboratoire en Chine. Notre propre gouvernement a encouragé les entreprises privées à faire taire les personnes qui osaient dire ce qui s’est avéré être une vérité évidente.

Rien ne prouve à ce jour que le coronavirus se serait « échappé » d’un laboratoire en Chine. Vance fait ici certainement allusion à un nouveau rapport présenté par la CIA le 25 janvier affirmant que le coronavirus est « plus susceptible » de s’être diffusé depuis un laboratoire chinois que de provenir d’animaux. L’agence, désormais dirigée par un fidèle allié de Trump et partisan de longue date de la théorie d’une « fuite chinoise », John Ratcliffe, a toutefois précisé qu’elle n’avait qu’une « faible confiance » dans cette conclusion.

Je viens donc ici aujourd’hui non seulement avec une observation, mais aussi avec une proposition. L’administration Biden semblait prête à tout pour faire taire les gens qui exprimaient leur opinion : l’administration Trump fera exactement le contraire. Et j’espère que nous pourrons travailler ensemble à Washington.

Il y a un nouveau shérif en ville. 

Sous la direction de Donald Trump, nous pouvons être en désaccord avec vos opinions, mais nous nous battrons pour défendre votre droit de les exprimer sur la place publique. Êtes-vous d’accord ? Nous en sommes au point où la situation est devenue si critique qu’en décembre dernier, la Roumanie a carrément annulé les résultats d’une élection présidentielle sur la base des vagues soupçons d’une agence de renseignement et des énormes pressions de ses voisins continentaux.

Si j’ai bien compris, l’argument était que la désinformation russe avait infecté les élections roumaines. Mais je demanderais à mes amis européens de prendre du recul : vous pouvez penser qu’il est mal que la Russie achète des publicités sur les réseaux sociaux pour influencer vos élections. Nous le pensons également. Vous pouvez même le condamner sur la scène mondiale. Mais si votre démocratie peut être détruite avec quelques centaines de milliers de dollars de publicité numérique provenant d’un pays étranger, alors c’est qu’elle n’était pas très solide au départ.

La bonne nouvelle, c’est que je pense que vos démocraties sont nettement moins fragiles que ce que beaucoup de gens craignent apparemment.

Et je pense fondamentalement que permettre à nos citoyens d’exprimer leur opinion les rendra encore plus forts. 

Ce qui, bien sûr, nous ramène à Munich — où les organisateurs de cette conférence ont interdit aux législateurs représentant les partis populistes de gauche et de droite de participer à ces conversations. 

La candidate à la chancellerie de l’AfD, Alice Weidel, a immédiatement salué le discours du vice-président américain en reprenant la citation « There’s no room for firewalls ! ». Dans un post sur X elle a souligné l’absence d’applaudissement dans la salle aux mots de J.D. Vance de la part des partis traditionnels allemands (CDU, CSU, SPD, Verts) et a invité tous les Allemands à visionner l’allocution, en publiant une vidéo du discours avec des sous-titres en allemand à 15h13, soit quelques minutes après sa fin – ce qui pourrait signifier qu’ils disposaient du texte du discours en amont.        

Or là encore, nous ne sommes pas obligés d’être d’accord avec tout ou partie de ce que les gens disent, mais lorsque des personnes, lorsque des dirigeants politiques représentent une circonscription importante, il nous incombe au moins de dialoguer avec eux. Or pour beaucoup d’entre nous, de l’autre côté de l’Atlantique, tout cela ressemble de plus en plus à de vieux intérêts bien établis qui se cachent derrière des mots hideux de l’ère soviétique tels que désinformation et mésinformation, et qui n’aiment tout simplement pas l’idée que quelqu’un ayant un point de vue différent puisse exprimer une opinion différente ou, Dieu nous en préserve, voter différemment ou, pire encore, gagner une élection.

Vance reprend ici les arguments d’Elon Musk vis-à-vis du parti d’extrême-droite Alternative für Deutschland (AfD).

Musk a précédemment indiqué ne pas comprendre pourquoi l’AfD était qualifiée de parti d’extrême-droite, et le message publié sur sa plateforme X « Only the AfD can save Germany » est un partage d’une publication de l’influenceuse d’extrême-droite antisémite Naomi Seibt, qui a tenté à plusieurs reprises de se faire une place sur la scène néo-nationaliste américaine, participant notamment à des conférences conservatrives (CPAC) ou interpellant des influenceurs MAGA.

Elon Musk, vraisemblablement comme Vance, élude la dimension néo-nazie de l’AfD, parti placé sous observation de l’office de protection de la Constitution, qui cherche à minimiser la Shoah, et où les partisans d’une réévaluation positive du IIIe Reich ont progressivement pris l’ascendant. Avec une certaine mauvaise foi, il utilise le fait que la co-présidente et Spitzenkandidatin de l’AfD, Alice Weidel, vive avec une femme pour rejeter les reproches de nazisme.

Dans une tribune publiée dans Die Welt, Musk s’est efforcé de dépeindre l’AfD comme un parti que l’on qualifierait en allemand de « bürgerlich », selon une dénomination signifiant un conservatisme classique et fréquentable, partisan de baisses d’impôts, d’une plus grande sécurité et d’une libéralisation des réglementations.

Nous sommes à une conférence sur la sécurité. 

Et je suis sûr que vous êtes tous venus ici prêts à parler de la manière exacte dont vous comptez augmenter les dépenses de défense au cours des prochaines années, conformément à un nouvel objectif que vous vous êtes fixé. Et c’est très bien car, comme le président Trump l’a clairement indiqué, il estime que nos amis européens doivent jouer un rôle plus important dans l’avenir de ce continent. 

Nous ne pensons pas que vous entendiez bien ce terme de partage du fardeau — mais nous pensons qu’il est important, dans le cadre d’une alliance commune, que les Européens prennent le relais pendant que l’Amérique se concentre sur les régions du monde qui sont en grand danger. Mais laissez-moi également vous demander comment vous allez même commencer à réfléchir aux questions budgétaires si nous ne savons pas ce que nous défendons en premier lieu ?

J’ai eu de très nombreuses conversations intéressantes avec beaucoup de personnes réunies ici dans cette salle. J’ai beaucoup entendu parler de ce dont vous avez besoin pour vous défendre — et, bien sûr, c’est important. Mais ce qui m’a semblé un peu moins clair, et certainement à de nombreux citoyens européens, c’est la raison exacte pour laquelle vous vous défendez : quelle est la vision positive qui anime ce pacte de sécurité partagé que nous considérons tous comme si important ? Or je crois profondément qu’il n’y a pas de sécurité si vous avez peur des voix, des opinions et de la conscience qui guident votre propre peuple.

L’Europe est confrontée à de nombreux défis, mais la crise à laquelle ce continent est actuellement confronté, la crise à laquelle nous sommes tous confrontés ensemble, je crois, est une crise que nous avons nous-mêmes provoquée. Si vous craignez vos propres électeurs, l’Amérique ne peut rien faire pour vous. D’ailleurs, vous ne pouvez rien faire non plus pour le peuple américain qui m’a élu et qui a élu le président Trump. Vous avez besoin de mandats démocratiques pour accomplir quoi que ce soit de valable dans les années à venir. N’avons-nous rien appris ? Que les mandats faibles produisent des résultats instables ? Mais il y a tant de choses utiles qui peuvent être accomplies avec le type de mandat démocratique qui, je pense, viendra d’une plus grande écoute des voix de vos citoyens.

Si vous voulez profiter d’économies compétitives, si vous voulez profiter d’une énergie abordable et de chaînes d’approvisionnement sûres, alors vous avez besoin de mandats pour gouverner, car vous devez faire des choix difficiles pour profiter de toutes ces choses. Nous le savons très bien en Amérique : on ne peut pas obtenir un mandat démocratique en censurant ses adversaires ou en les mettant en prison, qu’il s’agisse du chef de l’opposition, d’un humble chrétien en train de prier ou d’un journaliste qui tente de rapporter l’actualité.

On ne peut pas non plus en obtenir un en ignorant son électorat de base sur des questions aussi centrales que celle de savoir qui peut faire partie de notre société commune. 

Et de tous les défis urgents auxquels sont confrontés les pays représentés ici, je crois qu’il n’y a rien de plus urgent que l’immigration de masse

Aujourd’hui, près d’une personne sur cinq vivant dans ce pays est venue de l’étranger. C’est bien sûr un record historique. C’est un chiffre similaire, d’ailleurs, aux États-Unis, également un record historique. Le nombre d’immigrés entrés dans l’Union en provenance de pays non membres de l’Union a doublé rien qu’entre 2021 et 2022. Et bien sûr, il a encore augmenté depuis.

Les chiffres de l’agence Frontex indiquent en réalité que les entrées irrégulières dans l’Union ont augmenté de 64 % entre 2021 et 2022 — et non 100 % — atteignant 330 000. L’agence notait également en janvier 2025 que le nombre d’entrées a baissé de 38 % l’an dernier par rapport à l’année précédente, des chiffres qui vont à l’encontre des affirmations de J. D. Vance.

Et nous connaissons cette situation. Elle ne vient pas de nulle part. C’est le résultat d’une série de décisions conscientes prises par des politiciens de tout le continent et d’autres à travers le monde sur une période d’une décennie. Nous avons vu les horreurs engendrées par ces décisions hier dans cette ville même. Je ne peux pas en parler sans penser aux terribles victimes qui ont vu une belle journée d’hiver à Munich gâchée. Nos pensées et nos prières les accompagnent et les accompagneront toujours.

Mais pourquoi cela s’est-il produit ? C’est une histoire terrible, mais que nous avons entendue bien trop souvent en Europe et, malheureusement, bien trop souvent aussi aux États-Unis. Un demandeur d’asile, souvent un jeune homme d’une vingtaine d’années, déjà connu de la police, fonce dans une foule avec sa voiture et détruit une communauté. Combien de fois devrons-nous subir ces revers épouvantables avant de changer de cap et de donner une nouvelle direction à notre civilisation commune ? Aucun électeur de ce continent n’est allé aux urnes pour ouvrir les vannes à l’entrée non contrôlée de millions d’immigrés.

Les Anglais ont voté pour le Brexit. Que vous soyez d’accord ou non, ils ont voté pour. Et de plus en plus, partout en Europe, les gens votent pour des dirigeants politiques qui promettent de mettre fin à une immigration incontrôlée. Il se trouve que je partage bon nombre de ces préoccupations mais vous n’êtes pas obligé d’être d’accord avec moi. Je pense simplement que les gens se soucient de leur foyer, de leurs rêves, de leur sécurité et de leur capacité à subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs enfants. 

Cinq ans après le Brexit, 55 % des Britanniques estiment que la sortie de l’Union européenne a été une erreur. Selon une enquête YouGov conduite du 20 au 21 janvier 2025, les partisans du « Leave » sont 18 % à regretter leur choix, contre 7 % pour ceux ayant voté « Remain » lors du référendum de 2016.

Et ils sont intelligents. Je pense que c’est l’une des choses les plus importantes que j’ai apprises au cours de mon bref passage en politique.

Contrairement à ce que l’on peut entendre à Davos, les citoyens de tous nos pays ne se considèrent généralement pas comme des animaux éduqués ou comme des rouages interchangeables d’une économie mondiale. Et il n’est guère surprenant qu’ils ne veuillent pas être ballotés ou impitoyablement ignorés par leurs dirigeants. C’est le rôle de la démocratie de trancher ces grandes questions par les urnes. Je crois que rejeter les gens, rejeter leurs préoccupations ou, pire encore, fermer les médias, interrompre les élections ou exclure les gens du processus politique ne protège rien. En fait, c’est le moyen le plus sûr de détruire la démocratie. S’exprimer et exprimer ses opinions n’est pas une ingérence électorale, même lorsque les gens expriment des opinions en dehors de votre propre pays, et même lorsque ces personnes sont très influentes.

La critique de Vance contre « la fermeture des médias » et « l’exclusion du processus politique » entre en dissonance avec les récentes mesures de l’administration Trump visant à exclure les journalistes de l’agence de presse Associated Press, une organisation non-partisane, des briefings de la Maison-Blanche en raison de l’utilisation par celle-ci du nom « Golfe du Mexique » plutôt que « Golfe d’Amérique ».

Confrontée sur la question de l’exclusion de journalistes, la porte-parole de la Maison-Blanche, Karoline Leavitt, avait déclaré : « J’ai été très clair dans mon briefing du premier jour : si nous estimons que des mensonges sont véhiculés par des organes de presse dans cette salle, nous les tiendrons pour responsables. C’est un fait que l’étendue d’eau au large de la Louisiane s’appelle le golfe d’Amérique. Je ne sais pas pourquoi les médias ne veulent pas l’appeler ainsi, mais c’est ce qu’il est ».

Et croyez-moi, je dis cela avec humour, si la démocratie américaine peut survivre à dix ans de réprimandes de Greta Thunberg, vous pouvez survivre à quelques mois d’Elon Musk. Mais ce à quoi aucune démocratie, qu’elle soit allemande, américaine ou européenne, ne survivra, c’est de dire à des millions d’électeurs que leurs pensées et leurs préoccupations, leurs aspirations, leurs demandes d’aide sont invalides ou ne méritent même pas d’être prises en considération. La démocratie repose sur le principe sacré que la voix du peuple compte. Il n’y a pas de place pour les cordons sanitaires. Soit vous défendez le principe, soit vous ne le faites pas. 

L’utilisation du terme firewall, traduction de l’allemand ​​Brandmauer, est une allusion sans équivoque à la possibilité d’une ouverture de la CDU à l’AfD et à la rupture du cordon sanitaire de la droite allemande. À Munich, Vance n’a même pas rencontré le chancelier SPD en fonction Olaf Scholz.

Le peuple européen a une voix. Les dirigeants européens ont le choix. 

Je suis fermement convaincu que nous n’avons pas à avoir peur de l’avenir. Vous pouvez accepter ce que votre peuple vous dit, même si c’est surprenant, même si vous n’êtes pas d’accord. Et si vous le faites, vous pouvez affronter l’avenir avec certitude et confiance, en sachant que la nation vous soutient tous. C’est là, pour moi, que réside la grande magie de la démocratie. Elle ne se trouve pas derrière les murs en pierre épaisse de ces bâtiments ou ces beaux hôtels. Elle ne se trouve même pas dans les grandes institutions que nous avons construites ensemble en tant que société partagée.

Croire en la démocratie, c’est comprendre que chacun de nos citoyens a de la sagesse et une voix. Et si nous refusons d’écouter cette voix, même nos combats les plus fructueux n’aboutiront à rien. Comme l’a dit un jour le pape Jean-Paul II, qui est à mon avis l’un des plus grands défenseurs de la démocratie sur ce continent ou ailleurs : n’ayez pas peur. Nous ne devons pas avoir peur de notre peuple, même lorsqu’il exprime des opinions qui ne sont pas en accord avec ses dirigeants. Merci à tous. Bonne chance à vous tous. Que Dieu vous bénisse.

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