Lorsque le candidat initial de Trump pour diriger le département de la Justice, Matt Gaetz, a annoncé en novembre qu’il retirait son nom en raison de l’opposition suscitée par l’annonce du président élu, de nombreux élus démocrates, mais également républicains, ont publiquement exprimé leur soulagement. L’élu de Floride qui siège dans la frange d’extrême droite du GOP était certainement le choix le plus controversé de Trump.

Gaetz évincé du processus de nomination, c’est désormais Tulsi Gabbard qui concentre la plus vive opposition. Celle-ci ne sera toutefois pas suffisante pour bloquer sa confirmation.

  • Gabbard, âgée de 43 ans, a commencé sa carrière politique au sein du Parti démocrate. Fille de l’activiste hawaïen anti-homosexuel Mike Gabbard, élu avant elle à la législature d’Hawaï, elle a soutenu Bernie Sanders en 2016 puis Joe Biden en 2020, avant de rejoindre le GOP en 2024 et de soutenir Trump pour la présidentielle.
  • Particulièrement appréciée par ce dernier pour son profil de « transfuge », Gabbard est également membre de la Garde nationale de l’armée de Hawaï depuis 2003 et a été déployée plusieurs fois à l’étranger, notamment en Irak. Pendant un temps, elle fut considérée comme une candidate sérieuse à la vice-présidence.

Lors de l’audition de confirmation devant la commission du Sénat sur le renseignement, le 30 janvier, Gabbard a fait face à de nombreuses questions sur ses précédentes déclarations relatives aux régimes russe et syrien. En 2022, après le lancement de l’invasion russe de l’Ukraine, Gabbard a suggéré que les États-Unis et l’OTAN étaient indirectement responsables d’avoir « provoqué la guerre ». En 2019, après avoir rencontré à deux reprises le dictateur syrien Bachar al-Assad, elle déclarait : « Assad n’est pas l’ennemi des États-Unis car la Syrie ne constitue pas une menace directe ».

Une fois à la tête de la direction du renseignement national, un poste créé en 2004 en réaction aux attaques terroristes du 11 septembre 2001, Gabbard aura accès à toutes les informations classifiées relatives à la défense nationale des États-Unis, et notamment celles des 18 agences et éléments qui composent la communauté américaine du renseignement.

  • Les prises de position passées de Gabbard ainsi que son refus de qualifier Edward Snowden de « traître » sont lues à Washington comme un signe indiquant qu’elle serait elle aussi susceptible de divulguer, ou du moins de cautionner le partage de renseignements classifiés si elle y voyait un intérêt politique.
  • Pendant l’audition, Gabbard a déclaré à propos de Snowden : « Le fait est qu’il a également, même s’il a enfreint la loi, publié des informations qui ont révélé des programmes flagrants, illégaux et inconstitutionnels au sein de notre gouvernement ». 
  • Ces déclarations font écho aux actions conduites par Elon Musk à la tête du DOGE. Hier, dimanche 9 février, Trump a témoigné de son soutien au milliardaire et a annoncé que l’un des prochains objectifs de Musk serait le Pentagone : « Je vais lui dire très bientôt, peut-être dans 24 heures, d’aller vérifier le département de l’Éducation. … Ensuite, j’irai voir du côté de l’armée. Vérifions l’armée […] Nous allons trouver des milliards, des centaines de milliards de dollars de fraudes et d’abus » 1.

Ces déclarations inquiètent les alliés de Washington, dont certains — comme le Canada — reposent en grande partie sur les États-Unis pour obtenir des renseignements. Plusieurs pays européens, mais également asiatiques ou du Golfe, partagent régulièrement des informations sensibles avec les services américains afin de coordonner des opérations ou de prévenir de potentielles attaques. L’armée américaine travaille notamment étroitement avec l’Ukraine depuis février 2022, et a coordonné avec des pays arabes la défense d’Israël lors de l’attaque iranienne d’avril 2024. 

Avec Tulsi Gabbard à la tête du renseignement national, certains alliés de Washington pourraient être réticents à l’idée de partager des informations avec les services américains de crainte qu’ils ne soient exposés à de potentielles fuites. Malgré les nombreuses inquiétudes soulevées par des sénateurs républicains pendant l’audition et depuis, notamment le modéré James Lankford, Gabbard n’aura certainement aucun mal à obtenir la majorité nécessaire à sa confirmation.

Sources
  1. Gram Slattery, « Musk will find billions in Pentagon waste, Trump says », Reuters, 9 février 2025.