Le Premier ministre russe Mikhaïl Michoustine a présenté hier, vendredi 7 février, au président russe Vladimir Poutine les résultats de l’économie russe en 2024. L’occasion d’une mise en scène particulièrement scriptée et largement diffusée, insistant sur les réussites d’une économie sous pression 1.

  • En 2024, le PIB a augmenté de 4,1 %, atteignant un pic historique de 200 000 milliards de roubles.
  • Selon le Premier ministre, la croissance a été principalement soutenue par l’industrie manufacturière, qui a progressé de 8,5 %, et la production de machines et d’équipements industriels.
  • Si la demande intérieure a connu une forte dynamique, les secteurs tournés vers l’exportation ont légèrement reculé de 0,4 %. Le secteur minier a limité son déclin à 0,9 %.
  • Dans sa réponse à la présentation des résultats, le président russe s’est félicité de la capacité de l’économie à résister à la pression des sanctions, en insistant sur la difficulté des économies européennes : « Dans la zone euro, bien sûr, la croissance est bien plus modeste : en France, elle est de 1,1 %, et en République fédérale d’Allemagne, elle est négative de -0,2 %. Eh bien, ce sont leurs problèmes, nous savons à quoi ils sont liés ».

L’inflation continue pourtant de frapper l’économie russe.

  • Si dans les derniers six mois elle a continué à croître, le premier ministre met en avant que « les taux de croissance annuels de l’inflation sont en baisse pour le sixième mois consécutif » 2. Selon les données officielles, probablement sous-estimée, elle s’établirait à 9,52 % en 2024. Vladimir Poutine a exigé que « le gouvernement réalise une décélération de l’inflation cette année ». Parallèlement, selon les chiffres officielles, les revenus réels auraient progressé de 8,4 %, les salaires réels de 8,7 %, et le chômage est tombé à 2,3 % — avec une perte nette de pouvoir d’achat.
  • Poutine a également insisté sur la nécessité de réformer la structure économique en créant de nouvelles usines et emplois, en intégrant les nouvelles technologies et en améliorant la productivité : « Le développement de l’économie de l’offre est l’un des domaines critiques. Nous devons changer la structure de cette croissance. J’ai déjà dit qu’il est important partout, dans toutes les régions de notre pays, de créer de nouvelles usines, de nouveaux emplois. Et le travail dans ces usines doit être basé sur des principes modernes de gouvernance et sur une nouvelle base technologique » 3.

Ces bons résultats doivent être lus à partir d’une considération : l’instrumentalisation des données économiques russes par le régime de Poutine permet d’occulter des problèmes structurels profonds. Depuis février 2022, les autorités russes fabriquent ainsi des chiffres pour les utiliser à des fins d’influence ou de communication.

  • Après l’invasion de l’Ukraine, le Kremlin a cessé de publier de données économiques clefs sur le commerce extérieur, le budget de l’État et les finances, limitant l’évaluation des sanctions et s’inscrivant dans une stratégie de désinformation 4.
  • En septembre un rapport du SITE remet en question les chiffres officiels de l’inflation et de la croissance du PIB en Russie pour 2024. Alors que la banque centrale prévoit une inflation de 8-8,5 %, elle a relevé son taux directeur à 21 %, suggérant une situation plus critique. L’institut estime que l’inflation réelle atteignait 16 %, ce qui fausserait les calculs du PIB réel. En réalité, au lieu d’une croissance de 3,6 % en 2023, le PIB russe pourrait avoir été négatif 5.

En observant plus attentivement les dynamiques profondes à l’œuvre en Russie, une fragilité structurelle apparaît.

  • La politique monétaire restrictive freine le crédit et pourrait ralentir la croissance économique. 
  • À cause des sanctions, les autorités disposent de moins en moins de leviers pour piloter l’économie. Avec les réserves gelées et les restrictions sur les capitaux, la Banque centrale de Moscou dispose de peu de moyens pour stabiliser le rouble, qui a chuté de 20 % face au yuan en six mois, augmentant le coût des importations, devenues cruciales depuis 2022.
  • Selon le Financial Times, elle serait liée aux nouvelles sanctions américaines contre Gazprombank, principal intermédiaire des paiements énergétiques russes et acteur clef du financement de l’effort de guerre du Kremlin 6.
  • À cela s’ajoute le poids de la dette militaire cachée. Comme le montre Craig Kennedy, pour financer la guerre tout en limitant les dépenses publiques, le Kremlin a contraint les banques russes à accorder des prêts préférentiels au secteur de l’armement. Cette dette cachée, estimée à 200-250 milliards de dollars, menace désormais la stabilité économique du pays.

Washington mise sur le décrochage. 

Le président Trump aurait été convaincu par une analyse menée par le Conseil national de sécurité et la CIA sous Biden selon laquelle la Russie pourrait entrer dans une phase de fragilité économique croissante d’ici la mi-2026. C’est également le pari européen. 

  • Si cette vulnérabilité est exploitée, elle pourrait forcer Moscou à une position plus faible en 2026, ouvrant la voie à un accord différent pour l’Ukraine. 
  • Trump semblerait envisager de nouvelles conditions — à partir de la baisse du prix du baril — pour atteindre cet objectif avant d’entamer des négociations de cessez-le-feu.
  • Moscou estime dans son budget qu’en 2025, les recettes pétrolières et de gaz devraient diminuer d’environ 3 % comparé à 2024, pour atteindre 10,9 trillions de roubles (113 milliards de dollars). Le gouvernement table sur un prix annuel moyen de 69,7 dollars par baril, soit au-dessus du plafond de 60 dollars par baril fixé par les pays du G7.
  • Un plafond de 30 dollars le baril aurait pu réduire les recettes pétrolières russes de 25 % (76 milliards d’euros) entre décembre 2022 et fin 2024, selon une étude du Centre pour la recherche sur l’énergie et la propreté de l’air. Pour le seul mois de décembre 2024, cela aurait représenté une perte de 2,9 milliards d’euros 7
Sources
  1. Встреча с Председателем Правительства Михаилом Мишустиным, Kremlin, 7 février 2025.
  2. Политика обработки персональных данных, Tass, 7 février 2025.
  3. Встреча с Председателем Правительства Михаилом Мишустиным, Kremlin, 7 février 2025.
  4. Anna Anisimova et Cecilia Smitt Meyer, Russia’s data warfare, Stockholm School of Economics, 18 avril 2023.
  5. The Russian Economy in the Fog of War, Report by the Stockholm Institute of Transition Economics (SITE) at the Stockholm School of Economics, septembre 2024.
  6. Tony Barber, « Russia’s economy flatters to deceive », Financial Times, 30 novembre 2024.
  7. Vaibhav Raghunandan, Petras Katinas, December 2024 — Monthly analysis of Russian fossil fuel exports and sanctions, CREA, 10 janvier 2025.