« Donald Trump, c’est un Poutine high tech, en plus malin », une conversation avec Marc Semo

Signature emblématique des affaires internationales, Marc Semo est aujourd’hui collaborateur au Monde et chroniqueur à Challenges.

Il vient de publier La géopolitique en 100 questions.

Dans cet entretien de fond, il décrypte le retour de la géopolitique à la Maison Blanche et ses conséquences pour l’Europe.

Marc Semo, La géopolitique. Comprendre le monde de demain, Paris, Tallandier, «En 100 questions», 2025, 336 pages, ISBN 9791021059184, URL https://www.tallandier.com/livre/la-geopolitique-en-100-questions/

Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche s’est accompagné d’une prolifération de déclarations martiales et expansionnistes. S’agit-il de rodomontades ou d’une véritable stratégie ?

L’expérience montre qu’il faut prendre au mot les leaders populistes, au moins dans leurs intentions, même si souvent ils n’arrivent pas à mettre en œuvre toutes leurs promesses. Son arrivée à la Maison Blanche n’est pas simplement une alternance mais une révolution conservatrice aussi bien culturelle que politique. Elle va s’étendre bien au-delà des frontières américaines comme celle dont Ronald Reagan était le porteur en 1980 en mêlant conservatisme et libéralisme économique. Mais c’est une révolution conservatrice en version 2.0 dans laquelle le libéralisme est remplacé par un libertarianisme encore plus hostile à toute régulation. Le « trumpulisme » a vaincu dans les urnes, y compris le vote populaire, pour la première fois depuis vingt ans pour un candidat républicain.

 Il incarne une inédite alliance entre des classes populaires et moyennes paupérisées, y compris black et latinos, et des rois de la tech. C’est un techno-populisme agressif mélange improbable d’autoritarisme, d’obscurantisme religieux, de nationalisme, de souverainisme économique, de haine des élites intellectuelles et politiques et de mégalomanie scientiste. Donald Trump et les siens parlent cash. « Franchement nous sommes le prédateur dominant » clame Andy Ogles, élu de la Chambre des représentants sur Fox News. D’autres élus républicains revendiquent haut et fort une stratégie du « shock and awe » (le choc et l’effroi) se référant aux opérations militaires américaines, comme l’invasion de l’Irak en 2003, où l’emploi d’une force massive et concentrée dès les premiers jours visait à créer un effet de sidération chez l’ennemi.

Quelle forme prend cette révolution conservatrice 2.0 en politique extérieure ?

À peine achevée sa prestation de serment, Donald Trump s’est lancé devant ses soutiens dans la signature d’une rafale de décrets visant à poser les bases de sa présidence MAGA et du « nouvel Âge d’or » promis. Il quitte à nouveau l’accord de Paris sur le climat et l’OMS. Il proclame l’État d’urgence à la frontière sud, lance une campagne historique de « deportation » (expulsion) des immigrés illégaux et supprime le droit du sol. Cette dernière mesure a été aussitôt bloquée par la justice car contraire à la constitution. De longues guérilla judiciaires s’annoncent qui seront un moment de vérité pour la démocratie américaine et l’État de droit. Fort de sa maîtrise du Sénat, de la Chambre des représentants et de la Cour Suprême, il entend concentrer tous les pouvoirs pour transformer les États-Unis en interne comme dans leurs relations avec le reste du monde. Avec la volonté de tenter de le remodeler en fonction des intérêts américains.

Sa vision du monde a-t-elle changé par rapport à celle de son premier mandat ?

Trump I était avant tout dans une posture défensive aux relents isolationnistes promettant notamment un mur avec le Mexique. Son précédent discours d’investiture dressait un scénario noir de l’état de l’Amérique. Celui du second mandat parle certes encore de « borders » à barricader mais surtout de « Frontier » et d’expansion territoriale, y compris en « plantant la bannière étoilée sur Mars », avec toute la portée mythique du mot dans l’imaginaire de ses concitoyens. C’est un retour assumé de la géopolitique dans ce qu’elle peut avoir de plus explicite et de plus brutal. En anglais le mot power signifie à la fois pouvoir, puissance et force. Son slogan America First, signifie à la fois l’Amérique d’abord mais aussi l’Amérique première puissance mondiale par sa force militaire, par son économie et sa capacité d’innovation technologique, mais aussi par sa superficie de pays immense ouvert sur deux océans l’Atlantique et le Pacifique. « L’Amérique va retrouver sa place légitime : la nation la plus grande, la plus puissante et la plus respectée qui pourra susciter l’admiration et l’émerveillement du monde entier » a-t-il martelé dans son discours, assumant que les États-Unis soient « à nouveau une nation qui étend son territoire ».

Ce réveil de l’expansionnisme marque-t-il le retour de la géopolitique en Amérique ?

Incontestablement et pas seulement pour les États Unis même si, par leur puissance, ils sont les mieux à même d’imposer leurs intérêts. Si la géopolitique est née en Allemagne, à la fin du XIXe siècle dans une version terrienne centrée avant tout sur le territoire, rapidement s’est affirmée une école anglo-saxonne privilégiant une approche maritime. L’un des représentants les plus fameux fut Alfred Thayer Mahan (1840- 1914) officier de marine et professeur à West Point, théoricien d’une « thalassocratie » et affirmant que la clef de la domination sur le monde est la maîtrise des mers par le contrôle des points stratégiques — îles, détroits, baies — et des grandes routes maritimes. Cela est plus vrai que jamais alors que la mondialisation est aujourd’hui avant tout une « maritimisation ». Plus de 90 % du commerce mondial se fait sur les mers et les océans où bon an mal an transitent quelque 240 millions de conteneurs. Plus de 98 % des flux des données numériques passent par des câbles sous-marins. Les datacenters, et plus encore avec l’envolée de l’IA , sont d’immenses et voraces consommateurs d’énergie. Tout cela est très matériel et très concret.

Donald Trump incarne un impérialisme américain qui n’est certes pas nouveau, mais qui n’avait pas semblé décomplexé depuis très longtemps.

Avant même de s’installer dans le bureau ovale, il affichait déjà ses ambitions impériales en se proposant d’acheter le Groenland pour l’annexer sans pour autant exclure un recours à la force. Une annexion considérée par lui comme « une nécessité absolue pour la sécurité nationale américaine ». Pour les mêmes raisons, il veut reprendre le contrôle du canal de Panama et faire du Canada — à ses dires allié « subventionné » — le 51e État américain. La provocation verbale est chez Trump un moyen de lancer des débats publics et de se mettre en position de force pour des négociations. Les enjeux du Groenland, avec ses ressources minières et sa situation stratégique à l’entrée d’un passage du Nord-Est que le réchauffement climatique rendra navigable sont essentiels pour les États-Unis. Ceux du canal de Panama le sont tout autant alors que 75 % de son trafic est constitué par des marchandises passant d’une côte à l’autre des États-Unis. Dans son discours d’investiture, il s’est inscrit ouvertement dans l’héritage de l’hyper-impérialisme américain de la fin du XIXe siècle, celui de William McKinley et de Theodore Roosevelt qui ont mené la guerre contre l’Espagne lui arrachant notamment Cuba et les Philippines au nom de la liberté des peuples. Des peuples cubains qui furent ensuite vassalisés sans pour autant être annexés formellement. Trump a annoncé rebaptiser du nom de McKinley, le sommet culminant des États-Unis. Theodore Roosevelt qui lui succéda après son assassinat en 1901 résumait la politique américaine dans sa zone d’influence avec une formule choc : « parler doucement mais avec un gros bâton ». Trump lui ne parle pas doucement — bien au contraire — mais ses menaces comme ses provocations verbales sont parties intégrantes de sa stratégie de diplomatie transactionnelle.

On a longtemps présenté Trump en isolationniste, or il semble bien décidé à jouer un rôle très actif sur la scène mondiale. Qu’en est il ?

Sa vision du monde et du rôle que peuvent et doivent y jouer les États-Unis s’inscrit dans une histoire longue. Il s’est ainsi référé dans son discours à la « destinée manifeste » des du pays. Henry Kissinger relevait jadis que cet « exceptionnalisme » des États-Unis les porte à hésiter sans cesse entre la posture du « phare » qui inspire mais de loin le reste du monde et du « croisé » qui  y intervient directement. Le billet vert porte toujours l’inscription novus ordo seculorum (le nouvel ordre des siècles) reflétant la vision quasi messianique des pères fondateurs et depuis de nombre des dirigeants américains qui se veulent les garants des valeurs de la démocratie libérale sur leur territoire comme dans le reste du monde. Mais derrière ces mythes fondateurs il y a un réalisme cru fondé sur la puissance où l’intérêt prime sur le droit dont Donald Trump est la parfaite illustration. Avant tout, il est « unilatéraliste », c’est-à-dire que l’Amérique agit par elle-même, pour elle-même et pour la défense de ses intérêts. « L’ordre international est non seulement obsolète mais il désormais une arme utilisée contre nous (…) une nouvelle fois nous sommes appelés à créer un monde libre à partir du chaos » expliquait lors de son audition devant le sénat le futur secrétaire d’État et patron de la diplomatie américaine Marco Rubio. Déjà pendant son premier mandat, Donald Trump n’avait pas hésité à intervenir par exemple en bombardant Damas ou en éliminant par une frappe à Bagdad Qassam Soleimani, le légendaire chef de la force Al-Qods des Gardiens de la Révolution iraniens même s’il peut à raison se vanter d’avoir été le seul président américain du dernier quart de siècle à ne pas avoir lancé son pays dans une nouvelle guerre.

Les menaces trumpiennes n’excluant pas le recours à la force pour annexer le Groenland ne sont pas sans faire échos à celles que proféra jadis Vladimir Poutine vis-à-vis de l’Ukraine. Le trumpisme est-il un poutinisme ?

C’est en effet la version made in USA d’un retour des politiques impériales déjà menées au nom d’un passé historique réel ou en grande partie réinventé par des leaders autoritaires comme Vladimir Poutine ou Xi Jinping. Dans un article que le Grand Continent a traduit et publié, Vladislav Sourkov, l’ancien et très sulfureux conseiller de Poutine, ironisait sur cette contamination impériale se félicitant de voir « la Russie entourée de sosies et de parodistes avec un défilé de tous les impérialismes possibles et imaginables » dont celui de Donald Trump. Ces dirigeants ont en commun de porter une vision du monde où le droit de la force prime sur la force du droit, avec des catégories du XIXe siècle d’étendue de territoire ou de déplacements forcés de population, par exemple quand Trump évoque la possibilité de vider la bande de Gaza de sa population. Les menaces trumpiennes bafouent le droit international. Mais le président américain, avec ses propos provocateurs, veut avant tout créer un rapport de force dans une logique de négociation. C’est différent d’un passage à l’acte comme la guerre d’agression contre l’Ukraine menée par la Russie à l’ombre de son arsenal nucléaire. Donald Trump, c’est un Poutine high tech, en plus malin. Sa politique de puissance ne se fonde pas seulement sur le militaire même si les États-Unis restent et de très loin les premiers au monde en matière de dépenses militaires, mais aussi sur l’économie, le dollar, l’innovation technologique, la culture, etc. Ils sont en cela beaucoup plus attrayants, y compris pour les pays du Sud global, que la Russie de la force brute et des coups de menton du maître du Kremlin.

Plus malin ou pas que Poutine, Trump ne participe-t-il pas à ses côtés à une brutalisation des relations internationales — source de cet « ensauvagement » du monde jadis diagnostiqué par Thérèse Delpech ?

Ce qui caractérise la nouvelle donne internationale c’est en effet la « désinhibition », c’est-à-dire la transgression par les autocrates, à commencer par Poutine. Ils n’hésitent plus à transgresser toutes les règles instaurées après 1945, notamment autour des Nations-Unies, au nom d’un plus jamais ça. Dans son livre L’ensauvagement, le retour de la barbarie au XXIe siècle », publié en 2005 Thérèse Delpech (1948-2012), théoricienne reconnue des questions stratégiques, pressentait effectivement une telle évolution en imaginant ce que serait le monde vingt ans plus tard. « Nous avons peur de ce dont nous sommes capables » écrivait la philosophe prématurément disparue, accusée d’être l’une des cheffe de file d’un néo-conservatisme à la française. La notion de « brutalisation » a, elle, été forgée par l’historien germano-américain George Mosse, juif berlinois réfugié aux États-Unis pour fuir le nazisme et qui, toujours, resta hanté par cette tragédie. Dans son ouvrage De la grande guerre au totalitarisme, il établissait un lien fort entre l’expérience de la guerre et l’émergence du nazisme. La violence du champ de bataille s’était transférée à toute la société allemande. Le philosophe camerounais Achille Mbembe a quant à lui forgé le concept de « brutalisme » pour décrire un monde où, y compris au sein des démocraties libérales, l’état d’exception devient la norme et où « l’état de guerre se répand au sein de l’état civil ».

Le mot d’ensauvagement plaît surtout à droite, notamment à propos des fractures dans la société française, épinglant le sauvage, le non civilisé, voire le décivilisé. Celui de brutalisation séduit plus volontiers à gauche en ce qu’il évoque une violence appliquée par le pouvoir ou par un dominant. Mais il s’agit avant tout d’un ressenti des Européens qui depuis 1991 et l’effondrement de l’URSS faisaient rimer mondialisation et démilitarisation, pensant que la guerre et la puissance étaient devenues anachroniques. C’est un retour aux réalités. La nature anarchique des relations internationales est depuis toujours une évidence car il n’existe pas d’État mondial à même d’imposer des règles applicables à tous et surtout appliquées par tous. Le droit international en prend acte se fondant sur le primat de la souveraineté des États malgré des tentatives répétées de construire des institutions multilatérales comme les Nations unies.

Comment Trump perçoit-il l’Europe et les Européens ? Comme des alliés ? Des concurrents ? Ou comme quantité négligeable ?

Pas une seule fois lors de son long discours d’investiture de trente minutes et quelques Donald Trump n’a mentionné le mot « allié ».

C’est significatif de sa vision des relations transatlantiques, et plutôt inquiétant. Pour le nouveau président américain, il n’y a que des adversaires — voire des ennemis — et des vassaux. Avec les premiers, tel Vladimir Poutine ou Xi Jinping, qu’il tend à plutôt à ménager, il veut négocier en position de force. Aux seconds, qu’il traite beaucoup plus mal, il impose sa loi et menace ceux qui la refusent d’en subir toutes les conséquences. L’Europe est en ligne de mire, coupable à ses yeux d’avoir un excédent de quelque 157 milliards d’euros dans ses relations commerciales avec les États-Unis. Il la dénonce comme une « petite Chine » et menace de la traiter bien plus rudement que la « grande ». C’est un véritable crash test pour les 27. Menacés de décrochage technologique, en panne économique et incapables de prendre en main seuls leur sécurité face à la menace russe, ils sont désormais au pied du mur. Il y a eu dans le passé déjà de nombreuses guerres commerciales entre les États-Unis et les Européens, mais un accord tacite régnait entre les deux rives de l’Atlantique, consistant à bien séparer le terrain de la sécurité européenne garantie par les États-Unis via l’OTAN, des rivalités commerciales. Tump mêle désormais les deux. D’où la peur des 27 et la tentation de certaines capitales de jouer en solo leur propre partition vis-à-vis de l’administration américaine. Il y a le premier ministre hongrois Viktor Orban que Trump a longtemps reconnu comme son interlocuteur européen privilégié et surtout, maintenant, la présidente du conseil italien Giorgia Meloni qui assistait à la cérémonie d’investiture. Il y a au sein de l’Union une forte tentation à chercher un compromis à tout prix. C’est la stratégie de la présidente de la Commission Ursula von der Leyen mais aussi de l’Allemagne qui serait très pénalisée par une guerre commerciale avec Washington. À l’opposé, la France clame qu’il faut savoir se montrer ferme et ne pas commencer à céder avant même le début du bras de fer en se proposant d’acheter plus de gaz de schiste ou d’armes américaines.

De quelles marges de manœuvre disposent les Européens pour affronter ce bras de fer ?

L’Union est le premier partenaire économique des États-Unis et elle a des cartes en main avec son grand et prospère marché unique. La vraie question reste celle de la volonté politique des Européens de peser et de rester unis pour préserver leurs intérêts dans une relation transatlantique qui, avec Trump, se fait toujours plus clairement transactionnelle. Malgré le sursaut des 27 au moment du déclenchement de l’agression russe contre Kiev, l’Union est mal à l’aise dans une nouvelle donne mondiale alimentée par des rivalités toujours plus exacerbées entre les puissances. L’ADN de l’Europe c’est la paix dans la prospérité fondée sur la norme et le droit. La guerre en Ukraine comme les conflits du Moyen-Orient, qui se déroulent sur les lisières du vieux continent, ont fait voler en éclats ce qui était son avantage comparatif sur la scène mondiale. L’Union est profondément ébranlée par la désagrégation simultanée, rapide, inattendue et probablement irréversible de toutes les bases du monde d’hier. C’est particulièrement évident en matière de défense et de sécurité.

Quel rôle peuvent espérer jouer les Européens pour mettre fin à la guerre en Ukraine alors que Trump pourrait être tenté par un accord direct avec Poutine ?

En campagne, Donald Trump avait promis de régler le conflit « en vingt-quatre heures ». Désormais il parle de « cent jours » et c’est le délai donné à son envoyé spécial pour l’Ukraine, le général Keith Kellog, pour arriver à poser les bases des futures discussions. La grande peur des 27, comme celle de Kiev, est en effet celle d’une négociation qui se déroule sans eux et débouchant sur une solution qui leur serait imposée. On en est pas encore là, même si le Kremlin, jouant sur l’infinie vanité de Donald Trump, insiste pour faire émerger un tel dialogue direct Washington-Moscou qui créerait l’illusion d’un retour de la Russie comme superpuissance. Ce scénario du pire est certes possible mais il n’est pas encore à l’ordre du jour. Donald Trump parle de « paix par la force » et ne pourrait accepter une solution sonnant comme une défaite ukrainienne et donc par contrecoup de l’Occident. Cela signifierait commencer son mandat sur une humiliation. Ce serait aussi un bien mauvais signal et un dangereux précédent alors même que les conflits en Ukraine, au Moyen-Orient avec l’Iran, en Extrême-Orient avec la Corée du Nord et surtout la Chine, sont toujours plus imbriqués. Si les États-Unis cèdent sur l’Ukraine, ne feront-t-ils pas pareil pour Taïwan ? Divers ballons d’essai ont été lancés et les solutions tournent toutes autour de l’idée d’un gel des positions et d’un cessez-le-feu, ce que pourrait accepter Kiev en échange de véritables et solides garanties de sécurité. En clair, l’entrée dans l’OTAN ou dans quelque chose d’équivalent. Cela concerne d’autant plus les Européens que les Américains ont déjà annoncé qu’ils ne déploieront aucune troupe au sol pour surveiller les lignes de cessez-le-feu. Or le président ukrainien Volodymyr Zelensky estime qu’il faudrait au moins 200 000 hommes.

Les Européens peuvent-ils prendre le relais d’une Amérique obnubilée par sa rivalité avec la Chine ?

Ils n’ont pas d’autre choix que de devenir un acteur stratégique militaire, économique et technologique. Cela implique qu’ils acquièrent les moyens de leur défense. À l’époque de la guerre froide, leurs dépenses en la matière atteignaient entre 6 et 8 %. Aujourd’hui en moyenne elles arrivent à peine aux 2 % demandés par l’OTAN alors qu’il faudrait déjà 3 % voire 5 %. L’URSS de Brejnev et de ses successeurs était une puissance en déclin qui cherchait avant tout à défendre le statu quo. Elle était bien moins menaçante que la Russie révisionniste et revanchiste de Poutine. Mais cela doit signifier aussi pour les Européens de se donner les moyens d’une véritable industrie de défense. Le choc Trump peut et doit être un accélérateur. À la différence de 2017, il est désormais évident pour tous les Européens que son élection n’est pas un accident de l’histoire et que sa présidence ne sera pas une parenthèse avant un retour aux bonnes vieilles relations transatlantiques. Si elles sont unies dans ce constat, les capitales européennes en tirent des conclusions opposées. Les Polonais, les Baltes, les Scandinaves sont les plus atlantistes et veulent se donner pleinement les moyens de faire face à la menace russe. Mais il y a aussi un autre Est — celui de la Hongrie, de la Slovaquie, de la Croatie et peut-être bientôt de la Tchéquie et de la Roumanie — où des forces populistes et nationalistes estiment au contraire qu’il vaut mieux composer avec le Kremlin. Ils reprennent son narratif et affirment que continuer à armer l’Ukraine ne fait que prolonger la guerre. Or le sort de l’Europe dépend du sort de l’Ukraine.

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