Comme Rose Gottemoeller le rappelait dans ces pages, « l’Ukraine, les États-Unis, l’OTAN et la Russie devront tous sortir des négociations avec un résultat concret en matière de sécurité, d’économie ou simplement — dimension clef sur le plan politique — pour sauver la face ». Dans ce contexte, nous passons en revue les différentes propositions mises sur la table et qui pourraient être défendues telles quelles à l’ouverture des négociations.
Le plan de Poutine
Le président russe a formulé de la manière la plus claire ses revendications concernant le futur du territoire ukrainien et les exigences de Moscou pour la mise en place d’un cessez-le-feu à l’été 2024.
- Le 24 juin, Poutine s’était dit prêt à cesser les combats et à « entamer des négociations » pour mettre fin à la guerre si l’Ukraine retirait son armée des quatre régions partiellement contrôlées par Moscou depuis février 2022 (Crimée exclue).
- De 18,14 % du territoire ukrainien, la proposition de Moscou ferait passer son contrôle à 21,92 % selon nos calculs — soit plus d’un cinquième de la surface totale du pays.
- Le président russe avait également déclaré que l’Ukraine devrait renoncer à ses efforts pour rejoindre l’OTAN. Zelensky a déclaré hier, mardi 21 janvier, à Davos que : « Seules de véritables garanties de sécurité pour nous serviront de véritables garanties de sécurité pour tous les Européens » 1.
En outre, Moscou demande depuis mars 2022 que Kiev démobilise une partie importante de son armée (aujourd’hui forte de 800 000 hommes et femmes) — une exigence qui sera maintenue par les négociateurs russes lors d’éventuelles discussions avec Washington 2. Selon une version « brute » de l’accord discutée dans les semaines ayant suivi l’invasion, la partie russe veut limiter les forces ukrainiennes à 50 000 soldats 3.
Le plan maximaliste de Medvedev
Le vice-président du Conseil de sécurité russe et ancien président de la Fédération, Dmitri Medvedev, a dévoilé en mars 2024 une version bien plus maximaliste de ce qui pourrait servir de point de départ à la partie russe lors des négociations de cessez-le-feu.
- Au cours d’une conférence donnée le 4 mars dernier à Sotchi intitulée « Frontières géographiques et stratégiques », dans le cadre du Festival mondial de la jeunesse, Medvedev a projeté une carte présentant l’Ukraine comme réduite à l’oblast de Kiev, soit 28 000 km².
- Dès juillet 2022, celui-ci relayait cette carte d’une Ukraine réduite à moins de 5 % de son territoire internationalement reconnu en la présentant comme le fruit du travail « d’analystes occidentaux » 4.
L’ex-président déclarait alors que « les territoires situés sur les deux rives du Dniepr font partie intégrante des frontières de la Russie, et toutes les tentatives visant à les isoler sont vouées à l’échec ». Dans un entretien donné en janvier 2025 par un influent conseiller de Poutine, Nikolaï Patrushev disait ne pas exclure « qu’au cours de l’année à venir, l’Ukraine cesse purement et simplement d’exister ».
Les irrédentismes extrémistes hongrois et roumain
La vision maximaliste de Medvedev reprenait en partie les revendications des partis d’extrême-droite roumain Alliance pour l’unité des Roumains et hongrois Mouvement Notre patrie, qui demandent tous deux des territoires internationalement reconnus comme appartenant à l’Ukraine.
- En Roumanie, l’Alliance pour l’unité des Roumains (Alianța pentru Unirea Românilor) milite pour l’annexion des régions frontalières avec l’Ukraine — la Bessarabie, la Bucovine du Nord et le raion de Hertsa.
- En janvier 2024, le co-fondateur du parti Claudiu Târziu déclarait : « Nous ne serons pas vraiment souverains tant que nous n’aurons pas rétabli l’État roumain dans ses frontières naturelles. La Bessarabie doit retourner à la maison. Le nord de la Bucovine ne peut pas être oublié, le sud de la Bessarabie… la Transcarpatie, tout ce qui faisait et fait partie de la nation roumaine doit retourner dans ses frontières nationales ».
- Ces déclarations faisaient alors écho à celles de László Toroczkai, président du parti d’extrême-droite hongrois Mouvement Notre patrie (Mi Hazánk Mozgalom), qui affirmait en janvier dernier que si l’Ukraine perdait à l’issue de la guerre son statut d’État, la Hongrie allait « revendiquer » la Transcarpatie.
- L’oblast ukrainien de Transcarpatie, rattaché à l’Ukraine soviétique après la Seconde Guerre mondiale, abrite une importante communauté magyarophone.
Ce que l’Ukraine veut
La position officielle de l’Ukraine, largement inchangée depuis le début du conflit, présente le contrôle par Kiev de la totalité du territoire internationalement reconnu du pays comme une condition non-négociable d’un accord de cessez-le-feu. Seulement, après plus de 1 000 jours de guerre à haute intensité, la population ukrainienne est de plus en plus favorable à une solution négociée pour mettre fin au conflit — un revirement significatif par rapport à 2022.
- Selon une enquête de l’Institut international de sociologie de Kiev (KIIS) publiée début janvier, 38 % des Ukrainiens sont aujourd’hui prêts à renoncer à certains de leurs territoires afin d’achever la paix « aussi vite que possible » et de « préserver l’indépendance du pays » — soit deux fois plus qu’il y a un an (19 %) 5.
- Depuis le lancement de l’invasion, le langage de Zelensky a lui aussi évolué. En novembre 2024, le président déclarait que l’Ukraine ne pouvait pas « légalement reconnaître une partie du territoire ukrainien comme étant russe ».
- Dans un entretien publié dans nos pages, l’ancien ministre de l’Économie ukrainien Tymofiy Mylovanov précisait qu’une modification de la Constitution serait nécessaire « si un accord était recherché avec des territoires qui ne sont plus considérés comme ukrainiens ».
- Mylovanov ajoutait toutefois qu’il considérait très peu probable que quiconque ne s’engage dans ce processus : « Les personnes responsables de la signature d’une telle ratification seraient sous le coup de cette accusation [de haute trahison] et il est peu probable que quelqu’un s’en rende responsable — non seulement pour des raisons morales mais aussi parce qu’il sait qu’il sera poursuivi à l’avenir ».
Zelensky a également mentionné à plusieurs reprises au cours des derniers mois l’idée de mettre fin à la « phase chaude de la guerre » en gelant la ligne de front, tout en gardant la porte ouverte au retour, dans un second temps, des territoires occupés par la voie diplomatique.
Le « plan Kellogg » de l’administration Trump
Le troisième acteur qui devrait jouer un rôle majeur dans les négociations de cessez-le-feu sont les États-Unis, où la nouvelle administration Trump a fait de la fin de la guerre une de ses priorités. Pour mener les négociations avec Kiev et Moscou, le président américain a nommé son ancien conseiller de politique étrangère pendant la campagne de 2016 puis de Mike Pence à la Maison-Blanche, Keith Kellogg.
Kellogg a d’ores et déjà élaboré au printemps 2024 un plan pour parvenir à un cessez-le-feu.
- Publié par l’America First Policy Institute (AFPI), un think-tank proche des cercles trumpistes dont sont issus deux des futures membres du cabinet de Trump (Brooke Rollins et Linda McMahon), le plan envisagé par Kellogg — qui reprend certaines idées mises en avant par Richard Haass et Charles Kupchan en 2023 6 — prévoit un gel de la ligne de front, la création d’une zone démilitarisée et un renforcement de la coopération bilatérale en matière de défense 7.
- Kellogg refuse ainsi de proposer à l’Ukraine de rejoindre l’Alliance atlantique, mais reconnaît le besoin d’établir une architecture de sécurité à long terme pour la défense de l’Ukraine. L’administration Biden avait déjà signé un accord bilatéral de sécurité — qui n’a pas été ratifié par le Sénat — avec Kiev en juin 2024, mais Trump pourrait en sortir dans un délai de six mois.
L’objectif confié par Trump à Kellogg est de mettre fin à la guerre dans un délai de 100 jours suivant l’investiture. Si l’envoyé spécial du président pourrait rencontrer une délégation ukrainienne à Washington dès début février, aucune visite à Moscou n’est pour l’heure prévue 8. Trump, confiant dans l’idée qu’il est le seul capable de traiter avec Poutine, veut exercer un contrôle direct sur les négociations.
Sources
- Davos 2025 : Special Address by Volodymyr Zelenskyy, President of Ukraine, World Economic Forum, 21 janvier 2025.
- « Putin Would Demand Ukraine Never Join NATO in Any Trump Talks », Bloomberg, 15 janvier 2025.
- Treaty on (settlement of the situation in Ukraine, its neutrality and) security guarantees ofUkraine, Draft as of 17.03.2022. (22:00) Reconciled text received from the Ukrainian side, with amendments from the Russian side.
- Publication de Dmitri Medvedev sur Telegram, 27 juillet 2022.
- Dynamics of readiness for territorial concessions and the factor of security guarantees for reaching peace agreements, Kyiv International Institute of Sociology (KIIS), 3 janvier 2025.
- Richard Haass et Charles Kupchan, « The West Needs a New Strategy in Ukraine », Foreign Affairs, 13 avril 2023.
- Keith Kellogg et Fred Fleitz, America First, Russia, & Ukraine, America First Policy Institute, 11 avril 2024.
- « Переговори представників України з командою Трампа можуть відбутися в лютому – Арахамія », Інтерфакс-Україна, 21 janvier 2025.